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04/06/2024 | FRANCE | N°22BX01755

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 04 juin 2024, 22BX01755


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société d'exploitation de la distillerie Bielle, a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler d'une part, le titre de recette émis à son encontre par l'Office de l'eau de la Guadeloupe le 16 décembre 2020 en vue du recouvrement de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique qui a été émis à son encontre au titre de l'année 2019 pour un montant de 80 644 euros, d'autre part, le courrier du 1er juillet 2021 de l'Office de l'eau de la Guad

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société d'exploitation de la distillerie Bielle, a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler d'une part, le titre de recette émis à son encontre par l'Office de l'eau de la Guadeloupe le 16 décembre 2020 en vue du recouvrement de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique qui a été émis à son encontre au titre de l'année 2019 pour un montant de 80 644 euros, d'autre part, le courrier du 1er juillet 2021 de l'Office de l'eau de la Guadeloupe portant application de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique d'un montant de 71 585 euros au titre de l'année 2020, ainsi que la décision du 31 août 2021 rejetant son recours gracieux.

Par un jugement n° 2100152, 2101284 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre de recette d'un montant de 80 644 euros, émis le 16 décembre 2020 par l'Office de l'eau de la Guadeloupe et rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 30 juin et 30 décembre 2022, la société d'exploitation de la distillerie Bielle, représentée par Me Maître, demande à la cour :

1°) d'annuler l'article 2 du jugement du 5 mai 2022 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) de prononcer la décharge des sommes mises à sa charge au titre des redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique pour les années 2019 et 2020 ;

3°) de mettre à la charge de l'Office de l'eau de la Guadeloupe la somme de 5 000 euros, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- le tribunal s'est uniquement prononcé sur l'annulation du titre de recette émis au titre de la redevance de l'année 2019 sans statuer sur les moyens relatifs à la décharge de la somme correspondante ; le jugement est insuffisamment motivé ;

S'agissant du bien-fondé du jugement :

- le courrier du 1er juillet 2021 portant application de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre de l'année 2020 est insuffisamment motivé en droit et en fait s'agissant des modalités de calcul de la redevance ;

- elle n'est pas redevable de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique dès lors qu'il n'est pas démontré que la distillerie rejette des effluents dans un milieu naturel ; la doline, dispositif imperméable au milieu naturel, fait partie intégrante d'un mécanisme de traitement des eaux usées ; l'exploitation n'entraîne aucun rejet de polluants directement dans un milieu naturel ;

- les montants des redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques et au principe pollueur-payeur, dès lors qu'ils ont été fixés par un mode de calcul théorique inadapté à l'activité de la distillerie.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 1er décembre 2022 et 3 mars 2023, l'Office de l'eau de la Guadeloupe, représenté par Me Bertrand, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, à titre subsidiaire, par la voie de l'appel incident à l'annulation du jugement n° 2100152, 2101284 du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Guadeloupe en tant qu'il a annulé le titre de recette exécutoire n° 130, du bordereau 34 émis le 16 décembre 2020 et à ce que soit mise à la charge de la société appelante la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les conclusions tendant à la décharge des sommes correspondant aux redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre des années 2019 et 2020, pour être soulevées pour la première fois en appel sont irrecevables ;

- le titre de recette exécutoire n° 130, du bordereau 34 émis le 16 décembre 2020 a été signé électroniquement par le directeur, M. A... ;

- les moyens soulevés par la société d'exploitation de la distillerie Bielle ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 6 mars 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 28 mars 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- l'arrêté du 27 juin 2007 portant application de l'article D. 1617-23 du code général des collectivités territoriales relatif à la dématérialisation des opérations en comptabilité publique ;

- l'arrêté du 21 décembre 2007 relatif aux modalités d'établissement des redevances pour pollution de l'eau et pour modernisation des réseaux de collecte ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Bénédicte Martin,

- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,

- les observations de Me Pinot, représentant la société d'exploitation de la distillerie Bielle, et de Me Bertrand, représentant l'Office de l'eau de la Guadeloupe.

