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09/07/2024 | FRANCE | N°22BX00996

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 09 juillet 2024, 22BX00996


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société en nom collectif (SNC) Cap Nord 595 a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, ainsi que des intérêts de retard et de la majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses.

Par un jugement n° 2100344 du 3 février 2022, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.<

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Procédure devant la cour administrative d'appel :



Par une requête et des mé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société en nom collectif (SNC) Cap Nord 595 a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, ainsi que des intérêts de retard et de la majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses.

Par un jugement n° 2100344 du 3 février 2022, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 1er avril 2022, le 28 octobre 2022 et le 21 novembre 2023, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la SNC Cap Nord 595, représentée par Me Rouxel, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 3 février 2022 du tribunal administratif de la Martinique ;

2°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016, ainsi que des intérêts de retard et de la majoration de 80% pour manœuvres frauduleuses ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité de la procédure d'imposition :

- la procédure d'imposition est irrégulière dans la mesure où elle a été privée de la possibilité d'un débat oral et contradictoire faute d'avoir été informée, à l'occasion de la réunion de synthèse, de l'application des majorations pour manœuvres frauduleuses ;

- en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales, l'administration ne lui a pas communiqué l'ensemble des éléments recueillis dans le cadre de son droit de communication et notamment pas ceux obtenus dans le cadre de la vérification de comptabilité de la SARL Recyclage de l'est.

S'agissant du bien-fondé des impositions :

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, qui a mal apprécié la situation dont il a déduit que l'investissement n'avait pas été réalisé, elle a respecté les quatre critères nécessaires à la déduction de la TVA et notamment celui de la livraison du matériel chez l'exploitant ;

- la preuve de la réalisation de l'investissement est apportée par le mandat avec l'exploitant portant sur la recherche du matériel souhaité, la lettre de voiture attestant la livraison des biens, le procès-verbal de prise en charge du matériel, l'ordonnance d'appréhension du matériel, les procès-verbaux d'huissier et le nouveau contrat de location des biens.

S'agissant des pénalités pour manœuvres frauduleuses :

- elles sont infondées dès lors que le manquement délibéré n'est pas caractérisé et qu'elle n'a en aucun cas tenté de masquer une infraction, s'étant pour preuve constituée partie civile devant le juge judiciaire ;

- il est pris acte de la demande de substitution de base légale formulée par l'administration.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 30 septembre 2022 et le 20 novembre 2023, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la SNC Cap Nord 595 ne sont pas fondés ;

- à titre subsidiaire, une demande de substitution de base légale est formulée pour fonder la majoration sur les dispositions de l'article 1729 b du code général des impôts en lieu et place de celles de l'article 1729 c du même code qui ont été appliquées.

Par une ordonnance du 25 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 24 novembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Butéri,

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public,

- et les observations de Me Rouxel, représentant la société Cap Nord 595.

Considérant ce qui suit :

1. La société en nom collectif (SNC) Cap Nord 595 exerce aux Trois-Ilets une activité dont l'objet est d'acquérir des biens d'investissement en vue de leur location à des exploitants locaux dans le cadre du dispositif de défiscalisation prévu à l'article 199 undecies B du code général des impôts. A la suite d'une vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017, le service a remis en cause la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) non perçue récupérable (NPR) pratiquée par cette société au titre du deuxième trimestre de l'année 2016 dans le cadre d'une opération de défiscalisation d'un investissement outre-mer consistant en l'acquisition de divers matériels destinés à être loués à la société à responsabilité limitée (SARL) Recyclage de l'est, au motif que l'investissement n'avait pas effectivement été réalisé. Par une proposition de rectification du 3 juillet 2019, des rappels de TVA ont été en conséquence notifiés à la SNC Cap Nord 595, suivant la procédure de redressement contradictoire, pour un montant de 18 275 euros au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016. Ces rappels ont été assortis des intérêts de retard, pour un montant de 1 499 euros, et de la majoration pour manœuvres frauduleuses de 80%, pour un montant de 14 289 euros. Ces impositions supplémentaires et majorations ont été mises en recouvrement le 31 juillet 2020. Après le rejet, le 23 mars 2021, de sa réclamation préalable, la SNC Cap Nord 595 a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge en droits, intérêts de retard et pénalités, des rappels de TVA auxquels elle a été assujettie. Elle relève appel du jugement du 3 février 2022 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. ".

