Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte :
- à titre principal d'ordonner l'exécution forcée de la promesse d'échange qu'il a conclue en 2008 avec le syndicat mixte d'investissement pour l'aménagement de Mayotte (SMIAM), ou à titre subsidiaire de condamner le SMIAM à lui verser la somme
de 1 875 315 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive des pourparlers et d'ordonner sous astreinte la démolition des travaux d'aménagement d'un terrain de football réalisés sur sa parcelle AH n° 0060 à Bouéni et la remise en état de sa propriété aux frais
du SMIAM, ou s'il n'est pas fait droit à la demande d'injonction de condamner le SMIAM à lui verser la somme de 3 000 000 euros correspondant au coût de cette remise en état ;
- d'ordonner l'expulsion sans délai du SMIAM et de le condamner à lui verser une indemnité d'occupation mensuelle de 600 euros jusqu'à libération complète et remise en état des lieux ;
- de condamner le SMIAM à lui verser une somme de 600 euros par mois au titre de son préjudice de jouissance, à compter du 1er janvier 2016 et jusqu'au transfert effectif de propriété ou jusqu'à la remise en état du terrain, ainsi que la somme de 250 000 euros au titre de son préjudice moral et financier.
Par un jugement n° 1902015 du 15 mars 2021, le tribunal a condamné le SMIAM à verser la somme de 36 000 euros à M. A... B... en réparation du préjudice de jouissance et du préjudice moral qu'il a subis de 2016 à 2020, et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 mai 2021 et un mémoire enregistré
le 24 novembre 2023, M. A... B..., représenté par Me Tabet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) à titre principal d'ordonner l'exécution forcée de la promesse d'échange qu'il a conclue en 2008 avec le SMIAM dans un délai de six mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou à titre subsidiaire de condamner le SMIAM à lui verser la somme
de 1 875 315 euros à titre de dommages et intérêts et d'enjoindre au SMIAM de remettre sa propriété en état sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou s'il n'est pas fait droit à la demande d'injonction de condamner le SMIAM à lui verser la somme de 3 000 000 euros correspondant au coût de cette remise en état ;
3°) d'ordonner l'expulsion du SMIAM sans délai et de le condamner à lui verser une indemnité d'occupation mensuelle de 600 euros jusqu'à libération complète et remise en état des lieux ;
4°) de condamner le SMIAM à lui verser la somme de 600 euros par mois au titre de son préjudice de jouissance à compter du 1er janvier 2016, jusqu'au transfert effectif de propriété ou jusqu'au départ du SMIAM et à la remise en état du terrain, ainsi que la somme de 250 000 euros au titre de son préjudice moral et financier ;
5°) de déclarer la décision à intervenir opposable au préfet de Mayotte ;
6°) de mettre à la charge du SMIAM les entiers dépens, ainsi qu'une somme
de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête a été introduite dans le délai d'appel, et contrairement à ce que soutient
le SMIAM, elle était accompagnée du jugement attaqué ;
- le tribunal n'a pas statué sur sa demande d'expulsion du SMIAM, ce qui entache le jugement d'irrégularité ;
En ce qui concerne l'exécution forcée de la promesse d'échange :
- la promesse d'échange négociée en 2008 n'a jamais été signée par le SMIAM, lequel s'est approprié la parcelle AH n° 0060 et y a réalisé d'importants travaux pour construire un terrain de football ; dès lors que le SMIAM a partiellement exécuté la promesse d'échange en prenant possession de sa parcelle, c'est à tort que le tribunal a jugé qu'il n'existait pas d'engagement contractuel opposable au SMIAM ; il appartient donc à la cour d'ordonner l'exécution forcée de la promesse d'échange et le transfert de propriété à son bénéfice des parcelles T n° 1158 DO et AH n° 43 dans un délai de six mois à compter de l'arrêt à intervenir;
A titre subsidiaire, si la cour rejetait la demande d'exécution forcée de la promesse d'échange :
