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20/06/2024 | FRANCE | N°22BX03153

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 1ère chambre, 20 juin 2024, 22BX03153


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... et la société Gambetta 2020 ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2020 par lequel le maire de Libourne a refusé de délivrer à la société Gambetta 2020 un permis de construire portant sur la restructuration d'un immeuble implanté sur une parcelle cadastrée section CN n° 248 située 78 rue Gambetta à Libourne, en vue de la création de deux logements.



Par un jugement n° 2005364 du 26 octobre

2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté du 24 septembre 2020.



Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... et la société Gambetta 2020 ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2020 par lequel le maire de Libourne a refusé de délivrer à la société Gambetta 2020 un permis de construire portant sur la restructuration d'un immeuble implanté sur une parcelle cadastrée section CN n° 248 située 78 rue Gambetta à Libourne, en vue de la création de deux logements.

Par un jugement n° 2005364 du 26 octobre 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté du 24 septembre 2020.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 décembre 2022 et le 7 mai 2024, la commune de Libourne, représentée par Me Ruffié, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. B... et la société Gambetta 2020 devant le tribunal ;

3°) de mettre à la charge de la SCI Gambetta 2020 et de M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande était irrecevable car dirigée contre une décision confirmative d'un précédent refus devenu définitif, ce que le tribunal aurait dû relever d'office ;

- l'article 1.UA1 du plan local d'urbanisme de la commune ne prévoyant aucune dérogation ni aucun aménagement à l'interdiction de changement de destination pour les rez-de-chaussée commerciaux, le tribunal ne pouvait faire application des dispositions de l'article L. 152-3 du code de l'urbanisme et retenir que la création d'un accès aux logements des étages avec accès direct sur la rue ne nécessite qu'une adaptation mineure des règles relatives au changement de destination des locaux commerciaux ;

- en toute hypothèse, le changement de destination d'une partie du rez-de-chaussée que nécessite le projet ne peut être regardé comme une adaptation mineure au sens de l'article L. 152-3 du code de l'urbanisme ;

- les moyens invoqués par les requérants en première instance ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2024, la SCI Gambetta 2020, représentée par la SELARL Cabinet Coudray, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par la commune de Libourne ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, le projet ne méconnaît pas les articles UA1 et UA2 du plan local d'urbanisme contrairement à ce qu'a retenu le tribunal dès lors que la création d'un accès sur rue qui dessert le local commercial et les étages ne modifie pas la destination de cet espace ;

- subsidiairement encore, c'est à bon droit que le tribunal a retenu que le projet ne nécessitait qu'une adaptation mineure des règles définies par le plan local d'urbanisme au sens de l'article L. 152-3 du code de l'urbanisme.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;

- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Kolia Gallier,

- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,

- les observations de Me Ruffié, représentant la commune de Libourne, de Me Franceschini, représentant M. B..., et de Me Chatel, représentant la SCI Gambetta 2020.

Une note en délibéré présentée par Me Ruffié, pour la commune de Libourne, a été enregistrée le 31 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... est propriétaire d'un immeuble comprenant un local commercial au rez-de-chaussée et un logement au premier et second étage situé sur une parcelle cadastrée section CN n° 248 au 78 rue Gambetta dans le centre-ville de Libourne. Il a conclu avec la SCI Gambetta 2020 une promesse de vente sous la condition suspensive d'obtention d'un permis de construire définitif pour la rénovation et la restructuration de l'immeuble. Le 2 juin 2020, la SCI Gambetta 2020 a déposé une demande de permis de construire pour la création de trois logements nécessitant la réalisation de travaux sur une construction existante. Par un arrêté du 24 juin 2020, le maire de la commune de Libourne a refusé de faire droit à cette demande. La commune de Libourne relève appel du jugement du 26 octobre 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de M. B... et de la société Gambetta 2020 tendant à l'annulation de cette décision et lui a enjoint de délivrer le permis de construire sollicité dans un délai de deux mois.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par la commune de Libourne :

2. D'une part, l'article 2 de l'ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, rendu applicable aux procédures devant les juridictions de l'ordre administratif par l'article 15 de l'ordonnance du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif, dispose que : " Tout acte, recours, action en justice (...) qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l'article 1er sera réputé avoir été fait à temps s'il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois ". Aux termes de l'article 1er de la même ordonnance, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 13 mai 2020 fixant les délais applicables à diverses procédures pendant la période d'urgence sanitaire : " I.- Les dispositions du présent titre sont applicables aux délais et mesures qui ont expiré ou qui expirent entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 inclus (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux ou hiérarchique qui interrompt le cours de ce délai. / Lorsque dans le délai initial du recours contentieux ouvert à l'encontre de la décision, sont exercés contre cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique, le délai du recours contentieux, prorogé par l'exercice de ces recours administratifs, ne recommence à courir à l'égard de la décision initiale que lorsqu'ils ont été l'un et l'autre rejetés. ".

