Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté
du 21 juillet 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Par un jugement n° 2304570 du 12 octobre 2023, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 novembre 2023, M. C..., représenté par Me Abadel, demande à la cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) d'annuler ce jugement ;
3°) à titre principal d'annuler l'arrêté du préfet de la Gironde du 21 juillet 2023 et d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès la notification de l'arrêt à intervenir et une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai d'un mois, et à titre subsidiaire d'annuler l'obligation de quitter le territoire français
du 21 juillet 2023 et d'enjoindre au préfet de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dès la notification de l'arrêt à intervenir et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme
de 1 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- la décision ne mentionne aucun des éléments nouveaux versés dans le cadre du réexamen et se fonde sur les éléments communiqués lors de la demande initiale présentée
en 2018 ; elle est ainsi insuffisamment motivée ;
- alors qu'il était en attente d'un retour des services instructeurs sur la demande d'autorisation de travail déposée par la société RTF Construction, le délai de huit jours que lui a imparti l'administration pour renvoyer le formulaire de demande de titre de séjour accompagné de pièces était insuffisant, ce qui entache la procédure d'irrégularité ;
- le préfet n'a pas examiné la demande au regard de l'accord franco-marocain applicable en l'espèce et la substitution de base légale effectuée par le tribunal le prive d'une garantie dès lors qu'il n'a pas pu faire valoir d'observations, alors qu'une demande d'autorisation de travail avait été déposée par la société RTF Construction ;
- contrairement à ce qu'indique le jugement, la demande d'autorisation de travail n'a pas fait l'objet d'un refus le 15 février 2021, mais d'un classement sans suite pour dossier incomplet, et le préfet, qui lui a demandé de compléter sa demande de titre de séjour dans un délai de huit jours sous peine de rejet, n'a pas tenu compte de ce qu'une nouvelle demande d'autorisation de travail était alors en cours d'instruction ; le préfet, qui lui a adressé un formulaire de renouvellement de titre de séjour alors qu'il sollicitait un changement de statut, n'a pas tenu compte des pièces produites ; il justifie de 12 mois d'ancienneté dans l'entreprise, d'un contrat à durée indéterminée depuis décembre 2019 et a régulièrement travaillé sous couvert d'une autorisation provisoire de séjour valable jusqu'au 18 septembre 2023 ; il exerce une activité dans un secteur professionnel et une zone géographique en tension, et il est intégré dans la société française ; ainsi, la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 janvier 2024, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision
du 5 mars 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-marocain du 9 décembre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité marocaine, est entré en France le 25 juin 2015 et s'est vu délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " travailleur saisonnier ", valable
jusqu'au 16 août 2018. Il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de travailleur temporaire le 12 octobre 2018, et ultérieurement en qualité de salarié. Par un arrêté
du 12 avril 2021, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un arrêt
n° 21BX04100 du 7 février 2023, la cour a annulé cet arrêté au motif que la décision de refus de titre de séjour avait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, et a enjoint à l'administration de réexaminer la demande de M. C.... Par un arrêté du 21 juillet 2023, le préfet de la Gironde a pris de nouvelles décisions portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixation du pays de renvoi. M. C... relève appel du jugement du 12 octobre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Par une décision du 5 mars 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près
le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. C.... Sa demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est ainsi sans objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article 3 accord franco-marocain du 9 décembre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum (...), reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. / (...). " L'accord franco-marocain renvoie ainsi, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en œuvre. Il en va notamment ainsi, pour le titre de séjour " salarié " mentionné par l'article 3 de l'accord délivré sur présentation d'un contrat de travail " visé par les autorités compétentes ", des dispositions des articles R. 5221-17 et suivants du code du travail, qui précisent les modalités selon lesquelles et les éléments d'appréciation en vertu desquels le préfet se prononce,
au vu notamment du contrat de travail, pour accorder ou refuser une autorisation de
travail.
4. Aux termes de l'article R. 5221-17 du code du travail : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée au I de l'article R. 5221-1 est prise par le préfet. Elle est notifiée à l'employeur ou au mandataire qui a présenté la demande, ainsi qu'à l'étranger. " Aux termes de l'article R. 5221-1 du même code, dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " I. Pour exercer une activité professionnelle salariée en France, les personnes suivantes doivent détenir une autorisation de travail lorsqu'elles sont employées conformément aux dispositions du présent code : / 1° Etranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse ; (...) / II. La demande d'autorisation de travail est faite par l'employeur. (...) / La demande peut également être présentée par une personne habilitée à cet effet par un mandat écrit de l'employeur ou de l'entreprise. / Tout nouveau contrat de travail fait l'objet d'une demande d'autorisation de travail. ".
5. Pour annuler la décision de refus de titre de séjour portant la mention " salarié "
du 12 avril 2021, la cour s'était fondée sur l'irrégularité de la procédure, l'administration ayant opposé à M. C... un refus d'autorisation de travail du 15 février 2021 au motif que son employeur, la société RTF Construction, n'avait pas répondu à une demande de pièces complémentaires, alors que cette demande n'avait été reçue ni par l'intéressé, ni par
la société RTF Construction. Il ressort des pièces du dossier que dans le cadre de l'injonction de réexamen prononcée par la cour, le préfet a demandé au conseil de M. C..., par lettre
du 19 juin 2023, de produire un formulaire complété et signé ainsi que diverses pièces justificatives, ce qui a été fait par pli recommandé reçu le 27 juin 2023, la lettre d'accompagnement précisant que la demande d'autorisation de travail, dont le dossier fait apparaître qu'elle a été signée par l'employeur le 22 juin 2023, était en cours d'instruction. Dès lors que cette instruction était l'objet même de l'injonction de réexamen, le préfet de la Gironde était tenu d'y procéder et de prendre une décision sur la demande d'autorisation de travail, comme le prévoit l'article R. 5221-17 du code du travail. Par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. C... est fondé à soutenir que la décision de refus de titre de séjour du 21 juillet 2023 a été prise à l'issue d'une procédure irrégulière et doit être annulée, de même que, par voie de conséquence, les décisions du même jour portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de renvoi.
6. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Eu égard à la nature de l'illégalité entachant la décision de refus de titre de séjour, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour à M. C... et de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt après instruction de la demande d'autorisation de travail.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
8. M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son conseil
peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et
de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros, à verser à Me Abadel.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire de M. C...
au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 21 juillet 2023 et le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2304570 du 12 octobre 2023 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer sans délai une autorisation provisoire de séjour à M. C... et de réexaminer sa situation dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, après instruction de la demande d'autorisation de travail.
Article 4 : L'Etat versera à Me Abadel une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au préfet de la Gironde, au ministre
de l'intérieur et des outre-mer et à Me Abadel.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 avril 2024.
La rapporteure,
Anne B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX02791