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09/04/2024 | FRANCE | N°22BX02052

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 4ème chambre, 09 avril 2024, 22BX02052


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La société à responsabilité limitée Import négoce international a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, ainsi que des pénalités et intérêts de retard correspondants, pour un montant total de 503 765 euros, et de lui accorder le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constaté su

r la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, pour un montant de 979 890 euros.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée Import négoce international a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, ainsi que des pénalités et intérêts de retard correspondants, pour un montant total de 503 765 euros, et de lui accorder le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constaté sur la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, pour un montant de 979 890 euros.

Par un jugement n° 2100168 du 12 mai 2022, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 juillet 2022, 11 janvier 2023, 30 mars 2023, et 1er février 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, la société à responsabilité limitée Import négoce international, représentée par Me Moraine, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de surseoir à statuer jusqu'à l'intervention de la décision du juge d'instruction près le tribunal judiciaire de Fort-de-France sur sa plainte avec constitution de partie civile pour faux, usage de faux et escroquerie ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 mai 2022 ;

3°) de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, ainsi que des pénalités et intérêts de retard correspondants, pour un montant total de 503 765 euros ;

4°) de lui accorder le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée constaté sur la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, pour un montant de 979 890 euros ;

5°) de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante " Un Etat membre est-il autorisé à mettre en place un régime spécifique de TVA sur la marge, qui déroge de facto aux règles générales de détermination de la base d'imposition, sans définir les termes qui permettent d'opérer la soustraction nécessaire à la détermination de ladite marge " ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement de la somme de 8 000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

- la procédure d'imposition est irrégulière dès lors que la proposition de rectification qui lui a été adressée le 25 septembre 2017 était dépourvue de signature manuscrite ; cette irrégularité n'est pas régularisable compte tenu de l'acquisition de la prescription prévue par l'article L. 169 du livre des procédures fiscales ; la pièce signée produite par l'administration n'est pas probante dès lors qu'elle comprend de nombreuses différences avec la proposition de rectification reçue par la société ;

- elle a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile le 8 novembre 2022 auprès du juge d'instruction du tribunal judiciaire de Fort-de-France pour faux, usage de faux, et escroquerie au jugement ; la signature apposée sur la proposition de rectification du 25 septembre 2017 ne correspond pas à celle de son auteur, ainsi que l'établit une expertise réalisée par un graphologue, expert près la cour d'appel de Bastia ; or, en application de l'article R. 633-1 du code de justice administrative, il appartient à la cour de surseoir à statuer dans l'attente du jugement du faux rendu par le tribunal judiciaire ;

En ce qui concerne le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

- à titre principal, l'article 298 sexdecies du code général des impôts précise seulement que les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation des tabacs manufacturés sont exclus de la TVA, mais ne définit pas le fait générateur et l'assiette à retenir afin de permettre une collecte de la TVA ; le législateur a omis de préciser les modalités de détermination de ce qui constitue la marge commerciale, rendant impossible le calcul de la base d'imposition de la TVA ; une telle taxation méconnait dès lors la compétence et la volonté du législateur ainsi que plusieurs droits et libertés garantis par la déclaration des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la soumission de la revente des tabacs importés dans les départements d'outre-mer va à l'encontre des objectifs de la loi du 24 mai 1976, visant notamment à ne pas impacter le prix de vente au détail et de préserver les finances des collectivités locales, dès lors qu'elle a pour finalité principale de générer un coût supplémentaire supporté par les négociants et/ou les consommateurs ;

- en sa qualité de négociant grossiste, elle ne peut être recherchée en paiement de la TVA sur les reventes de tabacs importés, conformément à la doctrine 3G-261 du 1er septembre 1998 sous le numéro BOI-TVA-GEO-20-50-20120912 ; l'interprétation formelle de l'administration constitue une prise de position formelle opposable ;

- le principe d'indivisibilité de la doctrine administrative est inapplicable au cas d'espèce puisque la condition tenant à la renonciation du droit à déduction de la TVA vise expressément les négociants et ne s'applique pas aux importateurs ;

