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29/12/2021 | FRANCE | N°20BX03521

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 29 décembre 2021, 20BX03521


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... B... C..., Mme H... B... C... et M. J... G... ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 90 000 euros en leur qualité d'ayants droit et une somme de 50 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, en réparation des préjudices résultant du décès de leur mère, Mme E... F..., survenu le 29 mars 2011 dans les locaux de la gendarmerie de Pamandzi.

Par un jugement n° 1500009 du 22 décembre 2016, le tribunal a condamné l'Etat à

verser à chacun d'eux une indemnité globale de 10 000 euros et a rejeté le surplu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... B... C..., Mme H... B... C... et M. J... G... ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 90 000 euros en leur qualité d'ayants droit et une somme de 50 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, en réparation des préjudices résultant du décès de leur mère, Mme E... F..., survenu le 29 mars 2011 dans les locaux de la gendarmerie de Pamandzi.

Par un jugement n° 1500009 du 22 décembre 2016, le tribunal a condamné l'Etat à verser à chacun d'eux une indemnité globale de 10 000 euros et a rejeté le surplus de leur demande.

Procédure initiale devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2017, M. B... C..., Mme B... C... et M. G... demandent à la cour :

1°) de réformer ce jugement en tant qu'il a limité à 10 000 euros l'indemnisation allouée à chacun d'eux ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 90 000 euros en leur qualité d'ayants droit et une somme de 50 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal a omis de statuer sur leurs conclusions tendant à la réparation du préjudice personnellement subi par Mme F... qui, avant son décès, a vu la mort venir sans pouvoir agir du fait de sa rétention ;

- c'est à tort que le tribunal a opéré un partage de responsabilité dès lors que leur mère avait toutes les chances de survivre dans l'hypothèse d'une prise en charge médicale adaptée, et que les dysfonctionnements des services de l'Etat sont la cause exclusive de son décès ;

- l'évaluation de leur préjudice moral par les premiers juges est insuffisante.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 mai 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- le tribunal n'a pas omis de statuer sur les conclusions relatives au préjudice subi par Mme F... ;

- Mme F... a commis une imprudence fautive en montant volontairement à bord d'un " kwassa kwassa " surchargé pour entreprendre une traversée dont elle ne pouvait ignorer la dangerosité, alors en outre qu'elle présentait un état de santé fragile ; elle n'a pas respecté les consignes des services de secours relatives à une réhydratation progressive, ce qui a contribué au choc hydro-électrolytique dont elle a été victime; elle n'a pas non plus indiqué aux services de secours son état ou ses antécédents médicaux ; c'est ainsi à juste titre que le tribunal a retenu un partage de responsabilité ;

- l'indemnité allouée est suffisante.

Par un arrêt n° 17BX00250 du 7 février 2019, la cour a réformé le jugement du tribunal administratif de Mayotte du 22 décembre 2016 en condamnant l'Etat à verser aux requérants une somme globale de 5 000 euros en leur qualité d'ayants droit et une somme de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, et a rejeté le surplus de leur demande.

Par une décision n° 429383 du 23 octobre 2020, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire en défense enregistré le 9 février 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête de M. B... C... et autres.

Il fait valoir que :

- le jugement n'est pas entaché d'irrégularité ;

- le caractère non exclusif de la responsabilité de l'Etat ne fait plus débat après cassation ; Mme F... présentait une surcharge pondérale marquée, un diabète de type II et une hypertension artérielle, et comme l'a indiqué le médecin légiste, le stress, l'hyperthermie, le manque d'eau et de nourriture, des brûlures thoraciques au second degré et un épuisement physique en lien avec la traversée en mer et le naufrage sont susceptibles d'avoir entraîné une décompensation de ses pathologies ; si l'expert missionné par le tribunal de grande instance

de Mamoudzou a estimé qu'une prise en charge dès l'arrivée à terre aurait " très certainement " permis d'éviter une aggravation de l'état de santé de Mme F..., la mortalité du coma hypersolaire présenté par l'intéressée à son arrivée à Mayotte, de l'ordre de 5 à 20 %, était amplifiée en l'espèce par l'existence de comorbidités ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a limité la responsabilité de l'Etat à 50 % ;

- les requérants ne démontrent pas que l'indemnisation allouée par le tribunal serait insuffisante.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... F..., ressortissante comorienne née en 1959, a entrepris