Une note en délibéré présentée par la société d'exploitation de la distillerie Bielle a été enregistrée le 17 mai 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 22 novembre 2005, le préfet de la région Guadeloupe a autorisé la société d'exploitation de la distillerie Bielle à exploiter une distillerie de rhum agricole dans la commune de Grand Bourg de Marie-Galante, activité relevant de la rubrique n° 2250 de la nomenclature des installations classées. Par deux courriers des 8 décembre 2020 et 1er juillet 2021, l'Office de l'eau de la Guadeloupe, établissement public local administratif rattaché au département, a soumis la société au paiement de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre des années 2019 et 2020, d'un montant respectif de 80 644 euros et de 71 585 euros et émis un titre exécutoire de 80 644 euros le 16 décembre 2020 au titre de l'année 2019. La société d'exploitation de la distillerie Bielle a, d'une part, contesté par courrier du 8 février 2021 la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique pour l'année 2019 et d'autre part, formé un recours gracieux le 23 août 2021 contre l'application de cette redevance pour l'année 2020, lequel a été rejeté par l'Office de l'eau de la Guadeloupe par courrier du 31 août 2021. Par jugement du 5 mai 2022, le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre de recette émis le 16 décembre 2020. La société d'exploitation de la distillerie Bielle relève appel du jugement du 5 mai 2022 en tant que le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté le surplus de ses conclusions. Par la voie de l'appel incident, l'Office de l'eau de la Guadeloupe, qui conclut au rejet de la requête, demande l'annulation du jugement du 5 mai 2022 en tant qu'il a annulé le titre exécutoire émis le 16 décembre 2020.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, l'annulation d'un titre exécutoire pour un motif de régularité en la forme n'implique pas nécessairement, compte tenu de la possibilité d'une régularisation par l'administration, l'extinction de la créance litigieuse, à la différence d'une annulation prononcée pour un motif mettant en cause le bien-fondé du titre. Il en résulte que, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l'annulation d'un titre exécutoire, des conclusions à fins de décharge de la somme correspondant à la créance de l'administration, il incombe au juge administratif d'examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens qui seraient de nature à justifier le prononcé de la décharge mais retient un moyen mettant en cause la régularité formelle du titre exécutoire, le juge n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre. Statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande de décharge de la somme litigieuse. Si le jugement est susceptible d'appel, le requérant est recevable à en relever appel en tant qu'il n'a pas fait droit à sa demande de décharge. Il appartient alors au juge d'appel, statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, de se prononcer sur les moyens, soulevés devant lui, susceptibles de conduire à faire droit à cette demande.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges que, par la requête enregistrée sous le n° 2100152, la société d'exploitation de la distillerie Bielle a saisi le tribunal de conclusions tendant à l'annulation " dans toutes ses dispositions " du titre exécutoire comportant un avis des sommes à payer n° 130 en date du 16 décembre 2020. Le tribunal a joint cette requête à celle enregistrée sous le n° 2101284, présentée par la même société, tendant à l'annulation de la lettre du 1er juillet 2021 par laquelle l'Office de l'eau de la Guadeloupe a fait application de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique pour l'année 2020, ainsi que de la décision en date du 31 août 2021 rejetant son recours gracieux formé le 23 août 2021 contre cette lettre, et a regardé la société requérante comme demandant la décharge des redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique mises à sa charge au titre des années 2019 et 2020. Il ressort des énonciations du point 5 du jugement contesté que pour annuler le titre de perception, le tribunal a retenu uniquement un moyen mettant en cause la régularité formelle de l'acte, tiré de la méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, lequel n'impliquait pas nécessairement de prononcer la décharge définitive de la somme contestée. En statuant ainsi, le tribunal a nécessairement écarté l'ensemble des moyens relatifs au bien-fondé du titre exécutoire que la requérante invoquait à l'appui de sa demande de décharge de cette somme, dès lors que le juge n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler le titre. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement doit être écarté.