- l'absence de signature par le SMIAM de la promesse d'échange caractérise une rupture abusive des pourparlers, et le préjudice correspondant s'élève à 1 875 315 euros du fait de la perte de la plus-value attendue sur les parcelles que le SMIAM s'était engagé à lui échanger contre son terrain ; c'est ainsi à tort que le tribunal a jugé qu'il ne se prévalait d'aucun préjudice présentant un lien direct avec la faute commise par le SMIAM ;
- dès lors que le SMIAM occupe sans droit ni titre la parcelle AH n° 0060, il doit quitter les lieux et lui restituer son bien après l'avoir remis en état ; le terrain de football, peu utilisé et non clôturé, ne dispose pas des équipements élémentaires (vestiaires, sanitaires, abri) permettant de recevoir du public, et il en existe d'autres à Mayotte, facilement accessibles pour les habitants de Bouéni, de sorte que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la démolition ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ; si la cour ne faisait pas droit à sa demande d'injonction, il conviendrait de condamner le SMIAM à lui verser la somme de 3 000 000 euros correspondant au coût de la démolition et de la remise en état ;
En ce qui concerne les préjudices subis du fait de l'emprise irrégulière :
- la somme allouée au titre du préjudice de jouissance est insuffisante et doit être
portée à 57 000 euros jusqu'au 1er décembre 2023 sur la base de 600 euros par mois ;
- l'emprise irrégulière l'a empêché de constituer un capital et de le faire fructifier, et il a été dépossédé de son bien et a dû multiplier les procédures judiciaires pour tenter de faire valoir ses droits ; il est ainsi fondé à demander la condamnation du SMIAM à lui verser les sommes
de 150 000 euros au titre de son préjudice financier et de 100 000 euros au titre de son préjudice moral.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 novembre 2023, le SMIAM, représenté par Me Tesoka, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête d'appel est irrecevable car elle n'était pas accompagnée du jugement attaqué ;
A titre subsidiaire :
- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté la demande d'exécution forcée ;
- la somme allouée au titre du préjudice de jouissance est suffisante, et le surplus de la demande indemnitaire est manifestement infondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
Considérant ce qui suit :
1. Le syndicat mixte d'investissement pour l'aménagement de Mayotte (SMIAM), qui regroupe les 17 communes et le département de Mayotte et n'a plus d'activité depuis que les collectivités membres ont demandé sa dissolution au préfet de Mayotte en 2014, avait pour objet la construction d'écoles et d'équipements sportifs publics. En 2008, il a proposé à M. A... B..., propriétaire de la parcelle référencée AH n° 0060 au cadastre de la commune de Bouéni, de lui céder ce terrain en échange de deux autres parcelles. Sans avoir conclu aucune promesse d'échange, le SMIAM a aménagé un terrain de football sur la propriété de M. A... B..., ce qui a nécessité la réalisation d'une plateforme sur le terrain naturel initialement en pente de 15 %, pour un coût total des travaux de 2 176 466 euros HT. Après avoir vainement tenté de trouver un accord amiable, M. A... B... a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d'une demande d'expertise, à laquelle il a été fait droit par une ordonnance du 2 septembre 2014. L'expert a constaté l'occupation sans droit ni titre de 95 % de la parcelle AH n° 0060, et a estimé qu'eu égard aux contraintes techniques et financières d'une déconstruction, une remise en état du terrain n'était pas réalisable. Il a proposé une indemnisation de l'occupation sans titre à hauteur de 33 080 euros pour la période de 2009 à 2015, et l'acquisition du terrain soit au prix
de 243 660 euros correspondant à sa valeur estimée, soit par le versement d'une somme
de 2 118 975 euros correspondant à la valeur des deux terrains promis. Par un premier jugement n° 1600076 du 7 juin 2018 dont il n'a pas été relevé appel, le tribunal administratif de Mayotte a condamné le SMIAM à verser à M. A... B... une indemnité de 33 080 euros au titre de la perte de jouissance de son terrain entre les années 2009 et 2015, et a rejeté les conclusions de M. A... B... tendant à l'allocation d'une somme de 2 118 975 euros correspondant à la valeur de l'échange qu'il avait unilatéralement accepté.