le 26 mars 2011 une traversée en mer entre l'île d'Anjouan dans les Comores et Mayotte, sur un canot de pêche dit " kwassa kwassa ". Dans la soirée du 26 mars 2011, l'embarcation a fait naufrage, et douze passagers ont disparu en mer. Les vingt-trois autres, dont Mme F..., ont dérivé durant trois jours sur le canot, dont la présence a été signalée par des pêcheurs aux services de gendarmerie de Mayotte le 29 mars 2011 vers 4 heures. Vers 7 heures 40, les passagers du " kwassa kwassa " ont été secourus par un bateau de la brigade nautique de gendarmerie, lequel a accosté au port de Dzaoudzi à 9 heures 30. Deux des rescapés ont été transportés à l'hôpital par des sapeurs-pompiers, et les autres, dont Mme F..., ont été conduits dans les locaux de la gendarmerie de Pamandzi où ils ont été placés dans une première salle de garde à vue vers 9 heures 45 et ont reçu vivres et boissons. Vers 12 heures 35, ils ont été transférés, du fait de l'interception d'un autre " kwassa kwassa " avec arrivée de 55 personnes, dans une autre salle de 7,97 m², où Mme F... a été retrouvée inconsciente dix minutes plus tard. Son décès a été constaté par un médecin urgentiste à 13 heures 04. Un rapport d'autopsie établi le 20 avril 2011 a conclu à une " mort naturelle en rapport avec la survenue de troubles hydro-électrolytiques et métaboliques majeurs, en particulier une déshydratation marquée avec probable déséquilibre de la glycémie, sur terrain fragilisé, dans des conditions de pénibilité particulières ".

2. Après que la chambre de l'instruction puis la cour d'appel ont rendu, respectivement les 7 octobre 2013 et 4 février 2014,un non-lieu général sur la plainte avec constitution de partie civile de M. B... C..., Mme B... C... et M. G... à l'encontre des différents professionnels intervenus dans la prise en charge des rescapés, les trois enfants

de A... F... ont demandé le 8 janvier 2015 au tribunal administratif de Mayotte

de condamner l'Etat à leur verser une somme globale de 90 000 euros au titre des préjudices subis par leur mère avant son décès, ainsi qu'une somme de 50 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral. Par un jugement du 22 décembre 2016, le tribunal a retenu une imputabilité partielle du décès à l'Etat, à hauteur de 50 %, et condamné l'Etat à verser une indemnité globale de 10 000 euros à chacun des enfants de A... F..., incluant une part de préjudices subis par leur mère. M. B... C..., Mme B... C... et M. G... ont relevé appel de ce jugement. Par un arrêt du 7 février 2019, la cour a retenu l'entière responsabilité de l'Etat et a porté l'indemnisation des requérants aux sommes de 5 000 euros en leur qualité d'ayants droit de leur mère décédée et de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral. Saisi d'un pourvoi en cassation par le ministre de l'intérieur, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour par une décision n° 429383 du 23 octobre 2020.

Sur la régularité du jugement :

3. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le tribunal administratif a statué, au point 7 du jugement, sur leurs conclusions, présentées en qualité d'ayants droit

de Mme F..., tendant à la réparation du préjudice moral subi par cette dernière avant son décès.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

4. Les premiers juges ont qualifié de fautes de nature à engager la responsabilité de l'Etat l'absence d'alerte du coordonnateur de mission de sauvetage de permanence par l'équipage du navire de gendarmerie malgré l'état inquiétant des passagers de l'embarcation, faisant obstacle à l'intervention de services de secours spécialisés, puis l'absence d'organisation d'une prise en charge médicale lors du débarquement des rescapés, tant à Dzaoudzi qu'à la gendarmerie de Pamandzi, et enfin l'enfermement de Mme F... dans une cellule exiguë et surpeuplée malgré son état visiblement très dégradé. Ces fautes ne sont pas contestées.

5. Il résulte de l'instruction, notamment des conclusions de l'expert missionné par un magistrat instructeur du tribunal de grande instance de Mamoudzou, qu'un traitement de la déshydratation de Mme F..., associé à une surveillance médicale, aurait permis d'éviter l'aggravation de son état de santé et, par suite, son décès. Toutefois, l'intéressée, dont la santé était fragile en raison d'un diabète de type II et d'une hypertension artérielle, avait pris le risque d'entreprendre une traversée dangereuse sur une embarcation de fortune. Il sera fait une juste appréciation de la part de responsabilité de l'Etat en fixant celle-ci à 50 % des conséquences

du dommage.

En ce qui concerne les préjudices :

6. La demande présentée par les requérants en leur qualité d'ayants droit porte seulement sur un préjudice moral d'angoisse de mort imminente, dont l'existence ne peut être déduite des témoignages recueillis lors de l'enquête pénale, selon lesquels Mme F... tenait des " propos incohérents " ou " délirait ".

7. Dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par les enfants de A... F..., âgés de 29 ans, 27 ans et 15 ans à la date du décès de leur mère, en l'évaluant à 20 000 euros pour chacun d'eux, soit 10 000 euros après application de la part de responsabilité de l'Etat.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... C..., Mme B... C...

et M. G... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Mayotte a condamné l'Etat à verser à chacun d'eux une indemnité

de 10 000 euros.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

9. Les requérants, qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... C..., Mme B... C... et M. G... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... B... C..., à Mme H... B... C..., à M. J... G... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 30 novembre 2021 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

Mme Nathalie Gay, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2021.

La rapporteure,

Anne D...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffer,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

3

N° 20BX03521


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03521
Date de la décision : 29/12/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Causes exonératoires de responsabilité - Faute de la victime.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET MANSOUR KAMARDINE

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2021-12-29;20bx03521 ?
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