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01/02/2024 | FRANCE | N°21BX04578

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 01 février 2024, 21BX04578


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une expertise médicale afin de se prononcer sur le lien de causalité entre des vaccinations obligatoires et la sclérose en plaques dont elle est atteinte, et de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une provision de 20 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.



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ar un jugement n° 2001858 du 19 octobre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'ordonner une expertise médicale afin de se prononcer sur le lien de causalité entre des vaccinations obligatoires et la sclérose en plaques dont elle est atteinte, et de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une provision de 20 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices.

Par un jugement n° 2001858 du 19 octobre 2021, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 17 décembre 2021 et un mémoire enregistré

le 14 décembre 2022, Mme C..., représentée par la SELARL Coubris, Courtois et Associés, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'ordonner une expertise médicale afin d'évaluer ses préjudices et de se prononcer sur le lien de causalité entre des vaccinations obligatoires et la sclérose en plaques dont elle est atteinte ;

3°) de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) à lui verser une provision

de 20 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices, avec intérêts au taux légal

à compter de sa requête ;

4°) de mettre à la charge de l'ONIAM une somme de 2 000 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- en octobre 2010, moins d'un mois après la deuxième injection et quelques jours après la troisième, elle a consulté son médecin traitant pour une grande fatigue associée à des troubles de l'équilibre ; le certificat établi par ce médecin est circonstancié, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, et le fait qu'il a été établi en juin 2019 ne met pas en cause son caractère probant ; la consultation du 12 janvier 2012 pour une gêne visuelle est postérieure d'environ un an à la dernière injection de vaccin, et non de 17 mois ; le jugement repose ainsi sur une appréciation erronée des faits ;

- la notice du vaccin Engerix B(r) mise à jour le 10 mai 2021 mentionne la sclérose en plaques parmi les effets indésirables rapportés, et en l'état des connaissances scientifiques, il ne peut être conclu à l'absence totale de lien entre ce vaccin et cette maladie ; alors qu'elle n'avait aucun antécédent, les premiers symptômes sont apparus en octobre 2010 avec une grande fatigue et des troubles de l'équilibre, puis une gêne visuelle est apparue au début de l'année 2011, et elle a consulté pour fatigue visuelle en janvier, février et mars 2012 ; le rapport d'expertise fait état de l'apparition d'une altération de l'état général et de troubles de l'équilibre dans les jours qui ont suivi la première injection ; les délais entre ces premiers symptômes, la névrite optique rétrobulbaire, la mise en évidence de lésions démyélinisantes par IRM en 2015, 2016 et 2017 et le diagnostic de sclérose en plaques posé en novembre 2017 sont normaux ; ainsi, le lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques doit être retenu ;

- ses dires n'ont pas été intégrés au rapport d'expertise, et l'experte n'y a pas répondu ; l'experte a indiqué manquer de compétence et avoir besoin d'un sapiteur, auquel elle n'a cependant pas recouru ; ainsi, l'ONIAM s'est fondé sur une expertise irrégulière et insuffisante ; en outre, l'ONIAM n'a pas tenu compte de ses observations, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 3111-29 du code de la santé publique ; il convient donc d'ordonner une expertise, a minima sur l'évaluation de ses préjudices, et sur le lien de causalité si la cour l'estime nécessaire ;

- sa maladie nécessite de nombreux déplacements pour des consultations et des examens au CHU de Bordeaux, a d'importantes répercussions professionnelles car elle a dû fermer son établissement de restauration en 2015, la fatigue et les souffrances l'empêchent de reprendre toute activité sportive, et le traitement l'oblige à anticiper son désir de grossesse ; elle est ainsi fondée à demander une indemnité provisionnelle de 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 novembre 2022, l'ONIAM, représenté par

la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut au rejet de la requête et demande à la cour

de mettre les dépens à la charge de Mme C....

Il fait valoir que :

- le caractère obligatoire des vaccinations des 22 juillet 2008, 12 août, 3 septembre,

5 octobre et 21 novembre 2010 n'est pas contesté ;

- après 12 études épidémiologiques publiées entre 1999 et 2014, la Société francophone de la sclérose en plaques (SFSP) conclut à l'absence d'arguments en faveur d'une association entre une vaccination contre le virus de l'hépatite B et la survenue d'une sclérose en

plaques, quel que soit l'intervalle de temps étudié ; lorsque le Conseil d'Etat s'est prononcé

par la décision n° 267635 du 9 mars 2007, des études avaient conclu que le vaccin était lié à un risque accru de développement de sclérose en plaques, mais cette position est restée isolée et n'a pas été confirmée par d'autres travaux ; en se fondant sur un avis du 9 mars 2022 par lequel l'Académie de médecine a conclu qu'il n'y avait pas d'association causale démontrée, quel que soit le vaccin, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé le 3 juin 2022 qu'il n'y avait aucune probabilité d'un lien de causalité ;

