La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/07/2024 | FRANCE | N°22BX01784

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 09 juillet 2024, 22BX01784


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 1er juillet 2022, 31 mai 2023 et le 15 septembre 2023, la société WPD Energie 104, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :



1°) d'annuler l'arrêté du 2 mai 2022 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Melleran ;



2°) d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres de prendre une nouvelle décision apr

s avoir repris l'instruction de sa demande d'autorisation, dans un délai d'un mois à compter de la not...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 1er juillet 2022, 31 mai 2023 et le 15 septembre 2023, la société WPD Energie 104, représentée par Me Elfassi, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 2 mai 2022 par lequel la préfète des Deux-Sèvres a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour la création et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de Melleran ;

2°) d'enjoindre à la préfète des Deux-Sèvres de prendre une nouvelle décision après avoir repris l'instruction de sa demande d'autorisation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner avant-dire droit une expertise ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé en ce qu'il n'indique pas expressément que le rejet de la demande d'autorisation environnementale serait fondé sur l'avis défavorable du ministre des armées auquel il se borne à renvoyer, qu'il ne fait pas mention de la dénomination de la procédure IFR publiée concernée, de la dénomination de l'aire limitative impactée, des références réglementaires, des calculs ayant permis d'aboutir à la détermination de la cote sommitale maximale, de la localisation du projet hors espace aérien contrôlé et n'identifie ni la procédure de vol aux instruments concernée ni l'objet de l'opposition ;

- cet arrêté est illégal du fait des illégalités qui entachent l'avis défavorable du ministre des armées du 2 mars 2022 :

* l'avis du ministre des armées est dépourvu de base légale en ce qu'il est fondé, s'agissant du motif d'intervisibilité du projet avec le radar militaire de Cognac, sur une instruction n° 1050 DSAE DIRCAM V2.0 du 16 juin 2021 qui a été abrogée par l'instruction n° 1051 du 2 juin 2022, et que les critères applicables au projet sont les critères transitoires d'acceptabilité d'implantation de parcs éoliens ;

* le projet respecte les critères transitoires d'acceptabilité d'implantation de parcs éoliens : il est situé à 58,1 km du radar militaire le plus proche et l'implantation est autorisée à partir de 30 km ;

* le projet respecte en tout état de cause les critères d'acceptabilité définis par l'instruction n° 1050 DSAE DIRCAM V2.0 du 16 juin 2021 : il est en position d'intervisibilité électromagnétique vis-à-vis de trois radars militaires en l'absence d'occultation totale d'origine naturelle ou artificielle et donc en situation d'intervisibilité électromagnétique multiple vis-à-vis des radars de Cognac, Châteaubernard et Rochefort ;

* il n'est pas établi qu'il existerait des procédures militaires impactées par le projet ;

* le projet impacte seulement la RNP RWY 23 LFBG du MIAC 2, plus précisément le sous-secteur à 2100 pieds de la TAA 20 NM basé sur le repère d'approche IBG 23, limitant l'altitude des éoliennes à 340 mètres NGF, sous-secteur illégal au regard de l'instruction n° 350/DSAE/DIRCAM V2-0 du 1er septembre 2020 qui recommande la création de sous-secteurs entre 10 et 15 NM afin d'éviter des secteurs trop petits ;

- une expertise est nécessaire dès lors que l'existence d'une atteinte à la marge minimale de franchissement des obstacles autour de l'aérodrome de Cognac et au radar militaire de surveillance de Cognac, n'est pas démontrée.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 mai 2023, le 4 juillet 2023 et le 29 septembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre des armées conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société requérante d'une somme de 2 400 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté attaqué est inopérant ;

- à le supposer soulevé, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'avis du ministre des armées est infondé ;

- les autres moyens soulevés par la société WPD énergie 104 ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2023 et le 4 juillet 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la société WPD Energie 104 sont infondés ;

- une expertise serait inutile et les frais qu'elle occasionnerait devraient être supportés par la société WPD Energie 104 ;

- l'éventuel réexamen de la demande d'autorisation environnementale ne pourrait intervenir que dans un délai raisonnable.

