Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de La Réunion, d'une part, d'annuler les décisions des 29 juillet et 16 décembre 2019 par lesquelles la directrice des ressources humaines de Pôle emploi Réunion/Mayotte a respectivement refusé de la reclasser dans le statut de cadre et refusé de lui accorder la protection fonctionnelle, d'autre part, de condamner Pôle Emploi à lui verser une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle se plaint d'avoir subi du fait d'un harcèlement moral.
Par un jugement n°s 2000071, 2000165 du 2 novembre 2021, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté ces demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 31 janvier 2022 et un mémoire enregistré le 30 août 2023, Mme A..., représentée par Me Dugoujon, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 2 novembre 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision 16 décembre 2019 par laquelle la directrice des ressources humaines de Pôle Emploi Réunion/Mayotte a refusé de lui accorder la protection fonctionnelle ;
2°) d'annuler cette décision du 16 décembre 2019 ;
3°) d'enjoindre à Pôle Emploi de lui accorder la protection fonctionnelle dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de Pôle Emploi une somme de 3 400 euros au titre des frais exposés pour l'instance.
Elle soutient qu'elle a été victime de harcèlement moral.
Par un mémoire enregistré le 5 juillet 2023, Pôle Emploi, représenté par Me Lonqueue, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 500 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre des frais exposés pour l'instance.
Il soutient que le moyen invoqué n'est pas fondé.
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le décret n° 2003-1370 du 31 décembre 2003 ;
- la décision n° 2004-31 du 2 janvier 2004 du directeur général de l'Agence nationale pour l'emploi portant classification des emplois ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B... ;
- et les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., a conclu avec Pôle Emploi, devenu France Travail, un contrat à durée indéterminée en qualité d'agent contractuel de droit public. Par deux décisions des 29 juillet et 16 décembre 2019, la directrice des ressources humaines de Pôle emploi Réunion/Mayotte a respectivement refusé de reclasser Mme A... dans le statut de cadre et refusé de lui accorder la protection fonctionnelle. Mme A... relève appel du jugement du tribunal administratif de La Réunion du 2 novembre 2021 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la dernière de ces décisions.
2. D'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " ; qu'aux termes de l'article 11 de la même loi, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " Les fonctionnaires bénéficient, à l'occasion de leurs fonctions, d'une protection organisée par la collectivité publique dont ils dépendent, conformément aux règles fixées par le code pénal et les lois spéciales. / (...) La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté. (...) " . Ces dispositions établissent à la charge de l'administration une obligation de protection de ses agents dans l'exercice de leurs fonctions, à laquelle il ne peut être dérogé que pour des motifs d'intérêt général. Cette obligation de protection a pour objet, non seulement de faire cesser les attaques auxquelles l'agent est exposé, mais aussi d'assurer à celui-ci une réparation adéquate des torts qu'il a subis. La mise en œuvre de cette obligation peut notamment conduire l'administration à assister son agent dans l'exercice des poursuites judiciaires qu'il entreprendrait pour se défendre. Il appartient dans chaque cas à l'autorité administrative compétente de prendre les mesures lui permettant de remplir son obligation vis-à-vis de son agent, sous le contrôle du juge et compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce ;
3. D'autre part, il appartient à l'agent public qui soutient avoir été victime de faits constitutifs de harcèlement moral, lorsqu'il entend contester le refus opposé par l'administration dont il relève à une demande de protection fonctionnelle fondée sur de tels faits de harcèlement, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles d'en faire présumer l'existence. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
4. En premier lieu, Mme A... soutient que sa charge de travail se serait accrue de façon déraisonnable lorsqu'elle a été placée en mi-temps thérapeutique. Toutefois, à l'appui de cette allégation, elle se borne à faire valoir, tout en indiquant que des tâches en rapport avec son poste et ses qualifications ont continué à lui être confiées, qu'elle a été placée en congé de maladie pour un syndrome dépressif à compter du 20 avril 2019, et à se prévaloir de faits postérieurs à la décision en litige. Dans ces conditions, l'appelante, qui n'a fait état d'une telle surcharge de travail ni dans sa demande de protection fonctionnelle du 6 octobre 2019 ni dans son courriel d'alerte auprès d'un organisme de médecine préventive du 1er décembre suivant, ni enfin, dans son recours hiérarchique du 8 décembre 2020, n'en établit pas la matérialité.
5. En deuxième lieu, Mme A... fait valoir que Pôle Emploi ne lui a pas permis d'évoluer dans sa carrière. Toutefois, si elle reproche ainsi notamment à son employeur de n'avoir pas organisé de promotion interne accessible au personnel de droit public de niveau II depuis 2015, il est constant qu'elle ne s'est pas présentée aux épreuves de recrutement interne organisées en 2011 et 2015 pour des postes de niveau II et IV. Par ailleurs, ainsi que l'on relevé les premiers juges, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'a que très ponctuellement été associée à des missions de niveau " cadre ", et elle n'apporte aucun élément permettant de considérer qu'elle aurait pu bénéficier d'une promotion au choix. Dès lors, elle n'établit pas que la décision de Pôle Emploi du 29 juillet 2019 rejetant sa demande de reclassement dans le statut de cadre serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ni, a fortiori, qu'elle serait de nature à caractériser des faits de harcèlement.