3. D'autre part, aux termes de l'article R. 151-27 du code de l'urbanisme, dans sa version applicable au litige : " Les destinations de constructions sont : / 1° Exploitation agricole et forestière ; / 2° Habitation ; / 3° Commerce et activités de service ; / 4° Equipements d'intérêt collectif et services publics ; / 5° Autres activités des secteurs secondaire ou tertiaire. " L'article R. 151-29 du même code dispose : " Les définitions et le contenu des sous-destinations mentionnées à l'article R. 151-28 sont précisées par arrêté du ministre chargé de l'urbanisme. / Les locaux accessoires sont réputés avoir la même destination et sous-destination que le local principal. ".

4. Il ressort des pièces du dossier que la société Gambetta 2020 a sollicité la délivrance d'un premier permis de construire le 11 décembre 2019 pour la rénovation et la restructuration de l'immeuble situé 78 rue Gambetta à Libourne. Cette demande a été rejetée par le maire de la commune par un arrêté du 12 mars 2020 au motif que le projet entrainait un changement de destination d'une partie du rez-de-chaussée de l'immeuble en méconnaissance de l'article UA2 du règlement du plan local d'urbanisme de la commune. Cette décision comportait la mention des voies et délais de recours et a été régulièrement notifiée à la société pétitionnaire le 14 mars 2020. En application des dispositions précitées au point 2, cette décision n'était toutefois susceptible de devenir définitive que le 24 août 2020.

5. Par ailleurs, la société pétitionnaire a déposé une nouvelle demande de permis de construire le 2 juin 2020, soit avant l'expiration du délai de recours contre le refus du 12 mars 2020, qui a été rejetée par l'arrêté en litige du 24 septembre 2020. Cette nouvelle demande, qui visait à corriger l'illégalité relevée par le premier refus de permis de construire, est en tout point similaire à la précédente à l'exception de la répartition des surfaces affectées au commerce du rez-de-chaussée et aux logements devant être créés dans les étages. En effet, le pétitionnaire explique que l'accès sur la rue et le couloir initialement créés pour la seule desserte des logements desservira désormais également le local commercial et constituera un accès de service pour le personnel et les livraisons, de sorte que cette partie commune du rez-de-chaussée doit être regardée comme ayant une destination commerciale. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que l'accès direct sur la rue, prolongé par un couloir permettant d'accéder aux étages, est indispensable à la réalisation de logements au premier et second niveaux du bâtiment qui ne sont actuellement accessibles que par un escalier situé dans le fond du local commercial, cet accès distinct présentant en revanche un caractère tout à fait secondaire pour les exploitants du local commercial qui bénéficient quant à eux d'un accès direct sur la rue par la vitrine. Dans ces conditions, le couloir avec un accès direct sur la rue doit être regardé comme l'accessoire des logements situés à l'étage et comme ayant une destination d'habitation. Dès lors, la circonstance que la société pétitionnaire ait présenté sa seconde demande en comptant la surface correspondante, non plus distinctement comme initialement, mais dans la surface du local commercial du rez-de-chaussée n'est pas de nature à modifier l'objet de sa demande. Ainsi, la seconde demande de permis de construire déposée par la société Gambetta le 2 juin 2020 doit être regardée comme un recours gracieux contre le refus qui lui a été opposé par le maire de Libourne le 12 mars. Ce recours ayant été formé dans le délai de recours contentieux, il a prorogé ce délai qui n'a pu recommencer à courir, au plus tôt, qu'à la date de la décision prise sur ce recours, soit le 24 septembre 2020. Par suite, la demande introduite devant le tribunal administratif de Bordeaux par M. B... et la société Gambetta 2020 le 24 novembre 2020, qui ne peut être regardée comme dirigée contre une décision purement confirmative devenue définitive, n'était pas tardive et la fin de non-recevoir opposée par la commune de Libourne doit être écartée.