- à titre subsidiaire, les modalités de détermination de l'assiette sont erronées ; les dispositions de l'article 298 quaterdecies II du code général des impôts sur lesquelles se fonde l'administration, ne s'appliquent que sur le territoire métropolitain de sorte que la base d'imposition aurait dû être égale au prix convenu entre les parties diminué de la TVA exigible sur l'opération ; le calcul de l'administration conduit à déterminer un prix de revient au stade de l'importation alors même que des coûts supplémentaires peuvent être mis à la charge de l'opérateur avant la mise à la consommation des tabacs, ou que les tabacs ont pu faire l'objet de vols ou destructions avant leur revente ; en l'absence de définition légale de la notion de marge commerciale postérieure à l'importation, l'administration fiscale semble libre de fixer autant de méthodes de calculs qu'il existe d'opérateurs et de territoires ; l'administration a retenu, pour des entreprises concurrentes de Guadeloupe ou de Martinique, des bases d'imposition différentes ; la société se retrouve dans l'impossibilité de satisfaire aux obligations applicables en matière de facturation ou de déclaration car l'article 286 du code général des impôts impose aux assujettis de délivrer des factures comportant l'ensemble des mentions obligatoires figurant à l'article 242 nonies A de l'annexe II au code général des impôts, au rang desquelles figurent notamment pour chacun des biens livrés ou des services rendus, la quantité, la dénomination précise, le prix unitaire hors taxes et le taux de taxe sur la valeur ajoutée légalement applicable ; or, aucune règle ne permet de déterminer la " marge commerciale " et, par conséquent, le montant HT du bien vendu ;

- la méthode de détermination de l'assiette de la TVA retenue par l'administration conduit à retenir des bases d'imposition différentes entre la Martinique et la Guadeloupe, le montant du droit de consommation n'étant pas identique sur ces deux territoires ;

- les intérêts de retard que l'administration lui a appliqués ne sont pas justifiés dès lors que, malgré les rectifications, le montant de sa TVA déductible restait supérieur à sa TVA collectée, de sorte que le Trésor n'a subi aucun préjudice ;

- l'application des pénalités de retard de 10 % n'est pas fondée dans la mesure où ses retards dans la souscription de ses déclarations fiscales résultent du changement de son système informatique et des obstacles rencontrés lors de cette modification ;

- il y a lieu de transmettre la question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne suivante : " un Etat membre est-il autorisé à mettre en place un régime spécifique de TVA sur la marge, qui déroge de facto aux règles générales de détermination de la base d'imposition, sans définir les termes qui permettent la soustraction nécessaire à la détermination de ladite marge ' ".

Par des mémoires en défense, enregistrés les 30 janvier 2023 et 28 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable, dès lors que par un arrêt n° 20BX02586 du 23 novembre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a statué sur la requête présentée par la société appelante tendant au remboursement du crédit de TVA pour la période courant du 1er octobre 2015 et 28 février 2017, et que la présente requête concerne le même contribuable, les mêmes impositions, et est fondée sur des moyens se rattachant aux mêmes causes juridiques que ceux soulevés dans l'instance 20BX02586 ; dans ces conditions, l'autorité qui s'attache à la chose jugée par l'arrêt du 23 novembre 2021 fait obstacle à ce que les prétentions de l'appelante puissent être accueillies ;

- les moyens soulevés par la société Import négoce international ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 3 janvier 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 3 février 2023 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pauline Reynaud,

- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,

- et les observations de Me Moraine, représentant la SARL Import négoce international.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL Import négoce international exerce une activité d'avitaillement de navires de croisières, l'exportation et la vente de produits d'épicerie fine et d'alcools, et exploite également depuis le 1er mars 2015 une activité de commerce de gros de produits à base de tabacs, au titre de laquelle elle importe du tabac en Martinique et le revend à des distributeurs locaux. Cette société a fait l'objet d'un contrôle sur pièces portant sur la période du 1er octobre 2015 au 28 février 2017 à la suite duquel l'administration fiscale a remis en cause les demandes de remboursement de crédits de taxe sur la valeur ajoutée pour un montant de 979 890 euros sur la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016 et a également assujetti la société à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée pour un montant total, en droits et pénalités, de 503 765 euros pour la période courant du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, résultant de la réintégration sur la période d'un montant de taxe sur la valeur ajoutée collectée de 1 419 415 euros. Ces impositions ont été mises en recouvrement le 16 janvier 2018. La réclamation préalable formée le 26 mars 2018 ayant été rejetée par une décision de l'administration fiscale du 27 septembre 2018, la société Import négoce international a demandé au tribunal administratif de la Martinique de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, de lui accorder le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 979 890 euros au titre de la même période et de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union Européenne. La société relève appel du jugement n° 2100168 du 12 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande.