2. Après avoir présenté une réclamation préalable restée sans réponse, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Mayotte d'ordonner l'exécution forcée de la promesse d'échange ou subsidiairement de condamner le SMIAM à lui verser la somme
de 1 875 315 euros à titre de dommages et intérêts, d'enjoindre sous astreinte au SMIAM de réaliser les travaux de remise en état de son terrain ou subsidiairement de le condamner au versement d'une somme de 3 000 000 euros correspondant au coût des travaux, et enfin d'ordonner l'expulsion du SMIAM et de le condamner à lui verser une indemnité d'occupation de 600 euros par mois à compter du 1er janvier 2016 et une somme de 250 000 euros au titre de son préjudice moral et financier. Il relève appel du jugement du 15 mars 2021 par lequel le tribunal, qui a seulement condamné le SMIAM à lui verser la somme de 36 000 euros au titre du préjudice de jouissance et du préjudice moral subis de 2016 à 2020, a rejeté le surplus de sa demande.
Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :
3. Contrairement à ce que soutient le SMIAM, la requête d'appel de M. A... B... était accompagnée du jugement attaqué.
Sur la régularité du jugement :
4. Alors que le SMIAM est une personne morale et que l'occupation sans titre de la parcelle AH n° 0060 est constituée par la présence d'un équipement public, les conclusions de M. A... B... tendant à ce que le juge " ordonne l'expulsion " du SMIAM se confondent avec celles tendant à la remise en état du terrain, auxquelles les premiers juges ont répondu. M. A... B... n'est donc pas fondé à invoquer une irrégularité du jugement pour défaut de réponse à ces conclusions.
Sur la promesse d'échange de parcelles :
5. Il est constant que le projet de convention intitulé " promesse d'échange " élaboré
en 2008 par le SMIAM n'a jamais été signé par un représentant de ce dernier. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a jugé qu'en l'absence d'engagement contractuel du SMIAM, la demande d'" exécution forcée " d'une promesse d'échange présentée par M. A... B... ne pouvait, en tout état de cause, qu'être rejetée.
6. Le SMIAM n'était pas tenu de donner suite au projet d'échange de terrains, et en était d'ailleurs empêché, ainsi qu'il résulte de l'expertise, par le fait qu'il n'a jamais été propriétaire de l'une des deux parcelles qu'il envisageait de céder, dont l'acquisition projetée n'a pas été réalisée. La faute qu'il a commise ne consiste pas à avoir rompu les négociations relatives à l'échange, mais à avoir occupé la propriété de M. A... B... sans contrepartie ni autorisation. M. A... B... n'est donc pas fondé à solliciter l'indemnisation d'un préjudice en lien avec une " rupture abusive des pourparlers ".
Sur la demande de remise en état du terrain de M. A... B... :
7. Lorsqu'il est saisi d'une demande tendant à ce que soit ordonnée la démolition d'un ouvrage public dont il est allégué qu'il est irrégulièrement implanté par un requérant qui estime subir un préjudice du fait de l'implantation de cet ouvrage et qui en a demandé sans succès la démolition à l'administration, il appartient au juge administratif, juge de plein contentieux, de déterminer, en fonction de la situation de droit et de fait existant à la date à laquelle il statue, si l'ouvrage est irrégulièrement implanté, puis, si tel est le cas, de rechercher, d'abord, si eu égard notamment à la nature de l'irrégularité, une régularisation appropriée est possible, puis, dans la négative, en tenant compte de l'écoulement du temps, de prendre en considération, d'une part les inconvénients que la présence de l'ouvrage entraîne pour les divers intérêts publics ou privés en présence, notamment, le cas échéant, pour le propriétaire du terrain d'assiette de l'ouvrage, d'autre part, les conséquences de la démolition pour l'intérêt général, et d'apprécier, en rapprochant ces éléments, si la démolition n'entraîne pas une atteinte excessive à l'intérêt général.
