Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'EARL la Ferme de la Levée, M. B... A... et Mme D... C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'État, l'Agence de services et de paiement et la région Nouvelle-Aquitaine à leur verser respectivement les sommes de 39 951,74 euros, 105 000 euros et 105 000 euros assorties des intérêts moratoires en réparation des différents préjudices qu'ils estiment avoir subis, consécutivement aux retards de paiements des aides à la conversion et au maintien de l'agriculture biologiques versées au titre des années 2015 à 2018.
Par un jugement n° 2000715 du 24 mars 2022, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à M. A... et à Mme C... la somme de 5 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2019 et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 6 mai 2022, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000715 du 24 mars 2022 en tant que le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser la somme de 5 000 euros à Mme C... et M. A... ;
2°) de rejeter la demande de l'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C....
Il soutient que :
- le délai pris par l'administration pour instruire les dossiers d'aides surfaciques du FEADER, de manière compatible avec le droit européen et compte-tenu du travail de photo-interprétation imposé par le droit de l'Union, n'est pas anormalement long ; l'instruction supposait pour se conformer au droit européen, la refonte totale de l'outil de contrôle, qui a pris trois ans ; l'adoption de la nouvelle a impliqué une multiplication des régimes d'aides, ce qui a accru la complexité du logiciel, et celle des travaux employés pour adapter celui-ci à la diversité et à la spécificité des situations des bénéficiaires ainsi qu'aux particularités régionales ; la refonte du registre parcellaire graphique s'est accompagnée d'un travail d'interprétation graphique des surfaces déclarées ; après avoir mis son dispositif en conformité avec le droit européen, l'administration a pu reprendre l'instruction des dossiers ; le système d'apport de trésorerie remboursable a permis de compenser environ 80 % du manque à gagner des agriculteurs.
Par un mémoire en défense enregistré le 7 juin 2022, et deux mémoires complémentaires enregistré les 12 septembre 2023 et 7 février 2024, l'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C..., représentés par Me Chevalier, concluent :
1°) au rejet du recours présenté par le ministre ;
2°) par la voie de l'appel incident, à la condamnation de l'État, et le cas échéant, de l'Agence de services et de paiement (ASP) et la région Nouvelle-Aquitaine, à verser à l'EARL la Ferme de la Levée, une somme de 37 382,85 euros, ainsi qu'à M. A... et Mme C... une somme respective de 50 000 euros, ces montants étant assortis des intérêts moratoires ;
3°) de mettre à la charge de l'État et le cas échéant, de l'ASP et de la région Nouvelle-Aquitaine, le versement d'une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- ils ont perçu le solde des aides qui étaient dues à l'EARL au titre des exercices 2015 à 2018 avec d'importants retards ; ces retards de paiement ont conduit l'EARL, créée le 1er janvier 2015, à la cessation de paiement et à l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire ; les deux gérants se sont trouvés dans une grave situation d'épuisement professionnel ; les avances de trésorerie (ATR) n'ont pu compenser que très partiellement les retards de paiement des aides MAB et MAEC ;
- les dysfonctionnements de la chaine d'instruction et de paiement des aides agricoles ne peuvent justifier le délai de plus de deux ans mis par les services de l'Etat pour instruire les demandes d'aides à l'agriculture biologique ; l'Etat ne peut se prévaloir des défaillances de ses propres services et de son manque d'anticipation pour justifier les retards d'instruction et de paiement de ces aides ; alors que les outils informatiques étaient opérationnels début 2017, les délais d'instruction et de paiement ont été anormalement longs ;
- à supposer que le délai de versement soit considéré comme raisonnable, l'Etat et l'ASP, sous l'autorité de la région, ont commis une faute en ne procédant pas à l'instruction et au paiement des aides à l'agriculture biologique annuellement ;
- l'Etat a commis une faute en délivrant de façon répétée des informations erronées sur les délais de versement des aides, alors qu'il était tenu de délivrer une information loyale ;
- cette défaillance dans l'information en méconnaissance du principe de confiance légitime, est la cause directe des graves difficultés économiques et financières auxquelles ils ont été confrontés ;
