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05/07/2024 | FRANCE | N°22BX02430

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 05 juillet 2024, 22BX02430


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Coworking La Rochelle a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2018 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés pour la période du 3 juillet 2017 au 31 décembre 2018.

Par un jugement n° 2101128 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa dema

nde.



Procédure devant la cour administrative d'appel :



Par une requête et un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Coworking La Rochelle a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2018 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés pour la période du 3 juillet 2017 au 31 décembre 2018.

Par un jugement n° 2101128 du 8 juillet 2022, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 septembre 2022 et le 3 avril 2024, l'association Coworking La Rochelle, représentée par Me Guillard, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 8 juillet 2022 du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2018 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés pour la période du 3 juillet 2017 au 31 décembre 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité de la procédure d'imposition :

- la procédure est irrégulière dès lors qu'en méconnaissance des dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales, elle n'a pas reçu l'avis de vérification de comptabilité et n'a par conséquent pas été informée de la faculté de se faire assister par un conseil de son choix.

S'agissant du bien-fondé des impositions :

- son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée n'est pas justifié dès lors que sa gestion est désintéressée et qu'elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 10 mars 2023 et le 25 avril 2024, ce dernier n'ayant pas été communiqué, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable en tant que les conclusions à fin de décharge portent sur un montant supérieur à celui qui avait fait l'objet de la réclamation ;

- les moyens soulevés par l'association requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 28 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 30 avril 2024 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Karine Butéri,

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. L'association Coworking La Rochelle, créée le 3 juillet 2017, a pour objet la mise en place et la gestion d'un espace de travail partagé (coworking) et la promotion d'animations en vue de favoriser les échanges et les rencontres entre ses membres ainsi qu'avec d'autres acteurs de la vie économique et sociale locale. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 3 juillet 2017 au 31 décembre 2018. Par une proposition de rectification du 18 février 2020, le service l'a informée de ce que le caractère lucratif de son activité justifiait son assujettissement à l'impôt sur les sociétés et à la taxe sur la valeur ajoutée. Les impositions en conséquence mises à sa charge au titre de l'exercice clos en 2018 et de la période correspondante, d'un montant en droits et pénalités de 6 078 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée et de 192 euros au titre de l'impôt sur les sociétés, ont été mises en recouvrement le 31 décembre 2020. A la suite du rejet, le 23 février 2021, de sa réclamation, l'association Coworking La Rochelle a demandé au tribunal administratif de Poitiers de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie. Elle relève appel du jugement du 8 juillet 2022 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité de la procédure d'imposition :

2. Aux termes de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales : " (...) une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité. / Cet avis doit préciser les années soumises à vérification et mentionner expressément, sous peine de nullité de la procédure, que le contribuable a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. / (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que le gérant de l'association Coworking La Rochelle a reçu le 8 novembre 2019 un avis de vérification en date du 6 novembre 2019 annonçant une vérification de la comptabilité de l'association devant débuter le 28 novembre 2019 à 15 heures. Cet avis précisait notamment qu'elle avait la possibilité, dès ce premier rendez-vous comme tout au long de la procédure, de se faire assister par un conseil de son choix. Dans ces conditions, l'association Coworking La Rochelle n'est pas fondée à soutenir, pour la première fois en appel, que l'administration fiscale aurait méconnu les dispositions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales.

Sur le bien-fondé des impositions :

4. Aux termes de l'article 206 du code général des impôts, dans ses versions successivement en vigueur du 5 mai 2017 au 23 juin 2018 : " 1. (...) sont passibles de l'impôt sur les sociétés (...) et toutes autres personnes morales se livrant à une exploitation ou à des opérations de caractère lucratif. / (...) 1 bis. Toutefois, ne sont pas passibles de l'impôt sur les sociétés prévu au 1 les associations régies par la loi du 1er juillet 1901 (...), dont la gestion est désintéressée, lorsque leurs activités non lucratives restent significativement prépondérantes et le montant de leurs recettes d'exploitation encaissées au cours de l'année civile au titre de leurs activités lucratives n'excède pas 61 634 € (...) ". Aux termes de l'article 261 du même code, dans ses versions successivement en vigueur du 5 mai 2017 au 23 juin 2018 : " Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : (...) 7. (organismes d'utilité générale) (...)1° (...) b. les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient. / Les organismes mentionnés au premier alinéa du 1 bis de l'article 206 et qui en remplissent les conditions, sont également exonérés pour leurs autres opérations lorsque les recettes encaissées afférentes à ces opérations n'ont pas excédé au cours de l'année civile précédente le montant de 61 634 € (...) ". Le plafond est de 62 250 euros dans la version de ces articles applicable du 24 juin 2018 au 8 juin 2019.

5. Pour l'application de ces dispositions les associations ne sont exonérées d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée que si, d'une part, leur gestion présente un caractère désintéressé et si, d'autre part, les services qu'elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique. Toutefois, même dans le cas où une association intervient dans un domaine d'activité et dans un secteur géographique où existent des entreprises commerciales, elle reste exclue du champ de l'impôt sur les sociétés et continue de bénéficier de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée si elle exerce son activité dans des conditions différentes de celles des entreprises commerciales, soit en répondant à certains besoins insuffisamment satisfaits par le marché, soit en s'adressant à un public qui ne peut normalement accéder aux services offerts par les entreprises commerciales, notamment en pratiquant des prix inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et à tout le moins des tarifs modulés en fonction de la situation des bénéficiaires, sous réserve de ne pas recourir à des méthodes commerciales excédant les besoins de l'information du public sur les services qu'elle offre.