Sur l'exception d'autorité de chose jugée :

2. Le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique oppose l'exception de l'autorité de chose jugée au regard d'un précédent arrêt n° 20BX02586 rendu le 23 novembre 2021 par lequel la cour a statué sur la requête présentée par la société Import négoce international tendant à ce que lui soit accordé le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 419 416 euros constaté entre le 1er octobre 2015 et le 28 février 2017. Le ministre fait valoir que la présente requête concerne le même contribuable, les mêmes impositions et s'appuie sur des moyens se rattachant aux mêmes causes juridiques que celles de l'instance précédente.

3. Il résulte de l'instruction que la société Import négoce international a demandé au tribunal administratif de la Martinique dans l'instance n° 1900240 de lui accorder le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 419 416 euros constaté entre le 1er octobre 2015 et le 28 février 2017. Par un arrêt n° 20BX02586 du 23 novembre 2021, la cour a rejeté l'appel formé contre ce jugement. Dans la présente requête en appel intentée par la société Import négoce international, si cette dernière demande à nouveau que lui soit accordé le remboursement d'un crédit de taxe sur la valeur ajoutée pour la même période, elle demande toutefois également la décharge, en droits et pénalités, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre des années 2015 et 2016 pour un montant total de 503 765 euros. Dans ces conditions, eu égard à l'absence d'identité d'objet de cette action avec celle ayant donné lieu à l'arrêt n° 20BX02586, l'exception d'autorité de la chose jugée par la cour administrative d'appel de Bordeaux le 23 novembre 2021 ne peut être accueillie.

Sur les conclusions à fin de sursis à statuer :

4. Aux termes de l'article R. 633-1 du code de justice administrative : " Dans le cas d'une demande en inscription de faux contre une pièce produite, la juridiction fixe le délai dans lequel la partie qui l'a produite sera tenue de déclarer si elle entend s'en servir. / Si la partie déclare qu'elle n'entend pas se servir de la pièce, ou ne fait pas de déclaration, la pièce est rejetée. Si la partie déclare qu'elle entend se servir de la pièce, la juridiction peut soit surseoir à statuer sur l'instance principale jusqu'après le jugement du faux rendu par le tribunal compétent, soit statuer au fond, si elle reconnaît que la décision ne dépend pas de la pièce arguée de faux ".

5. Ces dispositions ne sont pas applicables lorsque la pièce arguée de faux est un acte administratif dont aucune disposition législative expresse ne prévoit que les mentions font foi jusqu'à inscription de faux. En l'absence d'une telle disposition pour les documents remis contre signature à un administré lors des opérations de contrôle de sa situation fiscale, en particulier les propositions de rectification, prévues à l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, les conclusions tendant à la mise en œuvre par la cour des dispositions de l'article R. 633-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Il appartient donc à la cour d'apprécier l'exactitude des mentions portées sur ces documents sans avoir à surseoir à statuer.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la régularité de la procédure d'imposition :

6. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation ". Aux termes de l'article 350 terdecies de l'annexe III au code général des impôts : " I. Sous réserve des dispositions des articles 409 et 410 de l'annexe II au code général des impôts, seuls les fonctionnaires de la direction générale des impôts appartenant à des corps des catégories A et B peuvent fixer les bases d'imposition et liquider les impôts, taxes et redevances ainsi que notifier les redressements (...) ".

7. Il résulte de l'instruction que si la société appelante a reçu une copie de la proposition de rectification du 25 septembre 2017 qui n'était pas signée, elle a aussi, ainsi que le démontre le ministre, reçu l'original qui comportait la signature. La société appelante se prévaut de ce qu'elle a déposé une plainte le 8 novembre 2022 contre X pour faux, usage de faux, et escroquerie au jugement auprès du tribunal judiciaire de Fort de France, concernant la proposition de rectification du 25 septembre 2017, dont la signature ne correspondrait pas à celle de son auteur. Rien n'indique toutefois au dossier les suites qui auraient été données à cette plainte pénale, et si la société se prévaut également d'une expertise réalisée le 8 novembre 2021 par un graphologue, les différences relevées par ce dernier entre les exemplaires, tenant à la numérotation des pages, ne sauraient suffire à démontrer que la signature apposée sur la proposition de rectification du 25 septembre 2017 serait un faux. Le ministre fait quant à lui valoir que le fichier informatique contenant la proposition de rectification en litige avait été intégré à l'application dédiée Rialto et figé le 3 mai 2018, soit antérieurement à la date à laquelle la société requérante a invoqué le défaut de signature, et produit une copie écran " Propriétés du fichier 3924.pdf - Rialto " et la copie-écran Rialto. Par suite, le moyen tiré de que la procédure d'imposition serait irrégulière, compte tenu de l'absence de signature de la proposition de rectification du 25 septembre 2017, doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé des rappels de taxe sur la valeur ajoutée :

