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21/03/2024 | FRANCE | N°22BX00615

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 21 mars 2024, 22BX00615


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... A... et Mme D... C... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à verser les sommes

de 957 833,79 euros à M. A... et de 12 192,45 euros à Mme A..., avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices en lien avec une infection nosocomiale contractée par M. A... au décours d'une intervention ch

irurgicale réalisée le 26 juillet 2016.



Dans la même instance, la caisse primaire d'a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... A... et Mme D... C... épouse A... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à verser les sommes

de 957 833,79 euros à M. A... et de 12 192,45 euros à Mme A..., avec intérêts au taux légal, en réparation des préjudices en lien avec une infection nosocomiale contractée par M. A... au décours d'une intervention chirurgicale réalisée le 26 juillet 2016.

Dans la même instance, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) du

Puy-de-Dôme a demandé au tribunal de condamner le CHU de Poitiers à lui verser la somme

de 25 272,13 euros.

Par un jugement n° 2001027 du 22 décembre 2021, le tribunal a condamné le CHU de Poitiers et la SHAM à verser les sommes de 122 362 euros à M. A... et de 2 192 euros

à Mme A..., avec intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2017, à rembourser les débours de la CPAM du Puy-de-Dôme à hauteur de 25 272,13 euros, et a rejeté le surplus des demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 22 février 2022 et des mémoires enregistrés

les 23 février et 5 mai 2023, M. et Mme A..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et Associés, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en ce qui concerne l'évaluation des préjudices ;

2°) de porter les sommes que le CHU de Poitiers et son assureur ont été condamnés à verser 1 182 154,06 euros pour M. A... et 12 192 euros pour Mme A..., avec intérêts à compter de l'enregistrement de leur requête d'appel ;

3°) de mettre à la charge du CHU de Poitiers une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- dès lors que l'augmentation des prétentions indemnitaires de M. A... résulte de l'application du barème de la Gazette du Palais de 2022, publié après le jugement, à la capitalisation des frais de véhicule aménagé, des frais de tierce personne et des pertes de gains professionnels, elle est recevable ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu l'entière responsabilité du CHU de Poitiers à raison de l'infection nosocomiale et de sa prise en charge fautive ;

En ce qui concerne les préjudices de M. A... :

- la somme de 270 euros allouée au titre des frais de transport avant consolidation n'est pas contestée ;

- le besoin d'assistance durant 3 heures par semaine retenu par les experts pour la période du 16 septembre 2016 au 26 juillet 2017 ne tient pas compte de l'entretien de la maison à raison de 2 heures supplémentaires par semaine ; sur la base d'un taux horaire moyen

de 20 euros, l'indemnisation de l'assistance par une tierce personne avant consolidation doit être portée à 5 932,11 euros ;

- il ne parvient plus à actionner le clignotant gauche et à tourner la tête, et les longs trajets accroissent les douleurs ; il a donc besoin d'un aménagement du véhicule avec une caméra de recul, un clignotant gauche situé à droite, et des amortisseurs plus souples ; il est fondé à demander la prise en charge de l'acquisition du véhicule adapté à hauteur de 17 500 euros, et au renouvellement tous les 5 ans du coût de 4 500 euros de l'aménagement avec un coefficient de capitalisation de 29,511 correspondant au barème 2022 de la Gazette du Palais avec un taux

de -1%, soit au total 44 059,90 de frais de véhicule aménagé ;

- la poursuite de la kinésithérapie après consolidation est nécessaire comme en atteste la kinésithérapeute, de sorte que les frais de déplacement pour se rendre deux fois par semaine au cabinet de cette dernière doivent être pris en charge ; sur la base de 0,601 euros par km correspondant à son véhicule de 8 chevaux, le coût annuel est de 206,26 euros par an, soit un total de 7 099,88 euros ;

- il a dû procéder au remboursement anticipé des emprunts qu'il avait contractés à hauteur de 71 280,37 euros dans le cadre de la liquidation judiciaire de son activité, ce qui est en lien avec les conséquences de l'infection, de sorte qu'il est fondé à demander à la cour de lui allouer cette somme ;