4. En second lieu, l'appréciation portée sur les moyens présentés devant le premier juge relève du bien fondé et non de la régularité du jugement.

5. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'irrégularité du jugement doit être écarté.

Sur la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre de l'année 2020 :

6. Aux termes de l'article L. 213-10-1 du code de l'environnement : " Constituent les redevances pour pollution de l'eau, d'une part, une redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique et, d'autre part, une redevance pour pollution de l'eau d'origine domestique. " et aux termes de l'article L. 213-10-2 du même code : " I. Toute personne, (...), dont les activités entraînent le rejet d'un des éléments de pollution mentionnés au IV dans le milieu naturel directement ou par un réseau de collecte, est assujettie à une redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique. / II. L'assiette de la redevance est la pollution annuelle rejetée dans le milieu naturel égale à douze fois la moyenne de la pollution moyenne mensuelle et de la pollution mensuelle rejetée la plus forte. Elle est composée des éléments mentionnés au IV. (...) / Elle est déterminée directement à partir des résultats du suivi régulier de l'ensemble des rejets, le dispositif de suivi étant agréé et contrôlé par un organisme mandaté par l'agence de l'eau. Toutefois, lorsque le niveau théorique de pollution lié à l'activité est inférieur à un seuil défini par décret ou que le suivi régulier des rejets s'avère impossible, l'assiette est déterminée indirectement par différence entre, d'une part, un niveau théorique de pollution correspondant à l'activité en cause et, d'autre part, le niveau de pollution évitée par les dispositifs de dépollution mis en place par le redevable ou le gestionnaire du réseau collectif. /Le niveau théorique de pollution d'une activité est calculé sur la base de grandeurs et de coefficients caractéristiques de cette activité déterminés à partir de campagnes générales de mesures ou d'études fondées sur des échantillons représentatifs. /La pollution évitée est déterminée à partir de mesures effectuées chaque année, le dispositif de suivi étant agréé par l'agence de l'eau ou, à défaut, à partir de coefficients évaluant l'efficacité du dispositif de dépollution mis en œuvre. (...) ". Le point IV de cet article détermine pour chaque élément constitutif de la pollution le tarif maximum de la redevance et le seuil au-dessous duquel la redevance n'est pas due.

7. Aux termes de l'article L. 213-11 du code de l'environnement : " Les personnes susceptibles d'être assujetties aux redevances mentionnées aux articles L. 213-10-2, (...) déclarent à l'agence de l'eau les éléments nécessaires au calcul des redevances mentionnées à l'article L. 213-10 avant le 1er avril de l'année suivant celle au titre de laquelle ces redevances sont dues. Ces personnes sont les contribuables mentionnés aux articles L. 213-11-1 à L. 213-11-13. (...) " et aux termes de l'article L. 213-11-8 du même code : " Un ordre de recette émis par le directeur de l'agence et pris en charge par l'agent comptable est notifié au contribuable pour le recouvrement des redevances ainsi que des intérêts de retard et des majorations dont elles sont le cas échéant assorties. Cet ordre de recette mentionne la somme à acquitter au titre de chaque redevance, la date de mise en recouvrement, la date d'exigibilité et la date limite de paiement. ".

8. Par lettre du 1er juillet 2021, l'Office de l'eau de la Guadeloupe a informé la société d'exploitation de la distillerie Bielle qu'elle était redevable de la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre de l'année 2020 d'un montant de 71 585 euros, après avoir procédé à l'instruction de sa déclaration et l'a informée que, sauf contestation de sa part, un titre de recette lui sera adressé dans les meilleurs délais par le payeur départemental. Cette lettre, par laquelle l'administration se borne à informer la société de son intention d'émettre un titre de perception pour recouvrer la somme de 71 585 euros constitue une mesure préparatoire de ce titre, qui n'est pas susceptible de recours. Au demeurant, il ne résulte pas de l'instruction qu'un ordre de recette ait été émis au titre de l'année 2020, conformément aux dispositions précitées de l'article L. 213-11-8 du code de l'environnement. Par suite, les conclusions aux fins d'annulation de la lettre du 1er juillet 2021 présentées par la société appelante ainsi que celles dirigées contre le rejet de son recours gracieux formé le 23 août 2021 contre cette lettre sont irrecevables.

