La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/09/2023 | FRANCE | N°21BX01440

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 28 septembre 2023, 21BX01440


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 avril 2021 et 1er juillet 2022, la société Centrale éolienne Le Jusselin, représentée par Me Duval, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 février 2021 par lequel le préfet de l'Indre a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de La Chapelle-Saint-Laurian ;

2°) à titre principal, d'autoriser l'exploitation du parc éolien en assortissant l'arrêté des prescriptions

adéquates, à titre subsidiaire, d'autoriser l'exploitation du parc éolien et d'enjoindre...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 avril 2021 et 1er juillet 2022, la société Centrale éolienne Le Jusselin, représentée par Me Duval, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 8 février 2021 par lequel le préfet de l'Indre a refusé de lui délivrer une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de La Chapelle-Saint-Laurian ;

2°) à titre principal, d'autoriser l'exploitation du parc éolien en assortissant l'arrêté des prescriptions adéquates, à titre subsidiaire, d'autoriser l'exploitation du parc éolien et d'enjoindre au préfet de l'Indre d'assortir cette autorisation des prescriptions nécessaires pour la construction et l'exploitation du parc éolien, dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'arrêté attaqué est entaché d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 511-1 du code de l'environnement, dès lors qu'il n'y a pas d'atteinte significative aux paysages environnants et à la conservation des monuments.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 juin 2022, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête. Elle fait valoir que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pauline Reynaud,

- les conclusions Mme Nathalie Gay, rapporteure publique,

- et les observations de Me Daheron, représentant la société Centrale éolienne Le Jusselin.

Considérant ce qui suit :

1. La société Centrale éolienne Le Jusselin a déposé le 6 janvier 2020 une demande d'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs d'une hauteur de 167,5 mètres et d'un poste de livraison, sur le territoire de la commune de La Chapelle-Saint-Laurian. Par un arrêté du 8 février 2021, le préfet de l'Indre a rejeté sa demande. La société Centrale éolienne Le Jusselin demande à la cour l'annulation de cet arrêté.

Sur la légalité de l'arrêté du 8 février 2021 :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, applicable en l'espèce : " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. / L'autorisation, dénommée autorisation environnementale, est délivrée dans les conditions prévues au chapitre unique du titre VIII du livre Ier. " Par ailleurs, aux termes de l'article L. 181-3 du même code, créé par la même ordonnance : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas. (...) ".

3. Pour refuser de délivrer l'autorisation sollicitée, le préfet de l'Indre s'est fondé sur l'impact du projet éolien, d'une part, sur les monuments historiques, en particulier le château de Bouges-le-Château et l'église Saint-Laurian située sur le territoire de la commune de Vatan, d'autre part, sur le cadre de vie des habitants de la commune de Vatan.

4. Il résulte de l'instruction que le site d'implantation du parc éolien en litige, composé de quatre aérogénérateurs d'une hauteur de 167,50 mètres et d'un poste de livraison, se situe sur le territoire de la commune de La Chapelle Saint-Laurian. Le secteur d'implantation du projet éolien est caractérisé par une végétation variée, composée de boisements plus ou moins étendus, de bosquets, d'alignements d'arbres et de nombreuses haies. Ce paysage est fortement marqué par la rupture existant entre la plaine linéaire qui évolue au sud du projet, et les paysages denses, foisonnants et très changeants, situés au nord du secteur. Le projet s'implante également dans la zone " Champagne berrichonne et Boischaut méridional ", du schéma régional éolien du Centre-Val de Loire, réputée favorable à l'éolien, et située en dehors des zones aux enjeux paysagers plus sensibles. Il résulte par ailleurs de l'instruction que si les aires d'étude éloignée et rapprochée du projet sont concernées par un patrimoine naturel et construit de qualité, marqué par la présence de plusieurs édifices classés ou inscrits, tels que l'église de Saint-Laurian et le château de Bouges-le-Château, aucun site inscrit ou classé ne se situe toutefois dans l'aire d'étude immédiate du projet éolien. Ensuite, le territoire d'implantation du projet est déjà marqué par des éléments anthropiques tels que plusieurs routes départementales et autres axes routiers secondaires ainsi que des lignes à haute tension. Dans ces conditions, le paysage qui entoure le projet, s'il n'est pas dépourvu de tout intérêt, ne peut être regardé comme présentant un caractère ou un intérêt particulier à l'identité ou à l'attractivité desquelles le parc éolien porterait atteinte.

En ce qui concerne l'atteinte aux monuments historiques :

S'agissant du château de Bouges-le-Château :

5. Il résulte de l'instruction que le château de Bouges-le-Château, ainsi que ses dépendances, ses jardins et son parc, y compris les bâtiments, les murs de clôture et l'allée d'arrivée, a été classé monument historique par arrêté du 7 septembre 2001 et constitue un ensemble patrimonial remarquable à préserver, ainsi qu'un pôle touristique à fort enjeu dans le département de l'Indre. Le parc de ce château est quant à lui labellisé Jardin Remarquable.

