Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, à titre principal, d'ordonner avant-dire droit une nouvelle expertise médicale et de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser une provision de 20 000 euros et, à titre subsidiaire, de condamner ce centre hospitalier à lui verser la somme de 590 042 euros en capital ainsi qu'une rente mensuelle de 556 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de sa prise en charge par cet établissement.
Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la
Charente-Maritime a demandé la condamnation du centre hospitalier à lui verser la somme de 4 235,86 euros au titre des frais exposés au bénéfice de son assurée sociale.
Par un jugement n° 2002684 du 10 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier d'Angoulême à verser à Mme B... la somme de 7 413 euros, a mis les frais d'expertise à la charge de l'hôpital et a rejeté le surplus des conclusions de Mme B..., ainsi que les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 février et 23 décembre 2022, Mme B..., représentée par la SELARL Rahmani, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du
10 décembre 2021 ;
2°) à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise médicale et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser la somme de 590 042 euros en réparation de ses préjudices, ainsi qu'une rente mensuelle de 556 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il est nécessaire de procéder à une nouvelle expertise médicale pour déterminer si les complications qu'elle a connues, comme l'insuffisance cardiaque ou le développement d'œdèmes, sont le résultat de sa maladie ou du retard de prise en charge ; la première expertise ne répond pas précisément à cette question ; en outre, elle serait nécessaire pour déterminer la date de consolidation de son état de santé, puisque le tribunal lui-même a écarté la date retenue par l'expert ;
- l'expertise a conclu à un défaut de prise en charge par le cardiologue, le diagnostic de cardiomyopathie du péripartum n'ayant pas été posé, ce qui a généré une perte de chance de 70 % d'éviter un choc cardiogénique réfractaire ; l'absence de réalisation d'une échographie cardiaque est fautive, alors, qu'elle aurait pourtant réduit le risque d'œdèmes et permis d'éviter l'insuffisance cardiaque aigüe, avec la mise en place d'un traitement médical sans attendre ;
- la somme de 450 euros est sollicitée pour le déficit fonctionnel temporaire total, sur la base de 25 euros par jour ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la première hospitalisation est en lien avec le retard de diagnostic ; le déficit fonctionnel temporaire partiel durant la période identifiée par l'expertise peut donner lieu au versement d'une somme de 712 euros ;
- les souffrances endurées, évaluées par l'expert à 5 sur une échelle de 7 peuvent être réparées par une indemnité de 35 000 euros ; eu égard à l'angoisse qu'elle a éprouvée pour elle-même et son enfant, alors que ses doléances n'étaient pas prises au sérieux, la somme allouée par les premiers juges est insuffisante ;
- une somme forfaitaire de 100 euros est sollicitée pour les nombreux trajets qu'elle a dû effectuer pour se rendre à l'hôpital ou chez son médecin et dont le lien avec le retard de prise en charge est démontré par l'attestation de la CPAM ;
- le défaut de prise en charge a conduit à une évolution rapide de la maladie, aboutissant à une insuffisance cardiaque aigüe et empêchant une reprise de l'activité professionnelle à mi-temps thérapeutique à partir du mois de septembre 2015 ; elle est par suite fondée à demander réparation des préjudices subis après consolidation ; l'expertise n'explique pas les raisons pour lesquelles elle écarte ces préjudices comme étant en lien avec la maladie et non le retard de diagnostic ;
- le déficit fonctionnel permanent, résultant d'une dyspnée de type NYHA 2 à l'origine d'une incapacité de 5 %, peut donner lieu à une indemnisation de 8 050 euros ;
- du fait de la privation de certaines activités avec ses enfants, son préjudice d'agrément peut être chiffré à 5 000 euros ;
- son préjudice sexuel peut être évalué à 5 000 euros ;
- la somme de 3 000 euros au titre du préjudice d'établissement peut lui être allouée du fait de l'impossibilité de concrétiser son désir d'avoir une famille nombreuse ;
- les dépenses de santé engagées pour l'aider dans les tâches de la vie courante (achat d'un scooter colibri, tabouret de douche, siège et desserte de table roulante) représentent un coût de 2 700 euros ;
- l'aide apportée par son compagnon dans les tâches quotidiennes en raison de son état de santé peut être évaluée à deux heures par jour et à une somme de 470 000 euros ;
- elle n'a pu reprendre son activité d'enseignante au collège en tant que contractuelle ; en tenant compte des sommes perçues au titre de l'allocation aux adultes handicapés et de la pension d'invalidité, le préjudice lié aux pertes de gains professionnels peut être évalué à 20 030 euros, auquel doit être ajoutée une rente mensuelle de 556 euros ;
- son préjudice de carrière peut donner lieu au versement de la somme de 40 000 euros au titre de l'incidence professionnelle.