Sur la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre de l'année 2019 :

En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par les premiers juges :

9. Aux termes du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction applicable au litige : " Quelle que soit sa forme, une ampliation du titre de recettes individuel ou de l'extrait du titre de recettes collectif est adressé au redevable (...) / En application de l'article L. 111-2 et L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, le titre de recettes individuel ou l'extrait du titre de recettes collectif mentionne les nom, prénoms et qualité de la personne qui l'a émis ainsi que les voies et délais de recours. / Seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation. " et aux termes de l'article D. 1627-23 du même code : " Les ordonnateurs des organismes publics, visés à l'article D. 1617-19, lorsqu'ils choisissent de transmettre aux comptables publics, par voie ou sur support électronique, les pièces nécessaires à l'exécution de leurs dépenses ou de leurs recettes, recourent à une procédure de transmission de données et de documents électroniques, dans les conditions fixées par un arrêté du ministre en charge du budget pris après avis de la Cour des comptes, garantissant la fiabilité de l'identification de l'ordonnateur émetteur, (...)/ La signature manuscrite, ou électronique conformément aux modalités fixées par arrêté du ministre en charge du budget, du bordereau récapitulant les mandats de dépense emporte certification du service fait des dépenses concernées et attestation du caractère exécutoire des pièces justifiant les dépenses concernées. /La signature manuscrite, ou électronique conformément aux modalités fixées par arrêté du ministre en charge du budget, du bordereau récapitulant les titres de recettes emporte attestation du caractère exécutoire des pièces justifiant les recettes concernées et rend exécutoires les titres de recettes qui y sont joints (...) ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute décision prise par l'une des autorités mentionnées à l'article 1er comporte, outre la signature de son auteur, la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. ".

10. Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 27 juin 2007 portant application de l'article D. 1617-23 du code général des collectivités territoriales relatif à la dématérialisation des opérations en comptabilité publique : " I. En application de l' article D. 1617-23 du code général des collectivités territoriales, la signature électronique des fichiers de données et de documents électroniques transmis au comptable est effectuée par l'ordonnateur ou son délégataire au moyen : / - soit d'un certificat garantissant notamment son identification et appartenant à l'une des catégories de certificats visées par l'arrêté du ministre de l'économie et des finances en date du 15 juin 2012 relatif à la signature électronique dans les marchés publics (NOR : EFIM1222915A) ; / - soit du certificat de signature " DGFiP " délivré gratuitement par la direction générale des finances publiques aux ordonnateurs des organismes publics visés à l'article 1er du présent arrêté ou à leurs délégataires qui lui en font la demande./ II. Chaque organisme mentionné à l'article 1er du présent arrêté choisit de recourir à l'un ou l'autre de ces certificats énumérés au I du présent article. ". En application de l'article 1er de cet arrêté, les établissements publics des collectivités territoriales définissent les conditions de la dématérialisation des comptes ainsi que des pièces budgétaires, comptables (mandats de dépenses, titres de recettes et bordereaux les récapitulant) et justificatives intégrées à ces comptes.

11. Il résulte des dispositions citées au point 9, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures d'où les deux derniers alinéas sont issus, d'une part, que le titre de recette individuel ou l'extrait du titre de recette collectif doivent mentionner les nom, prénom et qualité de l'auteur de cette décision, de même, par voie de conséquence, que l'ampliation adressée au redevable, et d'autre part, qu'il appartient à l'autorité administrative de justifier en cas de contestation que le bordereau de titre de recette comporte la signature de cet auteur. Lorsque le bordereau est signé non par l'ordonnateur lui-même mais par une personne ayant reçu de lui une délégation de compétence ou de signature, ce sont, dès lors, les nom, prénom et qualité de cette personne qui doivent être mentionnés sur le titre de recette individuel ou l'extrait du titre de recette collectif, de même que sur l'ampliation adressée au redevable.

