Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision du 24 février 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier de Cayenne a rejeté sa demande de protection fonctionnelle.
Par un jugement n° 2100882 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 25 mai 2022 et 15 novembre 2023, M. D..., représenté par Me Cavelier, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de la Guyane du 7 avril 2022 ;
2°) d'annuler la décision du directeur du centre hospitalier de Cayenne
du 24 février 2021 ;
3°) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de Cayenne de transmettre sa demande de protection fonctionnelle à la directrice générale de l'agence régionale de santé de Guyane ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Cayenne la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les pièces produites, au nombre desquelles figure le recours en excès de pouvoir présenté à l'encontre de la décision supprimant son nom du planning du service des urgences en pleine crise sanitaire, sont de nature à faire présumer l'existence d'une situation de harcèlement moral ; il ne peut être exigé de lui qu'il apporte la preuve du harcèlement moral, dès lors qu'il appartient au centre hospitalier d'apporter des éléments de nature à établir que les agissements dénoncés étaient justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ; les premiers juges ne pouvaient écarter, comme non assortis d'éléments probants, ces agissements sans faire usage de leur pouvoir d'instruction ;
- le fait de l'avoir placé en congés de récupération en pleine crise sanitaire sans décision expresse, l'interdiction d'accès aux comptes rendus de réunions, l'absence de réponse à ses demandes de réintégration sur son poste et son affectation pendant plusieurs mois dans des centres délocalisés de prévention et de soins (CDPS) éloignés de Cayenne sans que son contrat de travail n'ait été modifié sont autant d'éléments établissant une situation de harcèlement moral, d'autant que sa mise à l'écart l'exposait à un risque de perte de compétence lié à l'absence de pratique de son art et se traduisait par une perte de rémunération en raison de son absence de participation au service de garde ; les premiers juges ne pouvaient lui opposer que ses nombreux griefs ne faisaient pas référence au directeur du centre hospitalier, alors que son recours en excès de pouvoir était dirigé contre une décision de ce dernier ; comme le démontre le courrier du Dr B..., les agissements à son encontre, notamment la réunion du 3 février 2020 pour le pousser à la démission, excèdent largement l'exercice normal du pouvoir hiérarchique et avaient, au demeurant, débuté avant que le centre hospitalier ne reçoive les doléances de certains de ses collègues ; ils font suite à sa dénonciation d'un manquement déontologique de son chef de service ; le centre hospitalier n'apporte pas la preuve de lui avoir fait une proposition de réaffectation au centre hospitalier de Kourou, d'autant que le directeur du centre hospitalier de Cayenne, également directeur de cet établissement, s'y est opposé ; ses refus opposés aux propositions d'affectation dans des centres de santé sont justifiés par la modification de ses conditions d'exercice ; les propos et comportements désobligeants du Dr A... à son égard ont été reconnus par la chambre disciplinaire de l'ordre des médecins, alors même que sa plainte a été rejetée pour des motifs de procédure ;
- mis en cause, le directeur du centre hospitalier était tenu de transmettre la demande de protection fonctionnelle à la directrice de l'agence régionale de santé ;
- la réalité de la mise à l'écart professionnelle ne pouvait être déniée par les premiers juges au motif que, postérieurement à la décision de refus de protection fonctionnelle, il a été affecté dans des centres délocalisés de prévention et de soins.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 octobre 2023, le centre hospitalier de Cayenne, représenté par la SELARL Centaure avocats, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de M. D... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- M. D... n'établit pas être victime de harcèlement par la seule référence à son recours pour excès de pouvoir ; il n'apporte aucun élément factuel de nature à laisser présumer une telle situation, ni n'identifie précisément les attaques qu'il aurait subies ; d'ailleurs, son recours pour excès de pouvoir a été rejeté par le tribunal administratif de Cayenne ; l'attestation du Dr B... n'est pas de nature à établir un harcèlement moral ; les agissements contestés ne sont que la mise en œuvre du pouvoir hiérarchique dont dispose son chef de service, le Dr A..., à son endroit, afin de préserver l'intérêt du service et son bon fonctionnement compte tenu d'un contexte de fortes tensions et de difficultés relationnelles impliquant l'intéressé, comme en attestent le chef de pôle, le président de la commission médicale et plusieurs praticiens du service des urgences manifestant leur inquiétude quant à un éventuel retour de M. D... ;
- la circonstance que les premiers juges ont mentionné, à titre de contextualisation, des faits postérieurs à la décision querellée alors qu'ils devaient se placer à la date de cette décision pour en apprécier la légalité, ne permet pas, en tout état de cause, de justifier l'annulation du jugement attaqué ;
- l'établissement s'en rapporte, pour les autres moyens, à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bekpoli, représentant le centre hospitalier de Cayenne.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... a été recruté par le centre hospitalier de Cayenne, d'abord en 2011 en tant qu'interne, puis à compter du 15 juillet 2015 en qualité de praticien contractuel au service des urgences-SAMU, par contrats successifs, dont le dernier portait sur la période du 2 septembre 2019 au 2 septembre 2021, pour un temps partiel de 80 %. A compter de septembre 2018, il a occupé les fonctions de responsable adjoint du service des urgences, mais a démissionné de ses fonctions de chef d'unité en septembre 2019. Se plaignant d'une situation de harcèlement moral, il a sollicité, par un courrier du 28 janvier 2021, le bénéfice de la protection fonctionnelle. Par une décision du 24 février 2021, le directeur du centre hospitalier a rejeté sa demande. Le recours gracieux intenté par M. D... à l'encontre de cette décision, et dans lequel il soulignait l'impossibilité pour le directeur de se prononcer lui-même sur sa demande pour des raisons de partialité, a été rejeté. M. D... relève appel du jugement du 7 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision du 24 février 2021.