- il ne peut pas porter de charges lourdes, ce qui l'empêche de participer aux courses

et aux travaux ménagers ; il ne peut ni réaliser seul de longs trajets, ni entretenir son jardin,

et doit être aidé dans les tâches administratives du fait de troubles de la concentration ;

il convient donc de retenir un besoin d'assistance par une tierce personne de

4 heures 30 par semaine après consolidation ; sur la base d'un taux horaire de 20 euros, le préjudice s'élève à 182 869,06 euros ;

- c'est à bon droit que le tribunal a retenu des pertes de gains professionnels après consolidation, mais il convient de retenir comme revenu de référence celui de l'année 2015,

soit 24 631 euros, et de capitaliser les pertes de revenus à vie afin de réparer la perte de droits à la retraite ; après déduction des indemnités journalières et de la pension d'invalidité, le préjudice s'élève à 681 725,24 euros ;

- son handicap, qui le dévalorise sur le marché du travail, l'a contraint à abandonner son métier et à liquider son entreprise, ce qui caractérise un préjudice d'incidence professionnelle distinct des pertes de gains professionnels ; il sollicite à ce titre une somme

de 100 000 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire doit être évalué à 2 087,50 euros sur la base

de 25 euros par jour de déficit total ;

- les souffrances endurées ont été sous-évaluées par les experts qui n'ont pas tenu compte de la grande inquiétude causée par l'infection et de la durée du traitement ; elles doivent être cotées à 4 sur 7, et non à 3,5 sur 7, et il est fondé à solliciter à ce titre une somme

de 20 000 euros ;

- il a présenté une plaie purulente au niveau du cou peu après l'intervention

du 26 juin 2016, puis une éruption cutanée en lien avec la première antibiothérapie, et la cicatrice était disgracieuse du fait de l'infection ; le préjudice esthétique temporaire doit être coté à 1,5 sur 7 et évalué à 3 000 euros ;

- les experts ont retenu un préjudice esthétique permanent de 0,5 sur 7, dont il sollicite l'indemnisation à hauteur de 1 000 euros ;

- la somme de 32 000 euros allouée au titre du déficit fonctionnel permanent

de 22 % est insuffisante et doit être portée à 45 320 euros ;

- il justifie de l'abandon des activités de jardinage, de promenades et de réparation de ses motos avec ses petits-enfants, ce qui caractérise un préjudice d'agrément, et il sollicite à ce titre une somme de 10 000 euros ;

En ce qui concerne les préjudices de Mme A... :

- la somme de 2 192 euros allouée au titre des frais de déplacement n'est pas contestée ;

- Mme A... s'est rendue huit fois au CHU de Poitiers, ce qui a nécessairement causé des troubles dans l'organisation de sa vie quotidienne ; son époux a changé du fait du handicap et reste à la maison sans activité ; elle subit ainsi un préjudice moral et d'accompagnement, au titre duquel elle sollicite une somme de 10 000 euros.

Par des mémoires en défense enregistrés les 30 janvier et 17 mars 2023, le CHU de Poitiers, représenté par la SELARL Le Prado, Gilbert, conclut au rejet de la requête et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné à indemniser des pertes de gains professionnels futurs, et de rejeter la demande présentée à ce titre par M. A....

Il fait valoir que :

- la demande de M. A... est irrecevable en ce qu'elle excède la somme sollicitée en première instance ;

- la somme allouée au titre de l'assistance temporaire par une tierce personne est suffisante ;

- M. A... ne démontre pas la nécessité de frais d'aménagement du véhicule non retenus par les experts ;

- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande de frais de transport pour des soins de kinésithérapie après consolidation que ni les experts, ni la caisse n'ont retenus ;

- le remboursement des emprunts contractés par M. A... est sans lien avec le dommage ;

- la nécessité d'une assistance par une tierce personne après consolidation n'est pas démontrée ;