Par ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture d'instruction a été en dernier lieu fixée au 2 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'aviation civile ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code des transports ;

- l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Butéri,

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public,

- et les observations de Me Berges, représentant la société WPD Energie 104 et de Mme C..., juriste, de M. A..., spécialiste radar au commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes et de M. B..., expert procédure à la division information aéronautique de la Direction de la sécurité aéronautique d'Etat, représentants le ministère des armées.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 décembre 2021, la société WPD Energie 104 a sollicité la délivrance d'une autorisation environnementale en vue de la création et de l'exploitation d'un parc éolien composé de cinq aérogénérateurs d'une hauteur hors tout, pale haute à la verticale, de 200 mètres, situés sur le territoire de la commune de Melleran. Le 2 mars 2022, le ministre des armées a émis un avis défavorable au projet en invoquant des contraintes aéronautiques et radioélectriques. Par un arrêté du 2 mai 2022, la préfète des Deux-Sèvres a refusé d'accorder l'autorisation environnementale sollicitée. La société WPD Energie 104 demande l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté de la préfète des Deux-Sèvres :

En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'avis du ministre des armées :

2. Aux termes de l'article R. 181-32 du code de l'environnement : " Lorsque la demande d'autorisation environnementale porte sur un projet d'installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent, le préfet saisit pour avis conforme : 1° Le ministre chargé de l'aviation civile : (...) b) Pour les autres aspects de la circulation aérienne, sur tout le territoire et sur la base de critère de hauteur des aérogénérateurs. (...) 2° Le ministre de la défense (...) ". Aux termes de l'article R. 181-34 du même code : " Le préfet est tenu de rejeter la demande d'autorisation environnementale dans les cas suivants : (...) / 2° Lorsque l'avis de l'une des autorités ou de l'un des organismes consultés auquel il est fait obligation au préfet de se conformer est défavorable ; (...) ". Aux termes de l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile dont certaines des dispositions du premier alinéa ont été abrogées à compter du 1er décembre 2010 pour être reprises à l'article L. 6352-1 du code des transports : " A l'extérieur des zones grevées de servitudes de dégagement en application du présent titre, l'établissement de certaines installations qui, en raison de leur hauteur, pourraient constituer des obstacles à la navigation aérienne est soumis à une autorisation spéciale du ministre chargé de l'aviation civile et du ministre de la défense. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées que l'autorité administrative compétente pour délivrer une autorisation unique doit, lorsque l'installation envisagée est susceptible de constituer un obstacle à la navigation aérienne en raison de son emplacement et de sa hauteur, saisir le ministre chargé de l'aviation civile et le ministre de la défense et que cette autorité est tenue, à défaut d'accord de l'un des ministres dont l'avis est ainsi requis, de refuser l'autorisation demandée.

4. Si, lorsque la délivrance d'une autorisation administrative est subordonnée à l'accord préalable d'une autre autorité, le refus d'un tel accord, qui s'impose à l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, ne constitue pas une décision susceptible de recours, des moyens tirés de sa régularité et de son bien-fondé peuvent, quel que soit le sens de la décision prise par l'autorité compétente pour statuer sur la demande d'autorisation, être invoqués devant le juge saisi de cette décision.

5. Pour refuser l'autorisation environnementale sollicitée par la société WPD Energie 104, la préfète des Deux-Sèvres s'est fondée sur l'avis défavorable du ministre des armées qui a relevé, d'une part, le risque de perturbations radioélectriques que le projet est susceptible d'entraîner sur le fonctionnement du radar militaire de surveillance de Cognac, et, d'autre part, l'interférence du projet avec les procédures en vigueur du terrain militaire de la base aérienne de Cognac limitant la cote sommitale de tout obstacle dans ce secteur à 340 mètres NGF.

6. En premier lieu, la société requérante doit être regardée comme ayant entendu soutenir que l'avis du ministre des armées du 2 mars 2022 est entaché d'erreur de droit en ce qu'il serait fondé sur une instruction n° 1050 DSAE DIRCAM V2.0 du 16 juin 2021 relative aux traitements des dossiers obstacles, en outre inexactement appliquée, qui a été abrogée par l'instruction n° 1051 du 2 juin 2022 laquelle serait celle applicable au litige. Il ressort toutefois de l'examen de l'avis du 2 mars 2022 du ministre des armées, dont le refus opposé à la demande d'autorisation environnementale repose sur les perturbations et interférences qu'est susceptible de provoquer le projet en raison de la hauteur des aérogénérateurs, qu'il se réfère expressément et uniquement à l'article R. 244-1 du code de l'aviation civile relatif aux conditions d'implantation des installations de grande hauteur susceptibles de constituer des obstacles à la navigation aérienne. Par suite, cet avis ministériel n'est pas entaché d'erreur de droit.