3. Le contribuable faisant l'objet d'une vérification de comptabilité ne doit pas, sous peine d'irrégularité de la procédure, être privé de la possibilité d'un débat oral et contradictoire avec le vérificateur. La vérification de comptabilité consiste à procéder au contrôle sur place de la sincérité des déclarations fiscales souscrites par une entreprise par comparaison avec les écritures comptables ou les pièces justificatives dont le vérificateur prend alors connaissance et dont, le cas échéant, il peut remettre en cause l'exactitude. Dans le cas où la vérification de comptabilité d'une entreprise a été effectuée, soit, comme il est de règle, dans ses propres locaux, soit, si son dirigeant ou représentant l'a expressément demandé, dans les locaux du comptable auprès duquel sont déposés les documents comptables, c'est au contribuable qui allègue que les opérations de vérification ont été conduites sans qu'il ait eu la possibilité d'avoir un débat oral et contradictoire avec le vérificateur de justifier que ce dernier se serait refusé à un tel débat. Enfin, aucune disposition législative ou réglementaire n'impose au vérificateur de donner au contribuable, avant l'envoi de la notification de redressements, une information sur les redressements qu'il pourrait envisager.

4. Il est constant que l'ensemble des opérations de vérification se sont déroulées du 10 avril au 21 juin 2019 dans les locaux du siège social de la SNC Cap Nord 595. Si cette société persiste à soutenir en appel qu'elle aurait été privée de la possibilité d'un débat oral et contradictoire sur l'application des pénalités, elle n'établit toutefois pas davantage qu'en première instance que le vérificateur, qui n'était au demeurant pas tenu de lui donner une information sur les redressements qu'il envisageait, se serait refusé à un tel débat alors qu'il résulte au contraire de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 3 juillet 2019, que l'ensemble des rectifications proposées a été présenté au cours des opérations de contrôle, et plus particulièrement lors de la réunion de synthèse qui s'est tenue le 21 juin 2019 à 9h 30 au siège de la société, en présence du gérant de la SARL Satia conseil Guyane qui assure la gérance de la SNC Cap Nord 595. Dès lors, ainsi que l'a estimé à juste titre le tribunal, le moyen soulevé n'est pas fondé. Il doit, par suite, être écarté.

5. En second lieu, l'article L. 76 B du livre de procédures fiscales dispose : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande. "

6. Il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, d'informer le contribuable, avec une précision suffisante, de l'origine et de la teneur des renseignements obtenus auprès de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition, afin de permettre à l'intéressé, notamment, de discuter utilement leur provenance ou de demander que les documents qui, le cas échéant, contiennent ces renseignements soient mis à sa disposition avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Toutefois, l'obligation qui lui est ensuite faite de tenir à la disposition du contribuable qui les demande ou de lui communiquer, avant la mise en recouvrement des impositions, les documents ou copies de documents contenant les renseignements qu'elle a utilisés pour procéder aux redressements ne peut porter que sur les documents effectivement détenus par les services fiscaux. Dans l'hypothèse où les documents que le contribuable demande à examiner sont détenus non par l'administration fiscale, qui les a seulement consultés à l'occasion d'une vérification de comptabilité concernant une autre société, mais par cette dernière, il appartient à l'administration fiscale, d'une part, d'en informer l'intéressé afin de le mettre en mesure d'en demander communication à ce tiers et, d'autre part, de porter à sa connaissance l'ensemble des renseignements fondant l'imposition recueillis à l'occasion de la vérification de comptabilité de cette autre société.

7. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 3 juillet 2019 adressée à la SNC Cap Nord 595 indique que l'administration a obtenu, dans le cadre de son droit de communication, des renseignements concernant la SARL Recyclage de l'est, locataire des matériels grevés de la TVA NPR dont le service a remis en cause la déductibilité. Le document précise également que ces renseignements proviennent des déclarations d'importation déposées par la SARL Recyclage de l'est au cours de l'année 2016 et transmises par les services douaniers de La Réunion, d'un procès-verbal d'huissier et d'un courriel du 29 mars 2019 remis par cette société aux services fiscaux de La Réunion à l'occasion d'une vérification de comptabilité, des constatations opérées par les services fiscaux à l'occasion de cette procédure de contrôle, ainsi que des factures et des comptes-clients transmis par la société D.R.H.F., fournisseur des matériels d'investissement. La proposition de rectification indique enfin qu'il ressort de ces documents que la société fournisseur des biens d'investissement a comptabilisé les apports de la SNC Cap Nord 595 dans le compte-client de la société locataire, que cette dernière n'a procédé en 2016 et 2017 à aucun règlement, même partiel, de la quote-part lui incombant dans le financement de l'opération de défiscalisation, qu'aucune déclaration d'importation et de dédouanement des biens n'a été enregistrée auprès des services douaniers de La Réunion et qu'aucun des matériels d'investissement ni aucun justificatif de leur existence physique n'a été présenté par le locataire à l'occasion de sa vérification de comptabilité. Ces mentions constituent une information suffisante quant à l'origine et la teneur des renseignements et documents ainsi recueillis par l'administration fiscale dans le cadre de son droit de communication. La SNC Cap Nord 595, ainsi mise à même d'en demander la communication avant la mise en recouvrement des suppléments d'impositions, produit pour la première fois en appel un courrier en date du 20 décembre 2019 d'où il ressort qu'elle a sollicité, à la suite de la proposition de rectification du 3 juillet 2019, " les informations mentionnées notamment dans le tableau de synthèse et de manière générale toute pièce ou document comptable (...) utilisé à l'appui des rectifications proposées ". Il résulte de l'instruction, notamment d'un courrier du 23 janvier 2020, qu'en réponse à cette demande, l'administration a communiqué à la SNC Cap Nord 595 une série de documents issus du droit de communication exercé chez un transitaire et chez le fournisseur D.H.R.F. Après avoir indiqué que les informations mentionnées dans le tableau de synthèse relativement à la vérification de la comptabilité de la SARL Recyclage de l'est étaient issues de constatations recueillies par le vérificateur lors du contrôle, elle a répondu qu'elle ne pouvait en conséquence lui communiquer aucun document y étant relatif. Dans ces conditions, l'administration, qui a donné dans la proposition de rectification les renseignements fondant l'imposition recueillis à l'occasion du contrôle de la société Recyclage de l'est et qui n'était par ailleurs pas tenue de communiquer la proposition de rectification du 3 décembre 2018 adressée à cette société, n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales. Le moyen soulevé doit, par suite, être écarté.

Sur le bien-fondé des impositions :

8. L'article 295 du code général des impôts dispose : " 1. Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : / (...) 5° Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de la Réunion : / a. Les importations de matières premières et produits dont la liste est fixée par arrêtés conjoints du ministre de l'économie et des finances et du ministre chargé des départements d'outre-mer ; / (...) c. La livraison en l'état de biens importés en exonération de la taxe conformément au a ; (...) ". Aux termes de l'article 295 A du même code alors en vigueur : " 1. Les livraisons ou importations en Guadeloupe, en Martinique ou à La Réunion de biens d'investissement neufs, exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée en application du 5° du 1 de l'article 295, donnent lieu à une déduction calculée, selon le cas, sur le prix d'achat ou de revient, ou sur la valeur en douane des biens, lorsque le destinataire de la livraison ou l'importateur est un assujetti qui dispose dans ces départements d'un établissement stable et y réalise des activités ouvrant droit à déduction en application de l'article 271. / (...) 6. Les assujettis indiquent le montant de la déduction prévue au 1 sur la déclaration mentionnée à l'article 287. / 7. Les fournisseurs des biens d'investissement neufs exonérés de la taxe doivent indiquer sur leurs factures le montant de la taxe déterminée conformément au 1 et y porter la mention : " TVA au taux de non perçue ". "

9. Aux termes de l'article 271 du CGI dans sa version applicable à l'espèce : " I. 1. La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable est déductible de la taxe sur la valeur ajoutée applicable à cette opération (...) II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures (...) " Aux termes de l'article 272 du même code : " (...) 2. La taxe sur la valeur ajoutée facturée dans les conditions définies au 4 de l'article 283 ne peut faire l'objet d'aucune déduction par celui qui a reçu la facture (...) ". Aux termes, enfin, de l'article 283 du même code : " (...) 4. Lorsque la facture ou le document ne correspond pas à la livraison d'une marchandise ou à l'exécution d'une prestation de services, ou fait état d'un prix qui ne doit pas être acquitté effectivement par l'acheteur, la taxe est due par la personne qui l'a facturée (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'un contribuable n'est pas en droit de déduire de la taxe sur la valeur ajoutée dont il est redevable à raison de ses propres opérations la taxe mentionnée sur une facture établie à son nom par une personne qui ne lui a fourni aucun bien ou aucune prestation de services. Dans le cas où l'auteur de la facture était régulièrement inscrit au registre du commerce et des sociétés et assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée, il appartient à l'administration, si elle entend refuser à celui qui a reçu la facture le droit de déduire la taxe qui y était mentionnée, d'établir qu'il s'agissait d'une facture fictive ou d'une facture de complaisance. Si l'administration apporte des éléments suffisants permettant de penser que la facture ne correspond pas à une opération réelle, il appartient alors au contribuable d'apporter toutes justifications utiles sur la réalité de cette opération.