2. Aux termes des dispositions du IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations du fonctionnaire, alors en vigueur, rendues applicables aux praticiens hospitaliers par l'article L. 6152-4 du code de la santé publique : " La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée. Elle est tenue de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. ".
3. Si la protection résultant des dispositions rappelées au point précédent n'est pas applicable aux différends susceptibles de survenir, dans le cadre du service, entre un agent public et l'un de ses supérieurs hiérarchiques, il en va différemment lorsque les actes du supérieur hiérarchique sont, par leur nature ou leur gravité, insusceptibles de se rattacher à l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
4. Il résulte du principe d'impartialité que le supérieur hiérarchique mis en cause à raison de tels actes ne peut régulièrement, quand bien même il serait en principe l'autorité compétente pour prendre une telle décision, statuer sur la demande de protection fonctionnelle présentée pour ce motif par son subordonné.
5. Il résulte de l'ensemble des dispositions qui gouvernent les relations entre les agences régionales de santé et les établissements de santé, notamment de celles de l'article L. 6143-7-1 du code de la santé publique qui donnent compétence au directeur général de l'agence régionale de santé pour mettre en œuvre la protection fonctionnelle au bénéfice des personnels de direction des établissements de santé de son ressort, que lorsque le directeur d'un établissement public de santé, à qui il appartient en principe de se prononcer sur les demande de protection fonctionnelle émanant des agents de son établissement, se trouve, pour le motif indiqué au point précédent, en situation de ne pouvoir se prononcer sur une demande sans méconnaître les exigences qui découlent du principe d'impartialité, il lui appartient de transmettre la demande au directeur général de l'agence régionale de santé dont relève son établissement, pour que ce dernier y statue.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. D... a sollicité, le 28 janvier 2021, le bénéfice de la protection fonctionnelle pour deux procédures juridictionnelles, la première relative à un recours pour excès de pouvoir enregistré le 4 janvier 2021 devant le tribunal administratif de la Guyane afin d'obtenir l'annulation d'une décision prise par le directeur du centre hospitalier de Cayenne de ne plus l'affecter au services des urgences, qu'il estimait révélatrice d'une situation de harcèlement moral, et la seconde pour une plainte pénale déposée, le 26 janvier 2021, à l'encontre de son chef de service, le Dr A..., également pour harcèlement moral. S'il n'est pas établi que M. D... ait communiqué sa plainte pénale au centre hospitalier de Cayenne, son recours pour excès de pouvoir, assorti de ses soixante-dix pièces jointes, a été transmis par le tribunal à l'établissement hospitalier le 5 février 2021, de sorte que la demande de protection fonctionnelle dans laquelle M. D... identifiait seize agissements révélant selon lui une situation de harcèlement moral devait être examinée au regard de ces éléments.
7. Il ressort des pièces ainsi produites que M. D... a rencontré des problèmes relationnels avec plusieurs collègues praticiens du service des urgences ainsi qu'avec son chef de service à compter de septembre 2019, après avoir dénoncé ce qu'il considérait être un manquement déontologique de ce dernier pour avoir assuré des vacations dans un centre hospitalier de métropole durant ses congés. Son recours en excès de pouvoir, dirigé contre une décision du directeur de l'établissement, mettait nommément en cause ce dernier, notamment en l'accusant de le priver de toute affectation sans avoir pris de décision explicite et avec le risque de lui faire perdre des compétences du fait de l'absence de pratique médicale, de l'empêcher de venir en renfort des équipes médicales malgré le contexte de crise sanitaire, de l'avoir supprimé de l'annuaire du service et d'avoir pris parti en faveur de son chef de service, auteur de faits de harcèlement moral. Dans les circonstances de l'espèce, et alors même que la décision en litige est signée par la directrice des affaires médicales, laquelle est placée sous l'autorité du directeur de l'établissement, le principe d'impartialité impliquait que ce dernier ne puisse se prononcer lui-même sur la demande de protection fonctionnelle dont l'établissement public de santé était saisi par le praticien.
8. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'autre moyen de la requête, que M. D... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique nécessairement que la demande de protection fonctionnelle présentée par M. D... soit transmise au directeur général de l'Agence régionale de santé de Guyane. Il y a lieu d'enjoindre au centre hospitalier de Cayenne d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier de Cayenne demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Cayenne une somme de 1 500 euros à verser à M. D... au même titre.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Cayenne n° 2100882 du 7 avril 2022 et la décision du 24 février 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au directeur du centre hospitalier de Cayenne de transmettre la demande de protection fonctionnelle de M. D... au directeur général de l'agence régionale de santé de Guyane, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier de Cayenne versera à M. D... la somme
de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier de Cayenne sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au centre hospitalier de Cayenne. Copie en sera adressée à l'agence régionale de santé de Guyane.
Délibéré après l'audience du 20 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX01463