Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner solidairement la société Les Ecosolidaires Gironde et la société GTM bâtiment Aquitaine à lui verser, d'une part, la somme de 28 496,59 euros au titre des travaux de réparation des parties privatives de son appartement, indexée sur l'indice BT01 du coût de la construction, d'autre part, la somme de 104 986,68 euros en réparation des pertes locatives, des charges de copropriété, de la perte de valeur vénale et de son préjudice moral, résultant des désordres causés à son immeuble d'habitation qu'il impute aux travaux publics réalisés pour le compte du département de la Gironde dans l'immeuble mitoyen.
Par un jugement n° 1901992 du 13 avril 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a solidairement condamné les sociétés Les Ecosolidaires Gironde et GTM bâtiment Aquitaine à lui verser la somme de 61 846,59 euros. Le tribunal a également condamné la société Moon Safari, d'une part, à garantir les sociétés Les Ecosolidaires et GTM bâtiment Aquitaine à hauteur de 30 % de leur condamnation et, d'autre part, à verser à la société Les Ecosolidaires Gironde 30 % de la somme de 28 782,24 euros relative aux frais d'expertise judiciaire.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 juin 2021 et 14 avril 2023, la société Les Ecosolidaires Gironde, représentée par la SCP Avocagir, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2021 en ce qu'il a omis de statuer sur les appels en garantie qu'elle avait formés à l'encontre des sociétés Astrée et Transports Cazaux et a rejeté sa " demande reconventionnelle " relative aux frais d'huissier et d'assistance technique à expertise ;
2°) de condamner les sociétés Moon Safari, Astrée, Transports Cazaux, ainsi que la société Ekip, mandataire liquidateur de cette dernière, à la garantir de toute condamnation ;
3°) de condamner les mêmes sociétés à lui verser la somme de 42 384,01 euros au titre des frais d'expertise judiciaire, des frais d'huissier et des frais engagés auprès de la société CP Conseils ;
4°) de mettre à la charge respective des sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux, ainsi que de la société Ekip, mandataire liquidateur de cette dernière, des sommes de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dans la mesure où il a omis de se prononcer sur les conclusions d'appel en garantie qu'elle avait formées à l'encontre des société Astrée, Transports Cazaux et OTCE Aquitaine ainsi que du département de la Gironde et sur ses " demandes reconventionnelles " dirigées contre les sociétés Transports Cazaux et Astrée et le département de la Gironde ;
- l'expert judiciaire a retenu les responsabilités de l'équipe de maîtrise d'œuvre, dont le mandataire était la société Moon Safari et au sein de laquelle intervenait également le bureau d'études techniques OTCE Aquitaine qui a visé les plans d'exécution béton et rédigé le cahier des clauses techniques particulières " gros œuvre ", de la société Astrée, bureau d'études techniques, et de la société Transports Cazaux ; les sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux doivent par conséquent la garantir des condamnations prononcées à son encontre, compte tenu de leurs fautes respectives ; n'ayant pas de liens contractuels avec ces deux dernières sociétés, elle pouvait demander leur garantie devant la juridiction administrative ;
- ces mêmes sociétés doivent prendre à leur charge les provisions versées aux copropriétaires du 13 rue du Grand rabbin Joseph Cohen en application de l'ordonnance
du 17 mars 2014, ainsi que les frais d'huissier supportés dans le cadre de la procédure de référé expertise et des frais de la société CP Conseils, dès lors que, contrairement à ce qu'a estimé le tribunal, ces frais ont été utiles à la solution du litige, puisqu'en lien avec l'expertise judiciaire organisée à sa demande.
