Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de D... d'annuler la décision du 19 décembre 2022 par laquelle le préfet de la Vienne lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour.
Par un jugement n° 2300013 du 10 mai 2023, le tribunal administratif de D... a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 24 juillet 2023, M. A..., représenté par Me Hay, demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 10 mai 2023 ;
3°) d'annuler la décision du 19 décembre 2023 ;
4°) d'enjoindre au préfet de ma Vienne de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de 30 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- il justifie de la réalité de liens intenses avec sa grand-mère, qui a été désignée tiers de confiance puis a bénéficié d'une délégation de l'autorité parentale par la justice ; ce n'est qu'en raison des capacités physiques amoindries de sa grand-mère qu'il a ensuite été pris en charge par une structure spécialisée ; le contrat jeune majeur en cours s'inscrit dans ce parcours ; il est resté très proche de sa grand-mère qui s'est occupée de lui depuis toujours ; il a aussi en France sa mère, ses deux frères de nationalité française, son beau-père, sa tante et son oncle ; le centre de sa vie privée et familiale est donc en France alors qu'il n'a plus aucune famille dans son pays d'origine, n'ayant pas été reconnu par son père ; l'arrêté contesté porte donc une atteinte manifestement excessive à sa vie privée et familiale ;
- les mentions au fichier des antécédents judiciaires n'ont pas valeur de condamnations ; le préfet n'a pas vérifié auprès du procureur de la République ou d'un autre service judiciaire la réalité des infractions relevées et l'existence de condamnations ; la décision a donc été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ;
- pour le surplus le préfet ne fait état que d'une seule condamnation pour des faits commis lorsqu'il était mineur et malade ; il a bénéficié d'un aménagement de peine ; il souffre de troubles psychiatriques expliquant les faits pour lesquels il a été condamné, et il suit son traitement ; il ne peut donc être considéré comme une menace pour l'ordre public ;
- il est bien inséré ; il a suivi une scolarité jusqu'en terminale et n'a pas pu passer son baccalauréat en raison de l'absence de titre de séjour ; c'est pourquoi il a conclu un contrat jeune majeur.
La clôture d'instruction a été fixée au 29 janvier 2024 à 12h00 par une ordonnance du 5 décembre 2023.
Le préfet de la Vienne a présenté un mémoire en défense le 6 février 2024.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 24 août 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant gabonais, est entré en France le 25 mars 2016 à l'âge de onze ans. Il a sollicité le 15 novembre 2022 la délivrance d'une carte de séjour " vie privée et familiale " sur les fondements des articles L. 423-21 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 19 décembre 2022, le préfet de la Vienne a rejeté sa demande. M. A... relève appel du jugement du 10 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de D... a rejeté sa demande d'annulation de cette décision.
Sur les conclusions tendant à l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par une décision du 24 août 2023, le bureau d'aide juridictionnelle a admis M. A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Ses conclusions tendant à ce que la cour lui accorde le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire sont ainsi devenues sans objet et il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. Aux termes de l'article L. 423-21 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui justifie par tous moyens avoir résidé habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans avec au moins un de ses parents se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / Pour l'application du premier alinéa la filiation s'entend de la filiation légalement établie, y compris en vertu d'une décision d'adoption, sous réserve de la vérification par le ministère public de la régularité de cette décision lorsqu'elle a été prononcée à l'étranger ". Et aux termes de l'article L. 423-23 de ce code : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423 1, L. 423 7, L. 423 14, L. 423 15, L. 423 21 et L. 423 22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412 1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. ".
4. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 412-5 du même code : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire... ".
5. Pour rejeter la demande de carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " sollicitée par M. A..., le préfet de la Vienne lui a opposé, par sa décision du 19 décembre 2022, que son comportement constitue une menace pour l'ordre public et qu'il ne justifie pas d'une résidence habituelle en France avec l'un de ses parents depuis au plus l'âge de treize ans, ni y disposer du centre de ses intérêts privés et familiaux.
