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27/06/2024 | FRANCE | N°22BX00408

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 27 juin 2024, 22BX00408


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La commune de Terres-de-Haute-Charente, venant aux droits de la commune de Genouillac, a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté interministériel du 16 juillet 2019 refusant de reconnaitre l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrain différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2018, pour la période du 20 juin au 30 septembre 2018. La commune a aussi demandé au trib

unal d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de cat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune de Terres-de-Haute-Charente, venant aux droits de la commune de Genouillac, a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté interministériel du 16 juillet 2019 refusant de reconnaitre l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrain différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2018, pour la période du 20 juin au 30 septembre 2018. La commune a aussi demandé au tribunal d'enjoindre à l'Etat de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2000298 du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 4 février 2022 et 15 septembre 2023, la commune de Terres-de-Haute-Charente, venant aux droits de la commune de Genouillac, représentée par Me Merlet-Bonnan, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 30 novembre 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté interministériel du 16 juillet 2019 ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, au ministre de l'économie et des finances et au ministre de l'action et des comptes publics de prendre un arrêté portant reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle sur son territoire pour les mouvements de terrain différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols survenus en 2018, pour la période du 20 juin au 30 septembre 2018, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de la commune la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier et ont commis une erreur de droit, de fait, et d'appréciation ;

- les premiers juges ont fondé leur décision sur des éléments qui n'ont pas été communiqués ;

Sur la légalité de l'arrêté interministériel du 16 juillet 2019 :

- l'arrêté contesté a été pris à l'issue d'une procédure irrégulière dès lors que l'instruction de la demande et l'avis de la commission interministérielle sur lequel il se fonde sont irréguliers :

--- les dispositions règlementaires de la circulaire du 27 mars 1984 ont été méconnues dès lors que sa demande a été instruite de manière irrégulière ; le préfet n'a communiqué au ministre que le formulaire CERFA de sa demande sans jamais la solliciter d'une quelconque demande d'information ; les ministres se sont prononcés à partir d'un dossier incomplet ;

--- les dispositions règlementaires de la circulaire du 27 mars 1984 ont été méconnues s'agissant de la composition de la commission dès lors qu'elle était composée de plus de 3 membres et d'un secrétaire contrairement à ce que prévoit la circulaire ; le membre de la caisse de réassurance qui a siégé n'a pas vu son rôle réduit au rôle de secrétaire alors qu'il s'agit d'une entreprise privée, ce qui a pu avoir une influence sur le sens de la décision ;

--- les membres de la commission n'ont pas été suffisamment informés avant de prendre leur décision dès lors que le dossier qui leur a été transmis était incomplet ;

--- la commission s'est estimée liée par le tableau de Météo-France dès lors qu'elle s'est limitée à reprendre le tableau transmis par Météo-France sans procéder à l'étude du dossier de chaque commune ; elle ne pouvait analyser et étudier près de 1000 dossiers ;

- à considérer que la circulaire du 10 mai 2019 ait été appliquée à l'espèce, et non celle visée par l'arrêté contesté du 27 mars 1984, cette dernière est illégale dès lors que les critères qu'elle pose sont inappropriés pour caractériser une sécheresse sur une saison donnée ; cette illégalité entraîne l'illégalité de l'arrêté litigieux ;

- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que la méthode utilisée (modèle SIM) n'est pas fiable :

--- le territoire de la commune de Terres-de-Haute-Charente qui s'étend sur 86,66 dont l'ancienne commune de Genouillac représente 14,59 km² voit sa situation analysée à partir de l'examen de 6 mailles géographiques qui porte donc sur une surface totale de 384 km² , situées pour partie sur le territoire d'autres communes et ne prenant pas en compte la particularité de la commune ;

--- le découpage en 4 périodes de 3 mois est arbitraire et ne correspond pas à des réalités météorologiques ;

--- le modèle SIM ne prend pas en compte la réalité du terrain ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur de fait : les ministres se sont fondés sur des chiffres qui ne correspondent pas aux réelles données de Météo-France accessibles sur internet ; et contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les données SWI mobilisées par Météo-France pour caractériser l'intensité de la sécheresse ne sont pas différentes des données que Météo-France rend accessibles sur internet ; dès lors que les données SWI mensuelles ne correspondent pas, la décision contestée était entachée d'inexactitude matérielle quant aux données ayant servi au calcul de l'humidité de ses sols superficiels ;

- contrairement à ce que l'arrêté contesté retient, la commune a connu un épisode de sécheresse anormal en 2018 ; la commune réunissait donc les critères prévus par la loi pour être déclarée en état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols.