Par un mémoire enregistré le 2 septembre 2022, la société Bordeaux démolition services (BDS), représentée par Me Bertin, conclut au rejet de la requête et de toute conclusion présentée contre elle, à titre subsidiaire, à la condamnation in solidum des
sociétés GTM Bâtiment Aquitaine, Moon Safari, BET Astrée et Transports Cazaux à la garantir de toute condamnation et à la mise à la charge de toute partie succombante de
la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- elle n'a commis aucune faute, ainsi que l'a jugé le tribunal ; la société Les Ecosolidaires Gironde ne formule d'ailleurs aucune conclusion à son encontre ;
- elle n'est pas intervenue dans le cadre des travaux réalisés sous la maîtrise d'ouvrage de la société Les Ecosolidaires, à l'origine des dommages subis par M. B... ;
- à supposer qu'une faute lui soit reprochée, elle devrait être garantie par les autres intervenants pour lesquels l'expert a retenu une faute.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 décembre 2022, la société Moon Safari, représentée par la SCP Latournerie, Milon, Czamanski et Mazille (LMCM), conclut au rejet de la requête et demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il a fait droit à l'appel en garantie de la société Les Ecosolidaires Gironde à son encontre et à ses conclusions relatives aux frais d'expertise ;
2°) de condamner in solidum les sociétés GTM Bâtiment Aquitaine, Astrée, OTCE et Transports Cazaux à la garantir de toute condamnation au titre des fautes relevées par le rapport d'expertise, et les sociétés Astrée, OTCE et Transports Cazaux à la garantir de toute condamnation au profit de la société Les Ecosolidaires ;
3°) de mettre à la charge de toute partie succombante in solidum la somme
de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Elle fait valoir que :
- l'expert a retenu, s'agissant de la troisième source de désordres de l'immeuble
du 16 rue Canihac, constituée par les travaux de reprise en sous-œuvre du mur mitoyen, la responsabilité principale de la société GTM bâtiment Aquitaine ; ce n'est qu'à titre accessoire qu'il a retenu la responsabilité de la société Moon Safari pour manquement à sa mission de suivi de chantier ainsi qu'un défaut de validation des notes de calcul et des documents d'exécution avant la réalisation des travaux ; toutefois, c'est le BET structure OTCE Aquitaine qui était en charge, au sein de l'équipe de maîtrise d'œuvre, de la mission VISA concernant les plans d'exécution (DOE) béton, DET et AOR concernant le lot technique gros œuvre, ainsi que de la rédaction du CCTP gros œuvre ; en outre, aucune faute ne peut être imputée à la maîtrise d'œuvre dès lors qu'elle n'a pas été informée par la société GTM Bâtiment qu'elle débutait les travaux de terrassement généraux ;
- si l'indemnité allouée par le tribunal à M. B... au titre des travaux de reprise était confirmée, la société doit être garantie par les sociétés GTM Bâtiment Aquitaine, Astrée, OTCE et Transports Cazaux ;
- la perte de loyers ne peut être prise en compte que jusqu'à la date de dépôt de l'expertise judiciaire ; dans le cas où il serait démontré que M. B... ne disposait pas des moyens nécessaires pour réaliser les travaux, l'indemnité doit être réduite pour tenir compte de l'inertie de ce dernier ; elle devra également être réduite du montant des impôts qui auraient été dus sur les revenus fonciers ;
- les charges de copropriété ne sont pas justifiées dans leur montant ; en outre, ces charges sont indépendantes du présent litige, puisqu'elles sont dues, que l'appartement soit occupé ou non ;
- la perte de valeur vénale n'a pas été retenue par l'expert, puisque l'appartement va être rénové du fait des travaux qui concernent aussi bien l'appartement de M. B... que les parties communes ; le préjudice lié à la perte de confiance engendrée chez des acquéreurs potentiels n'étant qu'hypothétique, il ne peut donner lieu à réparation ;
- le préjudice moral n'est pas établi dans son principe ou dans son quantum et le jugement devra être réformé sur ce point;
- M. B... n'établit pas avoir exposé des frais d'avocat lors des opérations d'expertise ;
- faute d'engagement de sa responsabilité, la demande reconventionnelle de la société Les Ecosolidaires Gironde relatives aux frais exposés dans le cadre de la procédure d'expertise judiciaire ne peut qu'être rejetée ; au demeurant, l'expert a rejeté une telle demande ; en outre, ne peuvent qu'être exclus les frais relatifs aux désordres sur un autre immeuble.