- si la cour retenait la possibilité d'un lien de causalité, la jurisprudence exclut tout lien lorsque les symptômes apparaissent plus de deux mois après la vaccination ; selon l'expertise, les premiers symptômes ont été objectivés en 2015, cinq ans après la vaccination ; la consultation alléguée d'octobre 2010 n'a pas de date certaine, et l'attestation du médecin traitant établie

en 2019 est dépourvue de valeur probante ; l'existence d'un lien ne peut donc être retenue ;

- la nouvelle expertise sollicitée est inutile dès lors que l'experte a conclu de manière précise et documentée à l'absence de lien de causalité entre la vaccination et la sclérose en plaques.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Dufaut, représentant Mme C... et de Me Gassin-Vergne, représentant l'ONIAM.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., recrutée à deux reprises sous contrats à durée déterminée en qualité d'agente des services hospitaliers par le centre hospitalier de Périgueux, a été soumise à des vaccinations obligatoires contre le virus de l'hépatite B le 22 juillet 2008, puis les 3 septembre, 5 octobre et 21 novembre 2010. En octobre 2015, elle a été hospitalisée pour une baisse de l'acuité visuelle gauche. Une névrite optique rétro-bulbaire a été diagnostiquée, et traitée avec succès. Les examens neurologiques n'ayant pas montré de lésion démyélinisante, il a été conseillé à la patiente de consulter à nouveau en cas d'apparition de signes neurologiques. Le diagnostic de sclérose en plaques rémittente a été posé le 7 novembre 2017 après un nouvel épisode de névrite optique rétro-bulbaire, et un traitement a été mis en place. Le 8 février 2019, Mme C... a sollicité auprès de l'ONIAM l'indemnisation de ses préjudices en lien avec cette maladie, dont elle attribue le déclenchement à la vaccination. L'expertise organisée par l'ONIAM a conclu à l'absence de lien entre la vaccination contre l'hépatite B et la sclérose en plaques, et l'ONIAM a rejeté la demande indemnitaire par une décision du 27 février 2020. Mme C... a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'expertise et de condamnation de l'ONIAM à lui verser une provision de 20 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices. Elle relève appel du jugement de rejet du 19 octobre 2021.

Sur la régularité de l'expertise :

2. Aux termes de l'article R. 3111-29 du code de la santé publique : " Si la vaccination avait un caractère obligatoire au moment de sa réalisation, le directeur de l'office diligente, s'il y a lieu, une expertise, afin d'apprécier l'importance des dommages et de déterminer leur imputabilité. / Le médecin chargé de procéder à l'expertise est choisi, en fonction de sa compétence dans le ou les domaines concernés (...). / L'expert adresse son projet de rapport au demandeur qui dispose alors d'un délai de quinze jours pour lui faire parvenir ses éventuelles observations. / Dans les trois mois suivant la date de sa désignation, l'expert adresse à l'office son rapport d'expertise comprenant sa réponse aux observations du demandeur. / L'office adresse ce rapport sans délai au demandeur qui dispose d'un délai de quinze jours pour lui faire parvenir ses éventuelles observations. "

3. En premier lieu, l'experte désignée par l'ONIAM était spécialisée en neurologie, ce qui la rendait compétente pour se prononcer sur l'existence d'un lien entre la pathologie neurologique et les vaccinations, et de nombreuses études, sur lesquelles elle s'est fondée, étaient disponibles. Quand bien même elle en aurait évoqué l'éventualité, le recours à un sapiteur n'était pas nécessaire.

4. En second lieu, le respect du caractère contradictoire de la procédure d'expertise implique que les parties soient mises à même de discuter devant l'expert des éléments de nature à exercer une influence sur la réponse aux questions posées par la juridiction saisie du litige. Lorsqu'une expertise est entachée d'une méconnaissance de ce principe ou lorsqu'elle a été ordonnée dans le cadre d'un litige distinct, ses éléments peuvent néanmoins, s'ils sont soumis au débat contradictoire en cours d'instance, être régulièrement pris en compte par le juge, soit lorsqu'ils ont le caractère d'éléments de pur fait non contestés par les parties, soit à titre d'éléments d'information dès lors qu'ils sont corroborés par d'autres éléments du dossier.

