Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Cimade, le Groupe d'information et de soutien des immigrés (GISTI), le Syndicat des avocats de France (SAF), la Ligue des droits de l'Homme (LDH), l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers (ADDE) et le Comité pour la santé des exilés (COMEDE), représentés par Mes Pépin et Pialou, ont demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 23 et 30 octobre 2020 et des 19 mars et 9 juin 2021 par lesquelles le préfet de la Guyane a mis en place une procédure dématérialisée pour le traitement de certaines démarches relatives à l'accueil et au séjour des étrangers, ainsi que la décision implicite du 29 juin 2021 par laquelle le préfet de la Guyane a refusé de mettre en place des modalités alternatives aux procédures instituées par voie dématérialisée.
Par un jugement n° 2100900 du 28 octobre 2021, le tribunal administratif de la Guyane a annulé les décisions des 9 et 29 juin 2021, a sursis à statuer sur la date d'effet de ces annulations et a rejeté le surplus des conclusions. Par un jugement n° 2100900 du 16 décembre 2021, le tribunal administratif de la Guyane a fixé la date d'effet de l'annulation des décisions des 9 et 29 juin 2021 au 1er mars 2022.
Procédures devant la cour :
I. Par une requête enregistrée le 11 mars 2022, sous le n° 22BX00846, le préfet de la Guyane demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 28 octobre 2021 en tant qu'il annule les décisions des 9 et 29 juin 2021 ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guyane du 16 décembre 2021 en tant qu'il fixe au 1er mars 2022 la date d'effet de cette annulation ;
3°) de rejeter la demande de première instance de la Cimade et des autres requérants.
Il soutient que :
S'agissant de la décision du 9 juin 2021 :
- les conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 juin 2021 étaient irrecevables dès lors qu'il s'est contenté d'informer les usagers de la mise en œuvre de dispositions réglementaires ;
- à supposer que les conclusions des requérantes de première instance aient en réalité visé les dispositions de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'arrêté du 27 avril 2021 pris pour son application, le tribunal administratif n'était pas compétent pour connaître de ce litige ;
S'agissant de la décision du 29 juin 2021 :
- contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le refus explicite de mettre en place des modalités de substitution aux démarches dématérialisées ne concernait que les modules de prise de rendez-vous, dès lors que la dématérialisation des demandes de titres eux-mêmes résulte de dispositions réglementaires ;
- il se trouvait en situation de compétence liée s'agissant de la mise en place de procédures dématérialisées pour les demandes de titre de séjour ;
- la mise en place d'un module de prise de rendez-vous en ligne ne rentre pas dans le champ de l'article L. 112-9 du code des relations entre le public et l'administration dès lors que ce module ne constitue pas un téléservice ;
- il pouvait rendre obligatoire le recours à ce module de prise de rendez-vous ;
- des solutions alternatives ont été mises en place.
Par deux mémoires, enregistrés le 4 novembre 2022 à 17h49 et 21h07, la CIMADE, le GISTI, le SAF, la LDH, l'ADDE et le COMEDE, représentés par Me Pialou, concluent au rejet de la requête du préfet de la Guyane et à la condamnation de l'Etat à leur verser à chacun 2 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Ils soutiennent que :
- la requête est irrecevable faute pour le préfet de détenir une délégation pour l'introduire au nom de l'Etat ;
- aucun des moyens invoqués n'est fondé.
II. Par une requête enregistrée le 11 mars 2022, sous le n° 22BX00847, le préfet de la Guyane demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution des jugements nos 2100900 des 28 octobre et 16 décembre 2021 par lesquels le tribunal administratif de la Guyane a annulé les décisions des 9 et 29 juin 2021 et fixé la date d'effet de cette annulation au 1er mars 2022.
Il soutient que :
1°) la requête au fond par laquelle il a saisi la cour contient des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation de ces jugements et le rejet des conclusions formées par les associations requérantes devant le tribunal administratif ;
2°) l'exécution de ces jugements risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables et, ce, alors que les moyens qu'il présente au soutien de sa requête sont sérieux.