Par un mémoire enregistré le 14 avril 2023, M. B..., représenté par
la SELARL Noray-Espeig, conclut au rejet des conclusions adverses et demande à la cour :
1°) de réformer le jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de condamner solidairement les sociétés Les Ecosolidaires Gironde et GTM Bâtiment Aquitaine à lui verser les sommes de 64 638 euros au titre des pertes locatives
et de 15 838 euros au titre des charges de copropriété, sommes à parfaire à la date à laquelle il aura retrouvé la possession de son appartement, ainsi que les sommes de 36 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de son bien et 10 000 euros au titre du préjudice moral subi ;
3°) de prononcer l'indexation de la somme de 28 496,59 euros sur l'indice BT01 du coût de la construction ;
4°) d'assortir toute condamnation des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la demande de première instance, ainsi que de la capitalisation des intérêts ;
5°) de mettre à la charge de toute partie succombante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- le tribunal a implicitement rejeté les appels en garantie contre les sociétés Transports Cazaux et Astrée en s'estimant incompétent pour en connaître ; il a par ailleurs expressément statué sur les demandes reconventionnelles, ce qui l'a conduit à en rejeter deux sur trois ;
- l'exécution défaillante des travaux litigieux a porté atteinte à la solidité de son bien, entraînant l'édiction en 2014 d'un arrêté de péril interdisant l'occupation de l'immeuble qui est toujours en vigueur ; le préjudice subi a été dûment justifié en première instance ;
- la société appelante est nécessairement responsable des dommages en sa qualité de maître de l'ouvrage ; dès lors, c'est à juste titre qu'elle a été condamnée solidairement à réparer les dommages ;
- il est recevable à former un appel incident dès lors qu'il n'a pas obtenu entièrement satisfaction devant les premiers juges et que l'appelant conteste le partage de responsabilité ;
- c'est à tort que le préjudice lié aux pertes locatives a été arrêté au 30 janvier 2017, date de dépôt du rapport d'expertise, dès lors que les travaux ne pouvaient à cette date avoir été réalisés et que la procédure de péril n'était toujours pas levée ; en outre, il n'avait pas les fonds pour faire réaliser ces travaux qui ne pouvaient, en tout état de cause, qu'intervenir après ceux relatifs aux parties communes ;
- il n'a pu jouir des prérogatives sur son bien de sorte que le paiement des charges locatives constitue un préjudice dont il est fondé à demander réparation ; d'ailleurs, la gestion du sinistre a nécessité la désignation d'un syndic professionnel, engendrant des coûts supplémentaires ; le préjudice peut être évalué, à la date d'avril 2023, à 15 838 euros ;
- il résulte de l'expertise réalisée sur l'appartement d'une autre copropriétaire qu'il demeure un préjudice lié à la perte de valeur vénale, du fait de la suspicion d'acquéreurs potentiels sur la pérennité du bâti ; il s'élève à 36 000 euros ;
- eu égard à la durée des désordres, à l'interdiction d'occuper l'immeuble et à l'absence d'exécution du jugement, le préjudice moral a été sous-évalué par les premiers juges et doit être porté à 10 000 euros ;
- les sommes allouées au titre des travaux doivent être indexées sur l'indice BT01 du coût de la construction.
Par un mémoire en défense enregistré le 14 avril 2023, la société Astrée, représentée par la SCP Eyquem-Barrière, Donitian, Caillol, conclut au rejet de toute conclusion présentée à son encontre, à titre subsidiaire, à la condamnation in solidum des sociétés Transports Cazaux, OTCE et Moon Safari à la garantir de toute condamnation et à ce que soit mise
à la charge de toute partie succombante la somme de 2 000 euros sur le fondement de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- des trois sources de désordres identifiées par l'expert, les deux premières ne peuvent lui être imputées puisqu'elle n'avait aucune mission sur le chantier à la date à laquelle ils sont survenus ; quant à la troisième source de désordre, l'expert n'a évoqué la responsabilité de la société qu'à titre accessoire, la responsabilité première incombant à la société GTM Bâtiment ; en outre, la faute qui lui est reprochée, relative aux travaux de reprise en sous-œuvre, n'est pas en lien avec le dommage puisque celui-ci résulte des travaux de terrassement ;
- la demande reconventionnelle de la société Les Ecosolidaires est irrecevable, puisqu'elle ne présente pas de lien suffisant avec les demandes principales de M. B... dont le tribunal était saisi ; en outre, elles sont formulées dans chaque procédure qui a été initiée devant le tribunal au sujet des désordres survenus dans l'immeuble et sont étrangères à l'intervention de la société Astrée.