5. En l'espèce, si l'experte, par un courrier du 27 septembre 2019 annexé à son rapport, a refusé de répondre aux dires du conseil de Mme C... présentés par lettre du 27 août 2019 au motif que l'expertise avait déjà été " faite et transmise ", il ressort des pièces du dossier que la transmission effectuée par lettre recommandée le 14 août 2019 était celle du projet sur lequel Mme C... a présenté ses observations dans le délai de quinze jours, et que le rapport d'expertise a été déposé à l'ONIAM le 7 octobre 2019. Le principe du contradictoire a ainsi été méconnu, ce qui entache l'expertise d'irrégularité, mais ne fait pas obstacle à sa prise en compte par le juge en ce qui concerne les éléments de fait non contestés et les éléments d'information corroborés par d'autres pièces du dossier qu'elle contient.

Sur le bien-fondé du jugement :

6. Aux termes de l'article L. 3111-4 du code de la santé publique : " Une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B (...) ". Aux termes de l'article L. 3111-9 du même code : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent chapitre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale ".

7. L'ONIAM peut être tenu d'indemniser, sur le fondement de l'article L. 3111-9 du code de la santé publique, les conséquences dommageables d'injections vaccinales contre l'hépatite B réalisées dans le cadre d'une activité professionnelle eu égard, d'une part, au bref délai ayant séparé l'apparition des premiers symptômes d'une sclérose en plaques, éprouvés par l'intéressé et validés par les constatations de l'expertise médicale, d'autre part, à la bonne santé de la personne concernée et à l'absence, chez elle, de tout antécédent à cette pathologie antérieurement à sa vaccination. La preuve des différentes circonstances à prendre ainsi en compte, notamment celle de la date d'apparition des premiers symptômes d'une sclérose en plaques, peut être apportée par tout moyen.

8. Les pièces du dossier médical produites par Mme C... font apparaître qu'une éventuelle sclérose en plaques a été évoquée pour la première fois en octobre 2015, à l'occasion du premier épisode de névrite optique rétro-bulbaire, ce qui corrobore l'expertise en ce qu'elle indique que les premiers symptômes de cette maladie ont été objectivés par des professionnels de santé près de cinq ans après la dernière injection. Selon la lettre de sortie du service de neurologie du centre hospitalier de Périgueux du 27 octobre 2015, l'examen neurologique était alors normal, et la patiente, informée de ce qu'une névrite optique rétro-bulbaire pouvait inaugurer une sclérose en plaques et interrogée sur l'existence de " signes neurologiques ", n'en a pas mentionné. Les IRM cérébrales réalisées en octobre 2015 et janvier 2016 ont montré un discret signal préventriculaire gauche associé à un liquide céphalorachidien inflammatoire, ce qu'un médecin neurologue du centre hospitalier de Périgueux a qualifié de suspect d'une évolution vers une sclérose en plaques dans un courrier du 21 octobre 2016, mais il a précisé que les critères cliniques et radiologiques n'étaient pas suffisants pour retenir un tel diagnostic. Ce n'est qu'après le second épisode de névrite optique rétro-bulbaire survenu en octobre 2017 qu'une IRM cérébrale a montré de petites lésions permettant de poser le diagnostic de sclérose en plaques rémittente, alors que l'examen neurologique était encore strictement normal, comme l'a constaté le neurologue le 7 novembre 2017. Si Mme C... produit un certificat de son médecin traitant du 14 juin 2019 indiquant qu'elle avait présenté en octobre 2010 une asthénie sévère avec des troubles de l'équilibre sporadiques, ce constat ponctuel de symptômes non spécifiques ne permet pas de retenir un lien entre la vaccination et la sclérose en plaques. L'expertise qu'elle invoque en ce qu'elle mentionne l'apparition de symptômes essentiellement subjectifs (fatigue, altération de l'état général et troubles de l'équilibre) rapportés par la patiente " dans les jours qui ont suivi la première injection ", soit en juillet 2008, n'est corroborée par aucune pièce du dossier médical. Par suite, au regard du délai d'apparition des symptômes objectivés cinq ans après les injections, et sans qu'il soit besoin d'ordonner une nouvelle expertise, Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Mme C..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

10. Aux termes de l'article R. 3111-30 du code de la santé publique : " L'office national prend en charge le coût des expertises, sous réserve du remboursement exigible à l'occasion des actions subrogatoires visées à l'article L. 3111-9. " L'expertise diligentée par l'ONIAM antérieurement à la demande de Mme C... devant le tribunal n'a pas le caractère de dépens au sens de l'article R. 7 61-1 du code de justice administrative. Par suite, la demande de l'ONIAM tendant à ce que soient mis à la charge de la requérante des dépens, en l'espèce inexistants, ne peut qu'être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.

Article 2 : La demande de l'ONIAM tendant à ce que des dépens soient mis à la charge

de Mme C... est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales.

Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX04578


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX04578
Date de la décision : 01/02/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : CABINET COUBRIS ET ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 11/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-01;21bx04578 ?
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