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04/04/2024 | FRANCE | N°22BX00843

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 04 avril 2024, 22BX00843


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Bordeaux, d'organiser une expertise avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, et d'enjoindre à l'administration de lui concéder une pension au taux de 60 % pour l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur d

roit.



Par un jugement n° 1905573 du 4 janvier 2022, le tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... C... a demandé au tribunal des pensions militaires de Bordeaux, qui a transmis sa requête au tribunal administratif de Bordeaux, d'organiser une expertise avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté sa demande de pension militaire d'invalidité, et d'enjoindre à l'administration de lui concéder une pension au taux de 60 % pour l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur droit.

Par un jugement n° 1905573 du 4 janvier 2022, le tribunal administratif de Bordeaux

a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 11 mars 2022, M. C..., représenté par Me Moumni, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'ordonner une expertise médicale avant dire droit, d'annuler la décision

du 17 décembre 2018 et d'enjoindre à l'administration de " reconnaître l'imputabilité au service de son infirmité avec un taux d'invalidité de 60 % " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement au profit de son conseil d'une somme

de 3 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Il soutient que :

- la décision est insuffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- le rapport circonstancié indique qu'il a ressenti brutalement des douleurs cervicales et un fourmillement du membre supérieur droit lors d'une séance de sport le 30 septembre 2013 ; le certificat de consolidation du 16 octobre 2014 rappelle que les troubles sensitifs de la main droite et le syndrome pyramidal sont survenus lors d'une séance de sport ; le protocole transactionnel du 6 juillet 2016 reconnaît qu'il a été victime d'un accident de service lors d'une séance de sport ; la déclaration initiale d'affection présumée imputable au service du 31 janvier 2014

a également constaté que les symptômes sont survenus à l'occasion d'une séance de sport

le 30 septembre 2013 ; son infirmité a été déclenchée par un accident survenu alors qu'il était en opération extérieure en Afghanistan, au cours du service, de sorte qu'il doit bénéficier de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, ainsi que de celle prévue à l'article L. 3 dès lors que les blessures ont été constatées avant le renvoi dans ses foyers ;

- dans son avis du 12 décembre 2018, la commission de réforme a reconnu l'imputabilité au service en relevant que le traumatisme cervical était à l'origine de la symptomatologie séquellaire ; il n'avait aucun état antérieur au moment de l'accident

du 30 septembre 2013 ; si le canal cervical étroit a pu créer un terrain sensible, c'est bien l'accident qui est à l'origine de l'apparition de l'affection ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le fait que l'administration a reconnu l'accident de service dans le cadre du protocole transactionnel démontre que la décision prise sur la demande de pension est injustifiée ;

- les séquelles qu'il conserve sont en lien avec l'accident de service, de sorte que la décision de rejet de sa demande de pension doit être annulée ;

- il sollicite une expertise médicale afin de déterminer le taux d'invalidité et le lien d'imputabilité de son affection au service.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 mai 2023, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la décision du 17 décembre 2018 est suffisamment motivée ;

- selon le rapport circonstancié, M. C... a ressenti brutalement des douleurs cervicales et des fourmillements au niveau du membre supérieur droit à l'occasion d'une séance de volley le 30 septembre 2013 ; le 28 novembre 2013, un chirurgien de l'hôpital français de Kaboul a noté une trépidation épileptoïde de la cheville droite depuis début septembre 2013 et un franc syndrome pyramidal des membres inférieurs fin octobre 2013, ainsi qu'une atteinte des membres supérieurs avec une hypoesthésie du bord cubital de la main droite et un signe de Hoffmann bilatéral ; le 9 décembre 2013, un neurologue de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué a noté que M. C... ne décrivait pas de problème de santé antérieur sur le plan neurologique, que suite à une manœuvre de smash en volley-ball, il a ressenti des fourmillements du bord cubital de la main droite puis dans les jours qui ont suivi une trépidation des pieds dans certaines positions, un syndrome tétra-pyramidal a été mis en évidence,

et le tableau clinique a été expliqué par une myélopathie sur un probable canal cervical étroit congénital ; l'existence d'un canal cervical étroit, anomalie constitutionnelle sans lien avec le service, a été confirmée par deux médecins le 28 avril 2014 et le 26 novembre 2014 ; l'accident du 30 septembre 2013 ne peut être responsable de la cervicarthrose constatée deux mois et demi plus tard sur l'IRM, qui était antérieurement asymptomatique et s'est révélée lors de l'accident du 30 septembre 2013 ; dès lors que la blessure n'est que la traduction d'un état pathologique préexistant, ce dernier doit être regardé comme la cause de l'infirmité ;

- l'infirmité résulte d'une maladie constatée avant le 90ème jour de service effectif, et la circonstance que l'accident a eu lieu avant le renvoi du militaire dans ses foyers ne suffit pas à ouvrir droit au bénéfice de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 3 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- si l'administration a indemnisé M. C... dans le cadre d'un protocole transactionnel, elle pouvait rendre deux décisions sans influence l'une sur l'autre et adoptant une appréciation différente.