12. L'avis des sommes à payer du 16 décembre 2020 constitue un titre de recettes au sens de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, et comporte les nom, prénom et qualité de la personne qui l'a émis. Toutefois, contrairement à ce que soutient l'Office de l'eau de la Guadeloupe, ni le titre exécutoire, ni l'avis des sommes à payer, portant ampliation du titre de recette, ne comportent la mention " GFI/ACTUATE/GFREPTIT/28/18.12.2013 " permettant d'établir leur émission par un logiciel de traitement et la mention automatique des prénom, nom et qualité de son signataire, en vertu d'un certificat valant authentification et signature électronique délivré par l'autorité de certification des chambres de commerce et d'industrie (CCI) " Chambersign ". Si M. A..., directeur de l'Office, a été invité par courriel de la CCI du 16 décembre 2020 à retirer le certificat et à convenir, à cette fin, d'un rendez-vous auprès du bureau de la CCI de la Guadeloupe, il ne résulte pas de l'instruction qu'il aurait validé sa demande et procédé au retrait de son certificat, préalablement à l'émission le même jour du titre de recette en litige. Par conséquent, les éléments produits ne suffisent pas pour établir la réalité de la signature électronique du bordereau dématérialisé. Par suite, le moyen tiré de l'absence de validité du titre exécutoire émis le 16 décembre 2020, relatif à la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique au titre de l'année 2019, au regard des dispositions du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration, est fondé, ainsi que l'a estimé le tribunal à bon droit. Il résulte de ce qui précède que l'Office de l'eau de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de la Guadeloupe a annulé le titre de recettes en cause.

En ce qui concerne le bien-fondé de la redevance :

13. Il résulte de l'instruction que l'arrêté du préfet de la région Guadeloupe en date du 22 novembre 2005, autorisant la société appelante à exploiter la distillerie, interdit en son article 7.3 le rejet direct ou indirect d'effluents, autres que ceux dont l'épandage est autorisé par l'arrêté, dans les nappes d'eaux souterraines. L'article 7.5 dispose que l'émissaire 1, qui correspond aux eaux résiduaires (vinasse) en provenance de la colonne de distillation est rejeté dans la doline, laquelle constitue un dispositif de lagunage naturel. L'article 8.4.3 fixe les valeurs limites à ne pas dépasser en termes de concentration pour les eaux usées, s'agissant des matières en suspension totale (MES), la demande biologique en oxygène (DBO), la demande chimique en oxygène (DCO), l'azote global et le phosphore total. Au préalable, le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), dans son rapport du 24 juin 2005, avait considéré que les eaux souterraines devaient être préservées des rejets de la distillerie compte tenu de la couverture argileuse d'une épaisseur minimum supposée de 70 centimètres jusqu'aux calcaires sous-jacents. Il avait également conclu à la possibilité de rejet des effluents dans la doline sous les réserves que soit vérifié le risque d'infiltration sur les flancs de la doline à la suite d'apports liquides importants, et que soit mis en place un réseau de surveillance de la qualité des eaux souterraines permettant de s'assurer de l'absence de contamination du milieu (infiltration, faille ou débordement).

14. La société de la distillerie Bielle estime que la doline, située à plus de 200 mètres, en contrebas de l'usine, constitue un dispositif imperméable au milieu naturel et soutient n'avoir pas effectué en 2019 de rejet d'effluents dans le milieu naturel, ni produit de boues, susceptibles de faire l'objet d'une redevance de la part de l'office de l'eau de la Guadeloupe.

