Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... et son époux M. D... C... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux, d'une part, d'ordonner, avant dire-droit, une expertise afin
de déterminer le montant des préjudices résultant de l'intervention chirurgicale subie par Mme C... au Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Bordeaux le 12 janvier 2015 ou, à titre subsidiaire, l'existence d'un accident médical, la date de consolidation et le montant des préjudices subis par Mme C..., et, d'autre part, de condamner le CHU de Bordeaux et l'Office National d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à leur verser une indemnité provisionnelle d'un montant de 150 347,84 euros à valoir sur leur entier préjudice ou, à titre subsidiaire, la somme globale de 228 942,73 euros, assortie des intérêts au taux légal, en réparation de ces préjudices.
Par un jugement n° 1805123 du 9 juin 2020, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Par un arrêt avant dire droit n° 20BX02321 du 3 novembre 2022, la cour a ordonné une expertise.
Le rapport a été enregistré le 6 avril 2023.
Procédure devant la cour :
Par des mémoires, enregistrés les 4 mai, 7 septembre et 17 novembre 2023,
M. et Mme C..., agissant en leurs noms propres et au nom de leurs deux filles mineures, représentés par la SELARL Coubris et associés, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 juin 2020 ;
2°) de condamner le CHU de Bordeaux et l'ONIAM à leur verser les sommes
de 383 956,39 euros au titre des préjudices subis par Mme C..., de 10 347,84 euros au titre des préjudices subis par M. C... et de 5 000 euros chacune au titre des préjudices subis par leurs deux filles, assorties des intérêts au taux légal à compter de la demande préalable ;
3°) de mettre à la charge des défendeurs la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens comprenant les frais d'expertise dont Mme C... a fait l'avance à hauteur de 2 400 euros.
Ils soutiennent que :
- la responsabilité du CHU est engagée pour faute du fait d'un défaut d'information sur les alternatives envisageables, et notamment sur la possibilité de réaliser une infiltration-ponction scanno-guidée ; si l'expert écarte une telle faute, elle a déjà été retenue par la cour dans son arrêt avant dire droit, ainsi que par l'expert de la commission de conciliation et d'indemnisation et par son médecin-conseil ; la citation d'une étude ancienne ne permet pas de considérer que les infiltrations foraminales, qui sont reconnues comme étant des gestes simples, reproductibles et efficaces durablement dans 60 à 70 % des cas, présenteraient des risques considérables ; si les complications de cette chirurgie sont potentiellement graves, elles sont rares et tout aussi graves que celles de la chirurgie réalisée ; Mme C... n'a jamais été informée, contrairement à ce que retient l'expert, du risque de déshabitation des épineuses, des problèmes de tonicité musculaires en post-opératoire ni de la nécessité d'une reprise opératoire pour ablation du matériel d'ostéosynthèse, ni du fait qu'elle pourrait présenter des douleurs intenses du côté gauche, soit le côté opposé de sa douleur initiale ; elle a seulement été avertie du fait que le résultat n'était pas garanti sur la douleur qui était la sienne côté droit ; elle n'a pas davantage été informée de l'alternative consistant en une abstention chirurgicale (assortie d'une modification du traitement antalgique), évoquée par l'expert au cours des opérations ainsi que par son médecin conseil, en raison de la disproportion entre l'importance du risque chirurgical et la relative modicité de la lésion ; la perte de chance peut ainsi être qualifiée d'importante et ne saurait être inférieure à 80 % dès lors qu'il apparaît que Mme C... aurait choisi une solution moins invasive et moins délabrante, d'autant qu'il n'y avait aucune urgence à intervenir ; la circonstance qu'elle exerçait le métier de manipulatrice-radio n'exonère pas le CHU de son devoir d'information ;
- son préjudice d'impréparation en lien avec le défaut d'information doit être réparé ;
- le CHU ne démontre pas avoir recouru à la neuro-navigation qui aurait permis de sécuriser le placement des vis pédiculaires ;
- la difficulté d'ancrage des vis constitue un accident médical non fautif ;