En ce qui concerne la légalité du refus de permis de construire :

6. Aux termes de l'article 1 du règlement de la zone UA du plan local d'urbanisme de la commune de Libourne : " Sont interdits : (...) 1.6 - Les changements de destination des rez-de-chaussée commerciaux, si la façade présente une vitrine commerciale des rues concernées par l'article L. 151-16 du code de l'urbanisme, et identifiées sur le plan de zonage ". L'article 2 du règlement de cette même zone : " Sont autorisés sous conditions particulières : (...) / 2.2 - Les changements de destination des rez-de-chaussée des constructions existantes à la date d'approbation du PLU et implantées le long des emprises publiques, à condition que la future destination soit à vocation commerciale et/ou artisanat, et/ou de bureaux, pour les séquences des rues et parties de rues concernées par l'article L. 151-16 du code de l'urbanisme, et identifiées sur le plan de zonage : / - Rue Gambetta ; (...) 2.6 Sur la place Abel Surchamp et la rue Gambetta, le changement de destination à condition que ce soit vers une destination de commerce de proximité ou d'équipements collectifs ou publics ". Il ressort du plan de zonage du plan local d'urbanisme que l'immeuble en litige est situé rue Gambetta, dans le secteur de diversité commerciale à protéger au titre de l'article L. 151-16 du code de l'urbanisme.

7. Ainsi qu'il a été exposé au point 4 ci-dessus, le projet de la société Gambetta 2020 aura pour effet de modifier la destination de commerciale à habitation d'une partie du rez-de-chaussée de l'immeuble en créant un hall d'accès direct sur la rue nécessaire à la desserte des logements situés en étages. Par suite, le projet méconnaît les dispositions précitées du règlement du plan local d'urbanisme ainsi que l'a retenu le maire de la commune par la décision litigieuse.

8. Aux termes de l'article L. 152-3 du code de l'urbanisme : " Les règles et servitudes définies par un plan local d'urbanisme : / 1° Peuvent faire l'objet d'adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes ; (...) ".

9. Il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande de permis de construire, de déterminer si le projet qui lui est soumis ne méconnaît pas les dispositions du plan local d'urbanisme applicables, y compris telles qu'elles résultent le cas échéant d'adaptations mineures lorsque la nature particulière du sol, la configuration des parcelles d'assiette du projet ou le caractère des constructions avoisinantes l'exige. A l'appui de sa contestation devant le juge de l'excès de pouvoir, du refus opposé à sa demande, le pétitionnaire peut se prévaloir de la conformité de son projet aux règles d'urbanisme applicables, le cas échéant assorties d'adaptations mineures dans les conditions précisées ci-dessus, alors même qu'il n'a pas fait état, dans sa demande à l'autorité administrative, de la nécessité de telles adaptations.

10. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que le font valoir les demandeurs, que l'immeuble concerné par le projet de rénovation et de restructuration de la société Gambetta 2020 occupe, côté rue, toute la largeur de la parcelle sur laquelle il est situé et qu'il est, de chaque côté, mitoyen avec une autre construction de sorte que l'accès aux étages n'est possible que par la vitrine commerciale qui occupe l'intégralité du rez-de-chaussée. Par ailleurs, la création d'un hall commun aux logements, destination autorisée en zone UA, et au commerce n'aura pour effet de modifier la destination du rez-de-chaussée d'une superficie globale de 86 m2 que pour une surface très limitée de 5,20 m2, tout en préservant une largeur de vitrine commerciale significative et la possibilité d'exercer une activité commerciale en rez-de-chaussée. Dans ces conditions, alors même que le plan local d'urbanisme ne prévoyait pas expressément la possibilité de déroger aux principes fixés par les dispositions précitées au point 5, c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu que le projet ne relevait que d'une adaptation mineure des règles de ce document, rendue nécessaire par la configuration particulière de la parcelle et le caractère des constructions avoisinantes.

11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Libourne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a fait droit à la demande de M. B... et de la société Gambetta 2020.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Libourne une somme de 1 500 euros à verser à M. B... et à la société Gambetta 2020 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des demandeurs, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par la commune de Libourne pour les besoins du litige.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de Libourne est rejetée.

Article 2 : La commune de Libourne versera à M. B... et à la société Gambetta 2020 la somme commune de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Libourne, à la société Gambetta 2020 et à M. A... B....

Délibéré après l'audience du 30 mai 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,

Mme Edwige Michaud, première conseillère,

Mme Kolia Gallier, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.

La rapporteure,

Kolia GallierLa présidente,

Christelle Brouard-Lucas

La greffière,

Marion Azam Marche

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX03153 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03153
Date de la décision : 20/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BROUARD-LUCAS
Rapporteur ?: Mme Kolia GALLIER
Rapporteur public ?: M. KAUFFMANN
Avocat(s) : CABINET LEXIA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-20;22bx03153 ?
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