Par des mémoires, enregistrés les 7 janvier et 15 décembre 2022 et 10 mai 2023, la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime, représentée par la SELARL Bardet et associés, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer le jugement en ce qu'il a rejeté ses conclusions ;
2°) de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser la somme de 4 235,86 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'arrêt et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême la somme de 1 162 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion et la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le jugement peut être confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité du centre hospitalier, dès lors que les symptômes qu'a présentés Mme B..., évoquant une insuffisance cardiaque gauche, auraient dû conduire l'équipe médicale à réaliser une échographie ; l'expert a également relevé que l'existence d'un bloc de branche gauche complet, inhabituelle chez une patiente jeune, aurait dû alerter le cardiologue ; si le diagnostic avait été posé, un traitement à base de diurétiques et de cardiotropes aurait pu être mis en place, afin d'éviter l'œdème aigu du poumon ;
- si l'expert retient un taux de perte de chance de 70 %, la cour n'est pas liée et c'est pourquoi la caisse sollicite le remboursement de la totalité de sa créance ;
- l'expert a inclus la première hospitalisation dans l'évaluation des préjudices ; par conséquent, c'est à tort que les premiers juges l'ont exclue ; il en va de même des consultations médicales spécialisées entre le 3 juin et le 24 juillet 2014, la consultation de l'anesthésiste du 2 juillet 2014 et la consultation du médecin traitant du 25 juillet 2021, dues à l'angoisse provoquée par l'absence de prise en charge, ainsi que les frais pharmaceutiques relatifs à des prescriptions d'anxiolytiques ; l'imputabilité de ces prestations est justifiée par l'attestation du médecin conseil ;
- les premiers juges ne pouvaient rejeter la demande au titre des frais de transport au motif qu'ils n'étaient pas suffisamment informés de leur montant précis, sans faire usage de leur pouvoir d'instruction.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 5 et 27 décembre 2022, le centre hospitalier d'Angoulême, représenté par la SELARL Fabre et associés, conclut au rejet de la requête et des conclusions de la CPAM de la Charente-Maritime, et demande, par la voie de l'appel incident, de réformer le jugement en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 590 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, et de ramener cette somme à 450 euros. Il demande en outre que soit mise à la charge solidaire de Mme B... et de la CPAM la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- l'expertise ayant répondu à l'ensemble des points de la mission, une nouvelle expertise n'apparaît pas utile ;
- la cardiomyopathie du péripartum n'est pas imputable à l'établissement et ne pouvait être évitée ; seule l'absence de réalisation d'une échographie cardiaque peut être reprochée à l'hôpital, et elle est à l'origine d'un taux de perte de chance de 70 % ; il y a lieu d'appliquer ce taux aux demandes de Mme B... ;
- la demande au titre des frais de déplacement doit être rejetée dès lors qu'ils n'ont pas été retenus par l'expert, qu'ils sont justifiés par le suivi de la grossesse et que Mme B... n'apporte aucun justificatif à l'appui de sa demande ;
- l'expert n'ayant pas retenu de besoin d'assistance par une tierce personne, le préjudice à ce titre n'est pas établi ;
- il en va de même pour les dépenses de santé futures, les pertes de gains professionnels futurs et l'incidence professionnelle ;
- comme l'a jugé le tribunal, la première hospitalisation est sans lien avec le retard de diagnostic et résulte de la pathologie initiale ; la seconde hospitalisation ne peut être prise en compte au titre du déficit fonctionnel temporaire puisqu'elle est postérieure à la consolidation de l'état de santé ; par suite, l'indemnisation de ce préjudice doit être limitée à 450 euros pour la période du 30 mai au 25 juillet 2014 ;
- les souffrances endurées ont été suffisamment indemnisées par le tribunal ;
- aucun déficit fonctionnel permanent n'ayant été retenu par l'expert, la demande à ce titre doit être rejetée en l'absence de tout élément permettant d'en établir la réalité ou le lien avec le retard de diagnostic ; il doit en aller de même du préjudice d'agrément, du préjudice sexuel et du préjudice d'établissement ;
- les demandes de la caisse doivent être rejetées dès lors que les frais d'hospitalisation ne sont pas imputables au retard de prise en charge et qu'il n'y a pas d'éléments suffisants pour conclure à un lien de causalité entre ce retard et les consultations médicales, les frais pharmaceutiques et les frais de transport ; si l'expert a mentionné les dates de consultation, c'était uniquement dans le but de retracer l'histoire médicale de la patiente ; la prescription d'anxiolytique est seulement justifiée par une crise d'angoisse ; l'imputabilité de ces frais n'est pas démontrée par l'attestation du médecin conseil.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Perret, substituant Me Cantaloube, représentant le centre hospitalier d'Angoulême.