8. D'une part, aux termes de l'article 298 quaterdecies du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au présent litige : " I. Les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont soumises à la taxe sur la valeur ajoutée dans les conditions de droit commun, sous réserve des dispositions ci-après. / II. Le fait générateur de la taxe sur la valeur ajoutée applicable aux ventes dans les départements de France continentale de tabacs manufacturés est celui qui est prévu à l'article 575 C (relatif à la mise à la consommation). / La taxe est assise sur le prix de vente au détail, à l'exclusion de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même. / Elle est acquittée par le fournisseur dans le même délai que le droit de consommation ". Aux termes de l'article 298 sexdecies du même code : " Dans les départements de la Réunion, de la Martinique et de la Guadeloupe, les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation demeurent exclues de la taxe sur la valeur ajoutée ". En vertu de ces dispositions, éclairées par les travaux préparatoires de l'article 15 de la loi du 24 mai 1976 dont elles sont issues, en Corse et dans les départements d'outre-mer, les opérations portant sur les tabacs manufacturés sont, à chacun des stades du circuit de commercialisation, soumises à la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle sont soumises les ventes de tabacs manufacturés réalisées dans les conditions du droit commun. Demeurent toutefois exclues de l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle sont soumises les ventes de tabacs manufacturés réalisées dans les départements d'outre-mer, les marges commerciales prises postérieurement à la fabrication ou à l'importation de ces tabacs, comme elles l'avaient été avant l'entrée en vigueur de la loi du 24 mai 1976.

9. D'autre part, aux termes de l'article 292 du code général des impôts dans sa rédaction alors applicable : " La base d'imposition est constituée par la valeur définie par la législation douanière conformément aux règlements communautaires en vigueur. Toutefois, sont à comprendre dans la base d'imposition : : 1° Les impôts, droits, prélèvements et autres taxes qui sont dus en raison de l'importation, à l'exception de la taxe sur la valeur ajoutée elle-même ; / 2° Les frais accessoires, tels que les frais de commission, d'emballage, de transport et d'assurance intervenant jusqu'au premier lieu de destination des biens à l'intérieur du pays ; par premier lieu de destination, il faut entendre le lieu mentionné sur la lettre de voiture ou tout autre document de transport sous le couvert duquel les biens sont importés ; à défaut de cette mention, le premier lieu de destination est celui de la première rupture de charge. (...) ".

S'agissant des conclusions principales :

Quant à la loi fiscale :

10. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées des articles 298 quaterdecies et 298 sexdecies du code général des impôts, ainsi que des travaux parlementaires, que la SARL Import négoce international est légalement redevable de la taxe sur la valeur ajoutée à raison de ses opérations de vente à des détaillants des tabacs manufacturés qu'elle a importés. En l'absence de facturation et de collecte de la taxe sur la valeur ajoutée sur son prix de vente diminué des marges commerciales réalisées à la revente, l'administration a pu sans excéder la base d'imposition prévue par les dispositions précitées, établir la taxe litigieuse sur le seul prix de revient des tabacs revendus, dès lors d'une part que les dispositions de l'article 292 précité du code général des impôts permettent de déterminer l'assiette de la taxe des biens importés à partir de sa valeur douanière et que ce prix de revient ainsi calculé n'a pas, par construction, inclus la marge commerciale qui doit être exclue de la base taxable selon les dispositions précitées. La société ne pouvait dès lors utilement soutenir qu'en l'absence de définition légale de la marge commerciale à exclure de la base d'imposition à la taxe sur la valeur ajoutée, les dispositions de l'article 298 sexdecies du code général des impôts étaient inapplicables. En outre, compte tenu de la teneur légale du dispositif précité, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence au regard de l'article 34 de la Constitution et de la déclaration des droits l'Homme et du Citoyen de 1789 en ne précisant pas explicitement le prix de revient à prendre en compte dans l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée à collecter. Enfin, le principe de neutralité du régime de la taxe sur la valeur ajoutée est préservé dès lors que l'administration, en opérant le rappel de la taxe non collectée, n'a nullement remis en cause le droit de déduction de la taxe ayant grevé les importations des tabacs ensuite revendus dont la société était fondée à se prévaloir sur le fondement de l'article 271 du code général des impôts dès lors que ces opérations étaient soumises à la TVA.

