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12/03/2024 | FRANCE | N°23BX02825

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 mars 2024, 23BX02825


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... D... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 84 408,63 euros en réparation des différents préjudices que leur ont causé les fautes commises par l'administration dans le traitement de leurs demandes de titre de séjour.



Par un jugement n° 2204152 du 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à leur verser la somme totale de 1 724,13 eur

os et a rejeté le surplus de leurs demandes.



Procédure devant la cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... et Mme F... D... ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner l'Etat à leur verser la somme globale de 84 408,63 euros en réparation des différents préjudices que leur ont causé les fautes commises par l'administration dans le traitement de leurs demandes de titre de séjour.

Par un jugement n° 2204152 du 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné l'Etat à leur verser la somme totale de 1 724,13 euros et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 novembre 2023 et un mémoire enregistré le 02 janvier 2024, M. et Mme D..., représentés par Me Le Guédard, demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 14 septembre 2023 en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à leurs demandes ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme globale 91 064,14 euros en réparation des différents préjudices que leur ont causé les fautes commises par l'administration dans le traitement de leurs demandes de titre de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés pour l'instance

Ils soutiennent que :

- l'illégalité des arrêtés des 29 mars 2019 et 28 décembre 2020 constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

- ils avaient droit à un titre de séjour à compter du 29 mars 2019 ;

- les préjudices qu'ils ont subis présentent un lien direct et certain avec les fautes ainsi commises ;

- ils justifient de l'existence et du montant de leurs préjudices.

Par un mémoire enregistré le 11 décembre 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport B... E...,

- et les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique.

- et les observations de Me Pitel-Marie, représentant M. et Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme D..., ressortissants albanais, ont sollicité l'asile le 8 octobre 2018. Par des décisions du 15 février 2019, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté leurs demandes et ces rejets ont été confirmés par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Par des arrêtés du 29 mars 2019, le préfet de la Gironde leur a fait obligation de quitter le territoire français. Ces arrêtés ont toutefois été annulés par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 mai 2019 et le préfet leur a délivré des autorisations provisoires de séjour d'une durée de trois mois à raison de l'état de santé de l'un de leurs enfants. Toutefois, par deux arrêtés du 28 décembre 2020, le préfet de la Gironde a refusé de renouveler ces autorisations et leur a fait obligation de quitter le territoire français. Le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté les recours présentés par les intéressés à l'encontre de ces arrêtés mais, par un arrêt du 18 octobre 2021, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce jugement ainsi que les arrêtés du 28 décembre 2020. La cour a également enjoint au préfet de la Gironde de délivrer des titres de séjour à M. et Mme D... et ceux-ci ont effectivement été mis en possession de cartes de séjour temporaires le 23 novembre 2021. Ils ont demandé en vain le 20 mai 2022 à l'administration à être indemnisés, à hauteur de 84 408,63 euros, des préjudices causés par l'illégalité des arrêtés des 29 mars 2019 et 28 décembre 2020. M. et Mme D... relèvent appel du jugement du 14 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux, s'il a condamné l'Etat à leur verser une indemnité de 1 724,13 euros, a rejeté le surplus de leurs demandes indemnitaires.

Sur la responsabilité et le lien de causalité :

2. Les illégalités entachant les arrêtés des 29 mars 2019 et 28 décembre 2020, qui résultent, respectivement, du défaut d'examen sérieux de la situation des intéressés puis de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'État à raison des préjudices directs et certains qui en ont résulté.

3. D'une part, il résulte de l'instruction que les demandes de titres de séjour B... et Mme D... rejetées par les arrêtés du 29 mars 2019 n'étaient pas fondées sur les dispositions de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devenu L. 425-10, relatives aux parents d'enfants malades. Les appelants n'établissent par ailleurs, ni même ne soutiennent, que le préfet aurait dû leur délivrer des titres de séjour sur un autre fondement. Dès lors, les requérants ne démontrent pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain entre l'illégalité de ces arrêtés et les préjudices dont ils demandent réparation, tenant à leur droit au séjour en tant que parents d'un enfant malade.

4. D'autre part, les appelants ont présenté de nouvelles demandes de titres de séjour le 17 avril 2019, en se prévalant cette fois de l'état de santé de leur fille. Le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ayant émis le 9 octobre 2019 un avis favorable à leur admission temporaire au séjour, M. et Mme D... se sont vus délivrer des autorisations provisoires de séjour d'une durée de trois mois valables jusqu'au 2 décembre 2019. Ils ont ensuite été munis de récépissés de demandes de titre de séjour. Le 9 octobre 2020, le collège de médecin de l'OFII a finalement rendu un avis selon lequel un traitement approprié à l'état de santé de leur fille est disponible dans leur pays d'origine. Par des décisions du 28 décembre 2020, le préfet, suivant cet avis, a de nouveau refusé de leur délivrer des titres de séjour. Dans ces conditions, les préjudices subis par les appelants entre le 17 avril 2019 et le 28 décembre 2020 sont uniquement dus au délai nécessaire à l'examen de leurs demandes, en particulier à l'instruction du dossier médical transmis pour avis au collège de médecins de l'OFII, dont il n'est pas établi ni même soutenu qu'elle aurait été anormalement longue, et non à une faute de l'administration dont ils seraient fondés à demander l'indemnisation.

