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25/06/2024 | FRANCE | N°23BX03003

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 25 juin 2024, 23BX03003


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 15 mai 2023 par lequel le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a astreint à se présenter une fois par semaine au commissariat d'Auch.

Par un jugement n° 2301550 du 27 septembre 2023, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour adm

inistrative d'appel :



Par une requête enregistrée le 8 décembre 2023, M. B... A...,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 15 mai 2023 par lequel le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a astreint à se présenter une fois par semaine au commissariat d'Auch.

Par un jugement n° 2301550 du 27 septembre 2023, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête enregistrée le 8 décembre 2023, M. B... A..., représenté par Me Dumaz-Zamora, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2301550 du 27 septembre 2023 de la présidente du tribunal administratif de Pau ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 mai 2023 du préfet du Gers ;

3°) d'enjoindre au préfet du Gers de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'une semaine à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- le jugement attaqué a été rendu en méconnaissance du principe du contradictoire dès lors que le tribunal s'est fondé sur une ordonnance de la Cour nationale du droit d'asile qui n'est pas librement accessible et qui n'a pas été communiquée.

S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est insuffisamment motivée dès lors que ses visas mentionnent les articles L. 611-1 4° et L. 542-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans préciser son fondement juridique ;

- la motivation retenue révèle que le préfet s'est cru lié par les décisions des instances de l'asile et n'a pas procédé à une appréciation propre des risques qu'il encourt en cas de retour en Afghanistan ;

- elle est entachée d'erreur de droit au regard des articles L. 611-1 4° et L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que, faute d'avoir été informé du sens de la décision de la Cour nationale du droit d'asile dans une langue qu'il comprend, il ne pouvait faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français.

S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que la situation politique est particulièrement instable en Afghanistan où les risques sont accrus pour les personnes isolées rentrant d'Europe et ne disposant pas de soutien parmi les Talibans.

S'agissant de la décision portant obligation de présentation au commissariat de police :

- elle est insuffisamment motivée en fait ;

- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

La requête a été transmise au préfet du Gers qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Par une ordonnance du 9 février 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 19 mars 2024.

M. B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2023/009640 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 9 novembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Karine Butéri a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant afghan né le 19 juin 1998 à Laghman, déclare être entré en France le 6 juin 2022. Sa demande d'asile déposée le 4 juillet 2022 a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 24 octobre 2022. Par une ordonnance du 6 mars 2023, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a rejeté son recours pour irrecevabilité manifeste. Par un arrêté du 15 mai 2023, le préfet du Gers lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et l'a astreint à se présenter une fois par semaine au commissariat de police d'Auch. L'intéressé relève appel du jugement du 27 septembre 2023 par lequel la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 mai 2023.

Sur la légalité de l'arrêté du 15 mai 2023 :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En l'absence de recours contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit de se maintenir sur le territoire français prend fin à la notification de cette décision. / Lorsqu'un recours contre la décision de rejet de l'office a été formé dans le délai prévu à l'article L. 532-1, le droit du demandeur de se maintenir sur le territoire français prend fin à la date de la lecture en audience publique de la décision de la Cour nationale du droit d'asile ou, s'il est statué par ordonnance, à la date de la notification de celle-ci. ". Aux termes de l'article L. 542-4 du même code : " L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé ou qui ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 542-2 et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français ". Aux termes de l'article R. 532-54 de ce code : " Le secrétaire général de la Cour nationale du droit d'asile notifie la décision de la cour au requérant par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et l'informe dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend du caractère positif ou négatif de la décision prise. Il la notifie également au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides ".

4. Il résulte des dispositions citées au point précédent que l'étranger qui demande l'asile a le droit de séjourner sur le territoire national à ce titre jusqu'à ce que la décision rejetant sa demande lui ait été notifiée régulièrement par l'OFPRA ou, si un recours a été formé devant elle, par la CNDA. En l'absence d'une telle notification, l'autorité administrative ne peut regarder l'étranger à qui l'asile a été refusé comme ne bénéficiant plus de son droit provisoire au séjour ou comme se maintenant irrégulièrement sur le territoire. En cas de contestation sur ce point, il appartient à l'autorité administrative de justifier que la décision de la CNDA a été régulièrement notifiée à l'intéressé, le cas échéant en sollicitant la communication de la copie de l'avis de réception auprès de la cour.

5. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué du 15 mai 2023 que, pour faire obligation à M. B... A... de quitter le territoire français, le préfet du Gers a relevé que l'intéressé avait vu sa demande d'asile rejetée par une ordonnance de la CNDA du 6 mars 2023, que cette ordonnance lui avait été notifiée le 15 mars 2023 et qu'ainsi, l'intéressé ne bénéficiait plus du droit de se maintenir sur le territoire français. M. B... A... soutient qu'en l'absence de preuve d'une notification de la décision de la CNDA en langue pachto, seule langue qu'il comprend, le préfet du Gers ne pouvait, sans méconnaître son droit au maintien sur le territoire français tel que prévu par les dispositions de l'article L. 542-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, prononcer une obligation de quitter le territoire français à son encontre. Pour établir que l'ordonnance du 6 mars 2023 de la CNDA rejetant le recours de M. B... A... pour irrecevabilité manifeste a été régulièrement notifiée à ce dernier le 15 mars 2023 et qu'ainsi il a pu prononcer une obligation de quitter le territoire français le 15 mai 2023, le préfet du Gers a produit en première instance le relevé des informations du fichier informatique de la base de données "TelemOpfra " et un formulaire multi-langues qui aurait accompagné la notification. Toutefois, dès lors qu'il ne ressort d'aucune de ces pièces que M. B... A... aurait été informé du caractère positif ou négatif de la décision de la Cour nationale du droit d'asile dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de penser qu'il la comprend, l'autorité administrative ne justifie pas d'une notification régulière au regard des dispositions de l'article R. 532-54 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, le préfet du Gers n'a pu légalement faire obligation à M. B... A... de quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Il y a lieu d'annuler la décision portant obligation de quitter le territoire français contenue dans l'arrêté du préfet du Gers du 15 mai 2023 et, par voie de conséquence, les décisions fixant le pays de renvoi et l'astreignant à se présenter une fois par semaine au commissariat de police d'Auch que cet arrêté comporte également.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

7. Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ". En application de ces dispositions, il appartiendra au préfet du Gers de munir M. B... A... d'une autorisation provisoire de séjour et de se prononcer à nouveau sur son cas.

Sur les frais liés au litige :

8. M. B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Dumaz-Zamora de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2301550 de la présidente du tribunal administratif de Pau du 27 septembre 2023 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet du Gers du 15 mai 2023 est annulé.

Article 3 : Le préfet du Gers procédera, en application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à un nouvel examen de la situation de M. B... A... et, dans l'attente de sa décision, à la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me Dumaz-Zamora une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... A..., au préfet du Gers et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 4 juin 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Héloïse Pruche-Maurin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 juin 2024.

La rapporteure,

Karine Butéri

La présidente,

Elisabeth Jayat

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX03003


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX03003
Date de la décision : 25/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : DUMAZ ZAMORA

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-25;23bx03003 ?
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