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04/07/2024 | FRANCE | N°23BX02660

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 04 juillet 2024, 23BX02660


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 14 février 2023 par lequel le préfet de la Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux ans.



Par un jugement n° 2300333 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 octobre 2023 et le 5 j...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion d'annuler l'arrêté du 14 février 2023 par lequel le préfet de la Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux ans.

Par un jugement n° 2300333 du 14 avril 2023, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 octobre 2023 et le 5 juin 2024, M. B..., représenté par Me Djafour, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 14 avril 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 14 février 2023 du préfet de la Réunion ;

3°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) d'enjoindre au préfet de La Réunion de procéder au réexamen de sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de cinq jours à compter de la décision ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- sa requête n'est pas tardive ;

- il n'a pas été mis à même de présenter ses observations avant l'édiction de l'obligation de quitter le territoire français et de l'interdiction de retour sur le territoire français prises à son encontre ;

- le préfet de La Réunion n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation personnelle ;

- il a subi de la part des autorités sri lankaises des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'interdiction de retour sur le territoire français est insuffisamment motivée et entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2024, le préfet de la région Réunion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 août 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Edwige Michaud,

- et les observations de Me Djafour, représentant M.A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 13 avril 1998, de nationalité sri-lankaise, est entré à La Réunion le 13 avril 2019, à l'âge de 21 ans. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 6 avril 2020, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 11 janvier 2023. Sa demande de réexamen de sa demande d'asile a été rejetée comme irrecevable par l'OFPRA le 7 juillet 2023. Par un jugement du 14 avril 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 14 février 2023 par lequel le préfet de la Réunion lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée de deux ans. M. A... relève appel de ce jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, si les dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ne sont pas en elles-mêmes invocables par un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement telle qu'une obligation de quitter le territoire français, celui-ci peut néanmoins utilement faire valoir que le principe général du droit de l'Union, relatif au respect des droits de la défense, imposait qu'il soit préalablement entendu et mis à même de présenter toute observation utile sur la mesure d'éloignement envisagée. Toutefois, dans le cas prévu au 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, où la décision faisant obligation de quitter le territoire français est prise après que la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou lorsque ce dernier ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2 du même code, l'obligation de quitter le territoire français découle nécessairement du défaut de reconnaissance de cette qualité ou de ce bénéfice. Le droit d'être entendu n'implique alors pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français dès lors qu'il a pu être entendu à l'occasion de l'examen de sa demande d'asile. Lorsqu'il sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, l'intéressé ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. À l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu, ainsi satisfait avant que n'intervienne le rejet de la demande d'asile, n'impose pas à l'autorité administrative de le mettre à même de réitérer ses observations ou de présenter de nouvelles observations, de façon spécifique, sur l'obligation de quitter le territoire français.

3. M. A..., qui a présenté une demande d'asile le 20 mai 2019, n'établit ni même n'allègue, qu'il n'aurait pas été entendu devant l'OFPRA. En outre, il lui appartenait, ainsi qu'il a été indiqué ci-dessus, de fournir spontanément à l'administration, au cours de l'instruction de ses demandes d'asile par l'OFPRA ou à la suite du rejet de sa demande d'asile, tous éléments utiles relatifs à sa situation. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... aurait été empêché de faire état de nouveaux éléments auprès de l'autorité préfectorale entre le rejet de ses demandes d'asile et l'édiction de l'arrêté litigieux. En conséquence, le moyen tiré de ce que le préfet de la Réunion aurait pris l'arrêté attaqué sans avoir respecté son droit d'être entendu ne peut qu'être écarté.

4. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de La Réunion n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. A....

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".

6. M. A..., d'origine tamoule, soutient qu'il a fait l'objet de violences sexuelles au Sri-Lanka à plusieurs reprises de la part des militaires qui enquêtaient sur ses oncles membres des Liberation Tigers of Tamil Eelam (LTTE) en avril 2018 et lors des mois suivants. Le requérant produit un certificat médical d'un psychiatre qui l'a examiné le 10 septembre 2023 indiquant qu'il a fui le Sri Lanka pour des raisons en lien avec ces évènements qui ont été à l'origine d'un syndrome psycho-traumatique majeur et d'un état dépressif. Toutefois, ce certificat médical est établi sur la base des déclarations du requérant qui ne produit aucune pièce ni en première instance ni en appel pour justifier son récit. En outre l'OFPRA et la CNDA ont rejeté la demande d'asile de M. A... au motif qu'il n'établissait pas ses craintes de persécution en raison de ses opinions politiques en cas de retour dans son pays d'origine. Enfin, si le requérant fait état des risques d'emprisonnement qu'il encourait en cas de retour au Sri-Lanka en raison des violences sexuelles dont il a fait l'objet qui pourraient être assimilées à de l'homosexualité pénalement condamnée dans ce pays, il ne produit pas à l'appui de ses affirmations d'éléments circonstanciés permettant d'établir le risque de traitements inhumains ou dégradants auxquels il serait personnellement exposé en cas d'exécution de la décision d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) les décisions d'interdiction de retour (...) prévues aux articles (...) L. 612-8 (...) sont distinctes de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Elles sont motivées. ". Aux termes de l'article L. 612-8 du même code dans sa version applicable au litige : " Lorsque l'étranger n'est pas dans une situation mentionnée aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative peut assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L.612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

8. Il ressort des termes mêmes des dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifient sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.

9. Il ressort des motifs de la décision contestée, prise au visa de l'article L. 612-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que pour prendre la décision d'interdiction de retour d'une durée de deux ans, le préfet a tenu compte de la présence en France de M. A... depuis 2019 liée à l'instruction de sa demande d'asile et de l'absence de liens personnels et familiaux intenses et stables. Dans ces conditions, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans est suffisamment motivée.

10. Enfin, eu égard aux conditions et à la durée de séjour en France du requérant, le préfet de la Réunion n'a pas commis d'erreur d'appréciation quant à la nature et à l'ancienneté des liens du requérant avec la France en lui interdisant de revenir sur le territoire pendant une durée de deux ans.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais exposés à l'occasion du litige doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Réunion.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Edwige Michaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

La rapporteure,

Edwige MichaudLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 23BX02660


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02660
Date de la décision : 04/07/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Edwige MICHAUD
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : DJAFOUR

Origine de la décision
Date de l'import : 14/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-04;23bx02660 ?
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