Par deux mémoires, enregistrés le 4 novembre 2022 à 15h21 et 17h44, la CIMADE, le GISTI, le SAF, la LDH, l'ADDE et le COMEDE, représentés par Me Pialou, concluent au non-lieu à statuer sur la requête et reprennent leur mémoire en défense n°1 dans le dossier 22BX00846.
Vu :
- les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- l'ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 ;
- le décret ° 2015-1423 du 5 novembre 2015 ;
- le décret n° 2016-685 du 27 mai 2016 ;
- le décret n° 2021-313 du 24 mars 2021 ;
- l'arrêté du 23 décembre 2015 portant autorisation d'un traitement automatisé de données à caractère personnel ;
- l'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Didier Artus,
- les conclusions de Mme Isabelle Le Bris, rapporteure publique,
- et les observations de Me Boyencé, représentant la CIMADE, le GISTI, le SAF, la LDH, l'ADDE et le COMEDE.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes enregistrées sous les nos 22BX00846 et 22BX00847 sont dirigées contre les mêmes jugements. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. Au cours de l'année 2020, le préfet de la Guyane a mis en place plusieurs procédures dématérialisées concernant, d'une part, le dépôt et l'instruction de démarches concernant l'accueil et le séjour des étrangers en France, d'autre part, la prise de rendez-vous préalable à ces démarches. Ainsi, le 23 octobre 2020, les services de la préfecture ont indiqué sur leur site internet que la procédure de dépôt d'une demande de duplicata de carte de séjour ou de modification d'adresse ainsi que d'une demande de carte de séjour pour les étudiants se déroulait sur une plateforme informatique dédiée. Le 30 octobre 2020, ils ont indiqué que les demandes d'un premier titre de séjour et, s'agissant spécifiquement des usagers de la sous-préfecture de Saint-Laurent du Maroni, les demandes de document de circulation pour étrangers (DCEM), devaient être précédées d'une prise de rendez-vous en ligne. Le 19 mars 2021, les services préfectoraux ont également exigé la prise de rendez-vous en ligne préalablement à toute demande de renouvellement d'un titre de séjour. Enfin, le 9 juin 2021, ils ont indiqué que les dépôts de demande de carte de séjour portant la mention " passeport talent " devaient se faire sur la plateforme numérique dédiée. Par un courriel du 28 avril 2021 la Cimade et d'autres associations ont demandé au préfet de la Guyane de mettre en place des modalités alternatives d'accès au dépôt d'une demande de délivrance, de renouvellement, de modification ou de duplicata d'un titre de séjour ou d'un DCEM. Le silence gardé pendant plus de deux mois sur ce courriel a fait naître une décision implicite de rejet. Par une requête enregistrée sous le n° 22BX00846, le préfet de la Guyane relève appel des jugements des 28 octobre et 16 décembre 2021 par lesquels le tribunal administratif de la Guyane a annulé la décision révélée du 9 juin 2021 et la décision implicite de rejet du 29 juin 2021, et a fixé la date d'effet de cette annulation au 1er mars 2022.
Sur la recevabilité de la requête du préfet de la Guyane :
3. Aux termes de l'article R. 811-10 du code de justice administrative : " (...) Sauf dispositions contraires, les ministres intéressés présentent devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat ". Aux termes de l'article R. 811-10-1 du même code : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 811-10, le préfet présente devant la cour administrative d'appel les mémoires et observations produits au nom de l'Etat lorsque le litige est né de l'activité des services de la préfecture dans les matières suivantes : / 1° Entrée et séjour des étrangers en France ; (...) ".
