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21/03/2024 | FRANCE | N°23BX00998

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 21 mars 2024, 23BX00998


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile.



Par un jugement n° 2300985 du 10 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête et un m

moire, enregistrés les 7 avril et 29 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Dufraisse, demande à la cour :



1°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 février 2023 par lequel le préfet de la Gironde a décidé son transfert aux autorités croates pour l'examen de sa demande d'asile.

Par un jugement n° 2300985 du 10 mars 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 avril et 29 septembre 2023, M. B..., représenté par Me Dufraisse, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 10 mars 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 13 février 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde d'enregistrer sa demande d'asile et de considérer la France comme responsable de son examen ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros sur le fondement

des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- il craint pour sa sécurité en cas de retour en Croatie dès lors qu'il a vécu de grandes difficultés avec les passeurs qui l'ont aidé à franchir la frontière de ce pays, et que cet Etat, dépassé par le nombre de migrants, est connu pour de graves défaillances systémiques concernant des renvois forcés et des violences à la frontière, qui ont justifié sa condamnation par la Cour européenne des droits de l'homme ; d'ailleurs, il produit pour la première fois en appel l'obligation de quitter le territoire national émise par les autorités de ce pays à son encontre, preuve qu'elles n'examineront pas sa demande d'asile ;

- il souffre de problèmes de santé, non formellement diagnostiqués, notamment d'importants maux de tête depuis la répression dont il a été victime lors de son passage par la Turquie ; il est en outre hébergé en France par sa famille ; pour ces raisons, l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- l'arrêté méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; alors qu'il a de la famille en France et qu'il est particulièrement jeune, il ne peut être contraint de solliciter l'asile dans un pays dans lequel il n'a aucune attache ;

- si le transfert a été exécuté, il l'a été dans le délai de six mois à compter de la notification du jugement.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 septembre 2023, le préfet de la Gironde informe la cour de l'exécution du transfert de M. B... vers la Croatie

le 25 avril 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

M. B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 avril 2023.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil

du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- et les observations de Me Dufraisse, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., ressortissant afghan né le 1er janvier 2001, est entré en France

le 20 octobre 2022 afin de solliciter l'asile. Au vu du relevé de ses empreintes digitales, il a été constaté qu'il avait introduit une demande similaire en Croatie le 16 septembre 2022. Le préfet de la Gironde a saisi le 7 décembre 2022 d'une demande de prise en charge les autorités croates, qui ont répondu positivement par une décision du 7 février 2023. Par un arrêté du 13 février 2023, le préfet de la Gironde a prononcé le transfert de l'intéressé aux autorités croates. Par un jugement du 10 mars 2023 dont M. B... relève appel, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté préfectoral.

2. Aux termes du 2 de l'article 3 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats-membres par un ressortissant d'un pays tiers ou un apatride : " (...) Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". Aux termes de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de

protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (...) / 2. L'État membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'État membre responsable, ou l'État membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre État membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre État membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en œuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement précité, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.

3. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet

État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. M. B... soutient qu'il existe des défaillances affectant les conditions d'accueil et de prise en charge des demandeurs d'asile en Croatie. Toutefois, les documents qu'il produit à l'appui de ses allégations, un rapport d'Amnesty international de 2021-2022, les observations présentées, le 22 décembre 2020, par le commissaire aux droits de l'homme dans une affaire jugée par la Cour européenne des droits de l'homme et les conclusions du comité contre la torture du 3 décembre 2021, à propos de renvois forcés illégaux et de violences à la frontière, ne permettent pas de tenir pour établi qu'il serait personnellement exposé au risque de subir des traitements contraires aux stipulations des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. En outre, s'il produit un document non traduit qu'il présente comme une décision d'obligation de quitter le territoire croate, celle-ci, qui concerne une personne dénommée A... Sahil, n'est pas de nature à établir que sa demande d'asile n'aurait pas été traitée par les autorités croates dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que la Croatie est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, les éléments du dossier ne permettent pas de caractériser des raisons sérieuses de croire qu'il existerait en Croatie des défaillances systémiques dans le traitement des demandeurs d'asile, qui auraient imposé au préfet de s'assurer auprès des autorités croates des conditions de traitement de la demande d'asile de l'intéressé et de ses conditions de maintien sur ce territoire le temps de l'instruction de la demande d'asile.

5. Il ne ressort pas des pièces du dossier, alors que M. B... ne produit aucun élément sur les problèmes de santé qu'il rencontrerait depuis son passage en Turquie, ou sur ses cousins qui l'hébergeraient sur le territoire, que le préfet de la Gironde, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement

du 26 juin 2013, aurait commis une erreur manifeste d'appréciation.

6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

7. M. B... fait état de la présence en France de cousins qui l'hébergeraient. Toutefois, cette circonstance, à la supposer établie, ne suffit pas à démontrer que le préfet de la Gironde aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, eu égard à son entrée récente en France et alors que ces personnes ne constituent au demeurant pas des membres de la famille du demandeur d'asile au sens des dispositions de l'article 2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

8. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... et son conseil demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 27 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 mars 2024.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

Le greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX00998


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00998
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : DUFRAISSE

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;23bx00998 ?
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