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02/07/2024 | FRANCE | N°22BX02895

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 02 juillet 2024, 22BX02895


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société JPGI a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision du 2 août 2020 par laquelle la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte a réduit le montant de l'aide de base et de la majoration filière ylang-ylang pour l'année 2018 et lui a infligé une pénalité d'un montant de 11 820 euros, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 20 août 2020.



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nt demandé au tribunal d'annuler la décision du 8 octobre 2020 par laquelle la direction de l'alimentat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société JPGI a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler la décision du 2 août 2020 par laquelle la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte a réduit le montant de l'aide de base et de la majoration filière ylang-ylang pour l'année 2018 et lui a infligé une pénalité d'un montant de 11 820 euros, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 20 août 2020.

La société a également demandé au tribunal d'annuler la décision du 8 octobre 2020 par laquelle la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte a réduit le montant de l'aide de base et de la majoration filière ylang-ylang pour l'année 2019 et lui a infligé une pénalité d'un montant de 10 910 euros. Le tribunal administratif de Mayotte a requalifié cette demande comme étant dirigée contre la décision du 18 décembre 2020.

Par un jugement n° 2001418, 2001421 du 18 octobre 2022, le tribunal administratif de Mayotte a annulé la décision du 2 août 2020 et la décision du 20 août 2020, enjoint au préfet de Mayotte de réexaminer, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent jugement, la demande d'aides présentée par la société JPGI au titre de l'année 2018, et rejeté le surplus des conclusions de la requête de la société JPGI.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 novembre 2022, la société JPGI, représentée par Me Jorion, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Mayotte du 18 octobre 2022 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 8 octobre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 18 décembre 2020 par laquelle la direction de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DAAF) de Mayotte a réduit le montant de l'aide de base et de la majoration filière ylang-ylang pour l'année 2019 et lui a infligé une pénalité d'un montant de 10 910 euros ;

3°) d'enjoindre à l'Etat de procéder au réexamen de sa demande dans un délai d'un mois sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- le tribunal administratif de Mayotte a omis de statuer sur le moyen tiré de l'absence de rapport de contrôle ainsi que sur le moyen tiré du non-respect de la procédure contradictoire.

En ce qui concerne le bien-fondé du jugement :

- le contrôle du 8 novembre 2018 est irrégulier dès lors que l'agent de l'agence de service (ASP) et de paiement n'était pas habilité territorialement à le réaliser en vertu d'une décision du directeur général de l'établissement et qu'il a été réalisé sans l'autorisation et en dehors de la présence d'un représentant de la société, en méconnaissance de l'article R. 622-6 du code rural ;

- le contrôle des agents de l'ASP effectué le 5 décembre 2019 n'a fait l'objet d'aucun rapport en méconnaissance du 3° de l'article 59 du règlement UE n° 1306/2013 et de l'article 25 du règlement UE n° 180/2014 ;

- la procédure contradictoire n'a pas été respectée dès lors qu'elle n'a pas pu présenter utilement ses observations relatives aux anomalies constatées par l'agent de l'ASP lors de son contrôle du 8 octobre 2020 et a ainsi été privée d'une garantie susceptible d'avoir une influence sur le sens de la décision contestée ;

- la décision méconnait l'article 64 du règlement UE n° 1306/2013 et l'article 27 du règlement UE n° 180/2014 dès lors que l'écart entre la surface déclarée et la surface déterminée ne lui est pas imputable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 janvier 2024, le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par la société JPGI ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 1er février 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 1er avril 2024 à 12h00.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 180/2014 de la commission du 20 février 2014 ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pauline Reynaud,

- et les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La société JPGI, exerce une activité de culture de plantes à épices, aromatiques, médicinales et pharmaceutiques, en particulier les ylanguiers, cultivés pour leurs fleurs. Le 4 mai 2018, la société JPGI a demandé le versement au titre de l'année 2018 de l'aide de base et de la majoration ylang-ylang dans le cadre du programme POSEI (programme d'action spécifique à l'éloignement et à l'insularité) de la politique agricole commune. Le 8 novembre 2018, l'agence de services et de paiement (ASP) a effectué un contrôle sur place des déclarations effectuées par la société JPGI, à la suite duquel elle a relevé un écart important entre les surfaces déclarées par la société JPGI et celles déterminées par l'agent de l'ASP. Par courrier du 8 juillet 2020, l'ASP a alors informé la société de la fin de l'instruction de sa demande, et de l'existence d'anomalies justifiant la réduction du montant de ses aides de base et la mise en place d'une pénalité financière de 11 820 euros. Par décision du 2 août 2020, le préfet de Mayotte a confirmé la réduction du montant des aides sollicitées par la société et lui a infligé une amende de 11 820 euros en raison de l'écart entre la superficie déclarée par la société dans le cadre de sa demande et celle constatée par l'agence dans le cadre du contrôle. Le recours formé par la société a été rejeté par une décision du 20 août 2020.

2. La société JPGI a de nouveau sollicité le 2 mai 2019 le bénéfice des aides de base et de la majoration ylang-ylang au titre de l'année 2019. Par une décision du 8 octobre 2020, le préfet de Mayotte a informé la société de la fin de l'instruction de sa demande, de la réduction du montant des aides de base et de la mise en place d'une amende d'un montant de 10 910 euros au titre de l'année 2019. Par une décision du 18 décembre 2020, le préfet de Mayotte a confirmé la réduction du montant des aides et lui a infligé la sanction de 10 910 euros.