Par un mémoire et des pièces enregistrés les 18 juillet 2022 et 13 avril 2023, le ministre de l'intérieur, représenté par Me Fergon, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 2 octobre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Ellie, rapporteur public,

- les observations de Me De Crasto, représentant la commune de Terres-de-Haute-Charente.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Genouillac a adressé à la préfète de la Charente une demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle de son territoire au titre des mouvements de terrain différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols observés entre le 20 juin et le 30 septembre 2018. Par un arrêté du 16 juillet 2019, le ministre de l'intérieur et le ministre de l'économie, des finances et de la relance ont établi la liste des communes faisant l'objet d'une reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au sein de laquelle la commune de Genouillac ne figure pas. La commune de Terres-Hautes-de-Charente, née le 1er janvier 2019 de la fusion de plusieurs communes dont la commune de Genouillac, et venant ainsi aux droits de cette dernière, a, après que la préfète lui a notifié l'arrêté interministériel par courrier du 12 août 2019, saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté interministériel du 16 juillet 2019 en tant qu'il n'avait pas reconnu l'état de catastrophe naturelle sur son territoire et à ce qu'il soit prescrit à l'Etat de prendre un tel arrêté. Par un jugement du 30 novembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande. Par la présente requête, la commune relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. D'une part, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel, non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis, mais de se prononcer directement sur les moyens dirigés contre la décision administrative contestée dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. La commune ne peut donc utilement se prévaloir des erreurs de droit, de fait, d'appréciation et de la dénaturation des faits qu'auraient commises les premiers juges pour prononcer l'annulation du jugement attaqué.

3. D'autre part, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier, et notamment pas des termes du jugement attaqué, que les premiers juges se seraient fondés, pour rejeter la demande de la commune de Genouillac, sur des " données de Météo-France " qui n'auraient pas été transmises dans l'instance. Au contraire, il ressort du point 18 du jugement que ces derniers ont renvoyé à la fiche de notification des motivations jointe à l'arrêté interministériel en litige qui suffisait à établir, selon eux, " que les critères pris en compte par l'administration pour apprécier l'existence d'un aléa d'intensité anormale n'étaient pas remplis ", tout en précisant que " la différence constatée par la commune entre les indices SWI utilisés par l'administration pour se prononcer sur l'existence d'un état de catastrophe naturelle et ceux qu'elle a pu consulter sur le site de Météo-France " étaient justifiée en défense par la circonstance que les données publiées sur le site de Météo France n'avaient pas été " élaborées à l'aide de l'outil SIM sur la base des mailles géographiques ". Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur la légalité de l'arrêté interministériel du 16 juillet 2019 :

En ce qui concerne l'instruction de la demande et l'avis de la commission interministérielle :

4. Une circulaire du 27 mars 1984 a institué une commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles pour donner aux ministres compétents un avis sur les demandes de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle dont ils sont saisis. Par une autre circulaire du 19 mai 1998, l'autorité ministérielle a posé des règles de constitution, de validation et de transmission des dossiers de demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle et a précisé, dans le cas de dommages résultant de mouvements de terrain différentiels consécutifs à la sécheresse et à la réhydratation des sols, que la demande doit être accompagnée d'un rapport géotechnique et d'un rapport météorologique relatif à l'événement.

