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20/06/2024 | FRANCE | N°24BX00725

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 20 juin 2024, 24BX00725


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme F... C... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination.



Par un jugement n° 2400011 du 5 mars 2024, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision fixant le pays de renvoi, a enjoint au préfet de la Haute-Vie

nne de réexaminer la situation de Mme C... A... au regard du pays de renvoi vers lequel elle est susce...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... C... A... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler l'arrêté du 4 décembre 2023 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a rejeté sa demande de titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination.

Par un jugement n° 2400011 du 5 mars 2024, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision fixant le pays de renvoi, a enjoint au préfet de la Haute-Vienne de réexaminer la situation de Mme C... A... au regard du pays de renvoi vers lequel elle est susceptible d'être éloignée dans le délai d'un mois et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 mars 2024, le préfet de la Haute-Vienne demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 5 mars 2024 en ce qu'il annule la décision fixant le pays de renvoi prise à l'encontre de Mme C... A... ;

2°) de rejeter la demande de première instance de Mme C... A....

Il soutient que :

- sa requête n'est pas tardive au regard de l'article R. 776-9 du code de justice administrative ;

- le motif d'annulation de la décision fixant le pays de destination retenu par le tribunal administratif de Limoges, non soulevé par Mme C... A... dans sa demande de première instance, est entaché d'une erreur de droit dès lors notamment que cette dernière est de nationalité comorienne et dispose d'un passeport en cours de validité, qu'il n'est pas possible de fixer Mayotte comme pays de renvoi s'agissant d'un département français et pour lequel elle n'est plus autorisée à séjourner et qu'il a également désigné comme pays de renvoi tout autre pays que les Comores dans lequel l'intéressée est légalement admissible ;

- Mme A... ne justifie pas qu'elle ne pourrait pas mener une vie privée et familiale normale hors du territoire français et notamment dans son pays d'origine, les Comores, et n'allègue d'aucune menace la concernant personnellement en cas de retour aux Comores ;

- les moyens soulevés par Mme C... A... dans sa demande de première instance ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 19 avril 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 21 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Edwige Michaud a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C... A... est entrée en France métropolitaine le 1er septembre 2022 munie d'un passeport comorien en cours de validité, revêtu d'un visa long séjour " formation " valable du 10 août 2022 au 10 août 2023 et d'une carte de séjour pluriannuelle portant la mention vie privée et familiale et l'autorisant à travailler, délivrée par la préfecture de Mayotte et valable du 18 janvier 2021 au 17 janvier 2023. Par un premier arrêté du 7 septembre 2023, le préfet du Doubs a rejeté sa demande de renouvellement de titre de séjour et de changement de statut, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination. Par courrier du 22 mai 2023, elle avait également sollicité une première demande de titre de séjour afin de pouvoir travailler dans son domaine de compétence, la maroquinerie. Par un arrêté du 4 décembre 2023, le préfet de la Haute-Vienne a rejeté cette demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 5 mars 2024, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision fixant le pays de renvoi, a enjoint au préfet de la Haute-Vienne de réexaminer la situation de Mme C... A... au regard du pays de renvoi vers lequel elle est susceptible d'être éloignée dans le délai d'un mois et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le préfet de la Haute-Vienne relève appel de ce jugement en tant qu'il a annulé la décision fixant le pays de destination.

Sur la régularité du jugement :

2. Le tribunal a rappelé au point 13 de son jugement que Mme C... A... avait soulevé le moyen tiré de ce que le préfet a porté une atteinte grave au respect de sa vie privée et familiale, puis a jugé qu' " il ressort des pièces du dossier que la requérante réside à Mayotte depuis l'âge de 6 ans où elle a suivi toute sa scolarité et où elle a le centre de ses intérêts privés et familiaux " et qu' " ainsi, en fixant le pays de renvoi de l'intéressé comme étant le pays dont elle est originaire, les Comores, le préfet de la Haute-Vienne a entaché sa décision d'une erreur d'appréciation. ". Le tribunal doit donc être regardé comme ayant accueilli le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales visé dans le jugement et soulevé par la requérante dans sa demande de première instance. Ainsi, et contrairement à ce que soutient le préfet, le tribunal n'a commis aucune irrégularité.