3. La société JPGI a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'annuler, d'une part, la décision du 2 août 2020 ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux du 20 août 2020, d'autre part, la décision du 8 octobre 2020. Le tribunal administratif a requalifié les conclusions présentées par la société comme devant être regardées comme dirigées contre la décision du 18 décembre 2020. La société JPGI relève appel du jugement n° 2001418, 2001421 du 18 octobre 2022 en tant que le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2020.

Sur le bien-fondé du jugement :

4. En premier lieu, l'article L. 313-1 du code rural et de la pêche maritime prévoit que : " L'Agence de services et de paiement est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle de l'Etat. / I. - L'agence a pour objet d'assurer la gestion administrative et financière d'aides publiques. A ce titre, elle peut instruire les demandes d'aides, vérifier leur éligibilité, contrôler le respect des engagements pris par les bénéficiaires, exécuter les paiements, le recouvrement et l'apurement des indus et exercer toute autre activité nécessaire à la bonne gestion des aides publiques ". Aux termes de l'article R. 622-6 du même code : " Les agents de l'établissement mentionné à l'article L. 313-1, (...) peuvent réaliser auprès des exploitants, des entreprises et de tout organisme ayant un lien direct ou indirect avec les missions relevant de la compétence de l'établissement, tout contrôle portant, d'une part, sur les missions relevant de la compétence de celui-ci en vertu de la réglementation européenne ou nationale et, d'autre part, sur les missions qui lui ont été déléguées. / Cette mission leur est confiée par une décision du directeur général de l'établissement, qui précise leur compétence territoriale. A l'exception des agents non titulaires affectés à des activités saisonnières ou occasionnelles, ils sont assermentés dans les conditions prévues à l'article R. 622-4 (...) ". Enfin, l'article D. 691-21 de ce code prévoit que : " Les contrôles du respect du programme POSEI-France sont effectués dans les conditions prévues à l'article R. 622-6 ".

5. D'une part, si le ministre soutient en appel qu'un contrôle sur place a été effectué le 5 décembre 2019, la simple production d'une capture d'écran du logiciel ISIS ne suffit pas à établir que ce contrôle a bien eu lieu. D'autre part, s'agissant du contrôle effectué le 8 novembre 2018, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que l'agent ayant réalisé le contrôle était bien habilité par une décision du directeur général de l'ASP pour effectuer cette mission, conformément à l'article R. 622-6 du code rural et de la pêche maritime. La société JPGI est dès lors fondée à soutenir que la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière.

6. En second lieu, l'article 23 du règlement d'exécution (UE) n° 180/2014 de la commission du 20 février 2014 prévoit que : " 1. Les contrôles sur place sont effectués de manière inopinée. Un préavis limité au strict nécessaire peut toutefois être donné, pour autant que cela ne nuise pas à l'objectif du contrôle (...) ". L'article 25 de ce règlement prévoit par ailleurs que : " 1. Chaque contrôle sur place fait l'objet d'un rapport de contrôle rendant compte avec précision des différents éléments de contrôle. Ce rapport indique notamment : (...) (b) les personnes présentes (...). / 2. Le demandeur ou son représentant a la possibilité de signer le rapport afin d'attester de sa présence lors du contrôle et d'ajouter des observations ". Aux termes de l'article 59 du règlement (UE) n° 1306/2013 du parlement européen et du conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune : " (...) Après chaque contrôle sur place, l'autorité responsable établit un rapport ".

7. D'une part, à supposer même qu'un contrôle ait été effectué par les agents de l'ASP le 5 décembre 2019, portant sur la demande d'aide formée par la société au titre de l'année 2019, et sur la base duquel la décision attaquée aurait été prise, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que ce contrôle aurait donné lieu à un rapport de contrôle, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article 25 du règlement d'exécution (UE) n° 180/2014 de la commission du 20 février 2014. D'autre part, par courrier du 8 octobre 2020, le préfet de Mayotte a informé la société des écarts de superficies relevés lors du contrôle par rapport aux superficies déclarées par la société dans sa demande. Il ressort de ce courrier qu'ont été retranchées des surfaces déclarées, les surfaces de plantations ne respectant pas le cahier des charges ylang-ylang. Toutefois, ces informations ont été communiquées à la société JPGI plus de dix mois après le contrôle, de sorte que celle-ci n'a pas été en mesure d'émettre utilement des observations sur les mesures effectuées et les anomalies constatées par les agents de l'ASP lors du contrôle. Dans ces conditions, la société est fondée à soutenir que la décision attaquée a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière qui l'a privée d'une garantie et a été susceptible d'avoir une influence sur le sens de la décision.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement attaqué, ni d'examiner les autres moyens de la requête, que la société JPGI est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2020.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement un réexamen de la demande présentée par la société JPGI au titre de l'année 2019. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Mayotte de procéder au réexamen de la demande de la société JPGI au titre de l'année 2019 dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

10. Dans les circonstances de l'espèce, la société JPGI est fondée à demander que l'Etat lui verse une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte n° 2001418, 2001421 du 18 octobre 2022 est annulé en tant qu'il a rejeté la demande d'annulation de la décision du 18 décembre 2020 du préfet de Mayotte.

Article 2 : La décision du 18 décembre 2020 du préfet de Mayotte est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Mayotte de procéder au réexamen de la demande de la société JPGI présentée au titre de l'année 2019, dans un délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la société JPGI la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société JPGI et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Copie en sera adressée pour information au préfet de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

La rapporteure,

Pauline ReynaudLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02895


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02895
Date de la décision : 02/07/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Pauline REYNAUD
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : CABINET JORION AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-07-02;22bx02895 ?
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