Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler la décision du 27 mars 2018 par laquelle l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a refusé de se substituer à l'assureur de l'établissement hospitalier et de condamner le centre hospitalier la Tour blanche d'Issoudun ou l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux à l'indemniser de l'ensemble des préjudices subis à la suite d'un retard de diagnostic pour un montant de 283 394,25 euros.
Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher a demandé la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 152 477,14 euros en remboursement des débours exposés au profit de son assurée sociale, et la
société AG2R Réunica Prévoyance la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 273 519,96 euros correspondant aux indemnités journalières et à la rente d'invalidité servies à son assurée ou, à défaut, la somme de 52 592,94 euros.
Par un jugement n° 1900107 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté les demandes de Mme C..., de la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher et de la société AG2R Réunica Prévoyance, et mis à la charge du centre hospitalier les dépens pour un montant de 1 200 euros.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 février et 19 mai 2022, Mme C..., représentée par Me Longeagne, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de 17 décembre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 27 mars 2018 par laquelle l'ONIAM a refusé de se substituer à l'assureur de l'établissement hospitalier ;
3°) de condamner le centre hospitalier d'Issoudun ou, à défaut, l'ONIAM, à lui verser une somme de 283 394,25 euros ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Issoudun ou, à défaut, de l'ONIAM la somme de 6 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens pour un montant de 1 200 euros.
Elle soutient que :
- les deux expertises des 6 décembre 2012 et 24 avril 2017 ont retenu une faute de l'hôpital en ce que l'examen clinique était insuffisant sur le plan neurologique, sa sensibilité ou un signe de Lasègue n'ayant notamment pas été vérifiés ; cette prise en charge non conforme aux règles de l'art a entraîné un retard de diagnostic, d'au moins 24 heures, qui l'a privée de la possibilité de subir une intervention chirurgicale adaptée ;
- elle a perdu une chance d'éviter les séquelles qui sont les siennes, comme l'ont retenu les deux experts ; si le premier expert n'a pas été en mesure de la chiffrer, il en retient le principe ; selon un nouvel avis médical qu'elle a recueilli le 27 mars 2022, la sciatique paralysante est une urgence chirurgicale et la compression doit être levée dans les six heures ; le retard de diagnostic a eu un effet délétère sur la possibilité de récupération ; aucun élément ne permet d'affirmer que les séquelles sont en lien avec des hernies survenues après les faits ; en tout état de cause, l'indemnisation d'une victime ne peut être réduite en raison des prédispositions de celle-ci ou d'un état antérieur dès lors que cet état n'a été provoqué ou révélé que par le fait dommageable ; si les pièces du dossier ne sont pas suffisantes, une nouvelle expertise doit être ordonnée, au contradictoire également de l'ONIAM ;
- elle est recevable à demander l'annulation de la décision du 27 mars 2018 dès lors que l'ONIAM n'a pas présenté d'offre d'indemnisation et que la demande de substitution a été présentée en phase amiable ; contrairement à ce que l'établissement public fait valoir, les conclusions des deux rapports d'expertise ne sont pas divergentes sur la faute et l'existence d'une perte de chance ; l'ONIAM ne peut davantage être mis hors de cause, notamment si une mesure d'expertise devait être ordonnée ;
- elle a subi une perte d'avantages professionnels pour la période du
27 avril 2012 au 7 novembre 2013, constitués par des chèques vacances pour un montant de 780 euros, une aide au sport pour 100 euros, une prime à la rentrée scolaire pour 240 euros, des bons de Noël pour 400 euros et des tickets restaurant pour 3 892,50 euros, soit un total de 5 412,50 euros ;
- le montant des frais divers qui s'élève à 5 142,69 euros comprend les frais d'hospitalisation pour 1 910 euros, les frais de télévision pour 74,35 euros, les frais de déplacement pour 3 077,34 euros et des frais de dépassement d'honoraires de consultation pour 81 euros ;
- postérieurement à la date de consolidation fixée au 7 novembre 2013, elle a subi des pertes de gains professionnels puisqu'elle n'a jamais pu reprendre son activité d'infirmière ; sur la base de son salaire net imposable en 2011, d'un indice de revalorisation de 3 % et d'un taux d'imputabilité, tel que retenu par l'expert, de 20 %, le préjudice subi pour la période antérieure au 31 décembre 2019 est de 28 527,74 euros et, pour la période postérieure, avec un prix de l'euro de rente viagère de 38,674, de 178 910,56 euros ; de ces sommes doivent être déduites les indemnités versées par les tiers payeurs ; la perte des avantages professionnels s'élève, quant à elle, à 13 839,50 euros ;