- en mars 2019, l'EARL la Ferme de la Levée restait dans l'attente du versement d'un montant total d'aides MAB et MAEC de 44 180,23 euros ; les emprunts bancaires ont été souscrits pour pallier les retards de versement de ces aides ; les frais bancaires, évalués à la somme de 5 780,23 euros, sont directement liés aux retards fautifs de paiement des aides en litige ;
- le lien de causalité entre les retards de paiement des aides MAB et MAEC et le déclenchement de cette procédure de redressement judiciaire est établi ; l'ensemble des frais liés à la procédure de redressement judiciaire, notamment les frais d'actes et de contentieux, ainsi que les frais de mandataire, représentent un préjudice total de 16 602,62 euros ;
- les retards de paiement ont engendré un manque à gagner pouvant être évalué à la somme de 5 000 euros par année entre 2016 et 2019, soit une somme de 15 000 euros ;
- le préjudice moral, tenant aux graves troubles dans les conditions d'existence, devra être réévalué à la somme de 50 000 euros ;
- leurs préjudices ont été aggravés par la résiliation judiciaire d'un bail rural conclu en 2012 portant sur un ensemble de parcelles d'une superficie totale de 14 ha 15 a, prononcée par un jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Rochefort du 15 juin 2023, litige né du défaut de paiement des fermages dus au preneur à partir de 2016 (pour l'année 2015), en raison des difficultés de trésorerie ;
- les retards de paiement ont entraîné une réduction de la pension de retraite de M. A..., ce préjudice étant évalué à la somme de 14 000 euros.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 septembre 2023, la région Nouvelle-Aquitaine, représentée par Me Magnaval, conclut au rejet de l'appel incident et à ce que soit mise à la charge de l'EARL la Ferme de la Levée la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- en ciblant la région, même à titre subsidiaire, alors que les fautes alléguées ne sont rattachables à aucun de ses actes ni à aucune de ses compétences, l'EARL La Ferme de la Levée a en première instance comme en appel désigné de manière erronée la partie adverse ;
- les moyens soulevés par l'EARL la Ferme de la Levée et autres ne sont pas fondés.
Le recours a été communiqué à l'Agence de services et de paiement le 13 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;
- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le décret n° 2015-445 au 16 avril 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bénédicte Martin,
- les conclusions de Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,
- et les observations de Me Chevalier, représentant l'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C....
Considérant ce qui suit :
1.L'exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) la Ferme de la Levée, représentée par ses gérants M. A... et Mme C..., exploite diverses activités agricoles à Saint-Laurent de la Prée et s'est engagée dans un processus de conversion à l'agriculture biologique à partir de 2015. L'EARL a demandé, le 25 mai 2015, à bénéficier des aides au maintien de l'agriculture biologique (MAB) et de la mesure agroenvironnementale et climatique-gestion des milieux humides et absence de pâturage en hiver (MAEC), accordées les 26 octobre et 8 novembre 2017 pour des montants respectifs de 9 248, 60 euros et de 14 614,10 euros, financés dans le cadre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER), les aides devant faire l'objet d'un versement après instruction du dossier PAC. L'entreprise a déposé des demandes pour obtenir les mêmes aides, les 14 juin 2016, 12 mai 2017 et 9 mai 2018 au titre des années 2016 à 2018. L'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'État, l'agence de services et de paiement et la région Nouvelle-Aquitaine à les indemniser des différents préjudices qu'ils estiment avoir subis, en raison des retards de paiement des aides MAB et MAEC versées au titre des années 2015 à 2018. Par un jugement du 24 mars 2022, dont le ministre de l'agriculture et de l'alimentation relève appel, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser la somme de 5 000 euros à M. A... et Mme C.... Par la voie de l'appel incident, ces derniers ainsi que l'EARL la Ferme de la Levée demandent à la cour que les sommes que l'Etat, ou, le cas échéant, l'agence de services et de paiement (ASP) ou la région Nouvelle-Aquitaine seront condamnés à verser soient portées respectivement à 50 000 euros pour M. A... et Mme C... et évaluée à 37 382,85 euros pour l'EARL la Ferme de la Levée.