- le lien entre les difficultés opératoires, qui ont conduit à une ostéosynthèse unilatérale, et les douleurs que Mme C... a présentées en post-opératoire est établi par les pièces médicales, notamment l'expertise et l'avis du médecin conseil ; l'expert a retenu que ces difficultés étaient à l'origine de 20 % des douleurs ressenties ;
- contrairement à ce qu'a estimé l'expert, le restant du dommage n'est pas lié au résultat incomplet de l'intervention, puisque le retrait du matériel a grandement amélioré son état et qu'aucun médecin n'a évoqué le fait que les troubles seraient en lien avec un résultat imparfait ; la contracture côté gauche n'existait pas avant l'intervention, ce qu'attestent les nombreux médecins consultés ;
- contrairement à ce que fait valoir l'ONIAM, les douleurs cervicales gauches ne s'apparentent pas à un échec thérapeutique, dès lors qu'elles n'étaient pas présentes à l'origine et que l'intervention a été un succès par rapport au but recherché, puisqu'elle a entraîné la disparition de la névralgie cervico brachiale droite ; selon son médecin conseil, la fréquence de cette difficulté d'ancrage est faible, inférieure à 5 % voire à 3 % et, s'agissant des erreurs de trajectoire, elles peuvent être évitées en ayant recours à la neuro-navigation ; le dommage est bien anormal dès lors que la survenance de cette complication à cette intensité et sur une telle durée est très rare ; le dommage remplit également la condition de gravité eu égard à la durée de son arrêt de travail, supérieur à six mois, à la nécessité de disposer d'un poste aménagé et au fait qu'elle bénéficie d'un statut de travailleur handicapé ; elle a subi des troubles graves dans ses conditions d'existence au regard des douleurs tant physiques que psychologiques ;
- le rapport d'expertise retient le 26 septembre 2019 comme date de consolidation de son état de santé ;
- le besoin d'assistance par une tierce personne a été sous-évalué par l'expert et doit être fixé à 4 heures par jour pour la période d'incapacité à 50 %, à 2 heures par jour pour la période d'incapacité à 25 % et à une heure par jour pour la période à 15 % ; sur la base d'un coût horaire de 20 euros, qui n'apparaît pas excessif au regard du tarif horaire minimal pour l'aide à domicile, fixé par arrêté du 31 décembre 2022, et une année de 413 jours, le préjudice peut être estimé à 80 110,35 euros ; l'aide ayant été apportée par son époux, elle n'a pas bénéficié de prestations devant venir en déduction ;
- elle a dû exposer des frais de 360 euros pour des séances de Pilates ;
- les pertes de revenus professionnels, correspondant à des pertes de primes, s'élèvent à 4 768,42 euros pour les années 2015 à 2017 et à 3 236,24 euros pour les années 2018 et 2019 ; si elle n'avait pas subi le dommage, elle aurait perçu ses primes, de sorte que le principe de réparation intégrale impose de l'indemniser à ce titre ;
- le déficit fonctionnel temporaire a été total pendant 43 jours et partiel à hauteur de 50 % pour la période du 17 janvier au 16 novembre 2015, de 25 % du 19 décembre 2016 au 1er janvier 2019 (sauf 3 jours d'incapacité totale) et de 15 % du 2 janvier au 25 avril 2019 ; sur la base d'une indemnisation de 30 euros par jour, le préjudice s'élève à 13 360,50 euros ; contrairement à ce que retient l'expert, il n'y a pas lieu de diminuer le taux à 20 % à compter du 8 avril 2015 dès lors qu'aucun élément de l'histoire clinique ne permet de constater une amélioration ; en outre, la reprise du travail à temps complet n'a pas d'incidence sur le taux de déficit fonctionnel dès lors qu'elle s'est effectuée sur un autre poste, purement administratif et aménagé avec un statut de travailleur handicapé, et que les douleurs sont restées les mêmes jusqu'à la nouvelle intervention chirurgicale ;
- eu égard à l'importance des douleurs physiques, de la rééducation en kinésithérapie et des douleurs psychologiques, les souffrances endurées peuvent être évaluées à 4 sur 7 et donner lieu au versement d'une somme de 16 000 euros ;
- le préjudice esthétique temporaire peut être évalué à 3 sur 7 en raison de l'importante cicatrice à l'arrière du cou, très disgracieuse et facilement visible, et donner lieu au versement de 5 000 euros ;
- postérieurement à la consolidation, les frais correspondant à ses cours de Pilates s'élèvent à 320 euros ;