- elle a exposé des frais d'hospitalisation, de soins d'ostéopathie, de déplacement, notamment en vue des expertises, et de dépassement d'honoraires de consultation, pour un montant total de 5 302,02 euros ;
- au vu des périodes d'incapacité identifiées par le second expert et d'un taux de 35 euros par jour d'incapacité totale, le déficit fonctionnel temporaire peut être évalué à 4 585 euros ;
- il peut lui être alloué les sommes de 5 100 euros pour les souffrances endurées et 1 000 euros pour le préjudice esthétique temporaire ;
- le déficit fonctionnel permanent évalué à 20 %, et dont 60 % sont imputables à la faute commise, peut donner lieu au versement d'une somme de 27 145,20 euros ;
- depuis l'accident, elle éprouve des limitations dans ses activités de danse en club, de ski, de ski nautique, de natation, de marche en randonnée, de piano et de voyages ; son préjudice d'agrément peut être évalué à 5 429,04 euros ;
- il peut lui être alloué les sommes de 1 000 euros pour le préjudice esthétique permanent et 2 000 euros pour le préjudice sexuel.
Par deux mémoires enregistrés les 17 février 2022 et 8 novembre 2023, AG2R Prévoyance, représentée par la SELARL Europa avocats, demande la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions, la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 273 519,96 euros correspondant aux indemnités journalières et à la rente d'invalidité servies à son assurée ou, à défaut, en appliquant un taux d'imputabilité de 20 %, la somme de 52 592,94 euros, et à la mise à la charge du centre hospitalier de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la position du tribunal selon laquelle les séquelles sont en rapport avec la hernie discale initiale et l'histoire naturelle de la maladie dégénérative est en contradiction avec les conclusions du second expert qui a distingué selon les préjudices, et l'avis de la commission de conciliation et d'indemnisation ; la première expertise apparaît moins pertinente pour la détermination des préjudices puisque la consolidation n'était pas intervenue ; si un doute existait encore sur le lien de causalité, il conviendrait d'ordonner une nouvelle expertise ;
- elle a versé des indemnités journalières pour des montants de 10 555,27 euros pour la période avant consolidation et 7 390,80 euros pour la période postérieure, ainsi qu'une rente d'invalidité qui représente 54 089,98 euros pour la période échue au
31 janvier 2019 et 201 483,91 euros pour la période postérieure ; il est incohérent pour le centre hospitalier de s'opposer au remboursement de cette rente et de demander qu'elle soit imputée sur l'indemnisation de Mme C... ; la faute doit être regardée comme étant à l'origine de l'intégralité du préjudice subi, y compris pour la période postérieure à la consolidation ; à défaut, l'indemnisation due par le centre hospitalier doit être au moins de 20 % des sommes exposées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 avril 2022, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales, représenté par la SELARL Birot Ravaut et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de toute partie succombante la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le jugement peut être confirmé en ce qu'il a mis hors de cause l'ONIAM au motif que les séquelles conservées par Mme C... sont en lien avec sa pathologie initiale et l'histoire naturelle de sa maladie ;
- la demande de substitution de l'ONIAM à l'assureur défaillant est irrecevable dans le cadre contentieux ;
- Mme C... ne développe aucune argumentation susceptible de démontrer un droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale, d'autant que les deux experts ont retenu que le dommage était imputable à un manquement du centre hospitalier, l'examen clinique n'ayant pas été réalisé dans les règles de l'art, et à l'évolution de la pathologie initiale ; selon les experts, le retard de diagnostic est à l'origine d'une perte de chance pour Mme C... de voir son état s'améliorer ;
- le dommage présenté par Mme C... n'est pas la conséquence d'un acte de prévention, de diagnostic ou de soins et ne peut donc pas constituer un aléa thérapeutique ; il peut être regardé comme la conséquence d'un échec thérapeutique et donc en rapport avec l'évolution spontanée de la pathologie ;
- il n'apparaît pas utile que l'expertise sollicitée soit réalisée au contradictoire de l'ONIAM, par conséquent cette demande doit être rejetée.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 19 janvier et 17 novembre 2023, le centre hospitalier d'Issoudun, représenté par la SELARL Boizard Eustache Guillemot associés, conclut au rejet de la requête et des conclusions adverses, et à la réformation du jugement en tant qu'il a mis les frais d'expertise à sa charge ou, à titre subsidiaire, à l'organisation d'une nouvelle expertise, à ce que sa part de responsabilité soit limitée à hauteur de 10 % et à ce que l'évaluation des préjudices soit revue à la baisse par rapport aux prétentions, et enfin au rejet des demandes de AG2R Prévoyance concernant la rente d'invalidité et au rejet des prétentions de la CPAM.
