Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de fixer une rente viagère à son profit et d'ordonner avant dire droit une expertise afin d'évaluer ses préjudices en lien avec l'accident de service dont il a été victime le 16 décembre 2011,
ou à titre subsidiaire de condamner le centre hospitalier de Périgueux à lui verser une indemnité
de 51 000 euros, ainsi qu'une rente viagère.
Par un jugement n° 1900090 du 11 février 2021, le tribunal a condamné le centre hospitalier de Périgueux à lui verser une indemnité de 9 000 euros et a rejeté le surplus
de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 avril 2021 et un mémoire enregistré
le 28 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Aljoubahi, demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement en ce qu'il a limité l'indemnisation de ses préjudices
à la somme de 9 000 euros ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Périgueux à lui verser une indemnité
de 47 700 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Périgueux une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal a retenu la responsabilité sans faute du centre hospitalier de Périgueux à raison de l'accident reconnu imputable au service dont il a été victime le 16 décembre 2011 ;
- il ne demande plus l'attribution d'une rente ;
- alors que le centre hospitalier était satisfait de son travail dans ses fonctions d'ambulancier, l'accident lui a fait perdre une chance d'être titularisé et de progresser dans la fonction publique hospitalière ; le centre hospitalier de Périgueux ne lui a proposé qu'un poste de régulateur au centre d'appel du SAMU qui ne lui était pas adapté, ne lui a pas offert de véritable formation et a multiplié les notations négatives sans lui prodiguer aucun conseil, laissant la situation se dégrader jusqu'à ce qu'il soit déclaré inapte à tout emploi, de sorte que son état dépressif est en lien avec le service ; contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, il a subi un préjudice d'incidence professionnelle, dont il est fondé à demander l'indemnisation à hauteur
de 5 000 euros ;
- la somme de 3 000 euros allouée au titre du déficit fonctionnel temporaire est insuffisante et doit être portée à 8 000 euros ;
- eu égard au syndrome de stress post-traumatique qu'il présente, il est fondé à solliciter une somme de 6 000 euros au titre des souffrances endurées ;
- le fait qu'il est resté en congé de maladie jusqu'à son licenciement démontre que le déficit fonctionnel permanent doit être évalué au minimum à 15 % et réparé à hauteur de 23 700 euros ;
- alors qu'il a pratiqué la boxe et la course à pied, il ne lui est plus possible d'extérioriser sa tension par le sport ; il est ainsi fondé à demander une somme de 5 000 euros au titre de son préjudice d'agrément ;
- si la cour s'estime insuffisamment éclairée, il lui appartient d'ordonner une expertise afin d'évaluer ses préjudices.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 août 2021, le centre hospitalier de Périgueux, représenté par la SCP KPDB, conclut au rejet de la requête et demande à la cour, par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement et de rejeter les demandes de M. B..., et de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- la demande d'expertise est sans fondement et doit être rejetée ;
- M. B..., qui n'avait aucun droit à être titularisé, a été régulièrement licencié, et ne pouvait prétendre à l'allocation d'un capital ou d'une rente d'invalidité ;
- alors qu'il n'existe aucune obligation de reclassement pour les fonctionnaires stagiaires, il a proposé un poste adapté à M. B..., et la non-titularisation est sans lien avec l'accident du 16 décembre 2011 ;
- les demandes indemnitaires doivent être rejetées car il n'a commis aucune faute, et l'accident de trajet n'est pas assimilable à un accident de service pouvant donner lieu à une indemnisation ;
A titre subsidiaire, si la cour devait retenir un droit à indemnisation :
- en l'absence de faute de l'hôpital les demandes relatives à l'indemnisation d'une incidence professionnelle et des déficits fonctionnels temporaire et permanent doivent être rejetées ;
- aucune évaluation médico-légale contradictoire ne permet de faire droit aux demandes relatives aux souffrances endurées ;
- la demande relative au préjudice moral relève des souffrances endurées ;
- M. B... ne justifie pas de la réalité du préjudice d'agrément qu'il allègue.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- le décret n° 97-487 du 12 mai 1997 ;