Par deux mémoires enregistrés les 14 avril et 13 juillet 2023, la société GTM Bâtiment Aquitaine, représentée par la SELARL Galy et associés, conclut au rejet de toute conclusion présentée à son encontre, à titre subsidiaire, à la condamnation du département de la Gironde et des sociétés BDS, Temsol, Moon Safari et OTCE Aquitaine à la garantir de toute condamnation, et à ce que soit mise à la charge de toute partie succombante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le recours incident formé par la société Moon Safari soulève un litige distinct de l'appel principal ;
- les désordres subis en 2012 ne la concernent pas ; s'agissant des désordres nés
en 2013, l'expert a retenu la responsabilité de la société Moon Safari, ce qui a conduit
le tribunal à lui imputer le dommage à hauteur de 30 % ;
- le jugement peut être confirmé s'agissant de l'évaluation des préjudices subis
par M. B... ; si elle devait être condamnée, elle ne peut qu'être garantie par les différents intervenants ayant commis des fautes.
Par un mémoire enregistré le 17 mai 2023, la société OTCE Aquitaine, représentée par la SCPI Raffin et associés, conclut au rejet des conclusions présentées à son encontre,
à titre subsidiaire, à la condamnation du département de la Gironde et des sociétés BDS, Astrée et Moon Safari à la garantir de toute condamnation, et à ce que soit mise à la charge
in solidum de toute partie succombante la somme de 3 000 euros sur le fondement de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- ni la société appelante, ni M. B... ne demandent sa condamnation ;
- les appels en garantie formés à son encontre par les sociétés Moon Safari, Astrée et GTM Bâtiment Aquitaine s'inscrivent dans le cadre d'appels provoqués qui sont irrecevables, dès lors qu'ils relèvent de litiges distincts, ces sociétés ayant été déboutées de leurs appels en garantie en première instance ; en tout état de cause, ces conclusions sont irrecevables faute de motivation ;
- aucun manquement en lien direct avec les désordres affectant la propriété de M. B... ne peut lui être reproché, ainsi que l'a reconnu le tribunal ; les deux premières sources de désordres sont hors de sa sphère d'intervention ; quant à la troisième source, la responsabilité principale incombe, selon l'expert, à la société GTM Bâtiment Aquitaine ; d'ailleurs, les travaux de terrassement ont été réalisés sans qu'aucun plan d'exécution des travaux ni méthodologie ne lui ait été soumis au préalable, ce que confirment les écritures de la société Astrée ; c'est donc à tort que l'expert retient sa responsabilité à titre accessoire ; ni la mission OPC, ni l'organisation administrative du chantier ne relevaient de ses attributions ;
- l'appel incident de M. B... ne peut qu'être rejeté ; à la date de remise du rapport d'expertise, ce dernier pouvait faire réaliser les travaux d'embellissement de son appartement ; il a en outre attendu onze mois pour former un recours administratif auprès du département de la Gironde et pouvait demander en référé le versement d'une provision ; comme l'a relevé l'expert, les charges de copropriété sont dues, peu important que l'immeuble soit inoccupé ; M. B... qui demande une indemnisation du loyer perdu, provision sur charges comprise, ne peut obtenir satisfaction sur sa demande au titre des charges locatives sous peine de conduire à une double indemnisation ; l'intéressé a déjà demandé une indemnisation au titre de la perte de valeur vénale dans l'instance engagée à l'encontre du département de la Gironde ; en outre, il s'agit d'un préjudice purement hypothétique et dont la réalité n'est pas établie par une expertise réalisée à propos d'un autre appartement ; le préjudice moral a été correctement évalué en première instance ;
- les demandes reconventionnelles de la société Les Ecosolidaires n'ont pas de lien suffisant avec la demande de première instance de M. B... ; elles ont été présentées de manière identique dans tous les dossiers en lien ; les frais d'expertise judiciaire portent sur deux immeubles, il convient donc de les partager entre les divers intervenants en proportion des responsabilités encourues ; la demande au titre des frais de procédure comporte des postes sans lien avec le présent litige, notamment les frais de la société GP Conseil, ou avec des montants très excessifs, comme les frais d'huissier, ou faisant doublon avec la demande présentée sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La procédure a été communiquée à la société Ekip, mandataire liquidateur de la société Transports Cazaux, qui n'a pas produit.