10. Il résulte de l'instruction que, dans la déclaration qu'elle a souscrite au titre de la période du 2ème trimestre 2016, la SNC Cap Nord 595 a procédé à la déduction de la TVA NPR ayant grevé une facture n° 060416 émise le 17 mai 2016 par la société D.R.H.F., fournisseur basé en métropole, pour un montant de 18 275 euros, relativement à l'acquisition, pour un montant de 215 000 euros hors taxe, de deux tables neuves de tri de 4 mètres avec tapis d'extraction sur châssis utilisées pour le recyclage de déchets, qu'elle a données à bail à la SARL Recyclage de l'est, société exploitante basée à La Réunion, selon un contrat de location préalablement signé le 26 janvier 2016.

11. Pour remettre en cause le droit à déduction de la TVA porté sur cette facture, regardée comme fictive, l'administration a tenu compte du fait que, dans les comptes-clients communiqués par le fournisseur, aucune facture ne correspondait à celle adressée à la SNC Cap Nord 595. Elle a dans le même temps relevé, lors de l'examen de ces comptes-clients, que ni la SNC Cap Nord 595 ni la société locataire n'avait procédé au règlement des matériels dont elles devaient s'acquitter selon des modalités différentes auprès de ce fournisseur, respectivement à hauteur de 68 800 euros et de 146 199 euros, tandis que par ailleurs ledit fournisseur n'avait pas cherché à recouvrer sa créance. L'administration s'est également fondée sur les renseignements recueillis dans le cadre de son droit de communication auprès des services douaniers de La Réunion qui ont indiqué n'avoir enregistré en 2016 qu'une seule déclaration d'importation ayant comme destinataire la société locataire et ont précisé que cette déclaration concernait des matériels différents acquis auprès d'un autre fournisseur et portant sur un montant distinct de celui indiqué sur la facture n° 060416. Enfin, l'administration s'est appuyée sur les renseignement obtenus dans le cadre de son droit de communication auprès des services fiscaux de La Réunion qui ont constaté, à l'occasion de la vérification de comptabilité de la SARL Recyclage de l'est, diligentée au début de l'année 2019, que cette société, dont les écritures comptables ne mentionnaient pas l'opération de défiscalisation concernée, n'avait pu présenter les matériels facturés, ni produire de justificatifs d'expédition et de livraison de ces matériels, ni aucun élément susceptible d'établir leur existence physique, tels que, notamment, des garanties constructeurs ou des contrats d'assurance. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme apportant des éléments suffisants permettant d'établir que la facture du 17 mai 2016 constitue une facture fictive et que la SNC Cap Nord 595 le savait ou ne pouvait l'ignorer quand bien même elle n'aurait eu aucune raison de douter de la crédibilité professionnelle de la SARL Recyclage de l'est. Il appartient ainsi à la SNC Cap Nord 595 d'apporter toutes justifications utiles en sens contraire.