- bien que dénié par l'expert judiciaire, le besoin d'assistance par une tierce personne est justifié par le fait qu'elle ne peut toujours pas réaliser certains gestes de la vie courante ; il peut être fixé à 2 heures par semaine et être indemnisé à hauteur de 11 053 euros pour la période échue au 31 décembre 2023 et de 136 800,88 euros pour la période postérieure sur la base de l'euro de rente viager de la Gazette du Palais au taux de -1 ;
- Mme C... a dû changer de poste de travail et a été reconnue travailleur handicapé ; elle n'effectue plus que des tâches administratives, beaucoup moins épanouissantes ; son congé de longue maladie et son aménagement de poste ont pesé sur son avancement et l'évolution de sa carrière ; le préjudice d'incidence professionnelle peut être évalué à 50 000 euros ;
- le déficit fonctionnel permanent évalué par l'expert à 15 % peut donner lieu à l'allocation d'une somme de 51 000 euros ;
- les conséquences esthétiques qui demeurent après la consolidation peuvent être cotées à 3 sur 7 et constituent un préjudice indemnisable à hauteur de 8 000 euros ;
- l'expert judiciaire ne retient pas de préjudice sexuel alors que l'expert de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux (CCI) avait retenu la présence permanente de douleurs et l'atteinte psychologique ayant des répercussions sur l'épanouissement de la vie sexuelle ; l'indemnisation de ce préjudice peut être arrêtée à 5 000 euros ;
- eu égard à l'impossibilité de pratiquer la danse, la course à pied ou la natation, et aux limites qu'elle rencontre pour faire du vélo, participer à des activités avec ses enfants ou faire du jardinage, son préjudice d'agrément peut être chiffré à 5 000 euros ;
- le préjudice moral d'impréparation, imputable au seul CHU, peut donner lieu au versement d'une somme de 5 000 euros ;
- la nécessité de se rendre disponible pour s'occuper des enfants a conduit M. C... à abandonner son activité de pompier volontaire, ce qui a généré une perte de revenus ; il a également perdu ses primes de fin d'année 2015 en raison d'un arrêt maladie d'un mois pour un montant de 347,84 euros ;
- du fait du retentissement psychologique de la situation, M. C... a subi un préjudice moral qui peut être réparé par une indemnité de 10 000 euros et leurs deux filles un préjudice moral à hauteur de 5 000 euros chacune.
Par des mémoires en défense enregistrés les 5 juin, 11 octobre et 24 novembre 2023, le CHU de Bordeaux, représenté par le cabinet Le Prado, Gilbert, conclut au rejet de la requête et des conclusions présentées par la CPAM de la Gironde.
Il fait valoir que :
- l'expert a écarté l'existence d'une perte de chance en lien avec un défaut d'information ; il a relevé qu'un traitement médical avait été proposé mais que cette alternative n'a pas permis de soigner la pathologie invalidante de Mme C..., ce qui rendait indispensable une intervention chirurgicale ; il a précisé que les infiltrations scanno-guidées n'ont pas fait preuve d'une efficacité formellement démontrée et qu'en revanche, leurs risques graves sont bien connus ; il n'est dès lors pas démontré que Mme C..., informée de l'existence d'un tel traitement, aurait préféré y recourir ; Mme C... a été reçue en consultation de neurochirurgie à trois reprises entre juin et octobre 2014, ce qui démontre qu'elle a été informée, d'autant qu'eu égard à son activité professionnelle, elle était en mesure de poser des questions sur l'intervention qu'elle allait subir ; l'expert a également estimé que la prise en charge chirurgicale avait été effectuée selon les règles de l'art et expressément souligné que le fait de renoncer à la mise en place de l'ostéosynthèse du côté droit était adapté, compte tenu des difficultés techniques ; la responsabilité du CHU ne peut donc être retenue pour ne pas avoir mis en œuvre tous les moyens pour éviter de prétendus problèmes d'ancrages et de trajectoires de vis lors de l'intervention ;