11. En second lieu, si la société Import négoce international soutient que les rehaussements ont été établis dans des conditions contraires au principe d'égalité devant l'impôt au motif que des entreprises concurrentes exerçant une activité identique en Guadeloupe n'auraient pas fait l'objet de rappels de taxe sur la valeur ajoutée sur les ventes de tabacs calculés selon les mêmes modalités, cette circonstance, à la supposer établie, est sans influence sur la régularité ou le bien-fondé de ces rappels dès lorsqu'ils ont été établis conformément à la loi.

Quant à la doctrine administrative :

12. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " (...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ". Si ces dispositions instituent une garantie contre les changements de doctrine de l'administration, qui permet aux contribuables de se prévaloir des énonciations contenues dans les notes ou instructions publiées, qui ajoutent à la loi ou la contredisent, c'est à la condition que les intéressés entrent dans les prévisions de la doctrine, appliquée littéralement, résultant de ces énonciations. Les contribuables ne peuvent se prévaloir utilement, sur le fondement de l'article L. 80 A précité, d'une partie seulement d'une telle doctrine dont les éléments, bien qu'énoncés successivement, sont indissociables.

13. Le I de l'instruction publiée au Bulletin officiel des finances publiques - impôts sous la référence BOI-TVA-GEO-20-50, qui reprend les commentaires administratifs publiés le 1er septembre 1998 au Bulletin officiel des impôts sous la référence 3 G-261, prévoit que : " 1. Dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion où la législation sur les taxes sur le chiffre d'affaires a été introduite, les tabacs manufacturés sont soumis à la TVA dans les conditions ci-après. / 10. Dans ces départements, les marges commerciales postérieures à la fabrication ou à l'importation sont, aux termes de l'article 298 sexdecies du CGI, exclues de la TVA. Il en résulte que les négociants grossistes, dépositaires, détaillants ou débitants qui opèrent la distribution des tabacs ne doivent pas être recherchés en paiement de la taxe. / 20. La TVA est exigible soit à l'importation, soit à l'issue de la fabrication, c'est-à-dire à la sortie des tabacs manufacturés des établissements de production. / 30. Le taux applicable aux tabacs est le taux normal applicable dans les DOM. / 40. Les fabricants exercent leurs droits à déduction par imputation sur la taxe due à l'issue des opérations de fabrication des tabacs et, le cas échéant, la fraction non imputable de ces droits peut faire l'objet d'un remboursement dans les conditions fixées aux articles 242 OA et suivants de l'annexe II au CGI. / Dans la mesure où ils sont dispensés du paiement de la TVA, les négociants qui opèrent la distribution des tabacs dans les départements d'outre-mer ne peuvent prétendre à aucun droit à déduction ".

14. Il ressort des énonciations de cette instruction, qui sont indissociables sur ce point, que si l'administration fiscale tolère que les entreprises qui opèrent la distribution des tabacs importés dans les départements de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion ne facturent ni ne collectent de taxe sur la valeur ajoutée lors de la revente, c'est à la condition qu'elles renoncent à leur droit à déduction de cette taxe. Dès lors qu'il est constant que la société Import négoce international n'a pas renoncé à son droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, celle-ci ne peut se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de cette tolérance admise par l'administration.

S'agissant des conclusions subsidiaires :

15. La société Import négoce international soutient que les modalités de détermination de l'assiette de la TVA retenues par l'administration sont erronées, dès lors que le service se borne à procéder aux rappels de TVA avec pour seule base les déclarations à l'importation de la période vérifiée alors même que des coûts supplémentaires peuvent être mis à la charge de l'opérateur avant la mise à la consommation des tabacs et que des tabacs ont pu faire l'objet de vols ou de destruction avant leur revente. Elle en déduit que la base d'imposition aurait dû être égale au prix convenu entre les parties, diminué de la TVA exigible sur l'opération.

16. Il est toutefois constant que la TVA dont est redevable un vendeur est un élément qui grève le prix convenu avec le client et non un accessoire de ce prix. De ce fait, l'assiette de la taxe sur la valeur ajoutée est égale au prix convenu entre les parties, diminué notamment de la taxe exigible sur cette opération. Par suite, lorsqu'un assujetti réalise une opération moyennant un prix convenu qui ne mentionne aucune TVA dans des conditions qui ne font pas apparaître que les parties seraient convenues d'ajouter, au prix stipulé, un supplément de prix égal à la TVA applicable à l'opération, la taxe due au titre de cette opération doit être assise sur une somme égale à ce prix diminué notamment du montant de cette même taxe.