- M. A..., dirigeant d'une entreprise du bâtiment, souffrait du dos au moment du dommage, à l'âge de 53 ans, et il a admis qu'il s'occupait à 50 % de l'aspect administratif de la société et des travaux de finitions, tandis que ses ouvriers assuraient le gros œuvre ; il aurait ainsi pu poursuivre son activité, et c'est à tort que le tribunal lui a alloué une somme au titre des pertes de gains professionnels futurs ; à titre subsidiaire, si la cour retenait un droit à indemnisation, la perte de revenus est de l'ordre de 8 074 euros par an sur la base du revenu de 24 631 euros de l'année 2015, après déduction de la pension d'invalidité de 16 557,48 euros par an, et

M. A... aurait encore travaillé durant une dizaine d'années au plus, de sorte que la somme

de 73 000 euros allouée par le tribunal n'est pas insuffisante ;

- M. A... ne justifie d'aucun préjudice d'incidence professionnelle distinct des pertes de revenus qu'il allègue ;

- M. A... n'est pas fondé à demander le rehaussement des sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire, des souffrances endurées, du déficit fonctionnel permanent et du préjudice esthétique permanent, et c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes relatives au préjudice esthétique temporaire et au préjudice d'agrément ;

- Mme A... n'a subi aucun bouleversement de son mode de vie caractérisant un préjudice d'accompagnement.

Par ordonnance du 17 avril 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 18 mai 2023.

Par lettre du 31 janvier 2024, les parties ont été informées, en application de

l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance relative à l'indemnisation des préjudices de Mme A..., en l'absence de réclamation indemnitaire préalable, dès lors que la demande présentée à la CCI ne portait que sur les préjudices de M. A....

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dagouret pour M. et Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., alors âgé de 52 ans, qui présentait une volumineuse protrusion discale postéro-latérale gauche aux étages C5, C6 et C7, a été adressé en mars 2016 au CHU de Poitiers par son médecin pour des névralgies cervico-brachiales invalidantes et des dysesthésies douloureuses du membre supérieur gauche. Les examens complémentaires, une IRM et un scanner, ont mis en évidence une cervicarthrose pluri-étagée à prédominance gauche et un rétrécissement du canal cervical. Une laminectomie (élargissement du canal cervical) postérieure bilatérale de C3 à C6 avec ostéosynthèse a été réalisée le 26 juillet 2016. Le patient a regagné son domicile le 28 juillet, mais a consulté le service des urgences du centre hospitalier de Royan le 5 août suivant pour une cicatrice suspecte et une hyperthermie. Il a été transféré au CHU de Poitiers, où une reprise chirurgicale avec lavage a été effectuée le 6 août. Les prélèvements ont révélé la présence d'un staphylocoque doré sensible à la méticilline. Le 18 août, la cicatrice s'est rouverte et a présenté un écoulement, ce qui a nécessité une seconde reprise chirurgicale

le 19 août et une antibiothérapie par cathéter veineux central (picc-line) jusqu'au 28 août 2016, puis par voie orale durant 45 jours.

2. M. A... a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), laquelle a organisé une expertise confiée à un collège constitué d'un chirurgien orthopédiste et d'un spécialiste des maladies infectieuses. Dans leur rapport remis le 14 février 2018, les experts ont conclu que la laminectomie, qui était nécessaire et avait été réalisée dans les règles de l'art, était à l'origine de l'infection, laquelle aurait dû donner lieu à une adaptation plus rapide de l'antibiothérapie pour une meilleure efficacité thérapeutique, et ont retenu une consolidation à la date du 26 juillet 2017 avec un déficit fonctionnel permanent de 22 %. M. A... n'ayant pas accepté la proposition d'indemnisation présentée par l'assureur du CHU de Poitiers, M. et Mme A... ont saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation du CHU et de son assureur à leur verser les sommes respectives de 957 833,79 euros et de 12 192,45 euros avec intérêts. Dans la même instance, la CPAM du Puy-de-Dôme a sollicité le remboursement de ses débours à hauteur de 25 272,13 euros. Par un jugement du 22 décembre 2021, le tribunal a condamné

le CHU de Poitiers et la SHAM, devenue la société Relyens Mutual Insurance, à verser

des indemnités de 122 362 euros à M. A... et de 2 192 euros à Mme A..., avec intérêts au

taux légal à compter du 18 avril 2017, date de saisine de la CCI, ainsi qu'une somme

de 25 272,13 euros à la CPAM du Puy-de-Dôme. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement en sollicitant le rehaussement des indemnités allouées. Par son appel incident,

le CHU de Poitiers conteste sa condamnation à indemniser des pertes de gains professionnels de M. A... postérieurement à la consolidation de son état de santé.

