Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 16 août 2023 par lequel le préfet des Hautes-Pyrénées lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2302339 du 27 novembre 2023, la présidente du tribunal administratif de Pau, statuant sur le fondement de l'article L. 614-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 décembre 2023, Mme B..., représentée par Me Ducoin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 27 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 16 août 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Hautes-Pyrénées de lui remettre une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) à titre subsidiaire, de suspendre l'exécution de l'arrêté préfectoral jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) se soit prononcée, et de la munir d'une attestation de demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été précédée d'un examen particulier de sa situation personnelle, et le préfet s'est senti à tort lié par la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;
- la décision est intervenue au terme d'une procédure qui a méconnu son droit à être entendue, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors qu'elle se maintient en France en raison des persécutions qu'elle a subies en Albanie dans le cadre d'un mariage forcé et qui ont justifié une ordonnance de protection en Allemagne ; elle présente des éléments sérieux de nature à remettre en cause la décision de l'OFPRA ;
- la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 3 de la convention européenne, compte tenu des risques de persécutions qu'elle encourt de la part de sa famille et de l'ostracisme dont elle ferait l'objet en tant que femme isolée ; il est établi que les femmes victimes de violences conjugales ont des difficultés à accéder à la justice ;
- les éléments qu'elle produit au soutien de sa demande d'annulation de la décision de l'OFPRA justifient qu'il soit sursis à l'exécution de la mesure d'éloignement le temps que la cour nationale du droit d'asile se prononce, d'autant que cette dernière l'a convoquée à une audience et n'a pas rejeté son recours par ordonnance comme elle l'aurait fait s'il était manifestement infondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2024, le préfet des
Hautes-Pyrénées conclut au rejet de la requête, en s'en remettant à ses écritures de première instance.
Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er février 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Olivier Cotte a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante albanaise née le 7 juillet 1993, est entrée régulièrement en France le 11 octobre 2012, sous couvert d'un passeport en cours de validité. Le 18 novembre 2022, elle a sollicité l'asile. L'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande par une décision du 28 juillet 2023. Par un arrêté du
16 août 2023, le préfet des Hautes-Pyrénées lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B... relève appel du jugement du 27 novembre 2023 par lequel la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral :
2. Mme B... reprend en appel les moyens qu'elle avait déjà invoqués en première instance, tirés de l'insuffisante motivation de la décision, du défaut d'examen particulier de sa situation, de l'erreur de droit commise par le préfet à s'être estimé en situation de compétence liée à la suite de la décision de rejet de la demande d'asile par l'OFPRA et de la méconnaissance de son droit à être entendue. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Pau aux points 3 et 5 de son jugement.
3. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
4. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... était présente en France, à la date de l'arrêté attaqué, depuis un peu moins de 10 mois. Si elle y séjourne avec ses trois enfants mineurs nés en 2011, 2014 et 2016, elle n'y dispose d'aucun autre membre de sa famille et ne démontre pas avoir noué des liens particuliers sur le territoire. Si elle fait valoir qu'elle encourt des risques pour sa sécurité en Albanie, où elle a été victime d'un mariage forcé et de violences intrafamiliales, cette circonstance n'est pas de nature à lui ouvrir un droit au séjour, pas plus que celle tirée de ce qu'elle présenterait des éléments de nature à remettre en cause la décision prise par l'OFPRA. Eu égard à la durée et aux conditions de son séjour, justifié par l'instruction de sa demande d'asile, la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Le préfet des Hautes-Pyrénées n'a ainsi pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Eu égard à ce qui vient d'être dit, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi serait illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
6. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
7. Mme B... soutient encourir des risques pour sa sécurité en cas de retour en Albanie. Elle affirme avoir été victime d'un mariage forcé en août 2011 et avoir été contrainte de suivre son époux en Allemagne en 2013 avant que le couple ne rentre en Albanie en 2017. Selon ses dires, elle serait parvenue à quitter son mari lorsqu'ils résidaient en Allemagne et à obtenir une ordonnance de protection en janvier 2015, mais, de peur de se voir retirer la garde de ses enfants, elle serait retournée vivre avec lui. Elle l'aurait quitté à son retour en Albanie et a obtenu le divorce en juin 2020. Elle aurait subi des violences intrafamiliales et serait menacée par son ex-époux et sa belle-famille depuis la séparation. Elle ajoute qu'elle est victime d'ostracisme en raison de sa situation de femme isolée.
8. Si les violences conjugales dont Mme B... fait état paraissent crédibles en raison des documents produits à l'appui de sa demande d'asile et de l'attestation d'un centre d'accueil pour femmes indiquant qu'elle y a été hébergée en février et mars 2015, il ressort de ses propres dires qu'elle a, par la suite, obtenu le divorce en Albanie en juin 2020 et était, à cette date, séparée de son époux depuis trois ans. Elle a pu vivre à compter de 2017 de manière indépendante en ouvrant un salon de coiffure et un magasin de prêt-à-porter. Son allégation relative à l'actualité de ses craintes en cas de retour dans son pays d'origine n'est pas assortie de précisions suffisantes, et les documents à caractère général qu'elle mentionne dans ses écritures sur la situation des femmes en Albanie, et notamment des femmes isolées, ne suffisent pas à établir la réalité de craintes personnelles de mauvais traitements. Mme B... ne démontre pas davantage ne pas être en mesure de bénéficier de la protection des autorités, alors que, comme l'a relevé l'OFPRA dans sa décision du 28 juillet 2023, l'intéressée a obtenu, le 18 août 2017, une ordonnance de protection des autorités judiciaires de Kurbin. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
Sur les conclusions à fin de suspension de l'exécution de la mesure d'éloignement :
9. Aux termes de l'article L. 752-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont le droit au maintien sur le territoire a pris fin en application des b ou d du 1° de l'article L. 542-2 et qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions prévues à la présente section, demander au tribunal administratif la suspension de l'exécution de cette décision jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile ou, si celle-ci est saisie, soit jusqu'à la date de la lecture en audience publique de la décision de la cour, soit, s'il est statué par ordonnance, jusqu'à la date de la notification de celle-ci ".
10. Il est fait droit à la demande de suspension de la mesure d'éloignement si le juge a un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet ou d'irrecevabilité opposée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à la demande de protection, au regard des risques de persécutions allégués ou des autres motifs retenus par l'Office. A l'appui de ses conclusions à fin de suspension, le requérant peut se prévaloir d'éléments apparus et de faits intervenus postérieurement à la décision de rejet ou d'irrecevabilité de sa demande de protection ou à l'obligation de quitter le territoire français, ou connus de lui postérieurement.
11. Les seules circonstances que la cour nationale du droit d'asile a décidé d'examiner le recours de Mme B... au cours d'une audience publique ou que Mme B... présente des éléments de nature à établir qu'elle a bénéficié d'une protection des autorités allemandes en 2015 du fait de violences conjugales ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet opposée par l'OFPRA à la demande de protection de Mme B....
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que Mme B... et son conseil demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet des Hautes-Pyrénées.
Délibéré après l'audience du 21 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Luc Derepas, président,
Mme Catherine Girault, présidente,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
Le président,
Luc Derepas
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX03178