- selon l'expertise, l'origine des douleurs est impossible à déterminer, ce qui ne permet pas de retenir qu'elles seraient en lien direct et certain avec l'opération et avec le caractère unilatéral de l'ostéosynthèse, qui pourrait seulement avoir participé pour partie à ces douleurs ; cette incertitude conduit à écarter la responsabilité du CHU ; si l'intervention s'était limitée à une arthrectomie avec vidange du kyste, il n'est pas possible d'affirmer que les suites auraient été exemptes des mêmes douleurs cervicales dès lors qu'il aurait été nécessaire d'écarter les masses musculaires paravertébrales ; la position de l'expert rejoint celle de l'expert désigné par la CCI et de la CCI elle-même, ainsi que l'avis du médecin conseil de la requérante qui, d'ailleurs, était présent aux opérations d'expertise et a pu faire valoir ses arguments ;
- l'évaluation du préjudice ne peut être que celle de l'expert judiciaire, sous déduction des postes qui auraient existé du fait du traitement de la pathologie initiale, et l'indemnisation doit tenir compte de l'application du taux de perte de chance ;
- le besoin d'aide par une tierce personne doit être calculé sur la base d'un coût horaire de 13 euros ; avant consolidation et au vu des périodes déterminées par l'expert, le préjudice ne peut excéder 9 711 euros ; l'expert n'a pas retenu de besoin d'aide humaine permanent ; il appartient à Mme C... de produire tout justificatif de nature à établir qu'elle n'a pas perçu de prestations à ce titre, ni bénéficié d'un avantage fiscal ; le versement d'un capital pour la période future ne se justifie pas et le recours à un barème avec un taux négatif est dénué de pertinence pour le calcul de la capitalisation, qui suppose une projection de l'indemnisation sur une longue durée et qui ne peut être liée à des évènements exceptionnels ; il convient de se référer au barème de capitalisation de référence pour l'indemnisation des victimes, qui permet de lisser les soubresauts économiques ;
- les demandes présentées comme des frais de rééducation doivent être rejetées dès lors que ceux-ci n'ont pas été retenus par l'expert et que le lien de causalité entre les cours de Pilates et l'intervention chirurgicale n'est pas établi ;
- la perte de primes de service ne peut être indemnisée puisque celles-ci sont la contrepartie d'un travail effectif et que Mme C... était déjà en arrêt de travail ; il n'est pas davantage établi que la période d'arrêt de travail n'a pas été intégralement prise en charge par la sécurité sociale ou une mutuelle complémentaire ;
- Mme C... n'étant pas inapte définitivement à toute activité professionnelle et ne démontrant pas avoir perdu des chances de promotion professionnelle, sa demande au titre de l'incidence professionnelle ne peut qu'être rejetée ;
- doivent être soustraites des périodes d'incapacité imputables aux complications, celles liées à l'intervention subie par Mme C... ; l'incapacité aurait été totale du 11 au
17 janvier 2015, et partielle au taux de 15 % du 18 janvier au 27 février 2015 puis au taux
de 10 % du 28 février au 17 avril 2015 ; l'indemnisation doit être faite sur la base d'un taux de 13 euros par jour d'incapacité totale ;
- la demande au titre des souffrances endurées étant excessive, elle ne peut qu'être rejetée, tout comme celle relative au préjudice esthétique temporaire ;
- les deux experts se rejoignent pour estimer qu'il n'y a pas lieu de retenir un besoin permanent en tierce personne, ce qui va d'ailleurs dans le sens de l'attestation du kinésithérapeute du 4 avril 2019 qui note des progrès manifestes ; au demeurant, l'emploi d'un barème de capitalisation à taux négatif est dénué de pertinence ;
- le déficit fonctionnel permanent de 15 % peut être indemnisé dans de plus justes proportions, tout comme le préjudice esthétique permanent ;
- la réalité du préjudice sexuel n'est pas établie ; la demande, au demeurant excessive, doit être rejetée ;
- la demande au titre du préjudice d'agrément doit être rejetée, Mme C... ne rapportant pas la preuve de la privation d'un agrément spécifique ;
- le défaut d'information n'étant pas démontré, pas plus que la réalité et l'ampleur du préjudice moral subi du fait d'une impréparation, la demande à ce titre, qui est au demeurant excessive, doit être rejetée ;
- la demande de M. C... au titre du préjudice patrimonial fait double emploi avec la demande de son épouse au titre de la tierce personne ;
- Mme C... ne conservant qu'un déficit fonctionnel permanent modéré, la demande de son époux et celles présentées au nom de leurs enfants au titre d'un préjudice d'affection ne peuvent être que rejetées.