4. Le litige relatif aux décisions par lesquelles le préfet de la Guyane a mis en place plusieurs procédures dématérialisées concernant la prise de rendez-vous ainsi que le dépôt et l'instruction des demandes d'accueil et de séjour des étrangers, est né de l'activité des services de la préfecture en matière d'entrée et de séjour des étrangers en France. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent la Cimade et les autres requérants, le préfet de la Guyane a qualité pour faire appel, au nom de l'Etat, des jugements du tribunal administratif de la Guyane des 28 octobre et 16 décembre 2021.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la publication du 9 juin 2021 :
5. Aux termes de l'article R. 311-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en vigueur jusqu'au 30 avril 2021 : " Tout étranger, âgé de plus de dix-huit ans ou qui sollicite un titre de séjour en application de l'article L. 311-3, est tenu de se présenter, à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture, pour y souscrire une demande de titre de séjour du type correspondant à la catégorie à laquelle il appartient. / Toutefois, le préfet peut prescrire que les demandes de titre de séjour soient déposées au commissariat de police ou, à défaut de commissariat, à la mairie de la résidence du requérant. / Le préfet peut également prescrire : / 1° Que les demandes de titre de séjour appartenant aux catégories qu'il détermine soient adressées par voie postale ; / 2° Que les demandes de cartes de séjour prévues aux articles L. 313-7 et L. 313-27 soient déposées auprès des établissements d'enseignement ayant souscrit à cet effet une convention avec l'Etat. (...) ".
6. Le décret du 24 mars 2021 relatif à la mise en place d'un téléservice pour le dépôt des demandes de titres de séjour a modifié notamment les dispositions réglementaires du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la procédure de délivrance des titres de séjour. Son article R. 431-2, dans sa rédaction issue de ce décret, prévoit désormais que, pour les catégories de titres de séjour figurant sur une liste fixée par arrêté du ministre chargé de l'immigration, les demandes s'effectuent au moyen d'un téléservice à compter de la date fixée par le même arrêté. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 19 mai 2021, modifiant l'arrêté du 27 avril 2021 pris en application de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sont effectuées au moyen du téléservice mentionné à l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : (...) / 2° A compter du 25 mai 2021, les demandes de cartes de séjour pluriannuelles portant la mention " passeport talent ", " passeport talent-carte bleue européenne ", " passeport talent-chercheur " ou " passeport talent-chercheur programme mobilité " délivrées en application des articles L. 421-9 à L. 421-11, L. 421-13, L. 421-14, L. 421-16 à L. 421-19 et L. 421-21 du même code (...) / 3° A compter du 7 juin 2021, les demandes de cartes de séjour pluriannuelles portant la mention " passeport talent " délivrées en application de l'article L. 421-20 du même code (...) ".
7. La publication sur le site de la préfecture en date du 9 juin 2021 permettait aux étrangers souhaitant faire une demande de carte de séjour portant la mention " passeport talent ", d'une part, de connaître les critères d'éligibilité à ce titre de séjour et, d'autre part, d'accéder à la plateforme numérique mise en place par le ministère de l'intérieur, sur laquelle ils devaient procéder à la demande de ce titre. Cette publication s'est bornée à rappeler le contenu de dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à décliner, au niveau de la préfecture de la Guyane et sans rien y ajouter, la réglementation prévue par le décret du 24 mars 2021 et l'arrêté du 19 mai 2021. Le préfet de la Guyane est ainsi fondé à soutenir que la publication du 9 juin 2021 ne présente pas de caractère décisoire et n'est, dès lors, pas susceptible de recours. Par suite, le préfet de la Guyane est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a annulé une " décision " du 9 juin 2021.
En ce qui concerne la décision du 29 juin 2021 :
8. En saisissant le préfet de la Guyane le 29 avril 2021, les associations requérantes lui ont demandé de mettre en place des modalités alternatives d'accès au dépôt d'une demande de délivrance, de renouvellement, de modification ou de duplicata d'un titre de séjour ou de demande de document de circulation pour étranger (DCEM) à la seule voie dématérialisée. En gardant le silence à la suite de la réception de ce courrier, le préfet de la Guyane a ainsi implicitement refusé de prévoir des modalités alternatives aux procédures dématérialisées instituées, d'une part, dans le cadre de ses pouvoirs d'organisation de ses services par les publications des 23 octobre et 30 octobre 2020 et du 9 juin 2021 et, d'autre part, dans le cadre de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par la publication du 9 juin 2021.
