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21/05/2024 | FRANCE | N°22BX02305

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 21 mai 2024, 22BX02305


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 18 décembre 2019 par laquelle la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense et de sécurité sud-ouest a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont il souffre, d'enjoindre à cette autorité de le placer rétroactivement en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour l'ensemble de ses arrêts de travail successifs et de procéder

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler la décision du 18 décembre 2019 par laquelle la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense et de sécurité sud-ouest a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont il souffre, d'enjoindre à cette autorité de le placer rétroactivement en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour l'ensemble de ses arrêts de travail successifs et de procéder à la reconstitution de sa carrière, enfin de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices que l'illégalité de cette décision lui a causés.

Par un jugement n° 2000581 du 30 mai 2022, le tribunal administratif de Pau a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 août 2022 et un mémoire enregistré le 5 octobre 2022, M. A..., représenté par Me Alibert, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 30 mai 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 18 décembre 2019 par laquelle la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense et de sécurité sud-ouest a refusé de reconnaître l'imputabilité au service de la pathologie dont il souffre ;

3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 8 000 euros en réparation des préjudices que lui a causé l'illégalité de cette décision ;

4°) d'enjoindre à la préfète de le placer rétroactivement en congé pour invalidité temporaire imputable au service pour l'ensemble de ses arrêts de travail successifs et de procéder à la reconstitution de sa carrière ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard du moyen tiré de l'irrégulière composition de la commission de réforme ;

- la décision de refus d'imputabilité litigieuse est insuffisamment motivée ;

- il n'a pas été mis en mesure de prendre connaissance des rapports établis par sa hiérarchie à l'intention du comité médical ;

- sa maladie est imputable au service.

Par des mémoires enregistrés les 27 mars et 7 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les conclusions indemnitaires sont irrecevables, faute de liaison du contentieux, et que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu :

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties de la tenue de l'audience publique.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B... ;

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Ghettas, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... a exercé les fonctions de brigadier-chef de police au sein de la circonscription de la sécurité publique de Pau à compter du 1er juillet 2013 avant d'être affecté à la circonscription de sécurité publique de Lourdes par une décision du 23 mars 2020. Le 10 décembre 2018, il a présenté une demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de la pathologie à l'origine des arrêts de travail qui lui ont été prescrits du 6 mars 2015 au 5 septembre 2016 puis du 12 au 31 octobre 2016. A l'issue de sa réunion du 10 décembre 2019, la commission de réforme du ministère de l'intérieur a émis un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de cette pathologie. Par une décision du 18 décembre 2019, la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense et de sécurité sud-ouest a refusé de reconnaître cette imputabilité. M. A... relève appel du jugement du 30 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté ses demandes tendant, d'une part, à l'annulation de cette décision du 18 décembre 2019, d'autre part à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices que l'illégalité de cette décision lui a causés et, enfin, à ce qu'il soit enjoint à la préfète déléguée pour la défense et la sécurité de la zone de défense et de sécurité sud-ouest de le placer rétroactivement en congé pour invalidité temporaire imputable au service durant les périodes correspondant à ses arrêts de travail et de procéder à la reconstitution de sa carrière.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si M. A... soutient que le jugement attaqué a insuffisamment répondu au moyen relatif au vice de procédure concernant la composition de la commission de réforme, il ressort au contraire de ce jugement que les premiers juges, qui n'étaient pas tenus de répondre à tous les arguments des parties, ont répondu de façon circonstanciée à ce moyen.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de la décision du 18 décembre 2019 :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". L'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". Enfin, en application de l'article L. 211-6 du même code : " (...) Les dispositions du présent chapitre ne dérogent pas aux textes législatifs interdisant la divulgation ou la publication de faits couverts par le secret. ".

4. En application des dispositions des articles R. 4127-4 et R. 4127-104 du code de la santé publique relatives au secret médical, la commission de réforme ne fournit à l'administration ou à l'organisme employeur qu'un avis qui ne comporte pas les raisons médicales qui le motive.

