Vu la procédure suivante :
Par un arrêt avant dire droit du 22 septembre 2022, la cour a annulé le jugement du tribunal administratif de Poitiers n° 1902693 du 5 mars 2020 qui avait renvoyé M. B... devant l'administration afin qu'elle détermine le taux d'invalidité de son infirmité d'impotence fonctionnelle des mains, et a ordonné une expertise afin de déterminer si la maladie imputable au service était à l'origine d'un taux d'invalidité ouvrant droit à pension.
Le rapport d'expertise a été enregistré le 26 décembre 2022.
Par des mémoires enregistrés les 19 janvier et 27 février 2023, M. B..., représenté par la SELARL Avocats du Grand Large, demande à la cour, à titre principal de retenir un taux d'incapacité de 50 à 80 %, et à titre subsidiaire d'ordonner une nouvelle expertise afin de déterminer son taux d'invalidité à la date du 11 décembre 2017.
Il soutient que :
- le taux d'invalidité de 8 % retenu par l'expert correspond à l'évolution à la date de l'expertise, le 19 décembre 2022, et non à la date du 11 décembre 2017 à laquelle il devait se placer conformément à la mission qui lui avait été confiée ; en outre, l'expert n'indique pas la méthode utilisée pour aboutir à un taux de 8 %, et il ne tire pas les conséquences de ses propres constatations dès lors que la fibromyalgie qu'il décrit se traduit par une extrême sensibilité à la douleur, ce qui ne saurait correspondre à un taux de 8 % ; en conséquence, la cour retiendra le taux supérieur ou égal à 50 % et inférieur à 80 % ayant conduit à lui accorder le statut de travailleur handicapé ;
- au cours de l'expertise, l'examen s'est limité à des manipulations douloureuses des poignets et des doigts, que l'expert a poursuivies en affirmant que tout allait bien malgré les douleurs ; aucune fibromyalgie n'a jamais été diagnostiquée, et cette pathologie a été écartée par un courrier du 13 avril 2020 remis à l'expert, lequel n'a pas pris connaissance de la totalité du dossier médical et a prêté des propos erronés à ses confrères ; l'expert s'est montré agressif et insultant à son égard ; ainsi, une nouvelle expertise apparaît nécessaire ;
- sa démarche est motivée par la reconnaissance de ses infirmités, sans laquelle la prise en charge de ses soins par le service des pensionnés de la caisse nationale militaire de sécurité sociale prendra fin.
Par des mémoires enregistrés les 6 février et 7 avril 2023, le ministre des armées maintient ses conclusions aux fins d'annulation du jugement et de rejet de la demande présentée par M. B... devant le tribunal.
Il soutient que :
- l'expert rappelle que suite au diagnostic de kyste arthrosynovial et de syndrome du canal carpien droit associé à un syndrome du canal carpien gauche, M. B... a subi le
4 juillet 2017 une cure du syndrome du canal carpien gauche, puis le 2 octobre 2017 une exérèse du kyste synovial lunaire et une neurolyse du nerf médian droit, et il retient comme étiologie à la gêne fonctionnelle des deux mains une fibromyalgie, pathologie fonctionnelle indépendante évoluant pour son propre compte ; il précise que l'incapacité fonctionnelle est une sensation d'enraidissement douloureux des deux poignets touchant les chaînes digitales, avec des douleurs mécaniques et neuropathiques, ce qu'il évalue au taux de 8 % au regard du guide-barème des invalidités, soit un taux inférieur au minimum indemnisable de 10 % prévu à l'article L. 121-4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre et au minimum de 30 % pour une maladie prévu à l'article L. 121-5 ;
- en tout état de cause, l'infirmité d'impotence fonctionnelle des mains apparaît sans lien avec le service dès lors qu'elle est liée à une fibromyalgie, pathologie chronique dont la physiopathologie n'est pas encore établie selon les conclusions de l'expert ;
- l'expert a rempli sa mission, et le moyen tiré de ce qu'il aurait tenu des propos agressifs ou insultants manque en fait.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., maréchal des logis chef affecté à la Musique de la Garde républicaine en qualité de clarinettiste depuis le 4 avril 2005, a présenté le 11 décembre 2017 une demande de pension militaire d'invalidité pour l'infirmité d'impotence fonctionnelle des mains. Il a contesté la décision de rejet du 1er février 2018 devant le tribunal administratif de Poitiers, lequel, par un jugement du 5 mars 2020, l'a annulée et a renvoyé l'intéressé devant l'administration pour la détermination du taux d'invalidité. M. B..., qui avait bénéficié d'un arrêt de travail depuis le 27 février 2017 puis d'un congé de longue maladie à compter du 18 août 2017, a été reconnu définitivement inapte par le service de santé des armées le 24 juillet 2020.