Sur le cadre juridique du litige :
9. Aux termes de l'article R. 431-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La demande de titre de séjour ne figurant pas dans la liste mentionnée à l'article R. 431-2, est effectuée à Paris, à la préfecture de police et, dans les autres départements, à la préfecture ou à la sous-préfecture ".
10. Il appartient aux préfets, comme à tout chef de service, de prendre les mesures nécessaires au bon fonctionnement de l'administration placée sous leur autorité. Ils peuvent ainsi prendre des dispositions relatives au dépôt des demandes qui leur sont adressées, dans la mesure où l'exige l'intérêt du service, dans le respect des règles ou principes supérieurs et dans la mesure où de telles règles n'y ont pas pourvu. Il en résulte que, sauf dispositions spéciales, les préfets peuvent créer des téléservices pour l'accomplissement de tout ou partie des démarches administratives des usagers.
11. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que, pour certaines catégories de titres de séjour, les demandes doivent s'effectuer obligatoirement au moyen d'un téléservice. Ces catégories sont limitativement énumérées par l'arrêté du 27 avril 2021 et les arrêtés modificatifs des 19 mai et 9 septembre 2021 et des 29 mars et 16 septembre 2022. Ainsi, pour ces titres de séjour, le préfet tire des dispositions de l'article R. 431-2 la compétence pour obliger les étrangers à prendre rendez-vous et présenter leur demande de façon dématérialisée, sous réserve de certaines garanties. En revanche, pour les démarches visant à obtenir un titre de séjour qui ne relève pas de l'article R. 431-2, le préfet de la Guyane ne tient pas de son pouvoir d'organisation de ses services la compétence pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire.
S'agissant des procédures instituées hors du cadre de l'article R. 431-2 :
12. En premier lieu, aux termes du II de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 : " Sont considérés, au sens de la présente ordonnance : / 1° Comme système d'information, tout ensemble de moyens destinés à élaborer, traiter, stocker ou transmettre des informations faisant l'objet d'échanges par voie électronique entre autorités administratives et usagers ainsi qu'entre autorités administratives ; (...) / 4° Comme téléservice, tout système d'information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ". Il résulte de ces dispositions que doit être regardé comme un téléservice au sens de cette ordonnance, non seulement un système permettant à un usager de procéder par voie électronique à l'intégralité d'une démarche ou formalité administrative, mais aussi un système destiné à recevoir, par voie électronique et dans le cadre d'une telle démarche ou formalité, une demande de rendez-vous ou un dépôt de pièces.
13. Ainsi, contrairement à ce qui est soutenu par le préfet de la Guyane, les services permettant aux demandeurs de titre de séjour, par la voie électronique, de solliciter un rendez-vous en préfecture et, le cas échéant, de déposer les pièces nécessaires à l'examen de leur demande constituent des " téléservices " au sens de l'article 1er de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives.
14. En second lieu, et ainsi qu'il a été dit au point 9, le préfet de la Guyane ne saurait se prévaloir de son pouvoir d'organisation du service pour rendre l'emploi de téléservices obligatoire afin de prendre un rendez-vous et déposer une demande en vue d'obtenir un titre de séjour qui ne relève pas du champ de l'article R. 431-2 précité.
S'agissant des procédures instituées dans le cadre de l'article R. 431-2 :
15. En premier lieu, le préfet soutient que son refus implicite du 29 juin 2021 ne concernait pas la dématérialisation des procédures de demandes de titres entrant dans le champ de l'article R. 431-2, et qu'en tout état de cause il était en situation de compétence liée pour émettre un tel refus dès lors que la dématérialisation des demandes de titres de séjour ne constituait que l'application des dispositions de l'article R. 431-2.
