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05/07/2024 | FRANCE | N°24BX00036

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 05 juillet 2024, 24BX00036


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2304401 du 20 décembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2023.



Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 janvier 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... D... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 10 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de renouveler son titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2304401 du 20 décembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2023.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 janvier 2024, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement du 20 décembre 2023 du tribunal administratif de Bordeaux.

Il soutient que contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, le mariage de M. A... avec Mme de C... était un mariage de complaisance ainsi qu'en attestent les éléments de l'enquête à laquelle ont procédé les services de la gendarmerie, ajoutés à la différence d'âge de 45 ans entre les époux ; leur relation traduit les services mutuels qu'ils se rendaient, Mme de C... apportant une aide financière à M. A... et celui-ci l'assistant dans la vie quotidienne, notamment pour s'occuper de sa mère, âgée de 102 ans ; cet arrangement ne suffit pas à établir la réalité et la sincérité de leur mariage ; d'ailleurs, M. A... a eu une enfant née le 9 novembre 2021, issue de sa relation extra-conjugale avec une ressortissante française demeurant en région parisienne ; un signalement a été transmis au procureur de la République ; les relations de M. A... et de son épouse, décédée le 21 juin 2023, étaient plus proches de la cohabitation que de la vie commune ; M. A... ne justifie ainsi pas qu'il remplissait les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en qualité de conjoint de Française en application de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire enregistré le 16 avril 2024, M. A..., représenté par Me Lassort, conclut au rejet de la requête, à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2023 et à ce que soit mis à la charge de l'Etat le versement à son profit de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'arrêté préfectoral contesté est entaché d'incompétence en l'absence de justification d'une délégation de signature ;

- il est insuffisamment motivé au regard des exigences des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il aurait dû être précédé de la consultation de la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il remplit les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour en application de l'article L. 423-1 de ce code ;

- son droit à être entendu, consacré à l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a été méconnu dès lors qu'il n'a pas été invité à présenter ses observations avant que ne soit prise la décision ;

- il remplit les conditions pour que soit renouvelé son titre de séjour en qualité de conjoint de Français ; conformément à l'article L. 423-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la rupture du lien conjugal n'est pas opposable lorsqu'elle résulte du décès du conjoint ; les éléments issus de l'enquête de gendarmerie ne suffisent pas à remettre en cause la réalité de sa vie commune avec son épouse ; il a toujours été présent auprès d'elle, notamment au cours de sa maladie ; l'absence de relations sexuelles entre eux et l'aménagement d'une chambre avec un lit médicalisé pour Mme de C..., explicables compte tenu de la différence d'âge et de l'état de santé de celle-ci, ne peuvent pas davantage remettre en cause la réalité de leur communauté de vie ; l'écart d'âge n'a pas fait obstacle à la délivrance d'un premier titre de séjour en 2018 ; les virements de Mme de C... dont il a fait état étaient destinés à l'association Etoile bleue et non à lui-même ; il a toujours travaillé pour subvenir à ses besoins lorsque l'état de santé de son épouse le lui permettait ; il a d'ailleurs hébergé Mme de C... lorsqu'il vivait au Sénégal ;

- au surplus, il peut bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en qualité de parent d'un enfant français et un refus de titre de séjour porterait atteinte aux droits de son enfant, tels que protégés par l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ; Mme de C... a accepté et aimé cette enfant et a toujours été présente pour elle ; il participe effectivement à l'entretien et à l'éducation de cette enfant depuis sa naissance ; tout en s'occupant de son épouse, il se rendait dès qu'il pouvait en région parisienne pour voir sa fille ; il a présenté une demande de titre en qualité de parent d'un enfant français auprès des services de la préfecture ;

- la décision contestée méconnaît l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il est en France depuis 2014, année au cours de laquelle il est venu rejoindre Mme de C... rencontrée lors des voyages humanitaires de celle-ci au Sénégal, qu'il a partagé avec elle une réelle communauté de vie pendant neuf ans, qu'il a un enfant français dont il s'occupe depuis sa naissance, qu'il a son frère en France et qu'il est parfaitement intégré en France notamment sur le plan professionnel ; il maîtrise le français et respecte les valeurs républicaines ;

- enfin, compte-tenu de sa situation, il peut prétendre à l'admission exceptionnelle au séjour en application de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de la circulaire du 28 novembre 2012 ;

- il invoque, par la voie de l'exception, l'illégalité du refus de titre de séjour à l'appui de ses conclusions dirigées contre la mesure d'obligation de quitter le territoire français.

Par une ordonnance du 18 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 mai 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Elisabeth Jayat,

- et les observations de Me Lassort, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant sénégalais né le 7 novembre 1986, est entré sur le territoire français le 27 mai 2014 en possession d'un visa C court séjour. Par un arrêté du 13 mars 2015, le préfet de la Gironde l'a obligé à quitter le territoire français mais cet éloignement n'a pas été exécuté. Suite à son mariage avec une ressortissante de nationalité française le 7 octobre 2017, plusieurs titres de séjour d'une durée d'un an lui ont été remis, en qualité de conjoint de Français, pour la période comprise entre le 14 juin 2018 et le 27 octobre 2021. M. A... a demandé le renouvellement de son titre de séjour le 14 septembre 2021. Par un arrêté du 10 juillet 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français et a fixé le pays de destination. Le préfet de la Gironde, qui précise avoir délivré un titre de séjour à M. A... dans le seul but de se conformer à l'injonction prononcée par le tribunal, fait appel du jugement du 20 décembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, saisi par M. A..., a annulé cet arrêté.

2. Aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : / 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; / 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; / 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. " Aux termes de l'article L. 423-2 du même code : " L'étranger, entré régulièrement et marié en France avec un ressortissant français avec lequel il justifie d'une vie commune et effective de six mois en France, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ". Aux termes de l'article L. 423-4 de ce code : " La rupture du lien conjugal n'est pas opposable lorsqu'elle résulte du décès du conjoint. Il en va de même de la rupture de la vie commune. ".

3. Si le mariage d'un étranger avec un ressortissant de nationalité française est opposable aux tiers, dès lors qu'il a été célébré et publié dans les conditions prévues aux articles 165 et suivants du code civil et s'impose donc en principe à l'administration tant qu'il n'a pas été dissous ou déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient néanmoins au préfet, s'il est établi de façon certaine lors de l'examen d'une demande présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le mariage a été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour, de faire échec à cette fraude et de refuser à l'intéressé, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, la carte de résident.

4. Il est constant que M. A..., qui vivait alors au Sénégal, a fait la connaissance dans les années 2000 de Mme de C..., lors des voyages humanitaires qu'effectuait celle-ci dans ce pays, notamment dans le cadre d'une association à l'activité de laquelle participait M. A.... Entré en France en 2014, il n'est pas contesté qu'il a débuté la vie commune en 2015 avec elle, comme en atteste en particulier l'adresse mentionnée sur les courriers de l'administration, lors du refus de séjour qui lui a été opposé au mois d'octobre 2015, et ils se sont mariés le 7 octobre 2017, sans que la vie commune ait cessé depuis, jusqu'au décès de son épouse atteinte d'un cancer, le 21 juin 2023. Comme l'ont relevé les premiers juges, il a obtenu après son mariage un titre de séjour en qualité de conjoint de Français le 14 juin 2018, régulièrement renouvelé jusqu'au 10 juillet 2023, sans que le préfet n'ait émis de soupçons de fraude en dépit de l'écart d'âge de 45 ans entre les époux qui ne peut d'ailleurs, à lui seul, priver de réalité l'intention matrimoniale des intéressés. Il est vrai que lors de l'enquête réalisée par la gendarmerie les 5 et 10 mai 2022, l'audition de chacun des époux a fait apparaître qu'ils ne connaissaient pas la date exacte de naissance et la famille de l'autre, que lors de la visite de l'enquêteur, le 5 mai 2022, Mme de C... a indiqué que M. A... s'était absenté à Paris pour le décès d'un proche sans qu'elle puisse indiquer qui était ce proche, et il a été constaté que la seule chambre de l'habitation, à l'étage, était occupée par la mère de l'épouse, âgée de 102 ans, tandis que celle-ci dormait au rez-de-chaussée dans le salon et que M. A... dormait dans une mezzanine à côté de la chambre située à l'étage. Toutefois, s'il apparaît que les époux n'avaient pas une bonne connaissance de certains éléments de leurs vies respectives, ni l'enquête de gendarmerie ni aucune autre pièce du dossier n'a fait apparaître que M. A... aurait été régulièrement absent du foyer, et les autres pièces du dossier, et notamment les attestations, produites par M. A..., émanant du médecin oncologue qui suivait Mme de C..., d'amis, de la sœur de Mme de C... et d'une auxiliaire de vie, font état de circonstances permettant de retenir que M. A... et son épouse se portaient mutuellement affection, soutien et assistance, M. A... ayant, notamment, soutenu Mme de C... au cours de sa maladie et participant à la vie du foyer, en particulier en préparant les repas. Il ressort également des nombreuses pièces produites par M. A... que celui-ci a travaillé dès l'obtention d'un titre de séjour, même s'il a connu des périodes au cours desquelles il était demandeur d'emploi inscrit à Pôle emploi, et ne s'est, ainsi, pas borné à bénéficier d'un soutien financier de Mme de C... en échange d'une assistance à la vie quotidienne. Par ailleurs, l'absence de chambre commune ne suffit pas à remettre en cause l'intention de vie commune de M. A... et de Mme de C..., cette circonstance pouvant d'ailleurs s'expliquer par l'écart d'âge et par l'état de santé de Mme de C... occasionnant des difficultés pour elle à accéder à l'étage du logement. Si, lors de l'enquête de gendarmerie, une voisine a déclaré qu'à son avis, le mariage de Mme de C... et de M. A... était un " mariage blanc ", elle a toutefois déclaré aussi qu'elle voyait M. A... " depuis des années " et elle a, par la suite, établi un témoignage produit par M. A... faisant état d'un " amour sincère " et de ce que M. A... a accompagné son épouse dans la maladie et organisé ses obsèques. Enfin, s'il est constant que M. A... est le père d'une enfant née en 2021 d'une relation extra-conjugale avec une Française vivant en région parisienne, il ressort des pièces du dossier que son épouse avait accepté l'enfant, avec laquelle elle avait établi des liens, et que cette naissance n'a pas remis en cause la vie commune de M. A... avec Mme de C.... Dans ces conditions, le préfet de la Gironde, qui ne précise pas les suites données au signalement effectué auprès du procureur de la République le 1er juin 2023, ne peut être regardé comme apportant la preuve de ce que le mariage de M. A... s'apparenterait à une simple cohabitation et aurait été contracté dans le but exclusif d'obtenir un titre de séjour et a, ainsi, a méconnu les dispositions de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant de renouveler le titre de séjour de l'intéressé en qualité de conjoint de Français.

5. Il résulte de ce qui précède que le préfet n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif, par le jugement attaqué, a prononcé l'annulation de l'arrêté préfectoral du 10 juillet 2023.

6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A... de la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à M. A... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... D... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2024.

La présidente-assesseure,

Karine ButériLa présidente-rapporteure,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX00036


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00036
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Elisabeth JAYAT
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : LASSORT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;24bx00036 ?
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