8. Il est constant que le terrain de football est irrégulièrement implanté sur la parcelle AH n° 0060, et eu égard au comportement du SMIAM qui n'a jamais répondu aux sollicitations de M. A... B..., une régularisation n'apparaît pas possible. Ainsi qu'il a été dit au point 1, l'aménagement de l'équipement public a nécessité la réalisation d'une plateforme sur un terrain naturel présentant une pente de 15 %, et le coût des travaux s'est élevé à 2 176 466 euros HT. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que le coût d'une déconstruction avec remise en état du terrain serait encore plus important, alors que la valeur de la superficie occupée
de 8 122 m² était estimée à 243 660 euros en 2015. Dans ces circonstances, une démolition, dont la faisabilité apparaît au demeurant douteuse au regard des contraintes techniques, entraînerait une atteinte excessive à l'intérêt général. Par suite, les conclusions à fin d'injonction sous astreinte au SMIAM de remettre en état la parcelle AH n° 0060 doivent être rejetées, de même que les conclusions subsidiaires tendant à la condamnation du SMIAM à verser une somme
de 3 000 000 euros à M. A... B... afin de lui permettre de réaliser les travaux.
Sur le droit à indemnisation de M. A... B... :
9. Pour l'année 2015, l'expert a évalué la valeur locative annuelle de l'emprise irrégulière de 8 122 m² sur la parcelle agricole AH n° 0060 à 7 310 euros sur la base de 3 % de la valeur vénale, et à 5 131 euros sur la base de la valeur des cultures. Dans ces circonstances, et alors que M. A... B... n'établit ni même n'allègue que le prix des terres agricoles aurait substantiellement évolué, ni que son terrain serait devenu constructible, le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation de l'indemnité d'occupation en la fixant à 520 euros par mois. Par suite, il y a lieu de condamner le SMIAM à verser à M. A... B... une somme de 51 324 euros au titre de la période allant du 1er janvier 2016 à la date du présent arrêt. Pour la période postérieure au présent arrêt, il y a lieu de condamner le SMIAM à verser à M. A... B... une somme de 520 euros par mois jusqu'à ce qu'il soit mis fin à l'occupation sans titre par l'intervention d'une régularisation, laquelle pourrait prendre la forme d'une acquisition du terrain.
10. Si M. A... B... fait valoir que l'emprise irrégulière l'a empêché de constituer un capital et de le faire fructifier, l'indemnité d'occupation allouée au point précédent a pour objet de compenser la perte des revenus que l'exploitation de sa parcelle aurait pu générer, et il ne démontre pas l'existence d'un préjudice financier distinct dont il sollicite l'indemnisation à hauteur de 150 000 euros.
11. Malgré de multiples démarches, M. A... B... est privé de son terrain depuis
14 ans à la date du présent arrêt, et le SMIAM n'a jamais recherché aucune régularisation. Dans ces circonstances, il y a lieu d'évaluer le préjudice moral de M. A... B... à 10 000 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la somme que le SMIAM a été condamné à verser à M. A... B... doit être portée de 36 000 euros à 61 324 euros, que le SMIAM doit être condamné à verser à M. A... B... une somme de 520 euros par mois à compter de la date du présent arrêt et jusqu'à ce qu'il soit mis fin à l'occupation sans titre de la parcelle AH n° 0060,
et que le surplus des conclusions de M. A... B... doit être rejeté.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
13. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du SMIAM une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de M. A... B... relatives à des dépens inexistants ne peuvent qu'être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme que le SMIAM a été condamné à verser à M. A... B... est portée
de 36 000 euros à 61 324 euros.
Article 2 : Le SMIAM est condamné à verser à M. A... B... une somme de 520 euros par mois à compter de la date du présent arrêt et jusqu'à ce qu'il soit mis fin à l'occupation sans titre de la parcelle AH n° 0060.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Mayotte n° 1902015 du 15 mars 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le SMIAM versera à M. A... B... une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions la requête de M. A... B... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... B... et au syndicat mixte d'investissement pour l'aménagement de Mayotte. Des copies en seront adressées pour information au préfet de Mayotte et à la chambre régionale des comptes de Mayotte.
Délibéré après l'audience du 27 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX01952