2. Saisie d'un appel de la ministre des armées, la cour, par un arrêt du
22 septembre 2022, a annulé le jugement pour irrégularité au motif qu'il appartenait au tribunal de se prononcer lui-même sur les droits à pension de l'intéressé, a jugé que l'infirmité d'impotence des mains résultait d'une maladie imputable au service, et a ordonné une expertise aux seules fins d'évaluer le taux d'invalidité correspondant à la date du 11 décembre 2017, au regard du guide barème applicable aux pensions militaires d'invalidité. L'expert a déposé son rapport le 26 décembre 2022.
3. Aux termes de l'article L. 121-5 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre : " La pension est concédée : / (...) / 3° Au titre d'infirmités résultant exclusivement de maladie, si le taux d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : / a) 30 % en cas d'infirmité unique ; / (...). " Aux termes de l'article L. 151-2 du même code : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. / (...). " Il résulte de ces dernières dispositions que l'évaluation de l'invalidité au titre de laquelle la demande de pension est sollicitée doit être faite à la date de la demande de pension.
4. Le guide barème applicable aux pensions militaires d'invalidité cote les raideurs de l'extension et de la flexion du poignet de 5 à 8 % à droite et de 4 à 6 % à gauche. Il comporte par ailleurs un chapitre consacré aux névralgies, dans lequel il est précisé : " L'appréciation de l'invalidité provoquée par les névralgies est un problème des plus délicats. (...) / d) L'invalidité, momentanée ou persistante, doit être appréciée en fonction à la fois de l'intensité et de l'extension des névralgies, de la gêne fonctionnelle apportée au travail et du retentissement possible sur l'état général. (...). " Les taux d'invalidités sont définis en prenant pour exemple la névralgie sciatique persistante : 10 à 20 % pour une névralgie légère sans trouble grave de la marche, 25 à 40 % pour une intensité moyenne avec une gêne considérable de la marche et du travail, 45 à 60 % pour une névralgie grave rendant le travail et la marche impossibles, nécessitant souvent le séjour au lit, et 40 à 80 % pour une névralgie compliquée de réaction causalgique plus ou moins intense ou de retentissement sur l'état général.