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

4. Si Mme C... A... soutient que ses liens familiaux se trouvent désormais en France où vivent ses quatre frères et sœurs, dont trois sont de nationalité française, aucune pièce du dossier ne permet de justifier des liens qu'elle entretiendrait avec les membres de sa famille résidant en France. Par ailleurs, il ne ressort pas davantage des pièces du dossier qu'elle ne disposerait plus d'attache familiale dans son pays d'origine. Dès lors la requérante n'est pas fondée à soutenir que la décision attaquée, dont le dispositif précise par ailleurs que Mme C... A... pourra également être éloignée à destination de tout autre pays dans lequel elle est légalement admissible, méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif de Limoges, la décision fixant le pays de renvoi n'a pas méconnu les stipulations précitées. Le préfet de la Haute-Vienne est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que la décision fixant le pays de renvoi méconnaissait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

5. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés contre cette décision par Mme C... A... devant le tribunal administratif.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués devant le tribunal à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi :

S'agissant du moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté et de l'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

6. En premier lieu, Mme B... D..., directrice de cabinet de la préfecture de la Haute-Vienne et signataire de l'arrêté contesté, bénéficie d'une délégation de signature du préfet de la Haute-Vienne en date 21 août 2023, régulièrement publiée au recueil des actes administratifs n° 87-2023-130 du même jour, à l'effet notamment de signer en cas d'absence ou d'empêchement du secrétaire général de la préfecture " les arrêtés, décisions et actes pris sur le fondement du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ". Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'obligation de quitter le territoire français manque en fait et doit être écarté.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L.613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués. ".

8. L'obligation de quitter le territoire français vise le 3° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et se fonde sur ce que Mme C... A... s'est vue refuser la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'arrêté attaqué précise les raisons pour lesquelles Mme C... A... ne justifie pas de circonstances humanitaires ou exceptionnelles au sens de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment, qu'elle est célibataire, sans enfant et qu'elle ne justifie pas d'attaches privées ou familiales fortes en France. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet de la Haute-Vienne n'aurait pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme C... A... avant de prendre à son encontre une obligation de quitter le territoire français.

10. En quatrième lieu, si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux États membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance par une autorité d'un État membre est inopérant. Toutefois, il résulte également de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Par ailleurs, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu avoir une influence sur le contenu de la décision. En l'espèce, Mme C... A... ne justifie d'aucun élément propre à sa situation qu'elle aurait été privée de faire valoir et qui, si elle avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens de la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté.

11. Aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) ; 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " (...). ".

12. Mme C... A... établit qu'elle a été scolarisée à Mayotte entre 2006 et 2015 et qu'elle a suivi un parcours de formation en alternance entre le 15 octobre 2018 et le 5 juillet 2019, une formation de vendeur conseil en magasin du 14 octobre 2019 au 7 mai 2020 et une mission de service civique auprès de la direction régionale de Pôle emploi à la Réunion du 1er juin 2021 au 31 janvier 2022. Toutefois, dans la mesure où elle n'apporte aucun élément concernant les années 2016 et 2017, elle n'établit pas qu'elle a résidé régulièrement en France sur une période continue depuis plus de 10 ans. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 3° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

Sur les autres moyens dirigés contre la décision fixant le pays de destination :

13. En premier lieu, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision fixant le pays de destination doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6.

14. En deuxième lieu, il ressort des dispositions du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le législateur a entendu déterminer l'ensemble des règles de procédure administrative et contentieuse auxquelles sont soumises l'intervention et l'exécution des décisions par lesquelles l'autorité administrative signifie à l'étranger l'obligation dans laquelle il se trouve de quitter le territoire français. Dès lors, la procédure contradictoire préalable prévue par les dispositions des articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable aux décisions énonçant une obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination. Par suite, Mme C... A... ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ces dispositions.

15. En troisième lieu, ainsi qu'il a été dit précédemment, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Le moyen tiré de l'exception d'illégalité de cette décision ne peut, dès lors, qu'être écarté.

16. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la décision fixant le pays de renvoi porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme C... A... doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4.

17. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Vienne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision fixant le pays de destination prise à l'encontre de Mme C... A....

DECIDE :

Article 1er : Les articles 1 et 2 du jugement n° 2400011 du 5 mars 2024 du tribunal administratif de Limoges sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme C... A... devant le tribunal administratif de Limoges est rejetée en tant qu'elle sollicite l'annulation de la décision fixant le pays de renvoi contenue dans l'arrêté du préfet de la Haute-Vienne du 4 décembre 2023.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Mme E... A....

Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Claude Pauziès, président,

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Edwige Michaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La rapporteure,

Edwige MichaudLe président,

Jean-Claude Pauziès

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 24BX00725


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 24BX00725
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PAUZIÈS
Rapporteur ?: Mme Edwige MICHAUD
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : WONE

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;24bx00725 ?
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