Considérant ce qui suit :
1. Alors qu'elle était enceinte de son second enfant, Mme B..., alors âgée de 31 ans, s'est rendue à son échographie du 3e trimestre le 26 mai 2014, examen au cours duquel elle a fait part de difficultés à respirer et d'une forte angoisse. Elle a été hospitalisée le jour même dans le service de gynéco-obstétrique du centre hospitalier d'Angoulême pour effectuer des examens qui ont permis de confirmer une dyspnée d'effort stade II NYHA depuis dix jours, avec majoration au stade IV le jour de l'hospitalisation. La réalisation d'un angioscanner et d'un doppler veineux a conduit à écarter l'hypothèse d'une embolie pulmonaire et d'une thrombose des membres inférieurs, et devant ces résultats rassurants, Mme B... a été autorisée à regagner son domicile le 29 mai. Le 26 juillet 2014, elle a été adressée par le SAMU au service des urgences de l'hôpital pour un œdème aigu du poumon et une poussée hypertensive à la suite d'un choc cardiogénique. Était alors évoquée pour la première fois une néphropathie gravidique ou cardiomyopathie du péripartum. Devant un tableau de pré-éclampsie, elle a été transférée au service de gynécologie pour la réalisation d'une césarienne en urgence, alors que l'accouchement était en principe envisagé pour le 30 juillet. La naissance de sa fille n'a pas donné lieu à complications. Mme B... a ensuite été hospitalisée en réanimation pour une surveillance clinique jusqu'au 29 juillet, puis dans l'unité de soins intensifs de cardiologie (USIC) jusqu'au 4 août, puis dans le service de cardiologie jusqu'au 8 août. Depuis lors, elle se plaint régulièrement d'une dyspnée d'effort.
2. Mme B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers afin que soit ordonnée une expertise. Au vu du rapport établi par le Dr C..., praticien hospitalier, exerçant dans le service de chirurgie cardiovasculaire de l'hôpital Haut-Lévêque à Pessac (Gironde), déposé le 4 novembre 2019, Mme B... a demandé au tribunal, à titre principal, d'ordonner une nouvelle expertise et de condamner l'hôpital à lui verser une provision et, à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier d'Angoulême à réparer les préjudices subis. Par un jugement du 10 décembre 2021, le tribunal administratif de Poitiers a condamné le centre hospitalier d'Angoulême à lui verser la somme de 7 413 euros et a mis les frais d'expertise à la charge de l'hôpital. Par la présente requête, Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions. La caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime demande la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions. Le centre hospitalier d'Angoulême demande la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à Mme B... une somme dépassant 450 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.
Sur la responsabilité du centre hospitalier d'Angoulême :
3. Aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".
4. Il résulte de l'instruction, et notamment, du rapport d'expertise, que Mme B... a été hospitalisée durant sa grossesse, le 26 mai 2014, pour des difficultés à respirer et une forte angoisse. Elle présentait alors une dyspnée d'effort stade II NYHA depuis dix jours avec majoration au stade IV le jour de son hospitalisation. L'hypothèse d'une embolie pulmonaire et celle d'une thrombose des membres inférieurs ont été écartées au vu des résultats de l'angioscanner et d'un doppler veineux, ce qui lui a permis d'obtenir l'autorisation de rentrer chez elle. Toutefois, selon l'expert, les signes cliniques qu'elle présentait, associant asthénie importante et croissante depuis le mois d'avril, dyspnée permanente stade II NYHA, crachats hémoptoïques depuis une semaine et un bloc de branche gauche révélé par l'électrocardiogramme, évoquant une insuffisance cardiaque gauche, auraient dû conduire le cardiologue à faire réaliser une échographie cardiaque, de nature à poser le bon diagnostic. L'expert relève que l'existence d'un bloc de branche gauche complet est très inhabituelle chez les patients jeunes et aurait dû interpeller le cardiologue, puisqu'elle " est en principe toujours le témoin d'une cardiomyopathie ventriculaire gauche aiguë ou chronique sous-jacente ". Dans ces conditions, en ne réalisant pas cet examen, le centre hospitalier d'Angoulême a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
5. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
6. Selon l'expertise, la réalisation d'une échographie cardiaque aurait pu permettre de poser, dès le 26 mai, le diagnostic de cardiomyopathie du péri-partum qui n'a été posé que le 26 juillet 2014 et de mettre en place un traitement à base de diurétiques et de cardiotropes, une surveillance étroite de la grossesse et une programmation de la césarienne. La non-réalisation de cet examen a fait perdre à Mme B... une chance d'éviter la survenue de l'œdème aigu du poumon qui a conduit à son hospitalisation en urgence le 26 juillet 2014 et à la réalisation d'une césarienne " code rouge ". Dans ces conditions, le taux de perte de chance peut être évalué, ainsi que l'a estimé l'expert, à 70 %. Si Mme B... demande à titre principal la réalisation d'une nouvelle expertise médicale, elle ne conteste pas la faute retenue, ni n'apporte d'éléments de nature à remettre en cause le taux de perte de chance ou l'absence de lien, réaffirmée par l'expert en réponse à son dire, entre la prise en charge tardive et l'évolution de sa maladie après consolidation.
Sur la demande de nouvelle expertise :
7. Il résulte de l'instruction que, postérieurement à son accouchement, Mme B... est restée hospitalisée dans le service de réanimation pour une surveillance clinique jusqu'au 29 juillet, puis dans l'unité de soins intensifs de cardiologie (USIC) jusqu'au 4 août, puis dans le service de cardiologie jusqu'au 8 août 2014, date à laquelle elle a pu regagner son domicile. L'expert a fixé la date de consolidation au 26 juillet 2014, date à laquelle le diagnostic a été fait et la prise en charge de la cardiomyopathie du péripartum (CMP-PP) effective, en affirmant que la cardiomyopathie " est une atteinte primitive survenant en dehors de tout contexte d'erreur médicale " ce qui rendait sans objet l'évaluation de préjudices post-consolidation. Invité par un dire du conseil de Mme B... à revenir sur cette date de consolidation au motif que de multiples consultations en cardiologie ont suivi et qu'il y avait lieu de s'interroger sur les conséquences du retard de prise en charge sur l'évolution ultérieure de la maladie, l'expert a maintenu sa position en affirmant que l'évolution ultérieure de la maladie " n'a aucun rapport avec le défaut de prise en charge initial. Le seul intérêt de l'échographie était de dépister cette cardiomyopathie et de décider la date optimale de l'accouchement en limitant au maximum les risques pour la mère et l'enfant (...) Nous sommes dans le cadre de l'évolution naturelle de la maladie. L'évaluation des préjudices après consolidation est sans objet. ". Dans ces conditions, les circonstances que l'état cardiaque de l'intéressée ait continué d'évoluer et que la stabilisation de la cardiomyopathie ait pu nécessiter une adaptation du traitement palliatif jusqu'en 2017 ne sont pas de nature à remettre en cause la date de consolidation des préjudices en lien avec le retard de diagnostic, ni l'absence de lien entre d'une part les dyspnées de Mme B... et leurs conséquences en matière de préjudices permanents et d'autre part l'unique faute retenue à l'encontre du centre hospitalier. Il n'y donc pas lieu d'ordonner une nouvelle expertise.
Sur les préjudices :
8. En premier lieu, la demande d'indemnisation, pour un montant forfaitaire de 100 euros, des nombreux allers-retours à l'hôpital ne peut qu'être rejetée dès lors que ces déplacements se justifiaient par le suivi de la grossesse. Au surplus, Mme B... n'apporte aucune précision sur les modalités de ces trajets.