5. Il ressort des pièces du dossier que la commission interministérielle qui s'est réunie le 9 juillet 2019 pour examiner les demandes de reconnaissance de catastrophe naturelle a rendu son avis sur la base d'un tableau établi par Météo-France. Ce tableau distingue, pour chaque commune, la période concernée par la demande ainsi que la maille territoriale de rattachement suivie des données issues de la méthodologie détaillée ci-après. Les critères définis par Météo-France pour apprécier l'existence d'un état de catastrophe naturelle y sont reportés et font l'objet d'une application pour chacune des communes concernées. Même si la préfète n'a pas demandé à la commune de Terres-Hautes-de-Charente de lui adresser des éléments sur l'épisode climatique considéré avant de transmettre son dossier à l'autorité ministérielle, contrairement aux prévisions des circulaires du 27 mars 1984 et du 19 mai 1998, les membres de la commission et les ministres décisionnaires ont disposé des données fournies par Météo-France qu'ils ont comparées aux critères servant à apprécier l'état de catastrophe naturelle. Ils ont ainsi été en mesure de connaître avec une précision suffisante les conditions climatiques propres à chaque commune et aucun élément au dossier ne permet d'estimer qu'ils se seraient abstenus de procéder à un examen de chaque demande en se bornant à entériner le tableau établi par Météo-France. Enfin, eu égard au travail préparatoire effectué par les services de Météo-France antérieurement à la réunion du 9 juillet 2019, la circonstance que la commission ait examiné au cours de cette séance la situation d'un grand nombre de communes n'est pas, à elle seule, de nature à permettre de considérer que cette commission n'aurait pas rendu son avis et que les ministres compétents ne se seraient pas prononcés sur la situation particulière de la commune de de Terres-Hautes-de-Charente.

6. Par ailleurs, selon la circulaire du 27 mars 1984, la commission interministérielle relative aux dégâts non assurables causés par les catastrophes naturelles est composée d'un représentant du ministère de l'intérieur appartenant à la direction de la sécurité civile, d'un représentant du ministère de l'économie et des finances appartenant à la direction des assurances et d'un représentant du ministère chargé du budget, membre de la direction du budget, le secrétariat de la commission étant assuré par la Caisse centrale de réassurance. Il ressort des pièces du dossier que lors de sa réunion du 9 juillet 2019, la commission interministérielle était composée de cinq représentants du ministre de l'intérieur, un représentant du ministre de l'action et des comptes publics, deux représentants du ministre de la transition écologique et solidaire, un représentant du ministre des outre-mer et un membre de la Caisse centrale de réassurance. Ainsi, la commission était composée de plus de trois membres et de plus d'un secrétaire, contrairement aux prévisions de la circulaire du 27 mars 1984.

7. Toutefois, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

8. En l'espèce, il ne ressort pas des pièces du dossier que, par elle-même, la composition de la commission aurait privé la commune d'une garantie qui tiendrait notamment à l'impartialité de cette instance ou à l'obligation qui incombe à celle-ci de procéder à un examen circonstancié de chaque demande. Il ne ressort pas non plus des pièces du dossier que cette composition a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision prise. En particulier la seule présence, au sein de la commission, de représentants de la Caisse centrale de réassurance, société détenue à 100 % par l'État proposant avec la garantie de ce dernier la couverture assurantielle des catastrophes naturelles, ne suffit pas à entacher d'irrégularité la composition de la commission au regard du principe d'impartialité. Par suite, l'arrêté attaqué n'est pas irrégulier du fait que des personnalités non prévues par la circulaire du 27 mars 1984 ont siégé et participé aux travaux ainsi qu'au vote de la commission interministérielle, laquelle est investie d'une mission purement technique et consultative.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 125-1 du code des assurances, les critères retenus et l'appréciation de l'intensité et de l'anormalité du phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols :

9. Aux termes de l'article L. 125-1 du code des assurances, dans sa rédaction applicable au litige : " Les contrats d'assurance, souscrits par toute personne physique ou morale autre que l'Etat et garantissant les dommages d'incendie ou tous autres dommages à des biens situés en France, ainsi que les dommages aux corps de véhicules terrestres à moteur, ouvrent droit à la garantie de l'assuré contre les effets des catastrophes naturelles, dont ceux des affaissements de terrain dus à des cavités souterraines et à des marnières sur les biens faisant l'objet de tels contrats./ En outre, si l'assuré est couvert contre les pertes d'exploitation, cette garantie est étendue aux effets des catastrophes naturelles, dans les conditions prévues au contrat correspondant./ Sont considérés comme les effets des catastrophes naturelles, au sens du présent chapitre, les dommages matériels directs non assurables ayant eu pour cause déterminante l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises./ L'état de catastrophe naturelle est constaté par arrêté interministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est située la catastrophe ainsi que la nature des dommages résultant de celle-ci couverts par la garantie visée au premier alinéa du présent article. Cet arrêté précise, pour chaque commune ayant demandé la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, la décision des ministres. Cette décision est ensuite notifiée à chaque commune concernée par le représentant de l'Etat dans le département, assortie d'une motivation. (...) ".

10. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu confier aux ministres concernés la compétence pour se prononcer sur les demandes des communes tendant à la reconnaissance, sur leur territoire, de l'état de catastrophe naturelle. Il leur appartient, à cet effet, d'apprécier l'intensité et l'anormalité des agents naturels en cause sur le territoire des communes concernées. Ils peuvent légalement, même en l'absence de dispositions législatives ou réglementaires le prévoyant, s'appuyer sur des méthodologies et paramètres scientifiques, sous réserve que ceux-ci apparaissent appropriés, en l'état des connaissances, pour caractériser l'intensité des phénomènes en cause et leur localisation, qu'ils ne constituent pas une condition nouvelle à laquelle la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle serait subordonnée ni ne dispensent les ministres d'un examen particulier des circonstances propres à chaque commune. Il incombe enfin aux ministres concernés de tenir compte de l'ensemble des éléments d'information ou d'analyse dont ils disposent, le cas échéant à l'initiative des communes concernées.

11. Il ressort des pièces du dossier que pour apprécier l'intensité et l'anormalité du phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols, ayant causé des mouvements de terrain différentiels, pour la période courant du 20 juin et le 30 septembre 2018 sur le territoire de l'ancienne commune de Genouillac, conditions nécessaires à la reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, l'administration s'est fondée sur deux critères cumulatifs : un premier critère géotechnique, tenant à la présence d'argiles sensibles au phénomène de retrait-gonflement, qui s'appuie sur des données techniques accessibles au public et un second critère météorologique. Ce critère météorologique est simplifié par rapport à la méthode scientifique sur laquelle l'administration s'appuyait antérieurement et est établi, toujours selon une méthodologie scientifique développée par Météo-France, en fonction de trois paramètres : en premier lieu, une seule variable hydrométéorologique, le niveau d'humidité des sols superficiels, en deuxième lieu, un seuil unique pour qualifier une sécheresse géotechnique d'anormale, une durée de retour supérieure ou égale à 25 ans, et en troisième lieu, une appréciation pour chaque saison d'une année, l'hiver (janvier à mars), le printemps (avril à juin), l'été (juillet à septembre) et l'automne (octobre à décembre). Le niveau d'humidité des sols superficiels est établi d'après un indice d'humidité des sols, couramment appelé indice SWI (Soil Wetness Index), qui représente, sur une profondeur d'environ deux mètres, l'état de la réserve en eau du sol par rapport à la réserve utile. L'indice SWI est établi de manière journalière, via le modèle météorologique développé par Météo-France sous la dénomination Safran/Isba/Modcou (SIM), pour chacune des 8981 mailles géographiques couvrant le territoire, de 8 km de côté. Pour définir l'indicateur d'humidité des sols superficiels d'un mois donné, Météo-France s'appuie sur la moyenne des indices d'humidité des sols superficiels journaliers traités par le modèle hydrométéorologique au cours de ce mois et des deux précédents. Pour chacune des quatre saisons d'une année civile, trois indicateurs d'humidité des sols superficiels mensuels moyens sont donc définis. Pour déterminer si un épisode de sécheresse présente un caractère exceptionnel au sens de l'article L. 125-1 du code des assurances, il est procédé à une comparaison de l'indicateur d'humidité des sols superficiels établi pour un mois donné, avec les indicateurs établis pour ce même mois, au cours des cinquante dernières années. Météo France établit ensuite, sur la base de cette comparaison un rang et une durée de retour pour chacun des douze indicateurs mensuels d'humidité, calculés pour l'année civile étudiée. Le seuil caractérisant l'exceptionnalité de l'intensité d'un épisode de sécheresse a été fixé à une durée de retour supérieure ou égale à 25 ans, pour l'indicateur d'humidité des sols. Si l'indice d'un seul mois présente une durée de retour de 25 années au moins, c'est toute la saison qui sera considérée comme subissant un épisode de sécheresse-réhydratation anormal. Enfin, si le critère d'une durée de retour d'au moins 25 années est établi pour une maille couvrant une partie du territoire communal, il est considéré comme rempli pour l'ensemble du territoire communal pour la période concernée. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, et notamment de la circulaire du 10 mai 2019 du ministre de l'intérieur produite en défense, que cette nouvelle méthodologie a été mise en œuvre pour les demandes déposées au titre de l'épisode de sécheresse-réhydratation des sols de l'année 2018, et a, ainsi, été appliquée à la demande objet du présent litige.