Il fait valoir que :
- les conclusions des deux expertises sont contradictoires et contestables ; l'urgentiste ayant observé qu'il n'existait aucun trouble sensitivo-moteur, il a nécessairement réalisé un examen moteur ; c'est donc sans fondement médical que le second expert retient un déficit moteur de 3 sur 5 le 27 avril 2012 ; les troubles moteurs n'ont été constatés que 34 heures plus tard lors de la consultation au sein du centre hospitalier de Châteauroux, illustrant une évolution défavorable de la pathologie herniaire ; le 27 avril, il n'existait pas d'indication justifiant de réaliser un scanner et une intervention chirurgicale en urgence ;
- à supposer même qu'il y ait eu manquement, il n'existe pas de lien de causalité direct et certain entre la prise en charge critiquée et les dommages allégués ; il n'est pas établi qu'une intervention plus précoce sur la hernie aurait permis une meilleure récupération et évité une absence de récidive, ce qui a été souligné par le premier expert ; la seconde expertise procède non par affirmation mais par hypothèse ; le dommage résulte d'un échec thérapeutique et de l'évolution de la pathologie initiale ;
- le retard de diagnostic n'est pas à l'origine d'un retard de prise en charge de plus de 24 heures, par conséquent la part de responsabilité imputable au centre hospitalier est marginale et ne saurait excéder 10 % ;
- la seconde expertise procédant à une évaluation globale des préjudices, il est nécessaire d'ordonner un complément d'expertise pour déterminer la part des préjudices en lien avec le défaut de prise en charge et ceux en lien avec l'état antérieur ;
- la demande au titre des pertes de gains et avantages professionnels actuels ne peut qu'être rejetée, puisque la maladie de Mme C... l'aurait empêchée de reprendre une activité professionnelle rapidement ; à défaut, seule la période d'arrêt de travail du
27 août 2012 au 7 novembre 2013 peut être retenue ; par suite, s'agissant du quantum, la demande ne peut être que rejetée en ce qu'elle excède les sommes de 200 euros pour les bons de Noël et 2 681,50 euros pour les tickets restaurants ;
- les frais d'hospitalisation, de consultation, de déplacements et de télévision sont exclusivement imputables à la pathologie initiale ; en tout état de cause, il convient de s'assurer que ces frais de santé n'auraient pas été pris en charge par la caisse de sécurité sociale ;
- Mme C... ne produit, à l'appui de sa demande au titre des pertes de gains professionnels futurs, aucun document pour justifier de son salaire de référence ; le prix de l'euro de rente doit être fixé, en application du barème de capitalisation de 2018, à 34,696 ; les indemnités journalières et la rente d'invalidité doivent être déduites ;
- en l'absence de lien de causalité avec le retard de diagnostic, la demande au titre de la perte d'avantages professionnels futurs doit être rejetée ou, à défaut, limitée à hauteur de 20 % ;
- pour le même motif, la demande au titre des frais divers postérieurs à la consolidation doit également être rejetée ; à défaut, il convient de vérifier qu'ils n'ont pas été pris en charge par l'organisme tiers payeur ;
- le déficit fonctionnel temporaire ne saurait dépasser 22 euros par jour, et le premier expert a retenu une telle incapacité pour une durée de seulement deux jours ;
- l'indemnisation des souffrances endurées ne saurait excéder 4 500 euros et celle du préjudice esthétique temporaire 800 euros ; dans les deux cas, la part qui lui est imputable doit être limitée à 10 % ;
- Mme C... ne conserve aucun déficit fonctionnel permanent qui serait imputable au retard de diagnostic, comme l'a relevé le premier expert ; la dépression réactionnelle est liée essentiellement à l'aggravation neurologique transitoire postopératoire qui est en rapport exclusif avec l'état antérieur ; à titre subsidiaire, s'il est retenu que 60 % du déficit fonctionnel permanent, évalué à 20 % par le second expert, sont imputables au défaut de prise en charge, la somme allouée ne peut excéder 20 223 euros ;
- aucune pièce ne permet de justifier de la réalité d'un préjudice d'agrément ; aucune impossibilité définitive d'exercer une activité sportive ou de loisir n'est caractérisée, de sorte que la demande d'indemnisation à ce titre doit être rejetée ; à titre subsidiaire, l'indemnisation doit être fixée à 10 % de la somme de 1 000 euros ; il doit en aller de même pour le préjudice esthétique permanent ;
- la demande relative au préjudice sexuel doit être remenée à de plus justes proportions ;