5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise, que la maladie imputable au service était caractérisée en 2017 par un syndrome bilatéral du canal carpien associé à des kystes synoviaux, le kyste arthrosynovial scapho-lunaire droit, particulièrement douloureux, ayant récidivé après une ponction réalisée le 25 avril 2017. Malgré deux interventions chirurgicales, à gauche le 4 juillet 2017 et à droite le 2 octobre 2017, un déficit sensitivo-moteur des deux mains a persisté, ainsi que des limitations d'amplitudes fonctionnelles essentiellement liées à d'importantes douleurs. L'expert a constaté à l'examen une flexion dorsale des poignets de 50° à droite et 60° à gauche, une flexion palmaire symétrique à 70°, une douleur en amplitude extrême du poignet droit, à l'origine de tremblements d'attitude, une extension des doigts longs complète mais douloureuse, un signe de Tinel en regard de chaque canal carpien, et une force de serrage symétrique d'intensité moyenne. L'infirmité qu'il a retenue est " une sensation d'enraidissement douloureux des deux poignets touchant les chaînes digitales, avec des douleurs à la fois mécaniques et neuropathiques ", dont il a fixé le taux d'invalidité à 8 %, sans aucune explication, alors qu'un tel taux correspond à la cotation de simples raideurs articulaires du poignet droit selon le guide barème. L'expert n'a pas tenu compte de l'impotence fonctionnelle des deux poignets et des deux mains en lien avec la persistance de douleurs particulièrement invalidantes, qu'il a attribuées à une fibromyalgie, " pathologie indépendante évoluant pour son propre compte ", au motif qu'à la date de l'expertise, le tableau clinique et les examens réalisés ne permettaient pas de " trouver une organicité " à des douleurs d'une telle intensité. Toutefois, dans un courrier du 13 avril 2018 qui figurait au dossier médical remis à l'expert, le médecin chef du service de médecine physique et de réadaptation de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué a écarté l'hypothèse d'une fibromyalgie et expliqué que les influx nociceptifs et neuropathiques s'étaient accumulés du fait du syndrome du canal carpien bilatéral en rapport avec un exercice professionnel musical intensif, que le phénomène douloureux était devenu quotidien et permanent dans les suites opératoires de la seconde intervention, très douloureuse, de décompression du canal carpien droit et de traitement du kyste arthrosynovial, ce qui avait entraîné une altération importante du sommeil et de l'anxiété, et que la chronicité des douleurs était en relation avec une modification de la sensibilité du système nerveux central, en réponse à ce " contexte biopsychosocial (...) devenu délétère à la longue pour ce patient ". Ainsi, contrairement à ce qu'a retenu l'expert, les douleurs à l'origine de l'essentiel de l'impotence fonctionnelle sont en lien avec la maladie imputable au service, et doivent être prises en compte pour l'évaluation du taux d'invalidité.
6. Il résulte de l'instruction, notamment du courrier du 13 avril 2018 mentionné au point précédent, qu'à la date de la demande de pension, M. B... présentait des douleurs permanentes aux deux mains et aux deux poignets, avec des paroxysmes " chaque fois qu'il utilise un tant soit peu ses mains ", à type de brûlures et de décharges électriques, s'accompagnant de troubles de la sensibilité subjective (engourdissement, fourmillements) et de la sensibilité objective (altération de la sensation de froid ou de chaleur), ainsi que des troubles vaso-moteurs. Ces douleurs ont rendu la reprise du travail impossible, ainsi qu'il a été dit au point 1, et ont eu un retentissement sur l'état général, avec une altération importante du sommeil et une anxiété. Par suite, il y a lieu de retenir l'infirmité " impotence fonctionnelle douloureuse des deux poignets et des deux mains, avec troubles de la sensibilité et limitation d'amplitude fonctionnelle " au taux de 60 %.
7. Il résulte de ce qui précède que la décision du 1er février 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité de M. B... doit être annulée, et qu'il doit être enjoint au ministre des armées de concéder à M. B... un droit à pension temporaire au taux de 60 % à compter du 11 décembre 2017 pour l'infirmité " impotence fonctionnelle douloureuse des deux poignets et des deux mains, avec troubles de la sensibilité et limitation d'amplitude fonctionnelle ".
8. Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 520 euros par une ordonnance du président de la cour du 5 janvier 2023, doivent être mis à la charge de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : La décision du 1er février 2018 par laquelle la ministre des armées a rejeté la demande de pension militaire d'invalidité de M. B... est annulée.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de concéder à M. B... un droit à pension temporaire au taux de 60 % à compter du 11 décembre 2017 pour l'infirmité " impotence fonctionnelle douloureuse des deux poignets et des deux mains, avec troubles de la sensibilité et limitation d'amplitude fonctionnelle ".
Article 3 : Les frais et honoraires de l'expertise, liquidés et taxés à la somme de 2 520 euros par une ordonnance du président de la cour du 5 janvier 2023, sont mis à la charge de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des armées et à M. D... B.... Une copie en sera adressée pour information au docteur C..., expert.
Délibéré après l'audience du 4 juillet 2023 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20BX01441