Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... et M. A... C... ont demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler les arrêtés du 28 avril 2023 par lesquels la préfète de la Haute-Vienne a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2301097, 2301098 du 28 septembre 2023, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête enregistrée le 17 décembre 2023, M. et Mme C..., représentés par Me Toulouse, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 28 septembre 2023 du tribunal administratif de Limoges ;
2°) d'annuler les arrêtés du 28 avril 2023 de la préfète de la Haute-Vienne ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne, à titre principal, de leur délivrer un titre de séjour d'une durée d'un an mention " salarié " ou " vie privée et familiale ", dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ainsi qu'une autorisation provisoire de séjour dans l'attente d'une nouvelle décision et, à titre subsidiaire, de réexaminer leur situation dans les mêmes conditions de délai et de leur délivrer une autorisation provisoire de séjour dans l'attente de ce réexamen ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à leur conseil d'une somme de 3 000 euros sur le fondement combiné des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
S'agissant des décisions portant refus de titre de séjour :
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation en ce que la préfète de la Haute-Vienne s'est abstenue de faire usage de son pouvoir de régularisation alors que leur admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie par des motifs exceptionnels : M. C... a obtenu une promesse d'embauche d'une entreprise qui a déposé une demande d'autorisation de travail, M. et Mme C... ont tous deux effectué d'importantes démarches d'intégration et leur fils mineur est atteint d'un grave handicap ; les troubles autistiques dont il souffre ne peuvent être pris médicalement en charge en Algérie où il ne peut être scolarisé en l'absence de structure adaptée ; cette situation a été signalée à la préfète de la Haute-Vienne dont ils n'ont jamais reçu l'invitation à déposer une demande d'admission au séjour en raison de l'état de santé de leur enfant ;
- elles portent une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et méconnaissent l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ainsi que les stipulations de l'article 6-5° de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors qu'ils vivent depuis deux ans en France où leurs enfants sont scolarisés et que le suivi médico-social dont bénéficie leur enfant autiste n'a pas d'équivalent en Algérie où aucun accompagnement ni aucune scolarité ne sont possibles, que leur famille proche réside en France, qu'ils ont effectué de nombreuses démarches d'intégration notamment concrétisées par des actions de bénévolat et une promesse d'embauche de M. C... ;
- elles méconnaissent les articles 3-1, 23-1, 23-2, 24-1 et 28-1 de la convention internationale des droits de l'enfant dès lors que leur fils atteint de troubles autistiques ne peut bénéficier en Algérie d'une prise en charge adaptée à son état de santé.
S'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
- elles sont illégales du fait de l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour.
S'agissant des décisions fixant le pays de renvoi :
- elles sont illégales du fait de l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2024, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête et fait valoir que les moyens soulevés sont infondés.
Par une ordonnance du 18 mars 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 avril 2024.
M. C... et Mme C... ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions n° 2023/009500 et n° 2023/009501 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Karine Butéri a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme C..., ressortissants algériens nés en 1981 et en 1984, sont entrés irrégulièrement sur le territoire français le 15 août 2021 accompagnés de leurs deux enfants alors âgés de 11 et 6 ans. Leur troisième enfant est né en 2021 en France. Ils ont chacun sollicité la délivrance d'un titre de séjour respectivement aux mois de novembre et de décembre 2022. Par deux arrêtés du 28 avril 2023, la préfète de la Haute-Vienne a rejeté leurs demandes de titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé l'Algérie comme pays de renvoi. Les intéressés relèvent appel du jugement du 28 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des arrêtés du 28 avril 2023.
Sur la légalité des décisions portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) / 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 7 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est entré en France au mois d'août 2021 accompagné de son épouse alors enceinte et de leurs deux enfants, le troisième étant né à Limoges au cours de l'année 2021. Au mois de novembre 2022, il a sollicité son admission au séjour au titre du travail, en produisant une demande d'autorisation de travail, et au titre de sa vie privée et familiale, en faisant état de ses attaches familiales sur le territoire français et des troubles autistiques de son deuxième enfant. A la même période, Mme C... a sollicité dans les mêmes termes son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale. Ils soutiennent que leur fils D..., né le 5 mars 2015, souffre d'un trouble du spectre autistique pour lequel il bénéficie, par les services d'éducation spéciale et de soins à domicile (SESSAD) de la Haute-Vienne, d'une prise en charge qui n'a pas d'équivalent en Algérie où aucun accompagnement médico-social ni aucune scolarité ne seraient possibles. Ils produisent à cet égard, outre des documents dont il ressort que l'enfant a besoin de repères stables, une attestation établie le 11 mai 2023 par la psychologue du SESSAD TSA 87 qui indique que " le diagnostic de TSA (troubles du spectre autistique) est posé en 2018 en Algérie mais aucun accompagnement spécifique au TSA ne lui est proposé de même qu'aucune scolarité n'est possible ", deux certificats établis les 2 et 10 octobre 2023 par des pédiatres algériens qui relèvent que l'Algérie ne dispose pas de prise en charge multidisciplinaire dans un centre spécialisé et une attestation non datée d'une directrice d'une école primaire refusant l'inscription de l'enfant " pour cause (...) d'autisme ". Toutefois, ni