Sur la responsabilité :
2. En premier lieu, dans le cadre de la mise en œuvre de la politique agricole commune, la commission européenne a procédé à de nombreuses corrections financières des aides agricoles versées dès 2007 par l'administration française, au motif notamment des insuffisances du registre parcellaire graphique et du système d'information servant de cadre à l'instruction des demandes d'aides agricoles financées par l'Union européenne. Le ministre de l'agriculture soutient que les délais d'instruction et de versement des aides en litige, qui relèvent du second pilier de la politique agricole commune, ne sont pas anormaux au regard des circonstances dans lesquelles l'administration a dû procéder à cette instruction, ces circonstances comportant, d'une part, une refonte totale, achevée seulement en 2017, des logiciels indispensables au paiement des aides surfaciques, et notamment du système d'information des aides surfaciques (ISIS), qui permet le contrôle des surfaces agricoles, et, d'autre part, une révision de très grande ampleur du registre parcellaire graphique (RPG).
3. Il résulte toutefois de l'instruction que les retards pris dans l'instruction et le paiement des aides du second pilier trouvent leur origine dans la volonté des autorités françaises de limiter en priorité les retards s'agissant des aides du premier pilier soumises à une date limite de paiement dont le non-respect est sanctionné par des corrections financières, ainsi que dans la carence de l'administration française pour mettre en place un dispositif approprié de paiement des aides de la programmation 2014-2020, le dispositif adopté étant très complexe. Même si un plan de retour à la normale a été déployé en 2018 et 2019 par l'administration et si des avances de trésorerie remboursables ont été versées pour limiter les conséquences de ces retards pour les exploitants agricoles, les délais de traitement des demandes d'aides à la conversion à l'agriculture biologique au titre des années 2015, 2016 et 2017 ne peuvent être regardés comme normaux. Dès lors qu'ils présentent un caractère déraisonnable, ils sont de nature à révéler une faute de l'administration dans la gestion de ces aides.
4. Il résulte de l'instruction que l'EARL la Ferme de la Levée a présenté des demandes d'aides à la conversion à l'agriculture biologique (maintien en agriculture biologique, MAEC localisées surfaciques) au titre des campagnes 2015, 2016, 2017 et 2018. Si l'entreprise a bénéficié du versement d'avances sur trésorerie remboursables au titre des campagnes 2015, 2016 et 2017, les soldes des aides restant dus lui ont été versés à l'issue d'un délai d'instruction de deux ans et sept mois s'agissant de la campagne 2015 pour un montant de 14 614, 09 euros, du au titre de la MAEC, de deux ans et cinq mois concernant la campagne 2016 pour un montant d'environ 13 000 euros et d'un an et sept mois concernant la campagne 2017 pour un montant d'environ 10 000 euros. Eu égard au caractère déraisonnable de ces délais l'Etat, chargé à titre principal, de la gestion des fonds européens, dont les services des directions départementales des territoires conduisaient l'instruction et le contrôle du versement des aides relevant du deuxième pilier de la politique agricole commune (PAC), a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l'égard de l'EARL la Ferme de la Levée et de ses deux gérants, et à leur ouvrir droit à réparation pour les préjudices qui en ont directement découlé, ainsi que l'ont estimé à bon droit, les premiers juges.
5. En revanche, s'agissant de la campagne 2018, les aides à l'agriculture biologique MAB et MAEC ont été versées le 27 mars 2019 pour un montant global de 26 596,53 euros, dans un délai inférieur à un an, qui ne peut être regardé comme déraisonnable, et n'est pas de nature à révéler une faute de la part de l'administration.