6. D'une part, outre la mention d'une condamnation le 16 novembre 2021 par le tribunal correctionnel de D... à 3 mois de prison pour détention et importation de produits stupéfiants en contrebande, attestée par une fiche pénale, le préfet relève dans la décision litigieuse que M. A... est défavorablement connu des services de police pour de nombreux faits de vol, violences, outrages, transport et détention de produits stupéfiants commis entre 2017 et 2021, révélés par la consultation du fichier dit de " traitement des antécédents judiciaires ".
7. Aux termes de l'article 17-1 de la loi susvisée du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité : " Il est procédé à la consultation prévue à l'article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure pour l'instruction des demandes (...) de délivrance et de renouvellement des titres relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers (...) ". Aux termes de l'article L. 234-1 du code de la sécurité intérieure : " Un décret en Conseil d'Etat fixe la liste des enquêtes administratives mentionnées à l'article L. 114-1 qui donnent lieu à la consultation des traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l'article 230-6 du code de procédure pénale, y compris pour les données portant sur des procédures judiciaires en cours, dans la stricte mesure exigée par la protection de la sécurité des personnes et la défense des intérêts fondamentaux de la Nation. (...) ".
8. Aux termes de l'article 230-6 du code de procédure pénale : " Afin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs, les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent mettre en œuvre des traitements automatisés de données à caractère personnel (...) ". Et selon le I de l'article R. 40-29 du même code : " Dans le cadre des enquêtes prévues à l'article 17-1 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995, (...), les données à caractère personnel figurant dans le traitement qui se rapportent à des procédures judiciaires en cours ou closes, à l'exception des cas où sont intervenues des mesures ou décisions de classement sans suite, de non-lieu, de relaxe ou d'acquittement devenues définitives, ainsi que des données relatives aux victimes, peuvent être consultées, sans autorisation du ministère public, par : / (...) 5° Les personnels investis de missions de police administrative individuellement désignés et spécialement habilités par le représentant de l'Etat. L'habilitation précise limitativement les motifs qui peuvent justifier pour chaque personne les consultations autorisées. Lorsque la consultation révèle que l'identité de la personne concernée a été enregistrée dans le traitement en tant que mise en cause, l'enquête administrative ne peut aboutir à un avis ou une décision défavorables sans la saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du ou des procureurs de la République compétents. Le procureur de la République adresse aux autorités gestionnaires du traitement un relevé des suites judiciaires devant figurer dans le traitement d'antécédents judiciaires et relatif à la personne concernée. Il indique à l'autorité de police administrative à l'origine de la demande si ces données sont accessibles en application de l'article 230-8 du présent code. (...) ".
9. En l'espèce, ainsi qu'il a été dit au point 6, les faits qui sont reprochés à M. A... par le préfet de la Vienne et présentés comme caractérisant la menace à l'ordre public que constituerait la présence de l'intéressé en France ont, à l'exception de la condamnation prononcée le 16 novembre 2021, été portés à la connaissance des services de la préfecture à la suite de la consultation du fichier de traitement des antécédents judiciaires, régi notamment par l'article R. 40-29 du code de procédure pénale. Il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet aurait, avant de refuser de faire droit à la demande de titre de séjour du requérant, saisi les services compétents de la police nationale ou de la gendarmerie nationale pour complément d'information, ou le procureur de la République compétent aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, conformément aux dispositions du I de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale.
10. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.
11. La saisine préalable, pour complément d'information, des services de la police nationale ou des unités de la gendarmerie nationale compétents et, aux fins de demandes d'information sur les suites judiciaires, du procureur de la République, imposée par les dispositions de l'article R. 40-29 du code de procédure pénale, a pour objet de protéger les personnes faisant l'objet d'une mention dans le " traitement d'antécédents judiciaires " constitué par les services de police et de gendarmerie nationales aux fins de faciliter leurs investigations. Elle constitue, de ce fait, une garantie pour toute personne dont les données à caractère personnel sont contenues dans les fichiers en cause. Dès lors, en se fondant notamment sur les mises en causes révélées par la consultation du " traitement des antécédents judiciaires " pour estimer que M. A... constituait une menace pour l'ordre public, sans procéder au préalable à la saisine des services du procureur de la République, pour demande d'information sur les suites judiciaires, ou des services compétents de la police nationale ou de la gendarmerie nationale, pour complément d'information, le préfet de la Vienne a privé le requérant d'une garantie. Ces mises en cause ne sauraient ainsi valablement fonder la décision litigieuse.
12. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que le requérant, qui n'a pas été reconnu par son père et dont la mère est venue s'établir en France en 2009, a été élevé au Gabon par sa grand-mère maternelle jusqu'en 2011, date à laquelle celle-ci s'est également rendue en France pour des raisons médicales, puis a été pris en charge par sa famille élargie. En mars 2016, il a rejoint en France sa mère, qui réside sur le territoire national sous couvert de cartes de séjour pluriannuelles successives, et ses deux frères de nationalité française. Il a ensuite été confié à l'aide sociale à l'enfance par une décision du juge des enfants de D... en date du 2 février 2018, sa mère ne pouvant plus l'accueillir à son foyer pour des raisons matérielles tenant notamment à la présence d'un enfant handicapé, mais a en réalité été pris en charge par sa grand-mère maternelle, qui réside elle-même régulièrement sur le territoire national et qui a été désignée en qualité de tiers de confiance à partir du 23 août 2019. Par un jugement du 26 mai 2021 du juge aux affaires familiales de D..., les droits de l'autorité parentales s'exerçant sur M. A... ont été délégués à sa grand-mère. Il n'est pas sérieusement contesté par le préfet de la Vienne que l'intéressé ne dispose plus d'aucune famille proche au Gabon. Le requérant produit par ailleurs des attestations du collège Jules Verne de Buxerolles et du collège Henri IV de D... certifiant qu'il a été scolarisé à compter du troisième trimestre de l'année scolaire 2015/2016 en cinquième, puis en quatrième et en troisième. Il a ensuite poursuivi sa scolarité jusqu'à la terminale en section " gestion administrative " au lycée professionnel du Dolmen. M. A... justifie également avoir bénéficié d'un contrat jeune majeur depuis le 29 août 2022 et être actuellement encore bénéficiaire de l'aide sociale à l'enfance en tant que jeune majeur. Ses éducateurs notent qu'il s'implique dans son projet de vie et d'insertion professionnelle en France, ce que confirment les attestations de la mission locale pour l'emploi du Poitou. Il ressort en outre des pièces du dossier que les faits pour lesquels M. A... a été condamné le 16 novembre 2021, qui ont donné lieu à une peine aménagée sous forme de surveillance électronique, ont été commis dans un contexte d'addiction et de troubles schizophréniques, qui ont conduit l'intéressé à une tentative de suicide en mars 2022 et à plusieurs hospitalisations jusqu'en juin de la même année. Il résulte des attestations établies par les médecins qui le suivent qu'il est assidu dans son suivi psychiatrique, que son état clinique s'est stabilisé, que les contrôles de substances toxiques sont négatifs et qu'il se projette volontiers dans une reprise de ses études. Au regard de l'ensemble de ces circonstances, le préfet de la Vienne, en refusant de délivrer à M. A... la carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " qu'il sollicitait, a méconnu les dispositions citées au point 3.
13. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de D... a rejeté sa demande d'annulation de la décision de refus de titre de séjour prise à son encontre le 19 décembre 2022 par le préfet de la Vienne.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'enjoindre au préfet de la Vienne de délivrer à M. A... une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
15. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Hay, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Hay de la somme de 1 200 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. A... tendant à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 2300013 du 10 mai 2023 du tribunal administratif de D... est annulé.
Article 3 : La décision du préfet de la Vienne du 19 décembre 2022 refusant de délivrer un titre de séjour à M. A... est annulée.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " à M. A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, en le munissant dans l'attente d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 5 : L'Etat versera à Me Hay, avocate de M. A..., la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Dupuy
Le président-rapporteur,
Laurent C...
Le greffier,
Anthony Fernandez
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°23BX02083 2