6. Il résulte de l'instruction, notamment des photomontages produits dans le volet paysager de l'étude d'impact et des photomontages complémentaires réalisés suite à l'avis de l'autorité environnementale du 10 juillet 2020, que les abords du parc du château sont concernés par la perception du bout des pales d'une seule éolienne (E1), et que les pales de trois des quatre éoliennes sont également partiellement visibles depuis le premier étage du château. Par ailleurs, les photomontages C14 et C14 bis, réalisés pendant la saison hivernale, démontrent l'absence de visibilité du projet depuis l'allée cavalière du château. Il en résulte que l'influence visuelle du projet sur le château est très partielle, et l'impact du projet sur le château de Bouges-le-Château est d'ailleurs qualifié de négligeable par l'étude d'impact. Ainsi, il n'apparait pas, compte tenu du caractère partiel des vues, de l'environnement entourant le château et de la distance de 8,5 kilomètres séparant les éoliennes du château de Bouges-le-Château, que le projet de parc éolien porterait une atteinte significative à ce monument, une telle atteinte ne pouvant se déduire de la seule circonstance que les éoliennes seront visibles depuis ses abords et le premier étage ou en covisibilité. Par suite, le préfet de l'Indre ne pouvait se fonder sur ce motif pour refuser l'autorisation sollicitée.

S'agissant de l'église de Saint-Laurian :

7. Il résulte de l'instruction que le chœur et la porte d'entrée de l'église de Saint-Laurian, située sur la commune de Vatan, ont fait l'objet d'une inscription partielle au titre des monuments historiques par arrêté du 8 décembre 1928, ainsi que son abside par arrêté du 13 mars 1933. S'il résulte de l'instruction, notamment du volet paysager de l'étude d'impact et des photomontages produits, que cette église, située à environ 1 kilomètre du projet, apparait en situation de covisibilité avec le projet éolien depuis l'entrée de la commune de Vatan, par la route départementale n° 2, en période hivernale, cette covisibilité reste toutefois très limitée, la taille des éoliennes n'étant pas le seul point d'appel visuel, compte tenu du caractère dense de l'urbanisation et de la présence de lignes à haute tension. L'impact du projet sur cet édifice est d'ailleurs qualifié de nul par l'étude d'impact. Dans ces conditions, la covisibilité entre les éoliennes et l'église Saint-Laurian n'apparaît pas de nature à entraîner une concurrence visuelle qui serait préjudiciable à la conservation des perspectives visuelles de ce monument. Par suite, le préfet de l'Indre ne pouvait pas se fonder sur ce motif pour refuser l'autorisation sollicitée.

En ce qui concerne l'atteinte au cadre de vie des habitants de la commune de Vatan :

8. Pour refuser de délivrer l'autorisation sollicitée, le préfet de l'Indre a également relevé que les visibilités du projet depuis les entrées par les RD n° 2 et n° 960, routes d'accès au village de Vatan, seraient de nature à porter atteinte au cadre de vie des habitants de Vatan, en altérant la perception de la silhouette du bourg. Il résulte toutefois de l'instruction, en particulier des photomontages produits dans le volet paysager de l'étude d'impact, que la visibilité du projet éolien depuis la commune de Vatan reste limitée dès lors que la végétation masque l'essentiel des éoliennes. L'impact visuel du projet sur le village de Vatan est ainsi qualifié de négligeable par l'étude d'impact. Il résulte par ailleurs de l'instruction que la société pétitionnaire a prévu de mettre en œuvre une mesure de compensation pour les habitants de Vatan les plus proches du projet, par la plantation d'une haie vive composée d'essences locales. Enfin, la circonstance que le projet demeurerait visible depuis le village de Vatan n'est pas, par elle-même, de nature à caractériser un effet de surplomb, ni une atteinte significative sur les paysages. Dans ces conditions, le préfet de l'Indre ne pouvait se fonder sur l'impact du projet éolien sur le cadre de vie des habitants de Vatan pour refuser l'autorisation sollicitée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Indre du 8 février 2021 refusant la délivrance d'une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation d'un parc éolien sur le territoire de la commune de La Chapelle-Saint-Laurian.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Lorsqu'il statue en vertu de l'article L. 514-6 du code de l'environnement, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation classée pour la protection de l'environnement en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée et, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

11. En l'état de l'instruction, et notamment en l'absence de précision suffisante sur le respect des dispositions des articles L. 411-1, L. 411-2 et L. 511-1 du code de l'environnement, il n'y a pas lieu de procéder à la délivrance de l'autorisation sollicitée par la société. Le présent arrêt implique en revanche, en application de l'article L. 911-2 du code de justice administrative, que le préfet de l'Indre réexamine la demande de la société et prenne une nouvelle décision dans un délai qu'il y a lieu de fixer à quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Centrale éolienne Le Jusselin de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : L'arrêté du 8 février 2021 par lequel le préfet de l'Indre a refusé de délivrer à la société Centrale éolienne Le Jusselin l'autorisation environnementale sollicitée pour l'installation et l'exploitation d'un parc de quatre éoliennes sur le territoire de la commune de La Chapelle Saint Laurian est annulé.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de l'Indre de réexaminer la demande de la société Centrale éolienne Le Jusselin et de prendre une nouvelle décision dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société Centrale éolienne Le Jusselin une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Centrale éolienne Le Jusselin et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au préfet de l'Indre.

Délibéré après l'audience du 5 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

Mme Bénédicte Martin, présidente-assesseure,

Mme Pauline Reynaud, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.

La rapporteure,

Pauline ReynaudLa présidente,

Evelyne Balzamo

Le greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX01440 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01440
Date de la décision : 28/09/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: Mme Pauline REYNAUD
Rapporteur public ?: Mme GAY
Avocat(s) : SOCIETE D'AVOCATS KALLIOPE

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-09-28;21bx01440 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award