17. Il résulte de l'instruction que le vérificateur avait, en l'absence de toute TVA collectée par la société Import négoce international, le droit de reconstituer celle-ci à partir du coût de revient du tabac importé déterminé à partir du prix CIF (Coût, assurance, fret) et des droits à la consommation, diminué de la TVA payée en douanes et de la valeur CIF. Ce coût de revient ne comporte d'ailleurs, à ce stade du circuit de commercialisation, aucune marge pour l'importateur. Enfin comme le relève à juste titre le service, les importations dédouanées mais endommagées et donc invendues, sont extournées par l'administration fiscale sur présentation par la société des justificatifs corrélatifs. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que la base d'imposition à la TVA serait excessive.

Sur les pénalités :

En ce qui concerne les intérêts de retard :

18. Aux termes de l'article 1727 du code général des impôts : " I. - Toute créance de nature fiscale, dont l'établissement ou le recouvrement incombe aux administrations fiscales, qui n'a pas été acquittée dans le délai légal donne lieu au versement d'un intérêt de retard. A cet intérêt s'ajoutent, le cas échéant, les sanctions prévues au présent code. / (...) III. - Le taux de l'intérêt de retard est de 0,20 % par mois. Il s'applique sur le montant des créances de nature fiscale mises à la charge du contribuable ou dont le versement a été différé (...) ".

19. L'intérêt de retard institué par ces dispositions vise essentiellement à réparer les préjudices de toute nature subis par l'Etat à raison du non-respect par les contribuables de leurs obligations de déclarer et payer l'impôt aux dates légales, et s'applique indépendamment de toute appréciation portée par l'administration fiscale sur le comportement du contribuable. Le retard de paiement donnant lieu à l'application de l'intérêt de retard s'apprécie en fonction de la date d'exigibilité de chaque impôt ou de chacune des composantes du même impôt.

20. Il résulte de l'instruction que les intérêts de retard en litige ont été appliqués sur le montant de la créance de TVA mise en recouvrement le 16 janvier 2018, laquelle a été calculée après prise en compte de l'ensemble des droits à déduction de TVA auxquels pouvait prétendre la société appelante. Par suite, la société n'est pas fondée à soutenir que, si elle avait collecté la TVA sur les ventes locales de tabacs réalisées, le montant de sa taxe déductible aurait été supérieur au montant reconstitué de la taxe collectée. Par suite, c'est à bon droit que l'administration a appliqué à la société appelante des intérêts de retard, conformément aux dispositions précitées de l'article 1727 du code général des impôts.

En ce qui concerne la majoration prévue à l'article 1728 du code général des impôts :

21. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration ou d'un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration ou de l'acte déposé tardivement, d'une majoration de : / a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; (...) ".

22. Il résulte de l'instruction que l'administration fiscale a appliqué une pénalité de 10 % sur les rappels de TVA mis à la charge de la société Import négoce international pour la période du 1er mars 2017 au 30 avril 2018, à l'exception des rappels dus au titre des mois de mars 2017 et de février 2018.

23. Cette pénalité, qui est prévue pour défaut ou retard dans la production d'une déclaration est, par son objet, exclusive de toute appréciation de la bonne ou de la mauvaise foi du contribuable. Il est constant que la société Import négoce international n'a pas respecté les délais impartis pour déposer ses déclarations mensuelles de TVA au cours de la période du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016. La circonstance que ces retards seraient justifiés par le changement du système informatique de la société est sans incidence sur le bien-fondé des pénalités appliquées sur le fondement de l'article 1728 du code général des impôts. Par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces pénalités.

24. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de transmettre une question préjudicielle à la cour de justice de l'Union Européenne, que la société Import négoce international n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels elle a été assujettie au titre de la période courant du 1er octobre 2015 au 31 décembre 2016, et à ce que lui soit accordé le remboursement de crédit de TVA constaté sur la même période.

Sur les frais liés au litige :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Import négoce international demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la SARL Import négoce international est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Import négoce international et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal du sud-ouest.

Délibéré après l'audience du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2024.

La rapporteure,

Pauline ReynaudLa présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 22BX02052


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX02052
Date de la décision : 09/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Pauline REYNAUD
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : CABINET KPMG

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-09;22bx02052 ?
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