ces pièces, dont certaines ont d'ailleurs déjà été produites devant le tribunal, ni les articles de presse du 20 octobre 2020 relatant le parcours des " parents (qui) réclament la scolarisation de leurs enfants autistes " et du 18 mai 2023 sur les modalités de scolarisation des enfants atteints d'un trouble du spectre de l'autisme, ne suffisent pour permettre d'estimer que le jeune D... ne pourrait bénéficier en Algérie du suivi que requiert sa pathologie ou qu'il ne pourrait y être scolarisé tandis que le préfet met en exergue la mise en œuvre depuis 2021 d'une série de mesures destinées à renforcer les mécanismes de prise en charge des enfants autistes et qu'il n'y a pas lieu de rechercher si la prise en charge dans le pays d'origine est équivalente à celles proposée en France. Par ailleurs, si M. et Mme C... font valoir, en produisant plusieurs attestations au soutien de leurs allégations, qu'ils entretiennent des liens forts avec les membres de leur famille présents sur le territoire français et que leurs deux autres enfants y sont scolarisés, ils ne sont entrés en France qu'au mois d'août 2021, alors qu'ils étaient respectivement âgés de 40 et 37 ans, après avoir toujours vécu en Algérie où ils ont nécessairement conservé des liens personnels et sociaux. Si M. C... dispose d'une promesse d'embauche en qualité de chauffeur livreur dans une entreprise qui a déposé une demande d'autorisation de travail, qu'il s'implique dans des ateliers de langue française et participe, avec son épouse, à des activités de bénévolat, ces circonstances ne suffisent pas à justifier d'une insertion professionnelle ou sociale notable dans la société française. Dans ces conditions, et eu égard notamment au fait que rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Algérie, la préfète de la Haute-Vienne n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale des appelants une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels les décisions contestées ont été prises et n'a ainsi pas méconnu les stipulations citées au point 2.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1./ Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. (...). ". D'une part, cet article, qui porte sur la délivrance des catégories de cartes de séjour temporaires, n'institue ainsi pas une catégorie de titres de séjour distincte, mais est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, soit au titre de la vie privée et familiale, soit au titre d'une activité salariée. La délivrance d'un titre en application de ces dispositions ne procède pas d'un droit encadré par des dispositions législatives ou internationales mais procède du pouvoir gracieux de régularisation reconnu à l'autorité administrative. D'autre part, cet article, dès lors qu'il est relatif aux conditions dans lesquelles les étrangers peuvent être admis à séjourner en France, ne s'applique pas aux ressortissants algériens, dont la situation est régie de manière exclusive par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Cependant, bien que cet accord ne prévoie pas de semblables modalités d'admission exceptionnelle au séjour, un préfet peut délivrer un certificat de résidence à un ressortissant algérien qui ne remplit pas l'ensemble des conditions auxquelles est subordonnée sa délivrance de plein droit et il dispose à cette fin d'un pouvoir discrétionnaire pour apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, l'opportunité d'une mesure de régularisation.
5. Il résulte de ce qui a été exposé au point 3 que l'admission au séjour de M. et Mme C... ne répond pas à des considérations humanitaires ni ne se justifie au regard de motifs exceptionnels. Par suite, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier que la préfète de la Haute-Vienne a indiqué aux intéressés qu'ils pouvaient déposer une demande d'admission au séjour en raison de l'état de santé de leur enfant, le moyen tiré de ce que la préfète de la Haute-Vienne aurait commis une erreur manifeste d'appréciation dans le cadre de l'exercice de son pouvoir de régularisation doit être écarté.
6. En troisième lieu, ainsi que l'a pertinemment jugé le tribunal, M. et Mme C... ne sauraient utilement invoquer la violation des stipulations des articles 23, 24 et 28 de la convention internationale des droits de l'enfant, qui ne créent des obligations qu'à l'égard des États parties à cette convention et ne produisent pas d'effet direct à l'égard des particuliers.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
8. M. et Mme C..., qui n'ont pas sollicité leur admission au séjour en qualité de parent d'enfant malade, font valoir que leur fils D... ne peut, en raison des troubles du spectre de l'autisme dont il est atteint, bénéficier en Algérie d'un suivi adapté à sa pathologie ni y être scolarisé. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 3, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'enfant serait dans l'impossibilité d'accéder en Algérie à un traitement médical approprié à sa pathologie ainsi qu'à un encadrement adapté à son développement personnel et social. Les appelants n'évoquent aucun autre élément faisant obstacle à la scolarisation de leurs trois enfants en Algérie. Les décisions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de séparer les enfants mineurs de leurs parents. Par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Limoges a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Sur la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français :
9. Il résulte de ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à invoquer, par voie d'exception, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français, l'illégalité des décisions portant refus de titre de séjour.
Sur la légalité des décisions fixant le pays de renvoi :
10. Il résulte de ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à invoquer, par voie d'exception, à l'appui de leurs conclusions dirigées contre les décisions fixant le pays de renvoi, l'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté leurs demandes. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C..., à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 27 juin 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,
Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juillet 2024.
La rapporteure,
Karine Butéri
La présidente,
Elisabeth Jayat
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23BX03079