Par une ordonnance du 22 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 13 juillet 2023.
Par lettre du 11 décembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par M. B..., après l'expiration du délai d'appel, tendant au rehaussement de l'indemnité qui lui a été allouée, dès lors qu'elles soulèvent un litige distinct de l'appel principal.
M. B... a produit des observations en réponse à ce moyen d'ordre public, enregistrées le 15 décembre 2023.
Par lettre du 21 décembre 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions présentées par la société Moon Safari à l'encontre de la société OTCE, dès lors que ces deux sociétés sont liées par le contrat de maîtrise d'œuvre, contrat de droit privé.
La société Moon Safari a produit des observations en réponse à ce moyen d'ordre public, enregistrées le 28 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Olivier Cotte,
- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Bourié, représentant la société Les Ecosolidaires Gironde, celles de Me Antoniolli, représentant M. B..., celles de Me Milon, représentant la société Moon Safari, celles de Me Donitian, représentant la société Astrée, celles de Me Fillatre, représentant la société GTM bâtiment Aquitaine et celles de Me Bertin, représentant la société Bordeaux démolition service (BDS).
Considérant ce qui suit :
1. Le département de la Gironde a décidé la construction d'un bâtiment destiné à abriter une maison départementale de la solidarité et de l'insertion au 18 et 20 rue Canihac à Bordeaux et a conclu à cette fin, le 20 juin 2012, un contrat de partenariat avec la société Les Ecosolidaires Gironde. Dans le cadre de ce contrat, le département s'est engagé, en tant que maître d'ouvrage et maître d'œuvre, à réaliser la démolition des immeubles existants et le contreventement des murs mitoyens avec le bâtiment du 16 rue Canihac. Lors de la réalisation de ces travaux, des désordres sont apparus sur ce dernier immeuble, qui ont conduit le maire de Bordeaux à prendre un arrêté de péril le 4 juin 2012 interdisant l'accès, l'usage et l'habitation de celui-ci. Par un arrêté du 7 août 2012, le maire de Bordeaux a pris acte de la réalisation des mesures conservatoires mettant fin au danger constaté et a abrogé l'arrêté de péril du 4 juin 2012. Le 28 novembre 2012, après l'achèvement des opérations de démolition, le département de la Gironde a transféré la maîtrise d'ouvrage de l'opération concernée à la société Les Ecosolidaires Gironde. A la suite de l'exécution des travaux de reprise en sous-œuvre des murs de l'immeuble en litige, de nouveaux désordres sont apparus conduisant le maire de Bordeaux à prendre, le 10 octobre 2013, un nouvel arrêté d'interdiction d'usage et d'habitation. La société Les Ecosolidaires Gironde a saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Bordeaux afin que soit diligentée une expertise sur les causes des désordres, qui a été ordonnée le 17 mars 2014. Le rapport a été déposé le 30 mai 2017.
2. M. B..., propriétaire d'un appartement dans l'immeuble du 16 rue Canihac, a saisi le tribunal administratif de Bordeaux afin d'obtenir la condamnation solidaire des sociétés Les Ecosolidaires Gironde et GTM bâtiment Aquitaine, entreprise chargée de la réalisation des travaux de construction, à lui verser une indemnité en réparation des préjudices subis du fait des travaux publics réalisés pour le compte du département de la Gironde sur la parcelle voisine. Par un jugement n° 1901992 du 13 avril 2021, le tribunal a solidairement condamné les sociétés Les Ecosolidaires Gironde et GTM bâtiment Aquitaine à verser à M. B... la somme de 61 846,59 euros en réparation des préjudices liés aux travaux de remise en état de l'appartement et aux pertes locatives, ainsi que de son préjudice moral. Le tribunal a également condamné la société Moon Safari, agence d'architecture anciennement dénommée Air architecte, d'une part, à garantir les sociétés Les Ecosolidaires Gironde et GTM bâtiment Aquitaine à hauteur de 30 % de leur condamnation et, d'autre part, à verser à la société Les Ecosolidaires Gironde 30 % de la somme de 28 782,24 euros relative aux frais d'expertise judiciaire. Par la présente requête, la société Les Ecosolidaires Gironde relève appel de ce jugement en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions d'appel en garantie qu'elle avait formées à l'encontre de deux sous-traitants de la société GTM bâtiment Aquitaine, les sociétés Astrée et Transports Cazaux, et qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle relative aux frais d'huissier et d'assistance technique à expertise.