Par un mémoire, enregistré le 13 octobre 2023, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL Birot-Ravaut et associés, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les conditions d'indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies dès lors que le lien de causalité entre le dommage subi et un acte de prévention, de diagnostic ou de soins n'est pas démontré ; il n'est pas établi que les douleurs cervicales gauches présentées par Mme C... soient imputables de manière directe et certaine à l'intervention réalisée le 12 janvier 2015, ni qu'il existerait des présomptions graves, précises et concordantes pour retenir un tel lien ; l'aléa thérapeutique indemnisable au titre de la solidarité nationale ne peut donc être retenu par le seul fait du caractère inexpliqué des douleurs ; le critère de temporalité ne peut suffire à établir l'existence d'un tel lien de causalité ; un doute ne saurait profiter au demandeur ; l'existence d'un conflit entre le matériel et les masses musculaires postérieures n'est pas documentée par l'imagerie médicale ni établie par le fait que les douleurs ont cessé après le retrait du matériel ; l'expert a expressément écarté l'hypothèse émise par le médecin conseil de la requérante, selon laquelle les douleurs trouveraient leur origine dans le caractère unilatéral de la mise en place du matériel d'ostéosynthèse, pour retenir le caractère multifactoriel et l'absence de certitudes s'agissant du cas de Mme C... ;
- à supposer qu'un lien de causalité soit retenu, la persistance des douleurs est imputable à un échec thérapeutique non indemnisable par la solidarité nationale, comme l'indique l'expertise qui a relevé que la cervicalgie existait en préopératoire ; les arguments du médecin conseil de la requérante, qui était présent lors des opérations d'expertise, n'ont pas été retenus par l'expert ;
- à titre encore plus subsidiaire, le dommage ne revêt pas un caractère anormal, aucun des deux critères alternatifs n'étant rempli ; les conséquences de l'intervention ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles était exposée l'intéressée en l'absence d'intervention, puisqu'il existait, selon l'expert, un risque d'aggravation des douleurs et d'altération fonctionnelle ; même en présence d'une intervention différente, il existait un risque d'instabilité, de cervicalgies et d'aggravation de la pathologie discale ; dans les conditions où l'acte a été accompli, avec des difficultés de visées et de mise en place des vis, la survenance du dommage ne présentait nullement une probabilité faible.
Par une ordonnance du 20 novembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 4 décembre 2023.
La CPAM de la Gironde a produit un mémoire enregistré le 5 décembre 2023, soit postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., qui était manipulatrice en radiologie au CHU de Bordeaux, a présenté, le 4 juin 2014, une névralgie cervico-brachiale droite. Une IRM a révélé la présence d'un kyste radiculaire foraminal. En raison de l'intolérance au traitement médicamenteux prescrit et de la persistance des douleurs, un neurochirurgien du CHU de Bordeaux a proposé de procéder à une intervention chirurgicale. Le 12 janvier 2015, Mme C... a été admise
au CHU de Bordeaux aux fins de réaliser une arthrectomie et une foraminotomie C6-C7 et C7-T1, puis une ostéosynthèse C7-T2. Après avoir regagné son domicile le 17 janvier 2015, Mme C... a ressenti de nouvelles douleurs au niveau du trapèze, de l'omoplate et de la clavicule gauches, lesquelles ont été constatées médicalement le 17 février 2015. Elle a alors saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) d'une demande d'indemnisation. L'expertise ordonnée par la CCI, rendue le 9 juin 2017, a conclu d'une part que l'intervention chirurgicale et la prise en charge en rééducation fonctionnelle ont été réalisées conformément aux règles de l'art, et d'autre part que les douleurs postopératoires ont, en l'absence d'explication mécanique, une origine incertaine. La CCI a rendu le 20 septembre 2017 un avis défavorable à la demande d'indemnisation du fait de l'absence de lien de causalité entre l'intervention chirurgicale et le dommage. Par la suite, Mme C... a subi une nouvelle intervention, le 26 octobre 2018, afin de retirer le matériel d'arthrodèse, ce qui a conduit à une nette amélioration de son état de santé.