12. Il ressort de la lettre du 12 août 2019 par laquelle la préfète de la Charente a notifié l'arrêté attaqué au maire de Terres-de-Haute-Charente, qu'en ce qui concerne l'ancienne commune de Genouillac et sa demande de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle au titre des mouvements de terrains différentiels consécutifs aux épisodes de sécheresse et de réhydratation des sols observés entre le 20 juin et le 30 septembre 2018, s'agissant du critère géotechnique, les données recueillies établissaient la présence de sols sensibles à l'aléa sécheresse et réhydratation des argiles sur 74,81 % de son territoire. Tandis que s'agissant du critère météorologique, l'application de la méthode détaillée au point précédent ne dégageait aucun indice d'humidité des sols présentant une durée de retour de 25 années sur les quatre saisons étudiées. Les deux critères étant cumulatifs, les ministres concluaient à l'absence d'intensité et l'anormalité du phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols sur la période considérée.

13. En premier lieu, la commune soutient que l'arrêté attaqué serait entaché d'inexactitude matérielle quant aux données ayant servi au calcul de l'humidité de ses sols superficiels dès lors que les indices SWI mensuels pour l'année 2018 qu'elle produit, obtenus auprès de Météo-France, diffèrent des indicateurs d'humidité des sols superficiels retenus pour chacune des quatre saisons par les ministres et reportés dans le tableau joint à la lettre de notification de l'arrêté. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et notamment du rapport de Météo-France du 10 mai 2022 détaillant la mise en œuvre du critère météorologique sur lequel l'administration s'est fondée et du document émanant de Météo-France intitulé " Qu'est-ce que le SWI uniforme ' ", déjà produits en première instance, que ces indicateurs ne peuvent être comparés. Ainsi et d'une part, l'indice SWI moyen mensuel accessible via le site publithèque de Météo-France, auquel se réfère la requérante, ne correspond pas nécessairement à l'indicateur d'humidité des sols superficiels d'un mois donné calculé, dans le cadre du dispositif " catastrophe naturelle " (Catnat) sur une période glissante de trois mois selon la méthode rappelée au point 11. D'autre part et surtout, il ressort de ces documents que Météo-France utilise, comme le soutient à juste titre l'Etat, une configuration " uniforme " du modèle SIM exclusivement réservée à l'établissement des critères pour les " Catnat sécheresse ", de façon à ce que les caractéristiques géologiques du sol et le couvert végétal soient uniformes sur tout le territoire français et que ces données ne sont pertinentes que pour cet usage particulier. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que les indicateurs sur lesquels s'est appuyée l'administration pour conclure à l'absence d'intensité et d'anormalité du phénomène de sécheresse et de réhydratation des sols sur la période considérée, issus d'une modélisation intégrant une occupation uniforme des sols du type que l'on retrouve autour des bâtiments d'habitation souffrant du phénomène considéré, soient erronés.