Sur la régularité du jugement attaqué :
3. La société Les Ecosolidaires Gironde avait demandé au tribunal de condamner les sociétés Astrée, Transports Cazaux, OTCE Aquitaine ainsi que le département de la Gironde à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre. Si le tribunal a écarté toute faute imputable à la société OTCE Aquitaine et au département de la Gironde et a ainsi nécessairement rejeté l'appel en garantie formé à leur encontre, il a omis de se prononcer sur l'appel en garantie formé à l'encontre des sociétés Astrée et Transports Cazaux,
sous-traitantes du cocontractant GTM bâtiment Aquitaine, avec lesquelles la société Les Ecosolidaires Gironde n'a pas de rapports contractuels. Il y a lieu, dès lors, d'annuler le jugement du 13 avril 2021 en tant qu'il a omis de statuer sur ces conclusions.
4. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la société Les Ecosolidaires Gironde devant le tribunal dans cette mesure.
Sur la garantie au profit de la société Les Ecosolidaires Gironde :
5. Il résulte du jugement attaqué que les sociétés Les Ecosolidaires Gironde et GTM bâtiment Aquitaine ont été condamnées solidairement à verser à M. B... la somme de 61 846,59 euros, correspondant aux travaux de remise en état de son appartement, aux pertes locatives pour la période de décembre 2012 au 30 janvier 2017 et au préjudice moral qu'il a subi du fait des désordres occasionnés par les travaux réalisés sur la parcelle mitoyenne de son immeuble.
En ce qui concerne le préjudice résultant des travaux de remise en état de l'appartement et le préjudice moral :
6. Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que les désordres ont pour origine les travaux de reprise en sous-œuvre sous le mur mitoyen, exécutés par la société GTM bâtiment Aquitaine. L'expert indique que cette société a commis des fautes dans l'exécution de sa mission dès lors qu'elle n'a pas réalisé les travaux conformément à son marché en s'abstenant de faire réaliser un soutènement en pieux contigus le long des bâtiments riverains, qu'elle n'a pas fait réaliser de travaux de sondage pour connaître l'altimétrie des soubassements des murs voisins avant de faire exécuter les travaux de terrassement par son sous-traitant la société Transports Cazaux, et qu'elle n'a pas préparé, préalablement aux travaux, la phase de reprise en sous-œuvre et n'a fait réaliser des notes de calculs et des phasages de ces travaux de reprise qu'une fois les terrassements généraux terminés et les soubassements des murs mitoyens mis à l'air. L'expert judiciaire a également retenu des responsabilités accessoires, celle du groupement de maîtrise d'œuvre, dont la société Air Architecte, devenue Moon Safari, est le mandataire, pour manquement dans sa mission de suivi du chantier et défaut de validation des notes de calculs et des documents d'exécution avant la réalisation des travaux, celle de la société Astrée, sous-traitante de la société GTM bâtiment Aquitaine, pour avoir validé une solution variante de reprise en sous-œuvre sous les fondations des murs mitoyens bien qu'aucun sondage n'ait été réalisé pour déterminer le niveau de l'assise de ces fondations, et enfin celle de la société Transports Cazaux, chargée du lot " terrassement ", pour avoir accepté de réaliser les terrassements généraux à la demande de la société GTM bâtiment Aquitaine en déchaussant les fondations du mur mitoyen sur une hauteur allant jusqu'à un mètre vingt.