7. En second lieu, aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement : " L'installation est implantée de façon à ne pas perturber de manière significative le fonctionnement des radars et des aides à la navigation utilisés dans le cadre des missions de sécurité de la navigation aérienne et de sécurité météorologique des personnes et des biens./ En outre, les perturbations générées par l'installation ne gênent pas de manière significative le fonctionnement des équipements militaires (...) ".

8. L'avis défavorable du ministre des armées repose sur un premier motif tiré de ce que le projet conduit par la société WPD Energie 104 se situe à 56 km en intervisibilité simple du radar militaire de surveillance de Cognac à l'égard duquel il peut générer des perturbations présentant une gêne avérée pour la détection. Il résulte de l'instruction, notamment d'une étude d'intervisibilité réalisée par la brigade aérienne de la posture permanente de sûreté air (BAPPS) du commandement de la défense aérienne et des opérations aériennes (CDAOA), que le lieu d'implantation des éoliennes se trouve dans le champ du radar de Cognac dont elles gênent la détection en raison de leur hauteur dépassant 163 mètres pour les éoliennes E1 et E2, 169 mètres pour l'éolienne E3 et 170 mètres pour les éoliennes E4 et E5. La perte de détection du radar de Cognac ne peut pas être récupérée par le radar de Rochefort qui, ainsi que cela résulte de l'annexe IV à l'étude d'intervisibilité précitée, ne détecte pas les éoliennes du parc. Cette perte de détection ne peut davantage être compensée par le radar de Châteaubernard dont la proximité géographique avec le radar de Cognac ne permet pas d'obtenir une situation d'intervisibilité multiple qui suppose, pour pouvoir combler la gêne de détection de l'un par la détection d'un autre, que les radars concernés aient un angle de vue différent. L'expertise réalisée le 8 juin 2022 par la société allemande Am'Eole, produite par la société pétitionnaire, essentiellement basée sur les critères de l'instruction du 16 juin 2021 dont il n'a pas été fait application, n'est pas de nature à remettre en cause les éléments techniques fournis par l'administration des armées. Par suite, le ministre des armées n'a pas commis d'erreur d'appréciation en estimant que le projet de parc éolien était susceptible de perturber les capacités de détection du radar militaire de surveillance de Cognac.

9. Il résulte de l'instruction que le ministre des armées aurait rendu le même avis défavorable s'il s'était fondé sur ce seul motif. Le moyen tiré, par voie d'exception, de l'illégalité de cet avis doit par conséquent être écarté.

En ce qui concerne l'autre moyen :

10. Compte tenu de la situation de compétence liée dans laquelle se trouvait la préfète des Deux-Sèvres, en vertu des principes exposés au point 3, et de la légalité de l'avis du ministre des armées, qui résulte de ce qui a été exposé précédemment, le moyen tiré du défaut de motivation de l'arrêté du 2 mai 2022 de la préfète des Deux-Sèvres doit être écarté comme inopérant.

11. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner la mesure d'expertise sollicitée, que les conclusions aux fins d'annulation de la requête de la société WPD Energie 104 doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

12. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions de la société WPD Energie 104 tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 mai 2022 de la préfète des Deux-Sèvres, n'implique aucune mesure d'exécution. Par voie de conséquence, les conclusions de la société requérante aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme demandée par la société WPD Energie 104 au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société WPD Energie 104 la somme demandée par le ministre des armées, au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société WPD Energie 104 est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le ministre des armées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société WPD Energie 104, au ministre des armées et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée pour information à la préfète des Deux-Sèvres.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.

La rapporteure,

Karine Butéri

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au ministre des armées, chacun en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX01784


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01784
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : ELFASSI

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;22bx01784 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award