5. En revanche, il résulte de l'arrêt rendu par la cour du 18 octobre 2021 que l'état de santé de la fille B... et Mme D... a nécessité, dès le mois de février 2020, un traitement antiépileptique par une association de trois molécules dont le défaut d'administration était susceptible d'entrainer des conséquences d'une extrême gravité, que ces molécules n'étaient pas commercialisées en Albanie et qu'elles n'étaient pas substituables. Dans ces conditions, les appelants sont fondés à soutenir que les arrêtés du 28 décembre 2020 sont à l'origine des préjudices qu'ils ont subis entre cette date et la délivrance de cartes de séjour temporaires mention " vie privée et familiale ", le 23 novembre 2021, sans que le préfet de la Gironde puisse utilement faire valoir que les éléments médicaux contredisant l'avis rendu par le collège de médecins de l'OFII et au vu desquels la cour a annulé les arrêtés en cause ont été produits pour la première fois en avril 2021, postérieurement à ces arrêtés.

Sur les préjudices :

6. En premier lieu, et ainsi que l'ont relevé les premiers juges, il résulte de l'instruction qu'une décision d'attribution de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) à raison de l'état de santé de leur fille a été notifiée aux appelants dès le 8 février 2019, leur ouvrant ainsi des droits à une allocation d'un montant mensuel de 724,13 euros. Or, il ressort de la lettre que leur a adressé la caisse d'allocations familiales le 17 janvier 2022 qu'ils n'ont pu percevoir celle-ci avant le mois de décembre 2021 en raison du défaut de régularisation de leur séjour en France. Dans ces conditions, ils sont fondés à demander que l'Etat soit condamné à leur verser une somme de 7 965,43 euros correspondant au montant de l'AEEH dont ils auraient pu bénéficier durant onze mois, entre le 28 décembre 2020 et le 23 novembre 2021.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction qu'à compter de la régularisation de leur situation administrative, M. et Mme D... ont perçu des allocations familiales pour un montant de 301,30 euros par mois et des allocations de base de la prestation d'accueil du jeune enfant (A...) pour un montant de 171,91 euros par mois. Par suite, ils sont fondés à soutenir que l'illégalité de l'arrêté du 28 décembre 2020 les a également privés d'une chance sérieuse de bénéficier de ces allocations et à demander à ce titre la réparation d'un préjudice d'un montant de 5 205,31 euros sur onze mois.

8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que M. D... a conclu un contrat à durée déterminée à temps complet du 1er octobre 2020 au 31 décembre 2020 mais n'a pu l'honorer dès lors que l'autorisation provisoire de séjour de trois mois qui lui a alors été délivrée ne l'autorisait pas à travailler. Toutefois, cette circonstance ne présentant pas un lien direct de causalité avec les refus de titres de séjour auxquels les appelants attribuent leurs préjudices, leurs conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice que leur a causé l'impossibilité d'exécuter ce contrat de travail doivent être rejetées.

9. En revanche, il résulte également de l'instruction que, le 2 novembre 2021, soit quelques jours après que l'arrêté de la cour enjoignant au préfet de lui délivrer un titre de séjour lui ait été notifié, M. D... a conclu un contrat de travail de dix mois en qualité d'ouvrier manœuvre à effet du 2 février 2022, c'est à dire après l'expiration du délai prescrit pour la délivrance de ce titre. L'appelant établissant ainsi tant sa volonté que sa capacité à trouver rapidement un emploi lorsqu'il est autorisé à travailler, il est fondé à soutenir que la décision du 28 décembre 2020 lui refusant la délivrance d'un titre de séjour l'a privé d'une chance sérieuse de percevoir des revenus professionnels entre cette date et le 23 novembre 2021. Il sera fait une juste appréciation du préjudice correspondant en l'évaluant à la somme de 13 500 euros par référence au salaire minimum interprofessionnel de croissance net pour un temps plein sur la période considérée.

10. En quatrième et dernier lieu, il sera fait une plus juste appréciation, dans les circonstances de l'espèce, du préjudice moral subi par M. et Mme D... à raison de l'illégalité des arrêtés du 28 décembre 2020 en portant à 2 000 euros l'indemnité globale devant leur être allouée à ce titre par l'Etat.

11. Il résulte de ce qui précède que les appelants sont seulement fondés à demander la réformation du jugement attaqué en tant qu'il a condamné l'Etat à leur verser une somme inférieure à 28 670,74 euros.

Sur les frais exposés pour l'instance :

12. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser aux requérants au titre des frais exposés pour l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme que l'Etat est condamné à verser à M. et Mme D... est portée à 28 670,74 euros.

Article 2 : Le jugement n° 2204152 du tribunal administratif de Bordeaux 14 septembre 2023 est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. C... D... et Mme F... D..., ainsi qu'au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

Manuel E...

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX02825 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02825
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : LE GUEDARD

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;23bx02825 ?
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