6. L'association requérante, dont l'objet a été indiqué au point 1, fournit à ses adhérents des emplacements de travail partagé dans ses locaux situés à La Rochelle et dispose d'un agrément préfectoral lui permettant d'y domicilier des entreprises.

7. Il est en premier lieu constant que la gestion de l'association Coworking La Rochelle a été regardée par le service comme ayant un caractère désintéressé au titre des années en litige.

8. Il résulte toutefois en deuxième lieu de l'instruction, notamment de la proposition de rectification du 18 février 2020, que plusieurs sociétés commerciales, proposaient, au cours des années en litige, des services de " coworking " et de domiciliation d'entreprises en Charente-Maritime et plus particulièrement à La Rochelle. Il en va notamment ainsi de l'entreprise CoetWork, créée le 10 décembre 2018 soit, contrairement à ce que soutient la requérante, au cours de la période vérifiée. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a estimé que les services rendus par l'association Coworking La Rochelle, qui ne peut utilement se prévaloir des sujétions que lui aurait imposées la région Nouvelle-Aquitaine en contrepartie de l'octroi d'une subvention, étaient offerts en concurrence dans la même zone géographique d'attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique.

9. L'administration a alors, en troisième lieu, constaté que, s'agissant du public visé, l'espace de " coworking " géré par l'association requérante était ouvert, sans distinction, à tout adhérant à jour de sa cotisation annuelle. Si l'association Coworking La Rochelle soutient qu'elle poursuit un objectif social, répondant à une politique publique régionale de promotion de " nouvelles formes de travail ", il ne résulte ni de la convention qu'elle a signée avec la région Nouvelle-Aquitaine pour le subventionnement de son projet ni de ses statuts qu'elle serait réservée à un ou plusieurs publics expressément définis ou qu'elle sélectionnerait ses adhérents sur la base de critères sociaux alors qu'elle s'adresse à un public large comprenant des adultes en reconversion professionnelle, des personnes à la recherche de lien social, des créateurs d'entreprises, des télétravailleurs et des étudiants. Pour ce qui est du prix, l'administration a relevé que, pour bénéficier des services de " coworking ", les adhérents de l'association Coworking La Rochelle devaient s'acquitter d'une cotisation annuelle de 40 euros. Plusieurs formules d'abonnement, offrant des accès à la demi-journée, à la journée ou au mois avec une possibilité de disposer d'un bureau attitré, sont proposées à des tarifs compris entre 80 euros et 180 euros qui permettent sans supplément aux adhérents titulaires d'un " pass " mensuel de disposer d'un badge d'accès et à tous de bénéficier, en outre, d'un accès illimité au scanner, aux espaces de détente avec café à disposition ainsi qu'aux animations et opérations de communication organisées par l'association. Par ailleurs, les services de domiciliation commerciale sont proposés au tarif mensuel de 30 euros pour un nombre limité à une vingtaine d'entreprises. Il ne résulte pas de l'instruction que l'association Coworking La Rochelle pratiquerait des tarifs différenciés en fonction de certaines catégories de public, ni que ses tarifs seraient nettement inférieurs à ceux des entreprises du secteur lucratif, une fois tenu compte de l'incidence des impôts commerciaux que l'intéressée n'acquitte pas. Au contraire, il résulte de l'instruction, notamment de la proposition de rectification à laquelle elle fait elle-même référence, que les tarifs des différents prestataires restent tous dans des gammes de prix similaires, entre 30 et 40 euros par mois pour une domiciliation mensuelle d'entreprise et entre 119 et 250 euros pour un " pass " mensuel. Si l'association requérante fait valoir qu'elle accueille gratuitement les étudiants au sein de ses locaux, l'offre qu'elle a mise en place en partenariat avec le CROUS est postérieure aux impositions en litige dès lors qu'elle a pris effet le 30 avril 2021. Enfin, à la supposer établie, la circonstance que l'association Coworking La Rochelle proposerait gratuitement à ses adhérents des animations et activités culturelles et festives locales ne suffit pas à considérer que les conditions d'exercice de son activité seraient différentes de celles des entreprises du secteur lucratif. Dans ces conditions, alors même qu'elle n'a pas utilisé des méthodes publicitaires comparables à celles des sociétés commerciales, c'est à bon droit que l'administration fiscale a regardé l'association Coworking La Rochelle comme exerçant en réalité une activité lucrative et l'a assujettie, en conséquence, aux impôts commerciaux.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que l'association Coworking La Rochelle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande de décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de l'association Coworking La Rochelle est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Coworking La Rochelle et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Une copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal du Sud-Ouest.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juillet 2024.

La rapporteure,

Karine Butéri

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX02430


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02430
Date de la décision : 05/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : CABINET BONNEAU CASTEL PORTIER GUILLARD

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-05;22bx02430 ?
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