9. En deuxième lieu, les périodes d'hospitalisation du 26 au 29 mai 2014 puis du 26 au 30 juillet 2014, lors desquelles Mme B... a connu un déficit fonctionnel total, ne sont pas imputables au manquement du centre hospitalier, dès lors qu'elles étaient en tout état de cause nécessaires, respectivement, pour des examens et pour la réalisation de l'accouchement par césarienne. Seule la période du 31 juillet au 8 août 2014, date de sa sortie du service de cardiologie, soit 9 jours, est en lien avec la faute commise. Sur la base d'une indemnisation de 20 euros par jour, le préjudice peut être fixé à 180 euros, et la part imputable au centre hospitalier peut être évaluée, compte tenu du taux de perte de chance, à 126 euros. En outre, Mme B... a subi un déficit fonctionnel temporaire de 50 % entre le 30 mai et le 25 juillet 2014, soit 58 jours. Cette incapacité est en lien avec la faute commise, puisque le diagnostic de la pathologie, s'il avait été effectué le 26 mai 2014, aurait permis d'éviter les épisodes de dyspnée majeure. Ce préjudice peut être fixé à 580 euros. Il s'ensuit que la somme due par le centre hospitalier au titre du déficit fonctionnel est de 706 euros.
10. En troisième lieu, les souffrances endurées par Mme B... ont été évaluées à 5 sur une échelle de 7, en raison des souffrances physiques, dues à l'état d'insuffisance cardiaque non traitée, avec sensation permanente de finir par mourir étouffée, et qui a abouti à la survenue d'un choc cardiogénique, et des souffrances morales, liées aux angoisses et à l'attitude du corps médical qui a mis ses difficultés à respirer sur le compte d'un problème psychologique. L'indemnisation due à ce titre peut être évaluée à 12 000 euros.
11. En dernier lieu, les préjudices postérieurs à la consolidation, consistant en des dépenses de santé futures, une assistance par une tierce personne, des pertes de gains professionnels futurs, une incidence professionnelle, un déficit fonctionnel permanent de 5 % lié à une dyspnée de type II NYHA, un préjudice d'agrément, un préjudice sexuel et un préjudice d'établissement, sont en lien avec la pathologie dont elle souffrait et non avec la faute commise.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les préjudices indemnisables de Mme B... en lien avec sa prise en charge au centre hospitalier d'Angoulême s'élèvent à 12 706 euros.
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie :
13. La caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime demande l'indemnisation de la somme de 4 235,86 euros au titre des dépenses de santé actuelles qu'elle a prises en charge pour le compte de son assurée, Mme B..., correspondant à une hospitalisation du 26 au 29 mai 2014, des consultations médicales entre le 3 juin et le 25 juillet 2014, des frais pharmaceutiques du 29 mai 2014 et un transport en ambulance du 26 juillet 2014.
14. Toutefois, il ressort de la notification de débours produite qu'elle ne comporte aucun frais pharmaceutique ou de transport. Ainsi qu'il a été dit précédemment, l'hospitalisation de Mme B... du 26 au 29 mai 2014 n'est pas en lien avec la faute commise par le centre hospitalier. Quant aux frais médicaux, les documents produits ne permettent pas d'établir un lien entre le manquement reproché au centre hospitalier et les consultations réalisées par Mme B... les 3 juin, 1er, 2, 20, 22, 24 et 25 juillet avant son accouchement. Dans ces conditions, les conclusions de la CPAM de la Charente-Maritime tendant au remboursement de ses débours ne peuvent qu'être rejetées, ainsi que celles relatives au versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier d'Angoulême demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier d'Angoulême la somme de 1 500 euros à verser à Mme B... au même titre et de rejeter les conclusions de la CPAM de la
Charente-Maritime et celles du centre hospitalier d'Angoulême dirigées contre cette dernière.
DECIDE :
Article 1er : La somme que le centre hospitalier d'Angoulême a été condamné à verser à Mme B... est portée de 7 413 euros à 12 706 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le centre hospitalier d'Angoulême versera à Mme B... la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au centre hospitalier d'Angoulême et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22BX00385