- le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Roger, représentant le centre hospitalier de Périgueux.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., recruté par le centre hospitalier de Périgueux en qualité de conducteur ambulancier contractuel à compter du 8 février 2007, a été nommé agent des services hospitaliers stagiaire à compter du 1er octobre 2011. Le 16 décembre 2011, il a glissé dans un escalier dans l'enceinte de l'hôpital et a présenté une lésion méniscale interne du genou gauche, laquelle a nécessité une intervention chirurgicale et une longue rééducation. Cet accident a été reconnu imputable au service par une décision du 5 janvier 2012. M. B... a repris le travail
le 1er juillet 2013 sur un poste d'auxiliaire de régulation médicale au SAMU Centre 15, que l'administration lui avait proposé pour tenir compte des restrictions médicales constatées par une expertise du 11 mars 2013 impliquant d'éviter les stations debout ou assise prolongées. Des difficultés d'adaptation à cet emploi ont conduit à la prorogation de son stage, en dernier lieu pour une période de six mois à compter du 14 septembre 2014. M. B... a été placé en congé de maladie ordinaire à compter du 28 janvier 2015, et une expertise médicale réalisée le 29 juillet 2016 a conclu à son inaptitude totale et définitive à son poste d'agent des services hospitaliers, ainsi qu'à toutes fonctions au centre hospitalier de Périgueux. Il a été radié des cadres par licenciement pour inaptitude totale par une décision du 31 janvier 2017 qu'il n'a pas contestée. Par lettre du 4 octobre 2018, M. B... a présenté une réclamation préalable en vue de l'indemnisation des préjudices qu'il estimait avoir subis du fait de l'accident
du 16 décembre 2011, et en l'absence de réponse, il a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise et de condamnation du centre hospitalier de Périgueux à lui verser une rente viagère, ainsi qu'une indemnité de 51 000 euros. Par un jugement du 11 février 2021, le tribunal a condamné le centre hospitalier à lui verser une indemnité de 9 000 euros et a rejeté le surplus de ses demandes. M. B... relève appel de ce jugement et sollicite l'allocation d'une somme de 47 700 euros. Par son appel incident, le centre hospitalier de Périgueux conteste la condamnation prononcée à son encontre.
Sur la responsabilité :
2. Le centre hospitalier de Périgueux, qui ne saurait remettre en cause l'imputabilité au service de l'accident du 16 décembre 2011 qu'il a reconnue, alors au demeurant que l'accident de trajet qu'il invoque a le caractère d'un accident de service, ne conteste pas utilement le principe de sa responsabilité sans faute retenue par le tribunal en faisant valoir qu'il n'a commis aucune faute.
3. Si M. B... se plaint de ce que le centre hospitalier ne l'aurait pas suffisamment accompagné dans le poste de reclassement qu'il lui a proposé en qualité d'assistant à la régulation médicale depuis juillet 2013, ce qui aurait fait obstacle à sa titularisation et engendré le syndrome anxiodépressif dont il souffre, l'existence des manquements allégués ne résulte pas de l'instruction, et M. B... n'a pas contesté le licenciement sans lien direct avec l'accident du 16 décembre 2011, exclusivement fondé sur son inaptitude physique définitive à tout poste au sein du centre hospitalier. En l'absence de faute démontrée du centre hospitalier de Périgueux, les conclusions tendant à l'indemnisation d'une perte de chance de stabiliser des revenus professionnels doivent être rejetées.
Sur le droit à réparation de M. B... :
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
4. Les dispositions des articles 36 et 37 du décret du 26 décembre 2003 et l'article 80 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation, qui incombe aux collectivités publiques, de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
5. La circonstance qu'un fonctionnaire stagiaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions mentionnées au point précédent subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle. En revanche, elle ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de cette collectivité la réparation de préjudices d'une autre nature, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.
6. En faisant valoir que l'accident du 16 décembre 2011 lui a fait perdre une chance d'être titularisé et de bénéficier d'une carrière dans la fonction publique hospitalière, M. B... ne conteste pas utilement le rejet de sa demande d'indemnisation d'un préjudice d'incidence professionnelle, lequel n'est pas indemnisable sur le fondement de la responsabilité sans faute du centre hospitalier de Périgueux, comme l'a jugé le tribunal.