M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juin 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;

- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., engagé dans l'armée de terre le 1er mai 1995 et affecté depuis 1997 au 13ème régiment de dragons parachutistes, a présenté brutalement des cervicalgies et des paresthésies du membre supérieur droit le 30 septembre 2013 lors d'une séance de sport programmée, alors qu'il se trouvait en mission en Afghanistan. Des trépidations des pieds sont survenues quelques jours plus tard dans certaines positions, et un syndrome pyramidal progressif de nature indéterminée a été constaté à l'hôpital français de Kaboul. A son retour en France, M. C... a été pris en charge à l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué, où une IRM a permis de diagnostiquer une myélopathie cervicarthrosique sur un canal cervical étroit constitutionnel, avec un hypersignal intramédullaire en C5-C6. Une décompression médullaire par laminoplastie C3-C7 avec ostéosynthèse a été réalisée le 12 mars 2014, ce qui a permis une régression des signes neurologiques, mais M. C... a conservé comme séquelles un syndrome pyramidal caractérisé notamment par des tremblements des membres inférieurs et une perte de sensibilité de la main droite. Le 15 janvier 2015, il a sollicité à ce titre une pension militaire d'invalidité. Par une décision du 17 décembre 2018, la ministre des armées a rejeté sa demande au motif que la preuve d'imputabilité au service n'était pas établie et que la présomption ne pouvait s'appliquer, l'infirmité " ayant été constatée avant d'avoir effectué 90 jours de services effectifs ". M. C... relève appel du jugement du 4 janvier 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette décision et demande à la cour d'ordonner une expertise médicale avant dire droit, d'annuler la décision du 17 décembre 2018 et d'enjoindre à l'administration de reconnaître l'imputabilité au service de son infirmité avec un taux d'invalidité de 60 % .

2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre, applicable à la date de la demande : " Ouvrent droit à pension : / (...) / 3° L'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'infirmités étrangères au service ; / (...). " Aux termes de l'article L 3 du même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité au service bénéficie à l'intéressé à condition : / 1° S'il s'agit de blessure, qu'elle ait été constatée avant le renvoi du militaire dans ses foyers ; / 2° S'il s'agit d'une maladie, qu'elle n'ait été constatée qu'après le quatre-vingt-dixième jour de service effectif et avant le soixantième jour suivant le retour du militaire dans ses foyers ; / 3° En tout état de cause, que soit établie, médicalement, la filiation entre la blessure ou la maladie ayant fait l'objet de la constatation et l'infirmité invoquée. (...) " Aux termes de l'article L. 4 de ce code : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : / 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; / 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; / 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / 30 % en cas d'infirmité unique ; / 40 % en cas d'infirmités multiples. / En cas d'aggravation par le fait ou à l'occasion du service d'une infirmité étrangère à celui-ci, cette aggravation seule est prise en considération, dans les conditions définies aux alinéas précédents. / Toutefois, si le pourcentage total de l'infirmité aggravée est égal ou supérieur à 60 %, la pension est établie sur ce pourcentage. " Pour l'application de ces dispositions, une infirmité doit être regardée comme résultant d'une blessure lorsqu'elle trouve son origine dans une lésion soudaine consécutive à un fait précis de service.

3. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise organisée par l'administration, que M. C..., qui était parachutiste et n'avait jusqu'alors pas d'autre antécédent qu'une fracture de la cheville droite opérée en 2004, un tassement de L 4 traité médicalement et une pathologie rotulienne, a présenté brutalement le 30 septembre 2013, en se réceptionnant d'un saut (smash) lors d'un match de volley-ball organisé dans le cadre du service, des cervicalgies et des paresthésies du territoire cubital du membre supérieur droit, avec une fatigabilité des quatre membres. Le lien entre ces symptômes et la séance de sport est établi par le rapport circonstancié et la déclaration initiale d'affection présumée imputable au service du 31 janvier 2014, et l'experte a précisé que le déclenchement clinique de la myélopathie cervicarthrosique pouvait être traumatique. M. C... a ainsi présenté une blessure survenue à l'occasion du service, laquelle a aggravé une pathologie étrangère au service jusqu'alors asymptomatique. Cette situation relève des dispositions du 3° de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, de sorte que les dispositions du 2° de l'article L. 3 opposées par la décision du 17 décembre 2018 n'étaient pas applicables.

4. Les pièces du dossier ne permettent pas d'apprécier la part de l'aggravation de la pathologie préexistante imputable à l'accident de service. Par suite, il y a lieu d'ordonner une expertise avant de statuer sur le droit à pension de M. C....

DÉCIDE :

Article 1er : Avant de statuer sur le droit à pension de M. C... pour l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur droit, il sera procédé à une expertise médicale contradictoire par un médecin spécialisé en neurologie, en présence de M. C...

et du ministre des armées.

Article 2 : L'expert aura pour mission de :

1°) prendre connaissance du dossier médical et de l'expertise du docteur B..., et examiner M. C... ;

2°) décrire la pathologie caractérisée par le canal cervical étroit et l'arthrose cervicale antérieurement à l'accident de service du 30 septembre 2013, et donner son avis sur son évolution probable en précisant si la myélopathie cervicarthrosique se serait nécessairement déclenchée en l'absence de cet accident, et dans quel délai ;

3°) décrire l'infirmité de syndrome pyramidal avec perte de sensibilité du membre supérieur droit dont M. C... reste atteint, et en évaluer le taux au regard du guide barème des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, en distinguant le cas échéant la part imputable à l'état antérieur de celle imputable à l'accident de service du 30 septembre 2013.

Article 3 : Pour l'accomplissement de la mission, l'expert pourra se faire remettre, en application de l'article R. 621-7-1 du code de justice administrative, tous documents utiles, et notamment tous ceux relatifs aux examens et soins pratiqués sur l'intéressé. Il pourra également entendre toute personne dont il estimerait l'audition utile.

Article 4 : L'expert sera désigné par le président de la cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. S'il lui apparaît nécessaire de faire appel au concours d'un sapiteur, il sollicitera l'autorisation du président de la cour, comme le prévoit l'article R. 621-2 du code de justice administrative.

Article 5 : Conformément aux dispositions du premier alinéa de l'article R. 621-9 du code de justice administrative, l'expert déposera son rapport sous forme dématérialisée dans le délai fixé par le président de la cour dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec l'accord de ces dernières, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre des armées.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00843


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00843
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL MDMH

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;22bx00843 ?
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