15. Il résulte de l'instruction que la société Caraïbes Environnement Développement a, le 11 décembre 2019, conduit une étude pour un dossier de porter à connaissance déposé par la société appelante. Cette étude faisait suite à une inspection effectuée le 4 juillet 2019 et à une mise en demeure pouvant donner lieu à un arrêté préfectoral contenant des prescriptions complémentaires. Selon cette étude, l'hypothèse de l'étanchéité de la doline qui a " toujours été avancée pour retenir la mare comme dispositif de traitement de la vinasse reste à valider pour respecter l'absence de rejet direct ou indirect dans la nappe d'eau souterraine ". La mise en place fin novembre 2019 de sondes pour suivre le niveau du plan d'eau de la doline a montré une baisse régulière de la cote du plan d'eau, qui peut être liée à plusieurs phénomènes que sont l'infiltration, l'évaporation, la transpiration par les plantes ou la succion par les berges dessiquées autour du plan d'eau. Elle en conclut qu'" il n'est pas possible d'indiquer le pourcentage de chaque composante et en particulier de dire s'il y a infiltration ". La même étude constate que si le contrôle de la qualité de l'eau du forage d'alimentation en eau potable (AEP) de Mouessant, situé directement en aval hydraulique de la doline, n'indique pas, à partir des analyses disponibles, de traces de pollution, un suivi de la qualité des eaux de ce forage devrait permettre de détecter toute pollution provenant de l'activité de la distillerie Bielle et prévoir des mesures de résorption en cas de pollution avérée. La société Caraïbes Environnement Développement complète le dossier par une note de calcul sur les flux journaliers entrant dans le système d'épuration effectuée à partir de données moyennes observées dans les distilleries agricoles " en l'absence de données récentes sur la charge organique des vinasses de la distillerie Bielle " et conclut que si la doline se comporte comme une lagune anaérobie (qui peut vivre dans un milieu privé d'air), les résultats " indiquent que le traitement dans la mare ne serait pas suffisant advenant le cas où des infiltrations étaient avérées. Il conviendrait alors de réaliser des mesures plus approfondies sur la mare et les effluents pendant toute une période de production afin de mieux comprendre son fonctionnement hydraulique ". Cette analyse des eaux et de la capacité épuratoire de la doline est l'objet de visites conduites en octobre et novembre 2019, ainsi qu'en juin 2020, dont les conclusions sont présentées dans un mémoire technique en date du 10 novembre 2020 par la société Caraïbes Environnement Développement. Cette dernière admet que les pertes par infiltration sont particulièrement difficiles à estimer mais que, par expérience, les dolines constituées d'argiles de décomposition dans les massifs calcaires (karstiques) présentent de très fortes imperméabilités, d'autant plus qu'elles ne sont jamais " curées ", et qu'elles ne présentent pas en leur sein de végétaux à port arborescent susceptibles de développer des systèmes racinaires propres à " rompre " la couche argileuse imperméable. Ces constats s'appliquent à la doline de Bielle, qui comporte une accumulation argileuse au fond d'une dépression topographique dans un massif calcaire. Elle n'a pas été curée et outre les argiles, a accumulé d'importants sédiments organiques et matières en suspension (fines organiques) provenant de la distillerie. La société Caraïbes Environnement Développement préconise, bien que la doline de Bielle assure une auto-épuration performante et naturelle des effluents de la distillerie, d'aménager un canal étanche (bétonné) largement dimensionné (au moins 80 cm à 1 m de largeur) comprenant des chicanes et obstacles à l'écoulement des eaux et effluents depuis l'usine, jusqu'à l'entrée de la doline et de mettre à profit le dénivelé pour créer des phénomènes de " cascades " propices à l'oxygénation des effluents et à la baisse de leur température avant leur arrivée dans la doline. De nouvelles mesures sont également recommandées pour confirmer l'absence de rejet de substances dans l'eau souterraine pendant l'exploitation faute pour l'expert hydrogéologique de conclure à l'étanchéité de la doline.

16. Il résulte également de l'instruction que lors d'un contrôle effectué sur site le 9 juillet 2020, le service de la police de l'eau de la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) a constaté l'absence de système de décantation ou de filtration avant rejet de la vinasse à une température d'environ 50 degrés, dans la doline, zone humide naturelle d'une surface supérieure à 10 000 m², hébergeant des espèces animales. La police de l'eau conclut à la nécessité de déposer un dossier pour autoriser le rejet de la vinasse dans une zone humide, conformément aux articles L. 214-1 et suivants du code de l'environnement relatifs à la réglementation en matière de protection de l'eau et des milieux aquatiques et marins et s'interroge sur les impacts et les incidences de l'activité sur une telle zone naturelle.