6. Les requérants reprennent en appel les moyens tirés du comportement fautif de l'Etat résultant tant du défaut de versement de l'aide au cours de l'année au titre de laquelle elle est due que des informations erronées communiquées par l'administration sur les délais de versement des aides. Il y a lieu, par adoption de motifs explicités aux points 11 et 16, de confirmer le jugement attaqué.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 313-2 du code rural et de la pêche maritime : " L'agence peut concourir à la mise en œuvre de fonds communautaires dans les domaines mentionnés à l'article L. 313-1. /Les missions exercées par l'agence pour le compte de l'Etat et l'articulation de ses interventions avec celles d'autres établissements publics de l'Etat sont déterminées par décret ou, dans des conditions fixées par décret, par voie de convention. (...) ". Le III de l'article 78 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, dans sa rédaction applicable au litige dispose que pour le Fonds européen agricole pour le développement rural, " un décret en Conseil d'Etat précise en tant que de besoin les orientations stratégiques et méthodologiques pour la mise en œuvre des programmes. Il définit celles des dispositions qui doivent être identiques dans toutes les régions. Il prévoit les montants minimaux du Fonds européen agricole pour le développement rural par région à consacrer à certaines mesures. Il précise les cas dans lesquels l'instruction des dossiers pourrait être assurée par les services déconcentrés de l'Etat. (...) ". Aux termes de l'article 2 du décret n° 2015-445 du 16 avril 2015 : " Pour l'application du premier alinéa du III de l'article 78 de la loi du 27 janvier 2014 susvisée, l'instruction des dossiers de demandes d'aides ou de paiements du Fonds européen agricole pour le développement rural peut être assurée par les services déconcentrés de l'Etat : (...)/ 2° Sous l'autorité fonctionnelle de l'autorité de gestion :/b) Lorsque la demande concerne un dispositif cofinancé par l'Etat ; (...) Une convention conclue entre l'Etat, l'autorité de gestion et l'organisme payeur précise, pour chaque programme de développement rural, les cas dans lesquels les services déconcentrés de l'Etat assurent l'instruction des dossiers et en définit les modalités, en précisant, notamment, le service déconcentré de l'Etat chargé de cette instruction./ Dans l'attente de la conclusion de cette convention, et sauf opposition de la collectivité territoriale intéressée ou de l'organisme payeur lorsque le système intégré de gestion et de contrôle s'applique, les services déconcentrés de l'Etat assurent l'instruction des dossiers de demandes mentionnées aux 1° et 2°./ Au sens du présent article, on entend par " instruction " le contrôle administratif des demandes d'aides et de paiements, la vérification de l'absence de double financement, l'établissement de la décision d'attribution de l'aide, la réalisation des visites sur place et la demande de paiement à l'organisme payeur. ".
8. Si dans leurs dernières écritures, les intimés entendent rechercher la responsabilité " le cas échéant " de l'Agence de services et de paiement, il résulte toutefois des dispositions qui précédent que la gestion des fonds européens au titre du programme 2015-2020 a été majoritairement assurée par les services de l'État, l'organisme payeur étant un opérateur de l'État. Il est constant que les directions départementales du territoire ont exercé un rôle majeur dans le dispositif global de gestion des aides par l'ASP en étant notamment chargées de la réception et de l'instruction des demandes d'aide et des demandes de paiement, de la préparation des actes attributifs de l'aide, du contrôle de service fait et le cas échéant des visites sur place, de la mise en œuvre des suites des contrôles et de la saisie des informations dans le logiciel de gestion informatisée. Dans ces conditions, les délais déraisonnables dans lesquels les demandes d'octroi et de versement des aides à l'agriculture biologique MAB et MAEC ont été traitées au titre des années 2015 à 2017 ne peuvent constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l'Agence de service et de paiement.
9. Enfin, la mise en cause " le cas échéant " de la responsabilité de la région Nouvelle-Aquitaine est rejetée, par adoption de motifs explicités au point 8 du jugement.