2. Mme C... et son époux, conducteur ambulancier au CHU de Bordeaux, ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise avant dire droit pour déterminer l'étendue des préjudices qu'elle a subis et, le cas échéant, leur origine, et d'une demande de condamnation du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM à leur verser une provision ou une indemnité définitive au titre des préjudices subis par eux-mêmes et leurs deux enfants. Par le jugement attaqué du 9 juin 2020, le tribunal administratif a rejeté leur demande. Par un arrêt avant dire droit n° 20BX02321 du 3 novembre 2022, la cour, saisie par les consorts C..., a écarté toute faute dans la réalisation du geste technique ou dans le déroulement de l'intervention chirurgicale du 12 janvier 2015, et ordonné une nouvelle expertise sur l'existence ou non d'un lien de causalité entre les douleurs et l'intervention chirurgicale, sur l'ampleur de la chance perdue du fait du défaut d'information sur l'existence d'alternatives thérapeutiques, sur le caractère d'anormalité des conséquences dommageables de nature à ouvrir droit, le cas échéant, à une réparation par la solidarité nationale, ainsi que sur une évaluation plus récente des préjudices. Le rapport d'expertise, établi par le Dr B..., neurochirurgien, professeur agrégé de l'hôpital du Val de Grâce, a été déposé le 6 avril 2023. Au vu de ce rapport, M. et Mme C... demandent la condamnation du CHU de Bordeaux et de l'ONIAM à leur verser les sommes de 383 956,39 euros au titre des préjudices subis par Mme C..., de 10 347,84 euros au titre des préjudices subis par M. C... et de 5 000 euros chacune au titre des préjudices subis par leurs deux filles.
Sur la responsabilité du CHU :
3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".
4. L'article L. 1111-2 du code de la santé publique dispose que : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus ". Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui, soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence.
5. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chance de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.
6. Par l'arrêt avant dire droit du 3 novembre 2022, la cour a écarté le défaut d'information sur les risques de l'opération prévue en relevant que l'intéressée avait bénéficié d'explications lors de trois consultations préopératoires entre juin et octobre 2014. Mme C... ne peut alors sérieusement soutenir qu'elle n'avait pas été informée des risques de déshabitation des épineuses, de problèmes de tonicité musculaires en post-opératoire ou de la nécessité d'une reprise opératoire pour ablation du matériel d'ostéosynthèse, ni du fait qu'elle pourrait présenter des douleurs intenses du côté opposé de sa douleur initiale. Par suite, elle ne peut se prévaloir à ce titre d'un préjudice d'impréparation.
7. En revanche, la cour a jugé que le CHU de Bordeaux avait commis une faute
en n'informant pas Mme C... des traitements non invasifs, notamment par infiltrations scanno-guidées, qui auraient pu constituer une alternative à l'intervention chirurgicale et lui permettre d'échapper au risque de subir les douleurs dont elle a été victime par la suite. Toutefois, il résulte de l'expertise ordonnée par la cour que les infiltrations cervicales foraminales, dont l'efficacité n'est pas formellement démontrée, présentent en revanche des risques bien connus de parésies plus ou moins importantes et, selon une étude de 2007, à une fréquence non négligeable, et que dans certains cas elles peuvent provoquer hémiparésies, tétraparésies, tétraplégies, coma voire décès. L'ancienneté des statistiques fournies n'est pas de nature à remettre en cause l'existence de ces risques constatés, et l'expert a conclu qu'on ne peut affirmer qu'une infiltration aurait été suivie d'un résultat favorable permettant d'éviter l'opération, et que les risques de complications neurologiques limitent les indications. Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que Mme C... n'aurait pas choisi ces infiltrations foraminales, et si elle soutient nouvellement après expertise qu'elle aurait choisi l'absence de toute intervention, cette affirmation est en contradiction avec les douleurs invalidantes dont elle se plaignait. Il y a donc lieu de considérer qu'au regard des options possibles, la requérante n'aurait pas renoncé à l'intervention et n'a donc perdu aucune chance d'éviter les douleurs nouvelles ressenties après l'opération.
8. Mme C... se plaint également du fait de ne pas avoir été informée, après l'opération, de ce que l'ostéosynthèse avait été réalisée de manière unilatérale, et qu'elle l'aurait découvert en examinant ses radios. Toutefois, ce défaut d'information n'est pas à l'origine d'un préjudice indemnisable, comme elle le soutient, dès lors qu'il est postérieur à l'intervention.