7. Si le maître d'œuvre fait valoir qu'il n'était pas informé du début des travaux de terrassement, qui ont été effectués du 23 septembre au 2 octobre 2013, cette ignorance est, ainsi que l'a relevé l'expert dans la réponse aux dires de la société Moon Safari, anormale pour un tel chantier, et il est surprenant que la société ne se soit pas plainte de cet état de fait. L'expert a également relevé que les comptes-rendus de chantier relatifs aux travaux des douze pôles sociaux du département de la Gironde n'évoquaient que très peu le chantier en litige, son avancement ou les évènements qui s'y déroulaient, et qu'" il n'est pas normal qu'un chantier se déroule sans une réunion de chantier hebdomadaire et un compte-rendu après chaque réunion sur les avancements et les décisions prises ". La société Moon Safari n'est pas davantage fondée à soutenir qu'elle n'était pas chargée de viser les plans d'exécution et de réaliser la rédaction du cahier des clauses techniques particulières " gros œuvre ", tâches qui incombaient à la société OTCE Aquitaine, alors qu'elle est mandataire du groupement conjoint de maîtrise d'œuvre et était, comme chaque membre du groupement, responsable pour la totalité du contrat, ainsi que le prévoit le contrat de maîtrise d'œuvre. Quant au bureau d'études Astrée, il ne peut sérieusement soutenir que les dommages seraient dus, non pas aux travaux de reprise en sous-œuvre du mur mitoyen, mais aux travaux de terrassement compte tenu de ce que des désordres ont été signalés dès le 27 septembre 2013, alors qu'il ressort du rapport d'expertise que les travaux de reprise en sous-œuvre ont débuté en septembre 2013. Dans ces conditions, la société Les Ecosolidaires Gironde est fondée à appeler en garantie les sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux s'agissant du préjudice relatif à la remise en état de l'appartement et au préjudice moral subi par M. B....
8. Compte tenu de l'importance de leurs fautes respectives ci-dessus détaillées, il y a lieu de condamner les sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux à garantir la société Les Ecosolidaires Gironde à hauteur de 30% pour la première et de 10 % chacune pour les deux autres.
9. Contrairement à ce que soutient la société Moon Safari, le préjudice moral de M. B..., qui a été placé dans l'impossibilité de relouer son appartement et a dû faire face aux démarches et tracas liés aux désordres, est suffisamment établi. Le tribunal n'en a pas fait une excessive appréciation en le fixant à 5 000 euros.
10. Le préjudice résultant des travaux de remise en état de l'appartement
et le préjudice moral qui en découle s'élèvent ainsi à la somme de 33 496,59 euros.
En ce qui concerne le préjudice lié aux pertes locatives de décembre 2012
au 30 janvier 2017 :
S'agissant de la période courant de décembre 2012 à septembre 2013 :
11. Il résulte de l'instruction que les pertes locatives pour la période de décembre 2012 à septembre 2013 ont résulté de la pose de mannequins sur l'ensemble des fenêtres de l'appartement de M. B... afin de consolider la façade. Ce dommage est ainsi sans lien avec l'intervention des sociétés que la société Les Ecosolidaires Gironde appelle en garantie.
S'agissant de la période courant d'octobre 2013 au 30 janvier 2017 :
12. Il résulte du rapport d'expertise que les pertes locatives subies par M. B... pour la période d'octobre 2013 à janvier 2017, date de dépôt du rapport de l'expert, sont dues aux désordres résultant des travaux de reprise en sous-œuvre et aux incertitudes pesant sur les causes et les moyens d'y remédier, qui faisaient obstacle à ce que l'appartement de l'intéressé puisse être remis en location. Alors que le loyer que M. B... percevait de son locataire s'élevait à 567 euros, le préjudice en résultant correspond, pour cette période de 40 mois,
à 22 680 euros. Par suite, la société Les Ecosolidaires Gironde est fondée à appeler en garantie, dans cette mesure, les sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux à hauteur de 30 % pour la première et 10 % chacune pour les deux autres.
13. Il résulte de ce qui précède que la société Les Ecosolidaires Gironde est fondée à demander à être garantie sur la somme totale de 56 176,59 euros par les sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux à hauteur de 30 % pour la première et 10 % chacune pour les deux autres.
Sur les conclusions d'appel provoqué présentées par la société Moon Safari :
14. Il résulte de ce qui précède que la décision prise sur la garantie accordée à la société Les Ecosolidaires Gironde pour les condamnations dont elle a fait l'objet n'a pas pour effet d'aggraver les obligations mises par le jugement attaqué à la charge de la société Moon Safari. Par suite, cette dernière n'est pas recevable à présenter, par la voie de l'appel provoqué, des conclusions tendant à obtenir la garantie, sur la somme mise à sa charge, des sociétés GTM bâtiment Aquitaine, OTCE, Astrée et Transports Cazaux.