17. Dans ces conditions, compte tenu de ses conditions d'exploitation et faute d'avoir pris des mesures adaptées pour prévenir tout risque d'infiltration ou d'écoulement des polluants dans les masses d'eau souterraines, il résulte de l'instruction que la société appelante pouvait être assujettie, pour ce motif, à la redevance pour pollution de l'eau d'origine non domestique.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques et de l'article 4 de la charte de l'environnement :

18. Aux termes du IV de l'article L. 213-10-2 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) Pour chaque élément d'assiette, à l'exception des activités d'élevage, le tarif de la redevance est fixé par unité géographique cohérente définie en tenant compte : / 1° De l'état des masses d'eau ; / 2° Des risques d'infiltration ou d'écoulement des polluants dans les masses d'eau souterraines ; / 3° Des prescriptions imposées au titre de la police de l'eau ou relatives à l'eau au titre d'une autre police ; / 4° Des objectifs fixés par le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux et le schéma d'aménagement et de gestion des eaux. ".

19. Si la société appelante soutient de nouveau en appel en reprenant les mêmes arguments qu'en première instance, que les montants des redevances pour pollution de l'eau d'origine non domestique fixés par l'Office de l'eau de la Guadeloupe sont contraires, tant au principe d'égalité devant les charges publiques, qu'au principe pollueur-payeur, il y a lieu d'écarter en tout état de cause ce moyen, en ses deux branches, par adoption des motifs retenus au point 12 du jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe.

En ce qui concerne le calcul de la redevance :

20. La société appelante conteste le mode de calcul de l'assiette de la redevance au motif qu'elle n'exploite la distillerie que six mois par an et non de manière continue. Toutefois, les attestations de la direction générale des douanes et droits indirects précisant la production annuelle d'hectolitres d'alcool pur produits à partir de cannes à sucre broyées pour les périodes du 1er février au 1er aout 2019 et du 1er septembre au 31 août 2020 ne permettent pas de justifier d'une interruption de l'exploitation six mois par an, alors même que l'activité de distillation s'étend sur une période de 115 jours effectifs. Au surplus, l'arrêté préfectoral autorisant l'exploitation de la distillerie se base sur une consommation d'eau à l'année, limitée à 4 500 m3 et un débit journalier inférieur à 30 m3/j et détermine les mesures de rejet des vinasses à une fréquence mensuelle pour les paramètres MES et DBO5 et journalière pour le PCO sans limitation de durée dans l'année. Le dossier de porter à connaissance précise d'ailleurs que le site développe d'autres activités et consomme en période d'activité de la distillerie un volume journalier minimum de 48 m3/j, soit entre 9 600 m3 et 12 400 m3/an. Par suite, le moyen soulevé doit être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que la société d'exploitation de la distillerie Bielle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté le surplus de ses demandes. Les conclusions présentées par voie d'appel incident par l'office de l'eau de la Guadeloupe doivent également être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

22. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Office de l'eau de la Guadeloupe, qui n'est pas la partie tenue aux dépens, la somme réclamée par la société d'exploitation de la distillerie Bielle au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société d'exploitation de la distillerie Bielle une somme de 1 500 euros à verser à l'Office de l'eau de la Guadeloupe sur le même fondement.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société d'exploitation de la distillerie Bielle est rejetée.

Article 2 : La société d'exploitation de la distillerie Bielle versera à l'Office de l'eau de la Guadeloupe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par l'Office de l'eau de la Guadeloupe est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société d'exploitation de la distillerie Bielle et l'Office de l'eau de la Guadeloupe.

Copie en sera communiquée au préfet de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 14 mai 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 juin 2024.

La rapporteure,

Bénédicte MartinLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX01755


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01755
Date de la décision : 04/06/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Bénédicte MARTIN
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : BERTRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 09/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-06-04;22bx01755 ?
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