La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/06/2024 | FRANCE | N°22BX02800

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 18 juin 2024, 22BX02800


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lui a infligé la sanction de révocation.



Par un jugement n° 2100421 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté cette demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 30 octobre 2022 et un mémoire d

u 21 mars 2023, M. B..., représenté par Me Koraitem, demande à la cour :



1°) d'annuler ce jugement du tribuna...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lui a infligé la sanction de révocation.

Par un jugement n° 2100421 du 22 septembre 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 octobre 2022 et un mémoire du 21 mars 2023, M. B..., représenté par Me Koraitem, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe du 22 septembre 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lui a infligé la sanction de révocation ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture de procéder à sa réintégration dans ses fonctions et à la reconstitution rétroactive de sa carrière, dans un délai quinze jour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

Il soutient que :

- le conseil de discipline s'est réuni en conférence audiovisuelle en méconnaissance de l'article 32 bis du décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- l'auteur de la sanction en litige ne disposait pas d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- la sanction en litige est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits ainsi que d'une erreur concernant leur matérialité, et elle présente un caractère disproportionné.

Par un mémoire enregistré le 12 février 2024, le ministre en charge de l'agriculture conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 décembre 2022.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 82-451 du 28 mai 1982 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- décret n° 2008-636 du 30 juin 2008 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., professeur certifié de l'enseignement agricole, était affecté au lycée d'enseignement général et technologique agricole de la Guadeloupe depuis le 1er septembre 1996. Par des arrêtés des 26 mai 2015, 31 juillet 2015 et 19 octobre 2015, il a été suspendu à titre conservatoire, d'abord pour une durée de deux mois puis jusqu'à la fin de la procédure pénale initiée à son encontre. Par un arrêt de la cour d'appel de Basse-Terre du 30 juin 2020 devenu définitif, il a été condamné à 6 mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à des peines complémentaires d'interdiction d'exercer la profession d'enseignant pendant 3 ans, et d'interdiction définitive d'exercer une activité en rapport avec des mineurs. Par un arrêté du 3 mars 2021, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation lui a infligé la sanction de révocation. M. B... relève appel du jugement du 22 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette sanction.

2. En premier lieu, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement dispose : " A compter du jour suivant la publication au Journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions (...), peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité: (...) 7° Les secrétaires généraux des ministères ". En application de l'article 2 du décret du 30 juin 2008 fixant l'organisation de l'administration centrale du ministère chargé de l'agriculture, de l'alimentation, de l'agroalimentaire et de la forêt : " Le secrétaire général dirige les activités des services suivants :/[...] d) Le service des ressources humaines ; (...) IV. - Le service des ressources humaines élabore et met en œuvre la politique de gestion des ressources humaines. Il anime et coordonne la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Il assure le pilotage de la gestion des carrières et du suivi individualisé des agents. (...) "

3. L'arrêt portant révocation de M. B... a été signé par Mme C... E.... Celle-ci a été nommée secrétaire générale du ministère de l'agriculture et de l'alimentation par décret du Président de la République du 5 décembre 2018 publié au Journal officiel de la République française du 6 décembre 2018. Par suite, il résulte des dispositions précitées que l'appelant n'est pas fondé à soutenir que Mme E... n'était pas compétente pour signer l'arrêt en litige.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article 32 bis du décret du 28 mai 1982 relatif aux commissions administratives paritaires, dans sa version alors en vigueur : " I. En cas d'urgence ou de circonstances particulières, et, dans ce dernier cas, sauf opposition de la majorité des membres représentants du personnel, le président de la commission peut décider qu'une réunion sera organisée par conférence audiovisuelle, ou à défaut téléphonique, sous réserve qu'il soit techniquement en mesure de veiller, tout au long de la séance, au respect des règles posées en début de celle-ci, afin que : 1° N'assistent que les personnes habilitées à l'être. Le dispositif doit permettre l'identification des participants et le respect de la confidentialité des débats vis-à-vis des tiers ; 2° Chaque membre siégeant avec voix délibérative ait la possibilité de participer effectivement aux débats. / Sous réserve de l'accord exprès du fonctionnaire concerné, la tenue d'une commission en matière disciplinaire peut être exceptionnellement autorisée selon les modalités prévues aux alinéas précédents et dans le respect des dispositions du décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ; (...) ". Par ailleurs, en application de de l'article 3 du décret du 25 octobre 1984 relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire poursuivi peut présenter devant le Conseil de discipline des observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix. ".

