Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 par lequel le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de renouvellement de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français, a fixé le pays de destination ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux.
Par un jugement n°2303492 du 21 novembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Momnougui, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 21 novembre 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 juin 2023 du préfet de la Gironde ainsi que la décision de rejet de son recours gracieux ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour mention "vie privée et familiale" ou "salarié" dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir et de lui délivrer un récépissé l'autorisant à travailler le temps de l'instruction de sa demande dans le délai de quinze jours à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé et entaché de contradiction de motifs s'agissant du moyen tiré de ce que la rupture de la vie commune résulte des violences subies ;
- la décision attaquée est entachée d'erreur de fait et d'appréciation s'agissant de l'existence de violences conjugales, physiques, verbales et psychologiques ayant donné lieu à la cessation de cohabitation du couple ; elle méconnaît l'instruction IOCL1124524C du 9 septembre 2011, le préfet n'étant pas lié par les décisions du juge pénal ;
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- un retour en Russie exposerait son fils à un risque de traitement inhumain et dégradant ;
- elle est entachée d'erreur d'appréciation dès lors qu'elle remplissait les conditions de l'article L. 421-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qu'elle n'avait pas besoin d'autorisation de travail et qu'elle a présenté une demande à cette fin dans son recours gracieux ;
- l'obligation de quitter le territoire français sera annulée par voie de conséquence de l'annulation du refus de titre de séjour.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 mars 2024 le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés par renvoi à ses écritures de première instance.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Christelle Brouard-Lucas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., ressortissante russe née le 3 septembre 1972, est, selon ses déclarations, entrée en France le 22 février 2020, munie d'un visa mention " conjoint de français " à la suite de son mariage le 25 janvier 2020, l'autorisant à séjourner sur le territoire jusqu'au 19 février 2021. Elle a bénéficié d'un titre de séjour pluriannuel mention " vie privée et familiale " dont elle a sollicité le renouvellement le 16 décembre 2022 sur le fondement des articles L. 423-1, L. 423-5 et L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté en date du 5 juin 2023, le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme B... relève appel du jugement du 21 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté ainsi que de la décision de rejet son recours gracieux présenté le 20 juillet 2023.
Sur la régularité du jugement :
2. Dans son point 3, le jugement attaqué reprend l'ensemble des éléments avancés par Mme B... pour justifier de ce que la décision du préfet est entachée d'erreur de fait s'agissant de l'origine de la rupture de la vie commune et détaille précisément les motifs qui ont conduit le tribunal à considérer que ces éléments n'étaient pas de nature à établir la réalité des violences conjugales ni que celles-ci auraient été à l'origine de la rupture de la vie commune. Par suite, et alors que la contradiction de motifs affecte le bien-fondé d'une décision juridictionnelle et non sa régularité, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement sur ce point doit être écarté.
Sur la légalité de la décision attaquée :
3. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet se serait considéré en situation de compétence liée au regard de la décision de relaxe du tribunal correctionnel Bordeaux du 7 octobre 2021.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 423-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger marié avec un ressortissant français, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an lorsque les conditions suivantes sont réunies : 1° La communauté de vie n'a pas cessé depuis le mariage ; 2° Le conjoint a conservé la nationalité française ; 3° Lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il a été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français. ". Aux termes de l'article L. 423-5 de ce même code : " La rupture de la vie commune n'est pas opposable lorsqu'elle est imputable à des violences familiales ou conjugales (...). " Ces dernières dispositions ont créé un droit particulier au séjour au profit des personnes victimes de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune avec leur conjoint de nationalité française. Dans ce cas, le renouvellement du titre de séjour n'est pas conditionné au maintien de la vie commune. Il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une telle demande, d'apprécier, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, l'existence de violences conjugales ayant conduit à la rupture de la vie commune du demandeur avec son conjoint de nationalité française.