12. La SNC Cap Nord 595 établit qu'elle a procédé à un paiement par virement bancaire, le 23 mai 2016, au profit du fournisseur, pour un montant de 68 800 euros, et a conclu avec celui-ci et la société locataire, le 26 janvier 2016 soit antérieurement à la facture litigieuse, une cession de créances de loyers destinée à financer les matériels acquis, à hauteur de 146 199 euros. Toutefois, il est constant que la société locataire n'a payé au fournisseur aucune somme avant la fin du mois de novembre 2019, soit à la fin des opérations de contrôle de la SNC Cap Nord 595, lorsqu'elle a émis deux chèques, effectivement encaissés par le fournisseur en novembre et décembre 2019, puis des lettres de change mensuelles, dont seul l'encaissement de la première émise en janvier 2020 est justifié. Par ailleurs, la circonstance que la SARL Recyclage de l'est, à laquelle la société appelante agissant par sa gérante a confié par mandat le soin de rechercher et de lui proposer une solution de financement pour l'acquisition des deux tables de tri, certifie, par un " procès-verbal de prise en charge " daté du 17 mai 2016, soit du même jour que la facture litigieuse, la prise de livraison du matériel à cette date, ne remet nullement en cause les éléments postérieurs que produit l'administration qui établissent l'absence de livraison des matériels, alors au surplus que la " lettre de voiture " attestant du chargement des marchandises porte la date du 31 août 2016 pour une livraison qui serait intervenue au mois d'octobre 2016. Enfin, la SNC Cap Nord 595 produit une ordonnance du juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Saint-Denis du 6 avril 2017, rendue à sa demande dans le cadre de la procédure d'urgence des ordonnances sur requête, qui fait injonction à la SARL Recyclage de l'est de lui restituer les deux tables de tri avec tapis d'extraction sur châssis. Cependant, il résulte de l'instruction, notamment des divers procès-verbaux d'huissier de justice produits, que la société requérante n'a cherché à exécuter cette ordonnance en diligentant une procédure de saisie qu'à compter 6 novembre 2018, soit plus d'un an et demi après le prononcé de la décision de justice. Cette procédure de saisie s'est par la suite prolongée pendant plus de deux ans, en raison des absences répétées des représentants de la SARL Recyclage de l'est lors des différents transports de l'huissier de justice dans les locaux de cette société pour tenter de saisir les matériels. Lorsque la cogérante de ladite société s'est trouvée dans les locaux de l'entreprise à l'occasion d'une tentative d'appréhension des matériels, le 2 août 2019, elle a déclaré que " le matériel était inexistant ". Le 18 février 2021, l'huissier mandaté par la société a constaté que les locaux de la société avaient été vidés et, après avoir interrogé la gérante qui lui a indiqué sans plus d'explications s'être séparée du matériel, a procédé à l'appréhension de tables de tri exposées à l'extérieur sur le terrain d'un tiers non clôturé. Toutefois, aucun élément ne permet de considérer que ces tables de tri seraient celles acquises dans le cadre de l'opération dont il s'agit. Si la SNC Cap Nord 595 se prévaut d'un " avis victime " révélant l'existence d'une procédure judiciaire en cours en 2021 contre la société locataire ainsi que de la conclusion d'un nouveau contrat de location des matériels récupérés, ces éléments ne permettent pas d'établir la réalité de l'opération. Dans ces conditions, l'administration doit être regardée comme établissant le caractère fictif de l'opération que la SNC Cap Nord 595 ne pouvait ignorer compte tenu notamment de ce qu'il s'agit d'une société spécialisée dans la réalisation de montages de défiscalisation. Par suite, c'est à juste titre qu'elle a remis en cause le droit à déduction de la TVA mentionnée sur la facture n° 060416 du 17 mai 2016.

13. Il résulte de ce qui précède que la SNC Cap Nord 595 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Martinique, qui n'a pas inexactement apprécié les pièces qui lui étaient soumises, a rejeté sa demande de décharge des rappels de TVA auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2016.

Sur les pénalités :

14. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...) ". Les pénalités pour manœuvres frauduleuses ont pour objet de sanctionner des agissements destinés à égarer ou à restreindre le pouvoir de contrôle de l'administration. Le recours à des factures fictives est constitutif par lui-même de manœuvres frauduleuses, de nature à justifier, par application de l'article 1729 du code général des impôts, une majoration de 80 % à raison de ces factures fictives.

15. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a appliqué la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses aux rappels de TVA NPR notifiés à la SNC Cap Nord 595 en se fondant sur la circonstance que cette société avait eu recours à une fausse facture en vue d'obtenir la restitution de la taxe prétendument payée en amont par le fournisseur. Compte-tenu de ce recours à une fausse facture, qui doit être regardé comme établi ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la SNC Cap Nord 595 a mis en œuvre un procédé ayant pour but d'égarer l'administration dans l'exercice de son pouvoir de contrôle sans que puisse avoir une incidence la circonstance qu'elle s'est par la suite constituée partie civile dans le cadre d'une procédure judiciaire ouverte à l'encontre de l'une des sociétés ayant participé à l'opération de défiscalisation dans le cadre de laquelle son droit à déduction a été remis en cause. Par suite, l'administration établit l'existence de manœuvres frauduleuses de nature à justifier, par application de l'article 1729 du code général des impôts, la majoration de 80 % dont ont été assortis les rappels de TVA NPR notifiés au titre de l'année 2016 à raison de cette facture fictive.

16. Il résulte de ce qui précède que c'est à bon droit que le tribunal administratif de la Martinique a rejeté la demande de décharge de la majoration de 80% des droits éludés.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la SNC Cap Nord 595 n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, les conclusions qu'elle présente sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SNC Cap Nord 595 est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SNC Cap Nord 595 et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une copie en sera adressée à la direction régionale de contrôle fiscal Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 juillet 2024.

La rapporteure,

Karine Butéri

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00996


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00996
Date de la décision : 09/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : FIDAL RENNES

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-09;22bx00996 ?
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