5. Un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de celle-ci ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

6. Il résulte de l'instruction que M. B... a été informé, par un courrier du 23 décembre 2020, que la commission de discipline se réunirait à Paris le 26 janvier 2021 pour émettre un avis concernant une éventuelle sanction à son encontre et qu'il pouvait participer à cette réunion ou s'y faire représenter. Par une lettre datée du 10 janvier 2021, M. B... a alors adressé des observations détaillées à cette commission. Par un second courrier du 18 janvier 2021, la commission de discipline a informé M. B... qu'en raison du contexte sanitaire et de l'éloignement de son lieu de résidence, la séance disciplinaire pouvait, sous réserve de son accord exprès, se tenir en visio-conférence. Cette lettre a été complétée par un courriel aux mêmes fins précisant qu'en cas d'impossibilité de se connecter à internet, des moyens techniques seraient mis à sa disposition dans les locaux du rectorat de la Guadeloupe. M. B... n'a donné suite ni à cette lettre ni à ce courriel, et si l'administration produit un second courriel dont il ressort que l'intéressé aurait donné son accord par oral pour la tenue d'une réunion en visio-conférence en précisant qu'il renonçait à assister à cette réunion, cette pièce, dont la véracité est fermement contestée par l'appelant, ne permet pas à elle seule de considérer que celui-ci aurait effectivement donné son accord de façon expresse pour que la réunion se tienne en visio-conférence. Enfin, il ressort des écritures en défense que cette réunion s'est effectivement déroulée, en visio-conférence au format comodal.

7. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que la commission s'est réunie à l'issue d'une procédure irrégulière. Toutefois, il n'a pas manifesté, en particulier dans sa lettre du 10 janvier 2021, son intention de se présenter ou de se faire représenter devant la commission de discipline et il ressort au contraire des pièces du dossier, notamment des écritures de l'appelant que, pour des raisons financières, il n'envisageait ni de se rendre à Paris ni de s'assurer des services d'un avocat pour le représenter. Par suite, cette irrégularité ne l'a pas privé, en l'espèce, d'une garantie et n'a pas davantage été susceptible d'exercer une influence sur la décision prise à son encontre.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article 66 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / Quatrième groupe : / (...) la révocation ".

9. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes, et non, contrairement à ce que soutient M. B..., de rechercher si une autre sanction aurait été plus adaptée.

10. L'autorité de la chose jugée au pénal ne s'impose aux autorités et juridictions administratives qu'en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions. En l'occurrence, il ressort de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Basse-Terre le 30 juin 2020 que M. B... a tenu publiquement et à plusieurs reprises des propos à caractère sexuel à l'encontre d'au moins une de ses élèves entre le 1er septembre 2013 et le 30 avril 2015, qu'une procédure de sanction avait été initiée à son encontre en 2010 pour des faits du même ordre et que ce comportement délictuel présentait un caractère de constance associé à une rigidité et une absence de remise en cause justifiant que des peines complémentaires soient prononcées.

11. En outre, il résulte de l'instruction, notamment du rapport établi à la suite de l'inspection pédagogique effectuée du 22 au 26 juin 2015, que les propos répétés et réguliers à caractère sexuel et sexiste tenus par M. B... ont indisposé la majorité des élèves placés sous son autorité et sous sa responsabilité, quand-bien même un certain nombre d'entre eux ont témoigné qu'à leurs yeux, ces remarques n'avaient présenté qu'un caractère bénin. Enfin, l'appelant ne conteste pas avoir négocié l'obtention " d'avantages personnels de la part d'élèves " et avoir ostracisé et brimé les élèves qui n'acceptaient pas ce mode de fonctionnement.

12. Dès lors, la matérialité de l'ensemble des faits fondant la décision litigieuse est établie et M. F... ne peut utilement faire valoir qu'il a été relaxé s'agissant d'autres faits pour lesquels il était initialement poursuivi devant la juridiction répressive.

13. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l'appelant, le ministre de l'agriculture n'a pas commis d'erreur en qualifiant de harcèlement sexuel les faits rappelés au point 10.

14. Dans ces conditions, compte tenu de la gravité de ces faits, de l'atteinte qu'ils portent à l'image de la fonction publique et du personnel enseignant en particulier, ainsi qu'à leur incompatibilité avec l'exercice de la profession d'enseignant et de toute activité en rapport avec des mineurs, l'appelant n'est pas fondé à soutenir que la sanction de révocation prise à son encontre serait disproportionnée à l'égard des fautes qu'il a commises, nonobstant son ancienneté dans ses fonctions et l'absence de sanction disciplinaire antérieure.

15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de sa révocation. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M A... B... et au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire.

Délibéré après l'audience du 28 mai 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 juin 2024.

.

Le rapporteur,

Manuel D...

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22BX02800 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02800
Date de la décision : 18/06/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : KORAITEM

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-18;22bx02800 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award