5. Pour établir la réalité des violences conjugales, physiques et psychologiques, dont elle a été victime, Mme B... soutient qu'elle a déposé plainte contre son époux pour violences conjugales le 8 février 2021 et le 9 avril 2021 et que la rupture de la vie commune est intervenue à la suite du placement de son époux en garde à vue le 19 mai 2021 dans le cadre de l'instruction de cette plainte et de l'ordonnance de contrôle judiciaire du 20 mai 2021 interdisant à son époux d'entrer en contact avec elle. Elle se prévaut également des déclarations de son fils auprès des services de gendarmerie et de l'attestation d'une voisine. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par un jugement daté du 7 octobre 2021, et dont Mme B... n'allègue pas avoir fait appel, le tribunal correctionnel de Bordeaux a conclu que les faits de violences n'étaient pas matérialisés et a relaxé son époux. Ce jugement se fonde sur l'absence d'éléments matériels de nature à corroborer les déclarations de Mme B..., sur les variations de ses déclarations dans le temps et de l'absence de cohérence entre les faits rapportés et les certificats médicaux dont elle se prévaut ainsi que sur le fait que la requérante se serait elle-même montrée violente envers son époux au vu des déclarations de celui-ci, des constations médicales et du témoignage du fils de la requérante né d'une précédente union. Dans ce contexte, si ces éléments, de même que le témoignage établi par une voisine pour les besoins de la cause relatif à un incident isolé plus de deux ans après les faits, attestent de l'existence d'une situation conjugale conflictuelle, ils ne permettent pas d'établir que Mme B... aurait été victime des violences conjugales alléguées, ni que celles-ci auraient entraîné la rupture de la communauté de vie du couple, une telle preuve ne pouvant résulter du seul fait que la cohabitation a cessé du fait de l'ordonnance de contrôle judiciaire. Dans ces conditions, et alors en outre que la décision en litige est intervenue plus de deux ans après les faits, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que le préfet de la Gironde aurait commis une erreur de fait, ni méconnu les dispositions des articles L. 423-1 et L. 423-5 précitées du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant le renouvellement de son titre de séjour.
6. En troisième lieu, la requérante ne saurait utilement se prévaloir de l'instruction du 9 septembre 2011 du ministre de l'immigration, qui est dépourvue de caractère règlementaire.
7. En quatrième lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé.
8. Si Mme B... justifie exercer une activité salariée depuis le 29 juillet 2022 dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée en qualité de coiffeuse, il ressort des pièces du dossier qu'elle a sollicité le renouvellement de son titre de séjour sur le fondement des articles L. 423-1, L. 423-5 et L. 423-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il ne résulte pas des termes de la décision attaquée que le préfet aurait examiné d'office sa demande sur le fondement de l'article L. 421-1 du même code ouvrant droit à une carte de séjour mention " salarié ". En outre, la circonstance que Mme B... se prévalait dans son recours gracieux de ce que sa situation professionnelle lui permettait de bénéficier de droit d'un titre salarié ne peut être regardé comme valant demande à ce titre, dès lors que les titres de séjour mention salarié ne constituent pas des titres de séjour délivrés de plein droit aux personnes qui en remplissent les conditions. Par suite, Mme B... ne peut utilement se prévaloir à l'encontre de la décision portant refus de séjour attaquée de la méconnaissance de ces dispositions.
9. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
10. Mme B... se prévaut de sa résidence régulière sur le territoire français depuis février 2020 et de la scolarisation de son fils âgé de dix-sept ans à la date de la décision attaquée en classe de première générale. Toutefois, rien ne s'oppose à ce que son fils poursuive ses études en Russie où il a vécu avec sa mère et été scolarisé avant son entrée en France. Par ailleurs, Mme B..., qui est en procédure de divorce, n'établit pas avoir créé en France des liens intenses et stables et ne démontre pas, ni même n'allègue être dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de quarante-sept ans et où demeurent en outre ses deux autres enfants majeurs. Ainsi, au regard du caractère récent de son séjour en France, et quand bien même elle a pu obtenir à partir de juillet 2022 un contrat à durée indéterminée, elle ne peut être regardée comme ayant établi sur le territoire le centre de ses intérêts personnels et familiaux. Dans ces conditions, l'arrêté n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La décision attaquée n'est pas davantage entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme B....
11. Enfin, si Mme B... soutient qu'un retour en Russie exposerait son fils à combattre en Ukraine dans les rangs de l'armée russe, elle se borne à faire état de considérations très générales et son fils était encore mineur à la date de la décision attaquée. S'il est devenu majeur quelques semaines plus tard, il lui appartiendra de déposer une demande de protection auprès des autorités. Par suite, le moyen tiré de ce que cette décision exposerait son fils à un risque de traitement inhumain et dégradant doit être écarté.
12. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français devrait être annulé par voie de conséquence de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 5 juin 2023. Par suite sa requête doit être rejetée y compris ses conclusions à fin d'injonction, ainsi que celles présentées par son conseil au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente,
Mme Edwige Michaud, première conseillère,
Mme Kolia Gallier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 juin 2024.
La présidente rapporteure,
Christelle Brouard-LucasL'assesseure la plus ancienne,
Edwige Michaud
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 23BX03074 2