- les demandes des organismes tiers payeurs doivent être rejetées dès lors que la responsabilité du centre hospitalier n'est pas établie ; au demeurant, pour les indemnités journalières versées avant la consolidation, seules peuvent être prises en compte celles versées pour la période du 27 août 2012 au 7 novembre 2013 pour un montant de 9 225,03 euros ; pour la période postérieure, seules 20 % des indemnités versées peuvent être mis à la charge de l'établissement, le reste étant en lien avec l'histoire de la maladie ; la demande au titre de la rente doit être rejetée dès lors que celle-ci est justifiée par l'état antérieur ; tout au plus, 20 % de celle-ci pourront être mis à la charge de l'hôpital ; s'agissant des demandes de la caisse de sécurité sociale, l'attestation de débours ne suffit pas à établir l'imputabilité des frais au fait dommageable ; à titre subsidiaire, seules les dépenses exposées entre le 27 août 2012 et le 7 novembre 2013 sont imputables à l'hôpital.
Par un mémoire, enregistré le 8 novembre 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher, représentée par Me Maury, demande l'annulation du jugement attaqué, la condamnation du centre hospitalier d'Issoudun à lui verser la somme de 158 376,21 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 septembre 2019, l'indemnité forfaitaire de gestion pour un montant de 1 162 euros et à ce que soit mise à la charge de l'établissement la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les deux experts qui ont été consultés ont retenu une faute du centre hospitalier à l'origine d'un retard de prise en charge ; si le tribunal a écarté le lien de causalité avec le dommage, le second expert a pourtant clairement distingué les préjudices directement imputables au retard de prise en charge et ceux consécutifs à la pathologie dont Mme C... est atteinte ; selon lui, le lien de causalité est d'autant plus établi que s'est produite une aggravation neurologique post-opératoire par récidive de la hernie et un état dépressif réactionnel ; si le premier expert a estimé qu'il y avait une perte de chance modérée qu'il ne pouvait chiffrer, les données médicales sur la prise en charge chirurgicale précoce d'une sciatique paralysante ont évolué depuis 2012, ce qui peut justifier un complément d'expertise ;
- l'attestation d'imputabilité établie par le médecin conseil suffit à justifier que les dépenses engagées sont en lien avec le dommage ;
- le détail des frais hospitaliers, médicaux, pharmaceutiques et de transport, ainsi que les périodes concernées sont dûment précisés ; le remboursement des indemnités journalières ne concerne que la période identifiée par l'expert comme imputable à la faute, et la part relative à la perte de gains professionnels futurs et à l'incidence professionnelle a été fixée, conformément à l'expertise, à 20 %.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Longeagne, représentant Mme C..., et de Me Vezin, représentant le centre hospitalier de la Tour blanche.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., alors âgée de 38 ans, a présenté à son domicile, le 27 avril 2012, des douleurs lombaires avec irradiations aux membres inférieurs, survenues sans effort particulier. L'intensité de cette douleur de sciatique a occasionné une chute de sa hauteur. Elle a été conduite aux services des urgences du centre hospitalier d'Issoudun par son époux et en est ressortie avec un traitement anti-inflammatoire et antalgique. Devant la persistance des douleurs, elle s'est rendue le lendemain au service des urgences du centre hospitalier de Châteauroux où elle a été mise sous perfusion et où elle a passé un scanner (tomodensitométrie). Cet examen a mis en évidence une hernie discale postéro-latérale en
L4-L5 comprimant la racine L5 droite. Mme C... a été transférée au centre hospitalier universitaire de Tours, dans le service de neurochirurgie, où elle a été opérée le 29 avril 2012, et elle en est ressortie le 2 mai 2012. Alors qu'elle était prise en charge dans un service de rééducation fonctionnelle à Issoudun, Mme C... a ressenti mi-mai une aggravation de ses douleurs. Une imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisée le 2 août a révélé une récidive herniaire en L4-L5 du coté droit. Après avoir bénéficié d'infiltrations, elle a subi, le 8 novembre 2013, une discectomie et une arthroplastie L4-L5, puis, le 18 août 2016, une nouvelle intervention de discectomie L3-L4, avec implantation d'un dispositif inter-épineux.