Sur la responsabilité :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / Les établissements, services et organismes susmentionnés sont responsables des dommages résultant d'infections nosocomiales, sauf s'ils rapportent la preuve d'une cause étrangère. (...). ". Par exception à ce dernier principe, l'article L. 1142-1-1 prévoit que : " Sans préjudice des dispositions du septième alinéa de l'article L. 1142-17, ouvrent droit à réparation au titre de la solidarité nationale : / 1° Les dommages résultant d'infections nosocomiales dans les établissements, services ou organismes mentionnés au premier alinéa du I de l'article L. 1142-1 correspondant à un taux d'incapacité permanente supérieur à 25 % déterminé par référence au barème mentionné au II du même article, ainsi que les décès provoqués par ces infections nosocomiales ; / (...). " Doit être regardée comme présentant un caractère nosocomial une infection survenant au cours ou au décours de la prise en charge d'un patient et qui n'était ni présente, ni en incubation au début de celle-ci, sauf s'il est établi qu'elle a une autre origine que la prise en charge.

4. Les premiers juges ont relevé que l'infection du site opératoire par un staphylocoque doré sensible à la méticilline n'avait pas d'autre cause possible que l'intervention chirurgicale

du 26 juillet 2016, avant laquelle elle n'était ni présente, ni en incubation. Le CHU de Poitiers

ne conteste pas sa responsabilité à raison des conséquences de cette infection, à l'origine d'un déficit fonctionnel permanent de 22 %.

Sur les préjudices de M. A... :

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :

S'agissant des frais divers :

5. Alors même que les experts n'ont retenu aucune dépense de santé actuelle ou future en lien avec l'infection nosocomiale et que la CPAM du Puy-de-Dôme n'a pas sollicité le remboursement de frais de kinésithérapie, les premiers juges ont admis 270 euros de frais de transport, non contestés par le CHU de Poitiers, pour 68 séances de kinésithérapie à 6,6 km du domicile jusqu'à la consolidation. M. A... produit à nouveau en appel l'attestation de la kinésithérapeute du 30 juin 2021 selon laquelle il reçoit des soins d'électrothérapie antalgique et de massages deux fois par semaine depuis le 19 octobre 2016, pour des douleurs et une diminution de la mobilité cervicale. Toutefois, les experts, qui ont retenu un déficit fonctionnel permanent de 30 % dont 22 % imputable à l'infection pour un déficit neurologique responsable d'une anté-supination limitée du bras gauche et des cervicalgies accompagnées de vertiges, ont qualifié de décevant le résultat fonctionnel de la laminectomie en ce que les douleurs étaient restées importantes. Les douleurs cervicales s'expliquent ainsi en partie par un état antérieur peu amélioré par l'intervention du 26 juillet 2016, et l'existence de soins de kinésithérapie relatifs au déficit neurologique du bras gauche n'est pas démontrée. En l'absence d'élément plus précis que cette attestation, il ne résulte pas de l'instruction que les soins de kinésithérapie postérieurs à la consolidation auraient été rendus nécessaires par les seules conséquences de l'infection nosocomiale. Par suite, M. A... n'est pas fondé à demander la prise en charge des frais de transport exposés à ce titre.

6. Si M. A... fait valoir qu'il aurait dû procéder au remboursement anticipé

de 71 280,37 euros d'emprunts contractés auprès de sa banque, ce dont il ne justifie d'ailleurs pas, il ne démontre pas davantage en appel qu'en première instance en quoi ce remboursement caractériserait un préjudice en lien avec l'infection nosocomiale.

