Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... C... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 4 juin 2021 par lequel le préfet de la Guyane lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui interdit le retour sur le territoire national pour une durée de trois ans.
Par un jugement n° 2101163 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 novembre 2023, M. C..., représenté par Me Moraga Rojel, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 6 juillet 2023 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 4 juin 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou subsidiairement de réexaminer sans situation dans ce même délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne la réponse au moyen tiré d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- il n'est pas justifié de la compétence de l'auteur de l'acte, qui suppose une publication régulière de l'arrêté de délégation de signature du préfet ;
- les décisions d'obligation de quitter le territoire et d'interdiction de retour sont insuffisamment motivées, en méconnaissance des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
- son droit à être entendu préalablement à l'édiction d'une mesure d'éloignement, tel que protégé par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, a été méconnu ;
- la mesure d'éloignement est entachée d'une erreur de fait puisque le jugement de condamnation mentionné dans la décision a été annulé et la condamnation réformée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- la décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le refus de délai de départ volontaire méconnaît l'article L. 612-2 du code ;
- l'interdiction de retour est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité de la mesure d'éloignement ;
- cette décision méconnait l'article L. 612-10 du code, le préfet n'ayant pas examiné les quatre critères prévus par ce texte ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale.
La requête a été communiquée au préfet de la Guyane, qui n'a pas produit d'observations en défense.
Par une décision du 12 septembre 2023, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., de nationalité surinamienne, est entré en France en 1990 selon ses déclarations. Par un arrêté du 4 juin 2021, le préfet de la Guyane l'a obligé à quitter le territoire français sans délai en fixant le pays de renvoi et en assortissant cette mesure d'une interdiction de retour sur le territoire d'une durée de trois ans. M. C... relève appel du jugement du 6 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande d'annulation du préfet de la Guyane du 4 juin 2021.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Après avoir détaillé, au point 4 du jugement, les éléments de motivation de l'arrêté préfectoral du 4 juin 2021, le tribunal en a tiré, au point 12 de ce jugement, que la décision d'éloignement litigieuse ne pouvait être regardée comme entachée d'un défaut d'examen particulier de la situation de M. C.... Ce faisant, le tribunal n'a pas insuffisamment motivé sa réponse au moyen soulevé à cet égard, contrairement à ce que soutient le requérant.
Sur la légalité de l'arrêté du 4 juin 2021 :
En ce qui concerne l'arrêté pris dans son ensemble :
3. Ainsi que l'a indiqué le tribunal, Mme E... était compétente pour signer les décisions contenues dans l'arrêté du 4 juin 2021 en vertu d'un arrêté de délégation du préfet de la Guyane du 19 février 2021 et d'un arrêté de subdélégation de M. A... en date du 28 février 2021, tous deux régulièrement publiés les 21 février et 2 mars 2021 aux recueils des actes administratifs n°s R03-201-042 et R03-321-047, lesquels sont consultables sur le site internet de la préfecture et librement accessibles au juge et aux parties.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
4. M. C... reprend en appel sans l'assortir de considérations de fait ou de droit nouvelles le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la mesure d'éloignement. Il convient d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal au point 4 du jugement attaqué.
5. Aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1° Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions, organes et organismes de l'Union / 2° Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...) ". Si ces stipulations s'adressent non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union, il résulte de la jurisprudence de la Cour de Justice que le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union. Ce droit se définit comme celui de toute personne de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d'une procédure administrative avant l'adoption de toute décision susceptible d'affecter de manière défavorable ses intérêts. Il ne saurait cependant être interprété en ce sens que l'autorité nationale compétente est tenue, dans tous les cas, d'entendre l'intéressé lorsque celui-ci a déjà eu la possibilité de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur la décision en cause. Par ailleurs, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'affecter la régularité de la procédure à l'issue de laquelle une décision faisant grief est prise que si la personne concernée a été privée de la possibilité de présenter des éléments pertinents qui auraient pu avoir une influence sur le contenu de la décision.
6. Le requérant ne justifie en l'espèce d'aucun élément propre à sa situation qu'il aurait été privé de la possibilité de faire valoir et qui, s'il avait été en mesure de l'invoquer préalablement, aurait été de nature à influer sur le sens des décisions prises à son encontre. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance du droit de M. C... à être entendu doit être écarté.
