Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 août 2023 par lequel le préfet de la Corrèze a fixé le pays à destination duquel il sera éloigné en exécution de la peine d'interdiction temporaire du territoire français d'une durée de dix ans, prononcée le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Bordeaux.
Par un jugement n° 2305188 du 25 septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 novembre 2023, M. D..., représenté par Me Chamberland-Poulin, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2305188 du 25 septembre 2023 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 août 2023 par lequel le préfet de la Corrèze a fixé le pays de renvoi et lui a retiré sa carte de résident ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour, à titre subsidiaire, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, ainsi que de procéder sans délai à l'effacement de son inscription au fichier Système d'information Schengen aux fins de non-admission sous astreinte fixée à 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi que le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que le tribunal statue seulement sur la demande d'annulation de l'arrêté litigieux en ce qu'il fixe le pays de renvoi alors que cet arrêté lui retire la carte de résident ;
S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :
- il n'est pas justifié de la compétence de l'auteur de l'acte ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision fixant le pays de renvoi n'a pas de caractère décisoire, en ne déterminant ni son identité, ni sa nationalité ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision méconnait son droit à une vie privée et familiale ;
S'agissant de la décision portant retrait de la carte de résident :
- il n'est pas justifié de la compétence de l'auteur de l'acte ;
- la décision est insuffisamment motivée ;
- la décision est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- la décision méconnait son droit à une vie privée et familiale.
La requête a été communiquée le 26 décembre 2023 au préfet de la Corrèze.
Par ordonnance du 13 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 24 janvier 2024 à 12h00.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 17 octobre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme Bénédicte Martin.
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant tunisien né le 23 octobre 1982, relève appel du jugement du 25 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du préfet de la Corrèze fixant le pays à destination duquel il serait éloigné en exécution de la peine d'interdiction du territoire français prononcée pour une durée de dix ans par la cour d'appel de Bordeaux le 24 juin 2021 et procédant au retrait de sa carte de résident valable jusqu'au 5 juillet 2026.
Sur la régularité du jugement :
2. Devant le tribunal administratif, M. D... s'est borné à contester l'arrêté préfectoral en tant qu'il fixait le pays de renvoi et à soutenir qu'il avait sollicité le relèvement de l'interdiction du territoire français de dix ans prononcée à son encontre le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Bordeaux et qu'il était dans l'attente d'une décision de cette juridiction, qu'il était en possession d'un titre de séjour et qu'il vivait en France depuis 2003. Le tribunal administratif qui s'est prononcé sur l'ensemble des conclusions et moyens soulevés par le requérant n'a entaché son jugement d'aucune omission à statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 août 2023 :
En ce qui concerne les moyens communs aux décisions contestées :
3. En premier lieu, l'arrêté contesté est signé de M. Tarrega, secrétaire général de la préfecture, lequel a reçu délégation du préfet de la Corrèze, par arrêté du 8 septembre 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 19-2022-084 du même jour, à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception de certains actes limitativement énumérés au nombre desquels ne figurent pas les décisions en litige. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté doit être écarté.
4. En deuxième lieu, l'arrêté en litige précise les éléments de droit et de fait sur lesquels il se fonde et notamment les éléments relatifs à la situation personnelle de M. D..., contrairement à ce qu'il soutient. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
5. En premier lieu, si M. D... soutient être de nationalité tunisienne et que le préfet a commis une erreur d'appréciation en ne déterminant ni son identité, ni sa nationalité, il ne produit toutefois aucune pièce de nature à l'établir. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des arrêts rendus les 24 juin 2021 et 21 novembre 2022 par la cour d'appel de Bordeaux que l'intéressé s'est présenté comme étant de nationalité tunisienne sous le nom de M. C... D... et a fourni d'autres identités et notamment celle de M. A... B..., de nationalité algérienne. Par suite, en indiquant dans l'arrêté attaqué, qui fait grief, l'identité, la nationalité et la date de naissance de M. D..., ainsi que son alias et en précisant que l'intéressé serait éloigné à destination du pays dont il a la nationalité, ou tout autre pays dans lequel il est réadmissible, le préfet de la Corrèze n'a pas commis d'erreur d'appréciation.
6. En deuxième lieu, la circonstance, au demeurant non justifiée, que le requérant n'aurait pas eu régulièrement connaissance de l'arrêt du 21 novembre 2022 par lequel la cour d'appel de Bordeaux a rejeté son appel formé le 21 mars 2022 contre l'interdiction du territoire français d'une durée de dix ans est, ainsi que l'a jugé la première juge, sans incidence sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 641-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La peine d'interdiction du territoire français susceptible d'être prononcée contre un étranger coupable d'un crime ou d'un délit est régie par les dispositions des articles 131-30, 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal ". Aux termes de l'article 131-30 du code pénal, dans sa rédaction applicable à la décision contestée : " Lorsqu'elle est prévue par la loi, la peine d'interdiction du territoire français peut être prononcée, à titre définitif ou pour une durée de dix ans au plus, à l'encontre de tout étranger coupable d'un crime ou d'un délit. / L'interdiction du territoire entraîne de plein droit la reconduite du condamné à la frontière, le cas échéant, à l'expiration de sa peine d'emprisonnement ou de réclusion. / Lorsque l'interdiction du territoire accompagne une peine privative de liberté sans sursis, son application est suspendue pendant le délai d'exécution de la peine. Elle reprend, pour la durée fixée par la décision de condamnation, à compter du jour où la privation de liberté a pris fin (...) ".
8. Aux termes de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative fixe, par une décision distincte de la décision d'éloignement, le pays à destination duquel l'étranger peut être renvoyé en cas d'exécution d'office (...) d'une peine d'interdiction du territoire français (...). ". Aux termes de l'article L. 721-4 du même code : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi :/ 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, (...) ; /2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; /3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
9. L'appelant se prévaut de la présence en France de son frère, en situation régulière, d'une promesse d'embauche en qualité de maçon, des activités exercées et du suivi médical et psychiatrique dont il a bénéficié pendant son incarcération au centre de détention d'Uzerche. Il résulte toutefois des dispositions précitées aux points 7 et 8 qu'aussi longtemps que la personne condamnée n'a pas obtenu de la juridiction qui a prononcé la condamnation pénale le relèvement de la peine d'interdiction définitive du territoire français, l'autorité administrative est tenue de pourvoir à son exécution, sous réserve que la décision fixant le pays de renvoi n'expose pas l'intéressé à être éloigné à destination d'un pays dans lequel il établit que sa vie ou sa liberté serait menacée, ou il serait exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, la décision en litige n'ayant pas pour objet de prononcer l'interdiction de retour du territoire français mais simplement de fixer le pays de destination pour l'exécution de cette peine, le requérant ne peut utilement soutenir qu'elle aurait été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour ce même motif, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
En ce qui concerne la décision de retrait de la carte de résident :
10. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux points 5 et 9, la décision de retrait de la carte de résident valable jusqu'au 5 juillet 2026 n'est pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, les moyens soulevés doivent être écartés.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la requête d'appel de M. D... doit être rejetée, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte et celles présentées au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera communiquée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne Balzamo
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX02864