Sur les préjudices :
10. En premier lieu, au soutien du préjudice résultant des frais et intérêts bancaires générés par la souscription d'emprunts pour faire face aux retards de paiement des aides à l'agriculture biologique au titre des campagnes 2016 à 2018, les intimés ont produit des relevés de frais bancaires portant sur la facturation de l'ensemble des produits et services utilisés ou souscrits pour la gestion quotidienne du compte au titre des année 2016, 2017 et 2018 faisant état, pour des montants totaux respectifs de 1 338, 37 euros, 2 228, 63 euros et de 2 213, 23 euros, d'intérêts " agios débiteurs " ou d'intérêts " papier financier ". Ces documents ainsi que l'attestation du 10 mars 2020 par laquelle leur expert-comptable confirme que les difficultés de trésorerie que l'entreprise rencontre depuis l'exercice clos le 31 décembre 2015 sont en lien direct avec le retard de paiement des subventions PAC, établissent que l'EARL a été contrainte de souscrire des emprunts afin de faire face aux retards de paiement des seules aides à l'agriculture biologique, et de supporter les frais et intérêts bancaires correspondants. Dans ces conditions, il sera fait une exacte appréciation du préjudice ainsi subi par les intimés du fait de ces frais et intérêts bancaires en leur allouant la somme de 5 780,23 euros à ce titre.
11. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le tribunal de grande instance de La Rochelle a, par jugement du 23 janvier 2019, placé l'EARL la Ferme de la Levée en redressement judiciaire, après avoir constaté que l'entreprise, qui ne disposait d'aucune trésorerie, présentait un passif de 115 000 euros. Toutefois, les éléments produits au dossier sont insuffisants pour considérer que le redressement judiciaire de l'exploitation résulte directement du retard de versement des seules aides à l'agriculture biologique, alors qu'il résulte des pièces produites que l'entreprise a perçu des avances de trésorerie représentant 68 %, 45 % et 59 % du montant total des aides dues au titre des années 2015 à 2017, et que la chambre d'agriculture de Charente-Maritime constatait dès le mois de novembre 2017 une faible rentabilité de l'exploitation " depuis plusieurs années ".
12. En troisième lieu, il ne résulte pas davantage de l'instruction que la résiliation judiciaire du bail rural, prononcée par jugement du tribunal paritaire des baux ruraux de Rochefort le 15 juin 2023, résulte du comportement fautif de l'Etat, dès lors que le tribunal a retenu des irrégularités " graves " tenant à la méconnaissance des dispositions de l'article L. 411-37 du code rural et de la pêche maritime quant aux conditions d'exploitation effective et à l'absence de paiement des fermages depuis 2021 par le GFA La Levée, qui constitue une entité juridique distincte de l'EARL.
13. En quatrième lieu, les intimés ne produisent aucune pièce de nature à justifier du lien entre la réduction de la pension de retraite de M. A... et le versement tardif des aides à l'agriculture biologique constaté pour les années 2015 à 2017.
14. Enfin, il résulte de l'instruction que M. A... et Mme C... ont subi du fait des retards de paiements des aides litigieuses sur une durée de trois années un préjudice moral dont il sera fait une juste indemnisation en leur allouant une somme globale de 10 000 euros.
15. Il résulte de tout ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser, d'une part, à l'EARL la Ferme de la Levée une somme de 5 780,23 euros et, d'autre part, à M. A... et Mme C... une somme de 10 000 euros, ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2019, date de la demande préalable.
Sur les frais d'instance :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à l'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C... au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de rejeter les conclusions présentées sur le même fondement par la région Nouvelle-Aquitaine.
DECIDE :
Article 1er : La somme de 5 000 euros que l'Etat a été condamné à verser M. A... et Mme C... par le jugement du tribunal administratif de Poitiers est portée à 10 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2019.
Article 2 : L'Etat est condamné à verser à l'EARL la Ferme de la Levée la somme de 5 780,23 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 9 décembre 2019.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers en date du 24 mars 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à l'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C..., sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros.
Article 5 : Le recours du ministre chargé de l'agriculture ainsi que le surplus des conclusions d'appel incident présentées par l'EARL la Ferme de la Levée, M. A... et Mme C... sont rejetés.
Article 6 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la région Nouvelle-Aquitaine sont rejetées.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, à l'EARL la Ferme de la Levée, en qualité de représentante unique des requérants, en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la région Nouvelle-Aquitaine et à l'Agence de services et de paiement.
Copie en sera communiquée au préfet de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,
Mme Pauline Reynaud, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 mars 2024.
La rapporteure,
Bénédicte MartinLa présidente,
Evelyne BalzamoLe greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX01298