5. La décision litigieuse du 18 décembre 2019, qui vise les dispositions réglementaires et législatives applicables, et précise que " l'ensemble des pièces du dossier ne permet pas d'établir que la pathologie de M. A... est essentiellement et directement causée par l'exercice de ses fonctions ", comporte ainsi l'énoncé des considérations de faits et de droits qui en constituent le fondement. Cette décision est dès lors suffisamment motivée au regard des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration.

6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 19 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des conseils médicaux, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires, dans sa rédaction applicable à la date de la décision attaquée : " (...) Le fonctionnaire est invité à prendre connaissance, personnellement ou par l'intermédiaire de son représentant, de la partie administrative de son dossier. Un délai minimum de huit jours doit séparer la date à laquelle cette consultation est possible de la date de la réunion de la commission de réforme ; il peut présenter des observations écrites et fournir des certificats médicaux. (...) ".

7. M. A... a été informé, par un courrier électronique du 2 décembre 2019, que sa demande d'imputabilité au service serait examinée par la commission de réforme lors de sa séance du 10 décembre 2019, et qu'il avait la possibilité de consulter personnellement les pièces administratives de son dossier et, par l'intermédiaire du médecin de son choix, la partie médicale du dossier transmis à la commission de réforme. En réponse, M. A... a sollicité le 4 décembre 2019 la transmission, par voie électronique, de ces pièces médicales ainsi que d'une version " scannée " de son dossier administratif. Par courrier électronique du 5 décembre suivant, l'administration a alors adressé à son médecin traitant l'ensemble des pièces médicales transmises à la commission de réforme.

8. M. A... fait valoir qu'il ressort de l'avis rendu par la commission de réforme que le dossier soumis à celle-ci par l'administration contenait deux rapports hiérarchiques relatifs à sa demande de reconnaissance d'imputabilité, datés des 27 décembre 2018 et 28 février 2019, et soutient que ceux-ci ne lui ont pas été adressés et n'ont pas davantage été envoyés à son médecin traitant. Il ressort toutefois de la lettre adressée par son conseil au président de la commission de réforme le 6 décembre 2019 pour demander le report de la réunion de cette commission que M. A... a consulté son dossier administratif le même jour et que ce dossier comportait notamment des " rapports de l'autorité hiérarchique " au sujet desquels il entendait faire des observations. En outre, M. A... a lui-même produit devant le tribunal administratif les deux rapports considérés. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir qu'il n'a pu en prendre connaissance avant la réunion de la commission de réforme ni, par conséquent, qu'il n'a pas pu présenter d'observations sur ces mêmes rapports devant cette commission en méconnaissance du principe du contradictoire.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, dans sa rédaction alors applicable : " Le fonctionnaire en activité a droit : / (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident (...) ".

10. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.

11. M. A... a été placé en congé de longue maladie à compter du 27 mai 2010 en raison d'un état dépressif consécutif au suicide, dans des circonstances particulièrement dramatiques, d'un de ses collègues et ami. M. A... ne conteste pas en appel que la pathologie psychiatrique dont il souffre procède de cet épisode traumatique, ainsi que le relève le rapport établi le 14 avril 2019 par un psychiatre dans le cadre de la demande de reconnaissance d'imputabilité de sa maladie, mais il soutient que cette pathologie a été réactivée par ses conditions de travail à sa reprise du service au sein de la direction départementale de la sécurité publique de Pau, d'abord sur un poste de chef d'unité à compter à compter du 1er septembre 2013, puis au bureau des plaintes à compter du 1er septembre 2014.