7. Ainsi que le relève M. C..., l'arrêté litigieux fait état de sa condamnation le 23 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de Cayenne à une peine de 4 ans d'emprisonnement pour des faits notamment de transport et détention de produits stupéfiants, assortie d'une interdiction du territoire français de dix ans, alors que cette peine a été ramenée par un arrêt de la cour d'appel de Cayenne du 26 mai 2020 à trois ans d'emprisonnement dont un an avec sursis. Il ne ressort toutefois pas des pièces du dossier que le préfet de la Guyane aurait pris une décision différente s'il s'était fondé sur la condamnation prononcée en appel, et cette erreur de fait n'est donc pas de nature à avoir entaché d'illégalité la mesure d'éloignement litigieuse.
8. Ni cette erreur ni aucun autre élément de la motivation de l'arrêté du 4 juin 2021 ne révèle un défaut d'examen sérieux de la situation de M. C..., lequel ne peut utilement invoquer à cet égard la circonstance qu'à la date de cet arrêté il avait adressé à la préfecture une demande de rendez-vous aux fins de régulariser son séjour, dont il n'a pas été tenu compte par le préfet.
9. Aux termes des dispositions de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : (...) 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ".
10. Le requérant soutient qu'il est entré en France en 1990 à l'âge de onze ans et qu'il y réside depuis lors. Il ne produit toutefois aucun justificatif relatif aux années 1996, 1999 à 2003, 2008 et 2016, quand bien même certaines attestations produites ont été établies durant lesdites années, et il n'établit pas de manière probante sa présence habituelle en France au cours de la plupart des autres années écoulées jusqu'à son incarcération en 2020 en se bornant à produire un unique justificatif pour chacune de ces années, tenant le plus souvent en une facturette d'achat ou une prescription médicale. Dès lors, le moyen tiré d'une méconnaissance des dispositions précitées de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
11. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. M. C... soutient que l'arrêté litigieux porte atteinte à son droit au respect de la vie privée et familiale dès lors que, présent en France depuis 1990, il y dispose de ses intérêts privés et familiaux. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, les pièces qu'il produit n'établissent pas sa présence continue sur le territoire français depuis 1990. Le requérant invoque la présence en Guyane d'un fils de nationalité française, mais il ne conteste pas ne pas avoir reconnu celui-ci, désormais âgé de vingt-et-un ans, et ne pas avoir développé de liens étroits avec lui. S'il fait également valoir que son père et sa sœur résident sur le territoire français, M. C... est célibataire et il n'établit pas être dépourvu de toute attache familiale au Surinam. En outre, il ne justifie pas d'une intégration sociale aboutie et le fait qu'il ait travaillé du 1er septembre 2020 au mois de mai 2021 dans le cadre de sa détention au centre pénitentiaire de Rémire-Montjoly ne permet pas de justifier d'une insertion professionnelle en France. Dans ces conditions, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise et le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
13. Pour les mêmes motifs, le préfet de la Guyane n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste dans l'appréciation de la situation du requérant.
En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :
14. M. C... reprend en appel sans l'assortir de considération de fait ou de droit nouvelles le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du refus de délai de départ volontaire. Il convient d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal au point 6 du jugement attaqué.
15. Aux termes de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public [...] 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 du même code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : 1° L'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; [...] ".
16. Le requérant ne justifie pas d'une entrée régulière sur le territoire français, n'a sollicité une première demande de titre de séjour qu'au mois d'avril 2021, de manière quasiment concomitante avec l'arrêté contesté, alors qu'il revendique une présence en France depuis 1990, et a été condamné à trois ans de prison dont deux fermes pour trafic de stupéfiants, ainsi qu'il a été dit. Dès lors, en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire, le préfet de la Guyane n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées.
En ce qui concerne l'interdiction de retour :
17. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, M. C... ne peut se prévaloir de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
18. M. C... reprend en appel sans l'assortir de considération de fait ou de droit nouvelles le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision lui interdisant un retour en France pendant trois ans. Il convient d'écarter ce moyen par adoption des motifs pertinents retenus par le tribunal au point 9 du jugement attaqué. Par ailleurs, la motivation de l'arrêté révèle que le préfet a tenu compte de l'ensemble des critères énoncés à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
19. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 12, la décision portant interdiction de retour sur le territoire français ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
20. Il résulte de ce qui précède que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité. Par suite, M. C... ne peut se prévaloir de l'illégalité de cette décision à l'encontre de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français.
21. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté litigieux. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
22. L'Etat n'étant pas la partie perdante dans la présente instance, les conclusions de M. C... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président-rapporteur,
Laurent B... Le greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23BX02887 2