En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux :
7. Contrairement à ce que soutient le centre hospitalier de Périgueux, le déficit fonctionnel est indemnisable sur le fondement de la responsabilité sans faute. Le tribunal s'est fondé sur les expertises réalisées à la demande de l'administration pour retenir un déficit fonctionnel temporaire entre le 16 décembre 2011, date de l'accident, et la date de consolidation de l'état de santé de M. B... fixée au 18 novembre 2014 " en accord avec le rééducateur traitant ". Il résulte de l'instruction que la lésion méniscale a nécessité des hospitalisations
le 17 février 2012 pour une intervention chirurgicale et du 7 janvier au 8 février 2013 pour la rééducation fonctionnelle, que le 11 mars 2013, M. B... avait encore un périmètre de marche limité à un kilomètre et des difficultés pour monter et descendre les escaliers du fait de la persistance de douleurs, ce qui correspondait selon l'expert à un déficit fonctionnel de 5 à 10 %, et que ce déficit a été coté à 3 % à partir du 9 janvier 2014. Les premiers juges n'ont pas fait une insuffisante appréciation de ce préjudice en fixant son indemnisation à la somme de 3 000 euros. Si M. B... se prévaut des troubles psychologiques ayant conduit à son placement en congé de maladie ordinaire à compter du 28 janvier 2015, ceux-ci n'étaient pas en lien direct avec l'accident du 16 décembre 2011, comme l'a relevé l'expert.
8. Il résulte des expertises réalisées à la demande de l'administration que la lésion du ménisque interne du genou gauche a causé des douleurs importantes après l'intervention
du 17 février 2012, que les traitements par infiltrations et visco-inductions n'ont pas apporté de soulagement, que le séjour d'un mois dans un établissement de rééducation fonctionnelle a été marqué par des douleurs permanentes avec réveil nocturne, et que le 9 janvier 2014, près de deux ans après l'accident, des douleurs persistaient à la marche et parfois la nuit. Eu égard à ces éléments et aux souffrances morales causées par la nécessité d'un reclassement professionnel auquel M. B... n'est pas parvenu à s'adapter, il y a lieu d'évaluer les souffrances endurées
à 3 000 euros. En revanche, le centre hospitalier de Périgueux est fondé à soutenir que la somme de 1 500 euros allouée par le tribunal au titre d'un préjudice moral à raison des conséquences professionnelles de l'accident relève en réalité des souffrances morales, lesquelles ne peuvent donner lieu à une indemnisation distincte.
9. L'expert missionné par le centre hospitalier de Périgueux a retenu un déficit fonctionnel permanent de 3 % au 18 novembre 2014, date à laquelle le genou gauche paraissait stable, avec des mobilités quasi normales, pour la persistance de douleurs nécessitant un traitement antalgique. M. B... ne conteste pas utilement ce taux en se bornant à se prévaloir de son placement en congé de maladie à partir du 28 janvier 2015, alors que l'expert a précisé que cet arrêt de travail n'était pas en rapport direct avec une pathologie du genou gauche. M. B... étant âgé de 45 ans à la date de consolidation de son état de santé, la somme
de 3 000 euros allouée par les premiers juges n'apparaît pas insuffisante.
10. Si M. B... fait valoir qu'il a pratiqué la boxe et la course à pied, l'unique justificatif produit pour la première fois en appel, une ancienne licence de la fédération française de boxe portant comme ultime validation la saison 1997-1998, ne suffit pas à démontrer l'exercice régulier d'activités sportives auxquelles l'accident du 16 décembre 2011 l'aurait contraint à renoncer. La demande d'indemnisation d'un préjudice d'agrément ne peut donc être accueillie.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner une expertise, que M. B... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a limité
à 9 000 euros l'indemnité mise à la charge du centre hospitalier de Périgueux, et que l'appel incident de ce dernier doit être rejeté.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : L'appel incident du centre hospitalier de Périgueux est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au centre hospitalier
de Périgueux.
Délibéré après l'audience du 27 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mars 2024.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLe greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 21BX01540