Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 2 juin 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2303472 du 8 novembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 décembre 2023 et un mémoire enregistré le 20 mars 2024, Mme A..., représentée par Me Valay, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 8 novembre 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 juin 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer une carte de résident, ou subsidiairement de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat et au bénéfice de son conseil une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.
Elle soutient que :
- l'arrêté litigieux est insuffisamment motivé et comporte une erreur de fait révélant un défaut d'examen approfondi de sa situation ;
- cet arrêté a méconnu les dispositions des articles L. 424-3 et L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cet arrêté a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire ne peut être qu'illégale dès lors qu'elle implique une séparation des conjoints ;
- l'illégalité de la décision lui refusant la délivrance d'un titre de séjour prive de base légale la décision lui faisant obligation de quitter le territoire ;
- la décision fixant le pays de renvoi a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire enregistré le 28 février 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il s'en remet à son mémoire de première instance.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 15 février 2024.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique, le rapport de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante turque née le 27 juillet 1994, est entrée sur le territoire français au mois de mai 2019 pour y demander l'asile. Le 21 janvier 2023, elle a épousé civilement un compatriote titulaire d'une carte de résident puis a sollicité, le 15 février suivant, la délivrance d'une carte de résident sur le fondement des dispositions de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 2 juin 2023, le préfet de la Gironde a refusé de faire droit à cette demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Mme A... relève appel du jugement du 8 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la demande de carte de résident :
2. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Par suite, il est suffisamment motivé au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration. En outre, nonobstant l'erreur de plume affectant la date du mariage de la requérante avec M. B..., il ressort de cette motivation que le préfet a procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle.
3. En second lieu, aux termes de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de résident prévue à l'article L. 424-1, délivrée à l'étranger reconnu réfugié, est également délivrée à : / 1° Son conjoint, son partenaire avec lequel il est lié par une union civile ou son concubin, s'il a été autorisé à séjourner en France au titre de la réunification familiale dans les conditions prévues aux articles L. 561-2 à L. 561-5 ; (...) ". Selon les dispositions de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; (...) ".
4. Mme A... a produit devant le tribunal administratif la demande de regroupement familial présentée le 26 janvier 2023 par son époux, M. B..., lequel est titulaire d'une carte de résident en sa qualité de réfugié et exerce une activité professionnelle. Toutefois, l'appelante, qui résidait déjà en France à cette date, n'établit ni même ne soutient qu'elle avait été autorisée à y séjourner au titre de la réunification familiale à la date de l'arrêté en litige du 2 juin 2023. Par suite, elle n'est pas fondée à soutenir qu'elle pouvait prétendre à la délivrance d'une carte de résident sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Sur la délivrance d'une carte de séjour :
5. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
6. Il ressort de l'arrêté en litige que le préfet de la Gironde a spontanément examiné le droit au séjour de Mme A... au regard notamment des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or il ressort des pièces du dossier, notamment des photographies, des copies d'écran et des témoignages produits à l'instance, que l'appelante, qui fait valoir être entrée en France en mai 2019 pour rejoindre M. B..., s'est unie à lui selon leur coutume dès le 16 juin 2019 à Le Tourne (Gironde). En outre, les époux justifient de l'existence d'une vie commune depuis au plus tard le mois de juin 2020 et se sont mariés civilement le 21 janvier 2023. Enfin, Mme A... suit des cours de français depuis octobre 2021 et justifie ainsi de sa volonté de s'insérer dans la société française. Dans ces conditions, compte tenu en particulier de l'antériorité, de la stabilité et de l'intensité des relations existantes entre les époux, Mme A... est fondée à soutenir que l'arrêté litigieux a porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale tel qu'il est protégé par les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté litigieux en tant qu'il lui a refusé la délivrance d'une carte de séjour temporaire, lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de renvoi.
8. En application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, il y a lieu, eu égard au motif d'annulation retenu, d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
9. Enfin, il y a également lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et au bénéfice de Me Valay une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : L'arrêté du 2 juin 2023 est annulé en tant qu'il n'a pas délivré une carte temporaire de séjour à Mme A..., lui a fait obligation de quitter le territoire et a fixé le pays de renvoi.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif du 8 novembre 2022 est annulé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me Valay une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A... épouse B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer ainsi qu'au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.
Le rapporteur,
Manuel C...
Le président,
Laurent PougetLa greffière,
Chirine Michallet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23BX03031 2