2. Mme C... a saisi le tribunal administratif de Limoges, le 1er août 2012, d'une demande d'expertise. Le rapport déposé le 6 décembre 2012 par le professeur B..., chef de service de neurochirurgie du Val-de-Grâce, a conclu à l'existence d'une faute du médecin urgentiste dans la prise en charge de Mme C..., à l'origine d'une perte de chance très modérée, seulement responsable de deux jours de déficit fonctionnel temporaire supplémentaires, les autres séquelles étant en lien avec l'évolution de la pathologie. Plus de trois ans plus tard, Mme C... a saisi, le 11 août 2016, la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux. Au vu du rapport déposé le 24 avril 2017 par le Dr A..., neurochirurgien, qui a retenu une faute commise par le centre hospitalier d'Issoudun à l'origine de 60 % du déficit fonctionnel permanent évalué à 20 %, la commission a rendu un avis, le 22 juin 2017, en faveur de l'indemnisation de Mme C.... Par un courrier du 4 décembre 2017, l'assureur du centre hospitalier d'Issoudun a refusé de faire une proposition d'indemnisation. L'ONIAM, saisi par Mme C... le 26 décembre 2017 afin de lui demander de se substituer à l'assureur de l'hôpital, a refusé, par une décision du 27 mars 2018, compte tenu des divergences entre les deux expertises. Mme C... a saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande d'annulation de cette décision du
27 mars 2018 et d'une demande de condamnation du centre hospitalier d'Issoudun ou, à défaut, de l'ONIAM, à l'indemniser des préjudices subis. Par un jugement du
17 décembre 2021, le tribunal a rejeté les demandes de Mme C..., ainsi que celles de la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher et de la société AG2R Réunica Prévoyance tendant à être indemnisées des sommes versées au profit de Mme C.... Le tribunal a également mis à la charge du centre hospitalier d'Issoudun les dépens pour un montant de 1 200 euros. Par la présente requête, Mme C... demande l'annulation du jugement et que lui soit versée une indemnité de 283 394,25 euros. La CPAM de Loir-et-Cher et la société AG2R Prévoyance demandent la condamnation du centre hospitalier d'Issoudun à leur verser, respectivement, les sommes de 158 376,21 euros et de 273 519,96 euros. Le centre hospitalier d'Issoudun conclut à la réformation du jugement en tant qu'il a mis les frais d'expertise à sa charge.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 1142-4 du code de la santé publique : " Lorsque la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales estime qu'un dommage relevant du premier alinéa de l'article L. 1142-8 engage la responsabilité d'un professionnel de santé, d'un établissement de santé, d'un service de santé ou d'un organisme mentionné à l'article L. 1142-1 (...), l'assureur qui garantit la responsabilité civile ou administrative de la personne considérée comme responsable par la commission adresse à la victime ou à ses ayants droit, dans un délai de quatre mois suivant la réception de l'avis, une offre d'indemnisation visant à la réparation intégrale des préjudices subis dans la limite des plafonds de garantie des contrats d'assurance. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-5 de ce code : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. (...) ". Aux termes de l'article L. 1142-20 du même code : " La victime, ou ses ayants droit, dispose du droit d'action en justice contre l'office si aucune offre ne lui a été présentée ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite. / L'action en indemnisation est intentée devant la juridiction compétente selon la nature du fait générateur du dommage. "