6. En troisième lieu, Mme A... a souhaité utiliser des jours de congé se rattachant à son compte épargne-temps pour une durée supérieure à deux mois, d'abord sur la période du 23 décembre 2019 au 3 mars 2020 puis, après que cette première demande ait été rejetée pour raison de service, du 15 janvier 2020 au 31 mars 2020. Cette seconde demande a également été rejetée pour raison de service mais uniquement pour la semaine du 14 au 21 janvier 2020. Mme A... soutient que ces décisions de refus n'étaient pas justifiées par l'intérêt du service et caractérisaient dès lors des faits de harcèlement. Toutefois, Pôle Emploi fait valoir, sans que ce soit contesté, que la plateforme de prestations à laquelle est affectée Mme A... fonctionne avec une équipe réduite et que les activités de cette plateforme sont attribuées en fonction des connaissances maitrisées par les agents. Ainsi, la durée très significative des congé demandés par Mme A... était nécessairement de nature à perturber l'organisation du service et à justifier, pour ce motif des décisions de refus. Dans ces conditions, ces décisions, au demeurant postérieures à la demande de Mme A... tendant au bénéfice de la protection fonctionnelle à raison du harcèlement moral dont elle soutient être victime, n'apparaissent pas reposer sur des considérations étrangères à l'intérêt du service.
7. En quatrième lieu aux termes de l'article 7 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Les comités médicaux sont chargés de donner à l'autorité compétente, dans les conditions fixées par le présent décret, un avis sur les contestations d'ordre médical qui peuvent s'élever à propos de l'admission des candidats aux emplois publics, de l'octroi et du renouvellement des congés de maladie, de longue maladie et de longue durée et de la réintégration à l'issue de ces congés. Ils sont consultés obligatoirement en ce qui concerne :1. La prolongation des congés de maladie au-delà de six mois consécutifs (...) 4. La réintégration après douze mois consécutifs de congé de maladie ou à l'issue d'un congé de longue maladie ou de longue durée. "
8. Contrairement à ce que soutient l'appelante, les dispositions précitées de l'article 7 précité du décret du 14 mars 1986 n'imposent pas la saisine du comité médical préalablement à la réintégration de l'agent concerné après six mois consécutifs de congés de maladie mais seulement en cas de prolongation de ces congés au-delà de cette durée. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que Pôle Emploi aurait méconnu ces dispositions en ne saisissant par le comité médical à l'issue de son congé maladie de six mois arrivé à échéance le 31 octobre 2019.
9. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient Mme A..., les représentants du personnel ont pu concrètement intervenir en sa faveur auprès de la direction, en particulier sur la question de l'utilisation du compte épargne-temps.
10. En sixième lieu, Mme A... n'établit aucunement que le blocage momentané de l'accès à l'outil informatique de gestion du temps de travail auquel elle a été confrontée en début d'année 2020 caractériserait une volonté de l'employeur de l'empêcher de bénéficier de ses droits à congé alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce blocage résultait de ce qu'elle ne s'était pas conformée aux consignes imposées par la configuration du logiciel et qu'elle a effectivement pu utiliser cet outil et bénéficier des congés auxquelles elle avait droit après que le service des ressources humaines lui ait indiqué la marche à suivre.
11. En septième lieu, Mme A..., dont les demandes de temps-partiels ont systématiquement été acceptées après production de certificats médicaux, n'est pas fondée à soutenir que ces décisions favorables caractériseraient néanmoins des faits de harcèlement au seul motif que les certificats médicaux demandés n'étaient pas exigibles. Par ailleurs, si elle soutient qu'elle a été maintenue contre son grès à temps partiel, elle ne le démontre nullement dès lors qu'elle n'établit pas ni même n'allègue qu'elle aurait demandé en vain à reprendre ses fonctions à temps plein.
12. En huitième et dernier lieu, Mme A... ne peut pas utilement faire valoir que Pôle Emploi n'a pas tenu compte de la recommandation du médecin de prévention tendant à l'organisation d'une enquête concernant les risques psychosociaux auxquels elle était exposée dès lors que cette préconisation ne correspond à aucune obligation légale et qu'il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'elle ne justifie pas de la nécessité qu'il y aurait eu à diligenter une telle enquête.
13. Il résulte de ce qui précède que les faits dénoncés par Mme A..., dont certains ne sont pas établis dans leur matérialité, ne sont pas susceptibles, pris individuellement ou dans leur ensemble, de faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre. Une telle présomption ne saurait en outre résulter du refus même d'accorder la protection fonctionnelle à l'intéressée. Celle-ci n'est par suite pas fondée à soutenir que la décision du 16 décembre 2019 lui refusant le bénéfice de la protection fonctionnelle a méconnu les dispositions précitées du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la requérante n'est pas davantage fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision. Par suite, sa requête doit être rejetée, y compris ses conclusions à fin d'injonction et celles tenant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
15. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce et en application des mêmes dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Mme A... versera une somme de 1 500 euros à France Travail sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... A... et à France Travail.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mai 2024.
Le rapporteur,
Manuel B...
Le président,
Laurent PougetLa greffière,
Chirine Michallet
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°22BX00322 2