14. En deuxième lieu, la commune de Terres-de-Haute-Charente fait valoir que les critères utilisés par les autorités ministérielles ne sont ni adéquats, ni fiables ni complets. Elle remet en cause la pertinence du modèle SIM utilisé, notamment le fait que le territoire de la commune qui s'étend sur 86,66 km², dont l'ancienne commune de Genouillac représente 14,59 km², voit sa situation analysée à partir de l'examen de six mailles géographiques qui portent donc sur une surface totale de 384 km² et que ces mailles sont situées sur le territoire d'autres communes. Elle soutient ensuite qu'en se limitant à donner une moyenne sur une durée de trois mois, la méthode ne permet pas de prendre en compte la réalité d'un élément climatique tel que le phénomène de réhydratation des sols et qu'enfin le découpage en quatre périodes ne tient nullement compte des réalités météorologiques.

15. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point 11 que la méthode employée, qui a été redéfinie en 2019, appliquée, comme il a été déjà dit, à la demande présentée par l'ancienne commune de Genouillac, et qui utilise désormais, selon les termes de la circulaire ministérielle du 10 mai 2019 sur la révision des critères de reconnaissance de l'état de catastrophe naturelle, des " outils de modélisation hydrométéorologique de Météo-France les plus performants " tenant compte des " progrès les plus récents accomplis dans la connaissance de cet aléa ", repose sur des critères qui, contrairement à ce que soutient la commune, sont rapportés à l'ensemble de la saison concernée ou à l'ensemble du territoire communal, lorsque l'indice d'un seul mois présente une durée de retour de 25 années au moins, ou lorsque le critère d'une durée de retour d'au moins 25 années est établi pour une maille couvrant une partie du territoire communal. En outre, il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les informations associées aux mailles auxquelles l'ancienne commune de Genouillac a été rattachée, alors même que la superficie de ces mailles excède le territoire communal, ne permettraient pas d'appréhender avec une pertinence et une précision suffisante l'intensité de l'aléa naturel observé au cours de la période de l'année 2018 en cause, ou encore que la méthode employée empêcherait de prendre en compte le phénomène de réhydratation des sols alors même qu'elle a été développée pour caractériser l'intensité des épisodes de sécheresse-réhydratation des sols à l'origine de mouvements de terrain différentiels. Ainsi, les critères pris en compte par l'administration, tels qu'exposés au point 11, pour apprécier l'existence d'un aléa d'intensité anormale, n'apparaissent dépourvus ni de fiabilité, ni de complétude. Or il ressort de la lettre de notification de l'arrêté interministériel en litige que ces critères n'étaient pas remplis, aucun indice sur aucune des périodes considérées ne présentant une durée de retour de 25 années au moins. Aucun des éléments produits par la commune et notamment pas les données SWI disponibles sur le site publithèque de Météo-France dont la commune se prévaut, moins pertinentes, ainsi qu'il a été dit ci-dessus pour apprécier l'aléa concerné, ne caractérisent des circonstances propres à cette commune qui justifieraient une appréciation différente de celle résultant de la méthode mise en œuvre par l'administration. Par suite, la commune de Terres-de-Haute-Charente n'est pas fondée à soutenir que les ministres auraient entaché leur décision d'une erreur d'appréciation quant à l'intensité et à l'anormalité de l'événement climatique étudié ou auraient méconnu les dispositions de l'article L. 125-1 du code des assurances.

16. Dans les circonstances précisées au point précédent, le moyen tiré de l'illégalité des critères posés par la circulaire du 10 mai 2019 doit, en tout état de cause, être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Terres-de-Haute-Charente n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 16 juillet 2019. Par suite ses conclusions aux fins d'annulation et d'injonction doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement d'une quelconque somme à la commune au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge de la commune de Terres-de-Haute-Charente une somme de 100 euros à verser à l'Etat au même titre.

DECIDE :

Article 1 : La requête présentée par la commune de Terres-de-Haute-Charente est rejetée.

Article 2 : La commune de Terres-de-Haute-Charente versera une somme de 100 euros à l'Etat au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Terres-de-Haute-Charente, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie pour information en sera délivrée à la préfète de la Charente.

Délibéré après l'audience du 18 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 juin 2024.

La rapporteure,

Héloïse A...

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chacun en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX00408


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00408
Date de la décision : 27/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Héloïse PRUCHE-MAURIN
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : SELAS ELIGE BORDEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 07/07/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-27;22bx00408 ?
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