4. Lorsque, en l'absence de présentation d'une offre de l'assureur d'un établissement public de santé ou de l'ONIAM ou à défaut d'acceptation de cette offre, la procédure de règlement amiable prévue par les articles L. 1142-4 à L. 1142-8 et R. 1142-13 à R. 1142-18 du code de la santé publique n'a pu aboutir, la victime conserve le droit d'agir en justice, soit contre un établissement public de santé, si elle estime que sa responsabilité est engagée, soit contre l'ONIAM, si elle estime que son dommage est indemnisable au titre de la solidarité nationale. Les dispositions de l'article L. 1142-20 du code de la santé publique, selon lesquelles la victime ou ses ayants droit peut agir en justice contre l'Office en l'absence d'offre ou si elle n'a pas accepté l'offre qui lui a été faite, ne sont applicables que dans l'hypothèse où le dommage ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale et n'ont ni pour objet ni pour effet d'instituer un droit d'agir en justice contre l'ONIAM au titre de dommages engageant la responsabilité d'un établissement public de santé lorsque, en l'absence d'offre de l'assureur de ce dernier, l'Office n'a pas non plus fait d'offre, ou s'il a fait une offre qui n'a pas été acceptée.
5. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par Mme C... tendant à l'annulation de la décision du 27 mars 2018 par laquelle l'ONIAM a, à la suite du refus de l'assureur du centre hospitalier d'Issoudun de faire une offre d'indemnisation, lui-même refusé de se substituer à l'assureur sont irrecevables, dès lors que le litige ne peut porter que sur l'engagement de la responsabilité du centre hospitalier ou, le cas échéant, de la solidarité nationale afin de prendre en charge les conséquences dommageables subies par la victime.
Sur la responsabilité du centre hospitalier :
6. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
7. Il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports d'expertise, que l'examen clinique de Mme C..., lors de sa prise en charge par le service des urgences du centre hospitalier d'Issoudun, a été trop succinct, se résumant à un palper abdominal et à une radiographie du rachis qui a conclu à des " lésions discarthrosiques lombaires basses bénignes, pas d'autre anomalie ostéo-articulaire ". Alors que Mme C... se plaignait de paresthésies du mollet et du pied droit, associées à une douleur violente évaluée à 10 sur 10 et à un lâchage du membre inférieur droit, le compte-rendu de son dossier clinique ne fait état ni de l'évolution du syndrome rachidien, ni de l'examen neurologique. Celui-ci aurait pourtant dû comprendre une évaluation du signe de Lasègue et du déficit moteur, ainsi qu'une recherche des réflexes, des troubles de la sensibilité et des troubles sphinctériens. L'examen réalisé, non conforme aux règles de l'art, n'a pas permis de rechercher efficacement un déficit neurologique objectif pouvant justifier une intervention chirurgicale urgente. Il a été regardé, selon l'analyse concordante des deux experts, comme insuffisant, imprécis et inapproprié, conduisant à un retard de diagnostic du déficit neurologique que Mme C... présentait. Dans ces conditions, le centre hospitalier d'Issoudun a commis une faute.
8. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier aurait compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue. Lorsqu'une pathologie prise en charge dans des conditions fautives a entraîné une détérioration de l'état du patient ou son décès, c'est seulement lorsqu'il peut être affirmé de manière certaine qu'une prise en charge adéquate n'aurait pas permis d'éviter ces conséquences que l'existence d'une perte de chance ouvrant droit à réparation peut être écartée.