16. Cependant, le décret du 24 mars 2021, dont sont issues les dispositions de l'article R. 431-2, a été partiellement annulé par une décision n° 452798 du Conseil d'Etat du 3 juin 2022 en tant qu'il ne prévoyait pas de solution de substitution destinée, par exception, à répondre au cas où, alors même que l'étranger aurait préalablement accompli toutes les diligences qui lui incombent et aurait notamment fait appel au dispositif d'accueil et d'accompagnement prévu, il se trouverait dans l'impossibilité d'utiliser le téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement. Par suite, les moyens soulevés par le préfet de la Guyane tenant à son incompétence ainsi qu'à la situation de compétence liée dans laquelle il se serait trouvé doivent être rejetés.
17. En second lieu, si les dispositions de l'article R. 431-2 donnent compétence au préfet pour rendre obligatoire le recours à un téléservice dans le but de demander certains titres de séjour, l'autorité administrative ne saurait édicter une telle obligation qu'à la condition de permettre l'accès normal des usagers au service public et de garantir aux personnes concernées l'exercice effectif de leurs droits. Il doit tenir compte de l'objet du service, du degré de complexité des démarches administratives en cause et de leurs conséquences pour les intéressés, des caractéristiques de l'outil numérique mis en œuvre ainsi que de celles du public concerné, notamment, le cas échéant, de ses difficultés dans l'accès aux services en ligne ou dans leur maniement.
18. Eu égard aux caractéristiques du public concerné, à la diversité et à la complexité des situations des demandeurs et aux conséquences qu'a sur la situation d'un étranger, notamment sur son droit à se maintenir en France et, dans certains cas, à y travailler, l'enregistrement de sa demande, il incombe à l'autorité administrative, lorsqu'elle impose le recours à un téléservice pour l'obtention de certains titres de séjour, de prévoir les dispositions nécessaires pour que bénéficient d'un accompagnement les personnes qui ne disposent pas d'un accès aux outils numériques ou qui rencontrent des difficultés soit dans leur utilisation, soit dans l'accomplissement des démarches administratives. Il lui incombe, en outre, pour les mêmes motifs, de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution pour le cas où certains demandeurs se heurteraient, malgré cet accompagnement, à l'impossibilité de recourir au téléservice pour des raisons tenant à la conception de cet outil ou à son mode de fonctionnement.
19. Or, si le préfet de la Guyane se prévaut des mesures qui ont été mises en place afin d'accompagner les personnes concernées dans l'utilisation du téléservice, il ressort des pièces du dossier qu'il n'a pas prévu de solution de substitution dans le cas évoqué au point précédent.
20. Par suite, le préfet de la Guyane n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de la Guyane a annulé sa décision du 29 juin 2021.
21. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Guyane est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a annulé la publication du 9 juin 2021.
Sur les conclusions à fin de sursis à exécution :
22. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation des jugements du tribunal administratif de la Guyane, les conclusions de la requête n° 22BX00847 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution des mêmes jugements sont devenues sans objet.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement aux associations requérantes de la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'article 1er du jugement n° 2100900 du 28 octobre 2021 du tribunal administratif de la Guyane ainsi que l'article 1er du jugement n° 2100900 du 16 décembre 2021 seulement en ce qu'il concerne la publication du 9 juin 2021 sont annulés.
Article 2 : Le surplus de la requête n° 22BX00846 du préfet de la Guyane est rejeté.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 22BX00847 du préfet de la Guyane.
Article 4 : L'Etat versera aux associations en défense la somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la Cimade, au Groupe d'information et de soutien des immigrés, au Syndicat des avocats de France, à la Ligue des droits de l'Homme, à l'association Avocats pour la défense des droits des étrangers et au Comité pour la santé des exilés.
Copie sera adressée au préfet de la Guyane.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2022 à laquelle siégeaient :
M. Didier Artus, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Agnès Bourjol, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 janvier 2023.
La présidente-assesseure,
Marie-Pierre Beuve Dupuy
Le président,
Didier Artus
La greffière,
Sylvie Hayet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 22BX00846, 22BX00847