S'agissant de l'aménagement du véhicule :

7. Il ne résulte pas de l'instruction que les séquelles de l'infection nosocomiale nécessiteraient un aménagement du véhicule, non retenu par les experts.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

8. Les experts ont évalué le besoin d'assistance par une tierce personne avant consolidation à 1 heure 30 par jour pendant les périodes de déficit fonctionnel de 50 %, soit

du 30 juillet au 4 août 2016 (6 jours) et du 29 août au 15 septembre 2016 (18 jours), et à 3 heures par semaine pendant la période de déficit fonctionnel de 25 %, du 16 septembre 2016

au 26 juillet 2017 (314 jours correspondant à 44,8 semaines). En se bornant à solliciter la prise en compte de 2 heures supplémentaires par semaine pour " l'entretien de la maison " au cours de cette dernière période, M. A... ne démontre pas que les experts auraient sous-évalué ses besoins d'assistance temporaire en lien avec l'infection nosocomiale. S'agissant d'une aide non spécialisée, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en le fixant à 2 702 euros sur la base du coût horaire moyen du salaire minimum au cours des périodes en cause, majoré afin de tenir compte des charges sociales, des majorations de rémunération dues les dimanches et jours fériés et des congés payés.

9. M. A..., qui fait valoir qu'il ne peut pas porter de charges lourdes et doit être aidé dans les tâches administratives du fait de troubles de la concentration, ne démontre pas que les séquelles de l'infection nécessiteraient l'assistance par une tierce personne postérieurement à la consolidation de son état de santé, alors que les experts n'ont retenu aucun besoin à ce titre.

S'agissant des pertes de gains professionnels :

10. La somme de 7 150 euros allouée par le tribunal au titre des pertes de gains professionnels jusqu'au 26 juillet 2017 n'est pas contestée.

11. Il résulte de l'instruction que M. A..., qui était maçon et employait trois salariés, n'a pas repris le travail après l'intervention du 26 juillet 2016, qu'il s'est vu attribuer une pension d'invalidité définitive à compter du 3 avril 2017, et qu'il a sollicité et obtenu, par un jugement du tribunal de commerce de Saintes du 31 juillet 2017, l'ouverture d'une liquidation judiciaire de son activité qui avait été placée en redressement judiciaire par un jugement du 1er octobre 2015. Si les experts ont estimé que les conséquences de l'infection nosocomiale avaient rendu tout travail manuel impossible, les tâches effectuées par M. A... telles qu'il les a lui-même décrites étaient constituées à 50 % de gestion administrative et à 50 % de travaux sur chantier, ces derniers incluant le contrôle des travaux et des livraisons et les relations avec la clientèle, et les " problèmes de concentration " évoqués sans autre précision par l'expertise n'ont pas été retenus pour l'évaluation du déficit fonctionnel permanent. En outre, l'expertise fait apparaître

que M. A... a présenté à partir de janvier 2017 des douleurs thoraciques transfixiantes et en barre faisant évoquer une cause cardiaque, ce que les examens n'ont pas permis de confirmer, et que ces douleurs ont perduré. Dans ces circonstances, l'imputabilité de la cessation de l'activité aux seules conséquences de l'infection nosocomiale ne peut être regardée comme établie,

et le CHU de Poitiers est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal l'a condamné à verser une somme de 73 000 euros à M. A... au titre de ses pertes de revenus professionnels postérieurement au 26 juillet 2017.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

12. M. A..., âgé de 53 ans à la date de consolidation de son état de santé, subit une dévalorisation sur le marché du travail du fait de l'impossibilité de reprendre un travail manuel. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à 10 000 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :

13. Les experts ont retenu un déficit fonctionnel total durant l'hospitalisation

du 5 au 28 août 2016 (24 jours), de classe III (50 %) du 30 juillet au 4 août et du 29 août

au 15 septembre 2016 (24 jours), et de classe II (25 %) du 16 septembre 2016 au 26 juillet 2017 (313 jours). Il y a lieu de porter l'indemnisation de ce préjudice de 1 380 euros à 2 285 euros sur la base de 20 euros par jour de déficit total.

