Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 23 septembre 2022, la société Distribution Casino France, représentée par Me Bolleau, demande à la cour :
1°) d'annuler l'arrêté du 15 février 2022 par lequel le maire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac a délivré à la société Saint-Sulpice Distribution un permis de construire, valant autorisation d'exploitation commerciale, en vue de l'extension d'un hypermarché, ainsi que la décision implicite par laquelle le maire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac a implicitement rejeté son recours gracieux formé à l'encontre du permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale du 15 février 2022 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac et de l'Etat la somme de 1 500 euros chacun en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- l'avis de la commission nationale de l'aménagement commercial (CNAC) a été rendu en méconnaissance des dispositions des articles R. 752-35 et R. 752-36 du code de commerce dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les membres de cette commission auraient reçu communication des dossiers et de l'ensemble des pièces exigées par l'article R. 752-35 du code de commerce et que les avis des ministres chargés du commerce et de l'urbanisme auraient été signés par des personnes dûment habilitées ;
- l'avis de la CNAC a été rendu sur la base d'un dossier incomplet, en particulier en ce qui concerne l'évaluation des flux journaliers de circulation des véhicules générés par le projet, et ce en méconnaissance des dispositions de l'article R. 752-6 du code de commerce ;
- le projet autorisé n'est pas compatible avec les orientations du schéma de cohérence territoriale de l'aire métropolitaine bordelaise dès lors qu'il n'est pas inclus dans une opération de mixité fonctionnelle comprenant de l'habitat, méconnaissant de ce fait les dispositions de l'article L. 752-6 du code de commerce ;
- le projet aura un impact négatif pour les petits commerces de la zone de chalandise ;
- le projet aura un impact négatif sur les flux de circulation d'ores et déjà très empruntés ; l'accès au site pour les véhicules de livraison est dangereux ;
- le projet conduit à réduire la surface d'espaces verts et à augmenter la surface de plancher, et donc à une artificialisation des sols ; le projet s'avère ainsi contraire à l'objectif de consommation économe de l'espace et à la loi dite " climat et résilience " ;
- la qualité environnementale du projet est insuffisante, notamment compte-tenu de l'absence d'amélioration de l'isolation du bâtiment existant et d'un système de récupération des eaux pluviales ;
- la qualité architecturale et paysagère du projet est insuffisante ;
- la pétitionnaire n'a conclu aucune entente avec les producteurs locaux.
Par un mémoire, enregistré le 6 janvier 2023, la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac, représentée par Me Laveissière, conclut à l'irrecevabilité de la requête, en tout état de cause, à son rejet au fond, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Distribution Casino France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que la société Distribution Casino France est tardive ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par des mémoires, enregistrés les 24 février 2023 et 26 décembre 2023, la société Saint-Sulpice Distribution, représentée par Me Demaret, conclut à l'irrecevabilité de la requête, en tout état de cause, à son rejet au fond, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Distribution Casino France sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable dès lors que la société Distribution Casino France est forclose ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;
Par un mémoire distinct, enregistré le 26 décembre 2023, la société Saint-Sulpice Distribution demande à la cour, sur le fondement des dispositions de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme, de condamner la société Distribution Casino France à lui verser une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices causés par le recours abusif qu'elle a initié, et à ce qu'une somme de 1 000 euros soit mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Edwige Michaud,
- les conclusions de M. Michaël Kauffmann, rapporteur public,
- les observations de Me Girard, représentant la société Distribution Casino France, de Me Laveissière, représentant la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac et de Me Pensalfini, représentant la société Saint-Sulpice Distribution.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 15 février 2022, le maire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac a délivré à la société Saint-Sulpice Distribution un permis de construire, valant autorisation d'exploitation commerciale, en vue de l'extension d'un hypermarché. La société Distribution Casino France a formé un recours gracieux à l'encontre de cet arrêté. Une décision implicite de rejet est née du silence gardé par le maire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac sur ce recours gracieux. Par la présente requête, la société Distribution Casino France demande l'annulation de l'arrêté du 15 février 2022 et de la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L.600-1-2 du code de l'urbanisme : " Une personne autre que l'Etat, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation. / Le présent article n'est pas applicable aux décisions contestées par le pétitionnaire. ". Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ". Aux termes de l'article R. 424-15 du même code : " Mention du permis (...) doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté (...) pendant toute la durée du chantier. (...) / Cet affichage mentionne également l'obligation, prévue à peine d'irrecevabilité par l'article R. 600-1, de notifier tout recours administratif ou tout recours contentieux à l'auteur de la décision et au bénéficiaire du permis ou de la décision prise sur la déclaration préalable (...) ". Aux termes de l'article L. 752-17 du code de commerce : " I. - Conformément à l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, le demandeur, le représentant de l'Etat dans le département, tout membre de la commission départementale d'aménagement commercial, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour chaque projet, est susceptible d'être affectée par le projet ou toute association les représentant peuvent, dans le délai d'un mois, introduire un recours devant la Commission nationale d'aménagement commercial contre l'avis de la commission départementale d'aménagement commercial. (...). ".