12. D'une part, il ressort des pièces du dossier, en particulier du rapport établi par sa supérieure hiérarchique directe le 15 septembre 2014, dont entend se prévaloir M. A..., ainsi que des courriers de la commissaire de police chef du service de sécurité de proximité et du directeur départemental des 3 février et 23 mars 2015, que sa promotion en qualité de chef d'unité a été " mal accueillie " par les membres de cette unité, réputée par ailleurs indisciplinée. Toutefois, si l'appelant soutient qu'on lui aurait assigné pour mission de faire remonter à sa hiérarchie les écarts de comportement des agents placés sous son autorité et qu'il aurait fait en conséquence l'objet d'insultes et de menaces de ces derniers sans obtenir de soutien de sa hiérarchie, il ne l'établit pas. Il ressort, au contraire, du rapport susmentionné qu'il n'a établi aucun rapport écrit faisant état de ces insultes et de ces menaces et qu'il a bénéficié d'un soutien régulier de sa hiérarchie, laquelle a d'ailleurs procédé à la mutation de trois des membres de l'unité concernée dans le souci de l'aider à affirmer son autorité. Il ressort également de ce rapport que, pour diverses raisons, M. A... a été très souvent absent au cours de cette période et que " le fait d'être chef de brigade était alors ressenti par ce fonctionnaire comme une sanction l'empêchant d'accéder à ses demandes personnelles ". Il a d'ailleurs entrepris, dès le mois d'avril 2014 des démarches pour ne plus exercer ces responsabilités en indiquant " avoir échoué dans ses missions ".

13. C'est à sa demande que M. A... a ensuite été affecté au sein du service chargé de l'enregistrement des plaintes sur un poste d'adjoint ne comportant aucune fonction d'encadrement. S'il a été de nouveau mal accueilli par les agents en poste, il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports et lettres mentionnés au point 12, que la persistance des difficultés relationnelles de M. A... au sein de ce service était directement liée à sa faible implication et à sa très faible productivité. En outre, si M. A... attribue le malaise dont il a été victime le 6 mars 2015 aux brimades de ses collègues et de sa hiérarchie, laquelle lui a pourtant fourni une formation et un accompagnement personnalisé, il ne produit aucun élément à l'appui de cette allégation.

14. D'autre part, M. A... se prévaut également de plusieurs rapports de visites médicales recommandant un changement d'affectation géographique pour éviter une nouvelle rechute de sa maladie. Toutefois, ces rapports sont postérieurs à la période de congé de maladie considérée, sont dépourvus de toute précision et n'imputent pas la réactivation de sa maladie à un contexte professionnel particulièrement éprouvant. En outre, il ressort de l'expertise du 14 avril 2019 que M. A... présentait un état antérieur de fragilité, ainsi qu'en atteste la durée de l'épisode dépressif qu'il a subi entre 2010 et 2012, et tenant notamment selon l'expert à ce qu'il présente une personnalité anankastique.

15. Enfin, M. A... ne peut utilement se prévaloir, dans le cadre de la présente instance, d'évènements postérieurs aux congés de maladie qu'il considère imputables au service, et en particulier à sa mise en cause injustifiée pour des faits de dénonciation calomnieuse en 2018 ou aux difficultés relationnelles et professionnelles auxquelles il a de nouveau été confronté après sa mutation à Lourdes en janvier 2020.

16. Il résulte de ce qui précède que la dégradation de l'état de santé de M. A... ayant conduit à ses arrêts de travail du 6 mars 2015 au 5 septembre 2016 puis du 12 au 31 octobre 2016 ne peut être regardée comme présentant un lien direct avec l'exercice de ses fonctions ou des conditions de travail de nature à susciter le développement ou la réactivation de sa pathologie. Par suite, il n'établit pas que ces congés de maladie étaient imputables au service au sens et pour l'application des dispositions de l'article 34 de la loi du 11 janvier 1984.

17. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 décembre 2019 ainsi que ses demandes subséquentes. Par suit, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'indemnisation des préjudices que lui a causé cette décision, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.

Délibéré après l'audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.

Le rapporteur,

Manuel B...

Le président,

Laurent PougetLa greffière,

Chirine Michallet

La République mande et ordonne ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22BX02305 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02305
Date de la décision : 21/05/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : ALIBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/06/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-21;22bx02305 ?
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