Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 22 mai 2023 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi, et d'enjoindre sous astreinte au préfet de lui délivrer un titre de séjour.
Par un jugement n° 2303143 du 3 octobre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 décembre 2023, M. C..., représenté par Me Georges, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de Lot-et-Garonne du 22 mai 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 80 euros par jour de retard, ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 400 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle ne mentionne pas l'accident du travail dont il a été victime le 6 janvier 2021,
dont il pourrait se prévaloir pour obtenir un titre de séjour de plein droit sur le fondement
de l'article L. 426-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de sorte qu'elle est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation, lequel est en outre caractérisé par l'absence d'insertion professionnelle qui lui est opposée à tort ;
- la motivation stéréotypée démontre que le préfet s'est estimé lié par l'avis des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- il a justifié qu'il présentait encore des séquelles de son accident du travail nécessitant le maintien d'un suivi médical, et certains des certificats produits étaient récents ; l'absence de prise en charge médicale conduirait à une altération significative de l'usage de son bras gauche, de sorte qu'elle doit être regardée comme susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité ; ainsi, il a droit à un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- si son état de santé n'est pas encore consolidé, le taux d'incapacité permanente sera nécessairement supérieur à 20 % et lui ouvrira droit à l'attribution d'une rente d'accident du travail ; en s'abstenant d'examiner sa situation au regard de l'article L. 426-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'administration a commis une erreur de droit et un détournement de procédure ;
- eu égard à la durée de son séjour en situation régulière, à son insertion professionnelle interrompue par un accident du travail et à sa maîtrise de la langue française, la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant
le pays de renvoi :
- elles sont illégales du fait de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- elles méconnaissent les stipulations de l'article 3 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que les dispositions
du 9° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'il ne pourrait bénéficier de soins appropriés dans son pays d'origine ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 février 2024, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. C... ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 novembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les observations de Me Pitel-Marie, substituant Me Georges, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité marocaine, est entré en France le 11 août 2016 sous couvert d'un visa de long séjour et s'est vu délivrer une carte de séjour pluriannuelle portant
la mention " travailleur saisonnier ", renouvelée une fois jusqu'au 11 août 2022, puis
une autorisation provisoire de séjour pour suivre des soins, valable jusqu'au 29 janvier 2023.
Le 16 janvier 2023, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé
et en qualité de travailleur saisonnier agricole. Par un arrêté du 22 mai 2023, le préfet
de Lot-et-Garonne a rejeté sa demande et a refusé de régulariser sa situation à titre exceptionnel, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 3 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la décision de refus de titre de séjour :
En ce qui concerne la légalité externe :
2. En premier lieu, la décision cite l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) du 7 avril 2023 selon lequel l'état de santé de M. C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité et permet à l'intéressé de voyager sans risque vers son pays d'origine, précise que les éléments présentés par M. C... n'établissent pas qu'il serait dans l'impossibilité de bénéficier au Maroc des soins nécessités par son état de santé et qu'aucune circonstance particulière ne justifie de s'écarter de cet avis, et conclut que l'intéressé ne peut prétendre à la délivrance de la carte de séjour temporaire prévue par l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle comporte ainsi les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement du rejet de la demande de titre de séjour présentée au titre de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et il en ressort, contrairement à ce que soutient le requérant, que le préfet ne s'est pas estimé lié par l'avis des médecins de l'OFII.
3. En deuxième lieu, lorsqu'il est saisi d'une demande de délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'une des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet n'est pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressé peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code, même s'il lui est toujours loisible de le faire à titre gracieux, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé. M. C..., qui n'a pas demandé de titre de séjour en qualité de titulaire d'une rente d'accident du travail, n'est fondé à invoquer ni un défaut de motivation, ni un défaut d'examen particulier au regard de l'accident du travail dont il a été victime le 6 janvier 2021.
4. En troisième lieu, la contestation de l'appréciation du préfet selon laquelle
M. C... ne justifie ni d'une insertion professionnelle avérée, ni d'une résidence continue suffisante pour pouvoir bénéficier d'une admission exceptionnelle au séjour au titre du travail, relève du bien-fondé du refus de titre de séjour, et non de la régularité de sa motivation.
En ce qui concerne la légalité interne :
5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...). "
6. Selon l'avis du collège de médecins de l'OFII du 7 avril 2023, l'état de santé de M. C... nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entraîner de conséquences d'une exceptionnelle gravité. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a été victime le 6 janvier 2021, dans le cadre de son travail agricole saisonnier, d'un écrasement de l'avant-bras gauche avec une fracture ouverte du radius, une contusion appuyée du nerf médian et une section des fléchisseurs, qu'il a conservé comme séquelles une atteinte neurologique sévère avec des douleurs très intenses et une impossibilité de flexion des chaînes digitales, et qu'à la date du refus de titre de séjour, les soins se limitaient à des séances de kinésithérapie et au traitement de la douleur. Si M. C... soutient qu'une absence de prise en charge médicale conduirait à une altération significative de l'usage de son bras gauche, les pièces qu'il produit, dont aucune ne fait état des conséquences éventuelles d'une absence de prise en charge, font apparaître que cette altération, constatée dès le 14 mai 2022 par le chirurgien orthopédiste qui l'a opéré le 6 janvier 2021, ne peut être améliorée par un traitement. Par suite, M. C... n'est pas fondé à se prévaloir d'un droit au séjour sur le fondement des dispositions précitées.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 426-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. " M. C..., qui admet être seulement susceptible de bénéficier à l'avenir d'une rente d'accident du travail, lorsque la consolidation de son état de santé permettra de fixer le taux de son incapacité permanente, n'a pas présenté de demande sur le fondement de ces dispositions. Ainsi qu'il a été dit au point 3, le préfet n'était pas tenu d'examiner d'office s'il pouvait prétendre à une autorisation de séjour sur un autre fondement que celui de sa demande. Par suite, les moyens tirés de ce que l'absence d'examen de la situation au regard de l'article L. 426-5 caractériserait une erreur de droit et un détournement de procédure ne peuvent qu'être écartés.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / (...). " Pour l'application des stipulations et dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
9. Si M. C... résidait régulièrement en France depuis près de sept ans à la date de la décision contestée, la carte de séjour pluriannuelle portant la mention " travailleur saisonnier " dont il a bénéficié durant six ans lui permettait seulement, en vertu des dispositions de l'article L. 421-34 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de séjourner en France pour une durée cumulée de six mois par an en maintenant sa résidence habituelle hors de France. Alors que ses parents et ses huit frères et sœurs résident au Maroc et qu'il ne se prévaut d'aucune attache personnelle ou familiale en France, l'insertion professionnelle interrompue par un accident du travail et la maîtrise de la langue française dont il se prévaut ne suffisent pas à faire regarder le refus de séjour comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations et dispositions précitées.
Sur l'obligation de quitter le territoire français et la décision fixant le pays de renvoi :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, une illégalité de la décision de refus de titre de séjour.
11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ". Dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'état de santé de M. C... nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté.
12. En troisième lieu, pour les motifs exposés au point 9, l'obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains et dégradants. " Eu égard à ce qui a été dit aux points 6 et 11, l'absence alléguée de prise en charge médicale appropriée au Maroc ne saurait caractériser une méconnaissance de ces stipulations.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du
10 juillet 1991 relative à l'aide juridique doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mai 2024.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX02985