Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 juin 2023 par lequel le préfet de Lot-et-Garonne lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2303295 du 23 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'interdiction de retour d'une durée d'un an, enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de procéder à la suppression du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dont a fait l'objet M. B... dans un délai de deux mois, et rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2023, M. B..., représenté par Me Lanne, demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 19 juin 2023 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait car le préfet a considéré qu'il ne pouvait être de nationalité espagnole ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée
d'un défaut de base légale et d'une erreur de droit, puisque les dispositions des 1° et 5° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne sont pas applicables aux ressortissants de l'Union européenne ; les dispositions du 2° de
l'article L. 251-1 du même code ne peuvent leur être substituées dès lors que l'obligation
de quitter le territoire français prise à l'encontre d'un ressortissant communautaire
doit nécessairement être assortie d'un délai de départ volontaire en application de
l'article L. 251-3, ce qui n'est pas le cas ; le préfet n'aurait donc pas pu prendre la même décision en se fondant sur ces nouvelles dispositions ; le premier juge ne l'a pas informé du fait qu'il était susceptible de procéder à une substitution de base légale, l'empêchant ainsi de contester les faits délictuels qui lui sont reprochés ; les faits d'outrage à policier sont isolés et n'ont pas donné lieu à poursuites ; ils ne sont pas de nature à caractériser une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;
- à supposer que la substitution de base légale soit admise, les dispositions du 2° de l'article L. 251-1 du code ont été méconnues, puisque son comportement ne représente pas une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ;
- la décision refusant de lui accorder un délai de départ volontaire méconnaît l'article L. 251-3 du code, dès lors que, pour un ressortissant de l'Union européenne, le délai peut seulement être réduit.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 février 2024, le préfet de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- l'arrêté n'est pas entaché d'une erreur de fait puisque l'intéressé n'a pas été en mesure de présenter un document d'identité et que le centre de coopération judiciaire d'Hendaye n'a pas été en mesure de confirmer sa nationalité espagnole ;
- les dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pouvaient être substituées à celles retenues dans l'arrêté, d'autant qu'il est possible, en application de l'article L. 251-3, de réduire le délai de départ accordé à un ressortissant de l'Union européenne pour quitter volontairement le territoire ; les deux condamnations pénales figurant au casier judiciaire de l'intéressé, les sept mises en cause en qualité d'auteur figurant dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires, la condamnation du 13 juin 2023 évoquée dans le procès-verbal d'audition ainsi que son interpellation, le 18 juin 2023, pour des faits de violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique et rébellion permettent de caractériser une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; les deux interpellations dont il a fait l'objet début 2024 confirment la réalité et l'actualité de sa dangerosité ; s'il nie désormais les faits, certains d'entre eux ont fait l'objet d'une inscription à son casier judiciaire et il a également reconnu sa condamnation pour des violences sur son ancienne compagne dix jours auparavant ;
- la gravité et le caractère répété des faits délictuels peuvent justifier que le délai de départ volontaire dont doit en principe bénéficier un ressortissant de l'Union européenne pour quitter volontairement le territoire français soit supprimé.
M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Olivier Cotte a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., né le 25 novembre 1998 au Maroc, a été interpellé,
le 18 juin 2023, pour des faits de violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique et rébellion. Par deux arrêtés du 19 juin 2023, le préfet de Lot-et-Garonne, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et, d'autre part, l'a assigné à résidence. Par un jugement du 23 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'interdiction de retour d'une durée d'un an, a enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de procéder à la suppression du signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dont a fait l'objet M. B... dans un délai de deux mois, et a rejeté le surplus de la demande. M. B... relève appel de ce jugement.
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / (...) / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déclaré, lors de son interpellation, être de nationalité espagnole. Il a justifié ultérieurement être en possession d'un passeport et d'une carte d'identité espagnols. Alors même que les autorités de ce pays, saisies d'une demande de réadmission, ont opposé, le 19 juin 2023, un refus au motif que la vérification des empreintes s'était avérée négative, M. B..., dont l'authenticité du passeport a depuis été confirmée, ne pouvait faire l'objet, en qualité de ressortissant de l'Union européenne, d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
4. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. Une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point.
5. Il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Gironde a fait valoir, dans ses écritures de première instance, dont M. B... a pu prendre connaissance avant la tenue de l'audience et sur lesquelles il a pu présenter utilement ses observations,
que la décision portant obligation de quitter le territoire français aurait pu être fondée sur l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Aux termes de ces dernières dispositions, applicables aux ressortissants de l'Union européenne : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : (...) 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (...) / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été interpellé,
le 18 juin 2023, pour des faits de violences volontaires sur personne dépositaire de l'autorité publique et rébellion et qu'il a reconnu ces faits lors de son audition le lendemain. Il a également été condamné, le 13 juin 2023, par le tribunal judiciaire d'Agen à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis pour des faits de violence sur son ancienne compagne. Auparavant, il avait été condamné le 22 novembre 2017 à une amende
de 200 euros pour outrage à une personne chargée d'une mission de service public
et le 6 décembre 2021 à une peine de trois mois d'emprisonnement avec sursis pour rébellion et menace de mort ou d'atteinte aux biens dangereuse pour les personnes à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique. Il a, par ailleurs, été mis en cause, en qualité d'auteur, à quatre autres reprises, pour violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin, ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et destruction d'un bien appartenant à autrui le 15 janvier 2022, port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D le 19 mai 2022, violence avec usage ou menace d'une arme sans incapacité le 13 octobre 2022, violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin, ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et destruction d'un bien appartenant à autrui
le 14 avril 2023. Si M. B... conteste la réalité de ces faits pour la première fois en appel et soutient que les faits d'outrage à policiers sont des faits isolés, il ressort pourtant de son casier judiciaire que certains d'entre eux ont fait l'objet de condamnations pénales. Dans ces conditions, le comportement de M. B... peut être regardé comme constituant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, en l'occurrence la sécurité publique. Le préfet pouvait ainsi se fonder sur
l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour éditer une obligation de quitter le territoire français. Cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie, et l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer cette disposition.
7. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être rejeté.
8. Si le préfet a retenu que M. B... était de nationalité marocaine et non espagnole, cette erreur est demeurée sans incidence sur la légalité de l'arrêté, compte tenu de ce qui vient d'être dit.
9. Aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. / L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence (...) ".
10. Eu égard aux faits commis par M. B..., le préfet de la Gironde pouvait légalement estimer qu'il y avait une urgence justifiant que soit supprimé tout délai de départ volontaire pour permettre à M. B... de quitter le territoire français, sans que la circonstance qu'il soit ressortissant de l'Union européenne n'y fasse obstacle.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le surplus de sa demande.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... et son conseil demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.
Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 2 mai 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX02587