3. La décision unique par laquelle l'autorité compétente octroie un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, d'une part par les personnes mentionnées au I de l'article L. 752-17 du code de commerce, au nombre desquelles figurent notamment les professionnels dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci et, d'autre part, par les personnes mentionnées à l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme, au nombre desquelles figurent notamment celles pour lesquelles la construction est de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elles détiennent ou occupent régulièrement. En outre, les professionnels mentionnés au I de l'article L. 752-17 du code de commerce sont des tiers au sens des dispositions de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme. Ils bénéficient d'une information sur l'existence de la demande de permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale en raison, notamment, de la publicité donnée à la décision de la commission départementale d'aménagement commercial en application des dispositions de l'article R. 752-30 du code de commerce. Ainsi, bien qu'ils ne soient pas nécessairement voisins du projet, le délai de recours contentieux à l'encontre du permis court à leur égard, comme pour tout permis de construire, à compter de la date prévue par les dispositions citées ci-dessus de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme.
4. Par un arrêté du 15 février 2022, notifié le 19 février 2022, le maire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac a délivré à la société Saint-Sulpice Distribution un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale pour l'extension d'un ensemble commercial d'une surface de vente actuelle de 4 012 m², par l'extension de 360 m² de surface de vente d'un hypermarché " Super U " " d'une surface de vente actuelle de 2 645 m², portant la surface de vente totale de l'ensemble commercial de 4 012 m² à 4 372 m². Il ressort des pièces du dossier, et notamment du procès-verbal de constat établi par un huissier de justice s'étant rendu sur les lieux les 2 mars, 4 avril et 4 mai 2022, qu'un panneau comportant l'ensemble des mentions relatives à ce permis de construire et conforme aux dispositions précitées du code de l'urbanisme a été apposé à tout le moins dès le 2 mars 2022 et pendant une période continue de deux mois à l'entrée du magasin objet des travaux projetés, situé 17 place Maucaillou à Saint-Sulpice-et-Cameyrac. Il ressort également des constats d'huissier ainsi que des photographies produites, qui ne sont contredits par aucun élément du dossier, que ce panneau était parfaitement visible depuis la voie publique. Cet affichage répondant de manière suffisante aux conditions posées par les dispositions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, le délai de recours contre l'arrêté du 15 février 2022 en litige a expiré le 3 mai 2022. En outre, la société Distribution Casino France, qui est un professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci au sens des dispositions précitées du I de l'article L. 752-17 du code de commerce, avait nécessairement connaissance de la demande de permis de construire présentée par son concurrent avant la date de délivrance du permis de construire pour avoir elle-même saisi la CNAC le 4 octobre 2021. Dans ces conditions, le recours gracieux formé par la société Distribution Casino le 24 mai 2022 à l'encontre du permis de construire attaqué n'a pas été de nature à proroger le délai de recours contentieux. Par suite, les conclusions de la société Distribution Casino France tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 février 2022 du maire de Saint-Sulpice-et-Cameyrac, enregistrées au greffe de la cour le 23 septembre 2022, sont tardives et donc irrecevables.
5. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Distribution Casino France doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées par la société Saint-Sulpice Distribution au titre des dispositions de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme :
6. Aux termes de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme : " Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. ".
7. Dans la mesure où la société Distribution Casino France dispose d'un intérêt à agir pour demander l'annulation du projet litigieux en tant que professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise définie pour le projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci, il ne résulte pas de l'instruction que son recours aurait été mis en œuvre dans des conditions traduisant un comportement abusif de sa part au sens des dispositions précitées de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme. En outre, la circonstance que la société requérante ait maintenu sa requête pourtant tardive alors que le magasin qu'elle exploitait sur le territoire de la commune d'Izon a changé d'enseigne depuis le 16 octobre 2023 ne permettent pas davantage de regarder le recours formé en l'espèce comme abusif au sens des dispositions de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme précitées. Par suite, les conclusions présentées par la société Saint-Sulpice Distribution tendant à l'application de ces dispositions doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac et de l'État, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que la société Distribution Casino France demande au titre des frais qu'elle a exposés à l'occasion de cette instance.
9. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Distribution Casino France une somme de 1 500 euros, à verser à la société Saint-Sulpice Distribution, et une somme du même montant à verser à la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac en application de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Distribution Casino France est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Saint-Sulpice Distribution au titre de l'article L. 600-7 du code de l'urbanisme sont rejetées.
Article 3 : La société Distribution Casino France versera une somme de 1 500 euros à la société Saint-Sulpice Distribution et une somme de 1 500 euros à la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Distribution Casino France, à la société Saint-Sulpice Distribution, à la commune de Saint-Sulpice-et-Cameyrac ainsi qu'au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au président de la commission nationale d'aménagement commercial.
Délibéré après l'audience du 30 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Jean-Claude Pauziès, président,
Mme Christelle Brouard-Lucas, présidente-assesseure,
Mme Edwige Michaud, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.
La rapporteure,
Edwige MichaudLe président,
Jean-Claude Pauziès
La greffière,
Marion Azam Marche
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX02532