Sur les " demandes reconventionnelles " de la société Les Ecosolidaires Gironde :
15. La société Les Ecosolidaires Gironde a demandé devant le tribunal la condamnation des sociétés OTCE Aquitaine, Transports Cazaux, Astrée et Moon Safari à lui verser la somme globale de 48 884,01 euros en remboursement des sommes qu'elle a été amenée à supporter dans le cadre de la procédure d'expertise judiciaire qu'elle a initiée. Ces conclusions, qui sont qualifiées à tort de reconventionnelles alors qu'elles ne sont pas dirigées contre M. B..., demandeur en première instance, et qui concernent un préjudice propre de la société, soulèvent un litige distinct de celui dont était saisi le tribunal. Par suite, la société Moon Safari est fondée à demander la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à la société Les Ecosolidaires Gironde 30 % de la somme
de 28 782,24 euros correspondant aux frais de l'expertise ordonnée par le juge judiciaire, et les conclusions de la société Les Ecosolidaires Gironde tendant au relèvement de la condamnation sur ce point ne peuvent qu'être rejetées.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la société Les Ecosolidaires Gironde est seulement fondée à demander que les sociétés Astrée et Transports Cazaux la garantissent à hauteur de 10 % chacune et la société Moon Safari à hauteur de 30 % sur la somme de 56 176,59 euros. La société Moon Safari est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamnée à verser 30 % de la somme de 28 782,24 euros à la société Les Ecosolidaires Gironde.
Sur les conclusions de M. B... :
17. L'appel principal de la société Les Ecosolidaires Gironde tend à obtenir la garantie des sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux sur les condamnations au profit de M. B..., et à obtenir de ces sociétés des indemnités " à titre reconventionnel " pour couvrir les frais d'expertise et de procédure. Les conclusions par lesquelles M. B... demande la réformation du jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ont été enregistrées postérieurement à l'expiration du délai d'appel. Si elles font écho à l'appel incident de la société Moon Safari, qui conteste une partie de l'assiette des condamnations en garantie, la situation de M. B... n'est pas aggravée par la réduction de l'assiette de la garantie prononcée par le présent arrêt. Par suite, les demandes de M. B..., qu'elles soient qualifiées d'appel principal ou d'appel provoqué, sont irrecevables.
Sur les frais liés au litige :
18. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre, d'une part, à la charge de la société Les Ecosolidaires Gironde une somme de 1 500 euros à verser à la société Moon Safari, et, d'autre part, à la charge des sociétés Astrée et Transports Cazaux la somme
de 1 500 euros chacune à verser à la société Les Ecosolidaires Gironde sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a en revanche pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au titre des frais exposés et non compris dans les dépens par M. B... et les sociétés Bordeaux démolition services, Astrée, GTM bâtiment Aquitaine et OTCE Aquitaine.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2021 est annulé en tant qu'il a omis de se prononcer sur les appels en garantie présentés par la société Les Ecosolidaires Gironde à l'encontre des sociétés Astrée et Transports Cazaux.
Article 2 : La société Les Ecosolidaires Gironde sera garantie à hauteur de 10 % chacune par les sociétés Astrée et Transports Cazaux.
Article 3 : Le montant sur lequel la société Les Ecosolidaires Gironde sera garantie par les sociétés Moon Safari, Astrée et Transports Cazaux est ramené de 61 846,59 euros
à 56 176,59 euros.
Article 4 : La demande présentée par la société Les Ecosolidaires Gironde relative aux frais d'expertise judiciaire est rejetée.
Article 5 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 13 avril 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 3 et 4.
Article 6 : Les sociétés Astrée et Transports Cazaux verseront chacune à la société Les Ecosolidaires Gironde la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : La société Les Ecosolidaires Gironde versera à la société Moon Safari la somme
de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 8 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 9 : Le présent arrêt sera notifié à la société Les Ecosolidaires Gironde, à la société Moon Safari, à la société Astrée, à M. A... B..., à la société OTCE Aquitaine, à la société GTM Aquitaine, au département de la Gironde, à la société Bordeaux démolition services et à la société Ekip, en qualité de mandataire liquidateur de la société
Transports Cazaux.
Délibéré après l'audience du 9 janvier 2024 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 1er février 2024.
Le rapporteur,
Olivier Cotte
La présidente,
Catherine Girault
Le greffier,
Fabrice Benoit
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21BX02459