9. Enfin, la seule circonstance que le dernier rapport d'expertise mentionne que le compte-rendu opératoire ne précise pas si le recours à la neuro-navigation avec visée aidée par ordinateur aurait été " effective " ne suffit pas à caractériser une faute dans la réalisation de l'acte médical, alors que les différents experts s'accordent pour considérer que l'acte chirurgical a été réalisé conformément aux règles de l'art.
Sur l'engagement de la solidarité nationale pour accident médical non fautif :
10. Aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. / Ouvre droit à réparation des préjudices au titre de la solidarité nationale un taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique supérieur à un pourcentage d'un barème spécifique fixé par décret ; ce pourcentage, au plus égal à 25 %, est déterminé par ledit décret. ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du même code : " Le pourcentage mentionné au dernier alinéa de l'article L. 1142-1 est fixé à 24 %. / Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article
L. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. (...) ".
11. Il résulte des dispositions citées au point précédent que l'ONIAM doit assurer, au titre de la solidarité nationale, la réparation de dommages résultant directement d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins à la condition qu'ils présentent un caractère d'anormalité au regard de l'état de santé du patient comme de l'évolution prévisible de cet état. La condition d'anormalité du dommage prévue par ces dispositions doit toujours être regardée comme remplie lorsque l'acte médical a entraîné des conséquences notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé de manière suffisamment probable en l'absence de traitement. Lorsque les conséquences de l'acte médical ne sont pas notablement plus graves que celles auxquelles le patient était exposé par sa pathologie en l'absence de traitement, elles ne peuvent être regardées comme anormales sauf si, dans les conditions où l'acte a été accompli, la survenance du dommage présentait une probabilité faible. Pour apprécier le caractère faible ou élevé du risque dont la réalisation a entraîné le dommage, il y a lieu de prendre en compte la probabilité de survenance d'un événement du même type que celui qui a causé le dommage et entraînant une invalidité grave ou un décès. Une probabilité de survenance du dommage qui n'est pas inférieure ou égale à 5 % ne présente pas le caractère d'une probabilité faible, de nature à justifier la mise en œuvre de la solidarité nationale.
12. Il résulte de l'instruction que l'intervention chirurgicale du 12 janvier 2015 a remédié aux douleurs cervico-brachiales que ressentait Mme C... du côté droit. Si l'intéressée a souffert, par la suite, de douleurs au niveau du trapèze, de l'omoplate et de la clavicule gauches, celles-ci ne peuvent être regardées comme notablement plus graves que celles auxquelles elle aurait été exposée en l'absence d'intervention. Il résulte en outre du rapport d'expertise que l'apparition de douleurs cervicales à la suite d'une intervention rachidienne cervicale par voie postérieure s'observe dans plus de 10 % des cas. Par suite, la complication présentée par Mme C... ne présentait pas un risque de survenue faible, et le dommage dont elle est victime ne peut être regardé comme remplissant la condition d'anormalité, nécessaire à l'engagement de la solidarité nationale.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté leur demande.
Sur les droits de la caisse :
14. Il résulte de ce qui précède que le dommage subi par Mme C... ne résulte pas, de manière directe et certaine, d'une faute du CHU de Bordeaux. Par conséquent, la CPAM de la Gironde, qui a sollicité le 24 février 2022 le remboursement de débours provisoirement arrêtés à 25 851,20 euros, n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses demandes tendant notamment au versement de cette provision.
Sur les frais liés au litige :
15. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre les frais d'expertise, liquidés à la somme de 2 400 euros par une ordonnance du 7 avril 2023, à la charge de
M. et Mme C....
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge du CHU de Bordeaux, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, les sommes que M. et Mme C... d'une part, et la CPAM de la Gironde d'autre part, demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il n'y pas davantage lieu de mettre à la charge du CHU la somme demandée par
la CPAM de la Gironde au titre des frais de plaidoirie.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. et Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la CPAM de la Gironde sont rejetées.
Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés à un montant de 2 400 euros par ordonnance
du 7 avril 2023, sont mis à la charge définitive de M. et Mme C....
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C..., à la caisse primaire d'assurance maladie de la Gironde, au centre hospitalier universitaire de Bordeaux et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales. Une copie en sera adressée à la Mutuelle nationale des hospitaliers et professionnels de santé et à l'expert.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 mai 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX02321