14. Il sera fait une juste appréciation du préjudice esthétique temporaire causé par la réouverture et la suppuration de la cicatrice en l'évaluant à 200 euros.

15. Il résulte de l'instruction que l'infection diagnostiquée le 5 août 2016 a nécessité deux interventions chirurgicales les 6 et 19 août et environ deux mois d'antibiothérapie administrée par un cathéter veineux central (picc-line) du 25 au 28 août, et que dès

le 19 octobre 2016, l'aspect de la cicatrice propre et non inflammatoire était rassurant,

et l'inquiétude alléguée par M. A... n'est pas documentée par les pièces du dossier. Par suite,

eu égard à la brève durée du traitement, le requérant n'est fondé ni à soutenir que les experts auraient sous-évalué l'intensité des souffrances endurées en les cotant à 3,5 sur 7, ni à demander le rehaussement de la somme de 5 000 euros allouée à ce titre par le tribunal.

16. Les experts ont retenu un déficit fonctionnel permanent de 30 % pour un déficit neurologique responsable d'une anté-supination limitée du bras gauche et de cervicalgies accompagnées de vertiges, imputable à hauteur de 22 % à l'infection nosocomiale, le surplus étant en lien pour 3 % avec un état antérieur caractérisé par une rupture du tendon le long du biceps, et pour 5 % avec les séquelles que M. A... aurait conservées après une chirurgie sans complications. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation du déficit fonctionnel

de 22 % à l'âge de 53 ans en fixant son indemnisation à 32 000 euros.

17. M. A... n'est pas fondé à demander le rehaussement de la somme de 500 euros allouée par le tribunal au titre du préjudice esthétique permanent très léger, coté à 0,5 sur 7 pour une majoration de la cicatrice.

18. L'abandon d'activités de jardinage, de promenade et de réparation de motos invoqué par M. A... relève des troubles de toute nature dans les conditions d'existence indemnisés au titre du déficit fonctionnel permanent. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative à un préjudice d'agrément.

Sur les préjudices de Mme A... :

19. La somme de 2 192 euros allouée par le tribunal au titre des frais de déplacement n'est pas contestée.

20. La circonstance que Mme A... s'est déplacée huit fois au CHU de Poitiers ne caractérise pas des troubles majeurs dans ses conditions d'existence, et le handicap dont son époux reste atteint n'est que partiellement imputable à l'infection nosocomiale. Il sera fait une juste appréciation du préjudice d'accompagnement et du préjudice moral de Mme A... en lui allouant une somme globale de 1 000 euros.

21. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des conclusions d'appel en ce qu'elles excèdent la demande indemnitaire de première instance, que la somme que le CHU de Poitiers a été condamné à verser à M. A... doit être ramenée de 122 362 euros à 60 107 euros, et que la somme qu'il a été condamné à verser à Mme A... doit être portée de 2 192 euros à 3 192 euros.

Sur les intérêts :

22. Ainsi qu'il a été dit au point 2, le tribunal a assorti les condamnations prononcées

au bénéfice de M. et Mme A... des intérêts au taux légal à compter du 18 avril 2017.

Les conclusions présentées en appel, tendant à l'application des intérêts à compter

du 22 février 2022, date d'enregistrement de la requête d'appel, sont ainsi sans objet.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

23. M. et Mme A..., qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que le CHU de Poitiers et la SHAM ont été condamnés à verser à M. A... est ramenée de 122 362 euros à 60 107 euros.

Article 2 : La somme que le CHU de Poitiers et la SHAM ont été condamnés à verser à Mme A... est portée de 2 192 euros à 3 192 euros.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 2001027 du 9 décembre 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et Mme D... C... épouse A..., au centre hospitalier universitaire de Poitiers, à la société Relyens Mutual Insurance et à la caisse primaire d'assurance maladie du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 27 février 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00615


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00615
Date de la décision : 21/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET COUBRIS ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-21;22bx00615 ?
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