9. En l'espèce, le diagnostic de hernie discale postéro-latérale en L4-L5 comprimant la racine L5 droite a été posé par le service des urgences du centre hospitalier de Châteauroux au vu des résultats d'une tomodensitométrie, le 28 avril 2012 à 18h04. Il a conduit au transfert de la patiente au CHU de Tours pour une intervention chirurgicale, réalisée le 29 avril à 8 heures. Il résulte de l'instruction que le retard de diagnostic peut être évalué à 24 heures, compte tenu du fait qu'à l'époque des faits, le centre hospitalier d'Issoudun ne disposait pas de scanner. Toutefois, il n'est pas établi qu'un tel retard serait à l'origine d'une perte de chance pour Mme C... d'éviter une aggravation du dommage, au vu notamment des conclusions du Professeur B... qui a relevé que, compte tenu de la littérature scientifique disponible, " il est pratiquement impossible d'affirmer qu'une différence de 24 à 48 heures de délai pré-opératoire altère de façon significative le résultat fonctionnel à distance ". Il estime que les séquelles sont en lien avec l'histoire naturelle de la pathologie, Mme C... souffrant depuis 15 jours de douleurs irradiantes vers le membre inférieur, et avec le résultat incomplet de la chirurgie, qui est assez fréquent concernant cette pathologie. Si le Dr A... indique qu'un retard de prise en charge de 24 heures " peut être délétère sur la possibilité de récupération " et qu'il est responsable en l'espèce d'une partie des séquelles observées, et plus précisément de 60 % du déficit fonctionnel permanent évalué à 20 %, il ne précise pas les données sur lesquelles il s'appuie pour pouvoir formuler une telle affirmation, alors qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il note lui-même que Mme C... n'a pas été opérée en urgence lorsqu'elle a été admise au CHU de Tours, et qu'une intervention chirurgicale ne permet pas toujours une récupération complète. En outre, le chirurgien qui a opéré Mme C... le 29 avril 2012 a constaté l'absence de syndrome de la queue de cheval, lequel aurait justifié une intervention en urgence. Il ne ressort en outre d'aucune des pièces produites que la récidive herniaire, objectivée le 2 août 2012, serait en lien avec le retard de diagnostic fautif. Dans ces conditions, les séquelles physiologiques et psychologiques doivent, ainsi que l'a relevé le Dr B..., être mises en rapport avec la hernie discale initiale et l'histoire naturelle de cette maladie dégénérative rachidienne discale et arthrosique qui a affecté, chez Mme C..., trois étages (L3-L4, L4-L5 et L5-S1) et a conduit à trois interventions en moins de quatre ans. L'intéressée n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'elle aurait perdu une chance d'éviter une aggravation de son dommage du fait du retard de diagnostic.
10. Il s'ensuit, et sans qu'il y ait lieu d'ordonner une nouvelle expertise qui n'apparaît pas utile à la solution du litige, que Mme C... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité du centre hospitalier d'Issoudun.
Sur les conclusions dirigées contre l'ONIAM :
11. Ainsi qu'il vient d'être dit, les séquelles que conserve Mme C... à la suite de sa prise en charge le 27 avril 2012 sont en lien avec sa pathologie initiale et l'histoire naturelle de cette maladie. Ses conclusions subsidiaires dirigées contre l'ONIAM doivent, par conséquent, être rejetées.
Sur les conclusions présentées par la CPAM de Loir-et-Cher et AG2R Prévoyance :
12. Le dommage subi par Mme C... n'étant pas en lien avec le retard de diagnostic imputable au centre hospitalier d'Issoudun, les conclusions tendant à la condamnation de ce dernier, présentées par la CPAM de Loir-et-Cher, agissant pour le compte de la CPAM de l'Indre, et par la société AG2R Prévoyance doivent être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées par la CPAM au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les dépens :
13. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. L'Etat peut être condamné aux dépens ".
14. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la faute commise par le centre hospitalier, les frais et honoraires de l'expertise ordonnée par le juge des référés du tribunal, liquidés et taxés à une somme de 1 200 euros par une ordonnance du 17 décembre 2012, peuvent être mis à a charge définitive de l'hôpital, ainsi que l'a jugé le tribunal. Par suite, les conclusions de Mme C... tendant à cette fin sont sans objet, et les conclusions du centre hospitalier tendant à la réformation du jugement sur ce point doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de centre hospitalier d'Issoudun ou de l'ONIAM, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, les sommes que Mme C..., la CPAM de Loir-et-Cher et la société AG2R Prévoyance demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de Mme C... la somme que l'ONIAM demande au même titre.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions des autres parties sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des infections iatrogènes et des infections nosocomiales, au centre hospitalier de la Tour blanche d'Issoudun, à la caisse primaire d'assurance maladie de Loir-et-Cher, et à la société Mutuelle AG2R Prévoyance. Copie en sera adressée à la société Mutuelle Harmonie.
Délibéré après l'audience du 26 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 avril 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX00457