La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/02/2019 | FRANCE | N°17BX00250

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 3ème chambre - formation à 3, 07 février 2019, 17BX00250


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E..., agissant en leur qualité d'héritiers de Mme A...D...et en leur nom propre, ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices subis par Mme A...D...avant son décès survenu le 29 mars 2011 ainsi que de leur préjudice moral lié au décès de cette dernière.

Par un jugement n° 1500009 du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de Mayotte a condamné l'Etat à leur verser à chacun une indemnité de 10 000

euros, et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par un...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E..., agissant en leur qualité d'héritiers de Mme A...D...et en leur nom propre, ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices subis par Mme A...D...avant son décès survenu le 29 mars 2011 ainsi que de leur préjudice moral lié au décès de cette dernière.

Par un jugement n° 1500009 du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de Mayotte a condamné l'Etat à leur verser à chacun une indemnité de 10 000 euros, et a rejeté le surplus de leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 janvier 2017, M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E..., représentés par MeF..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 22 décembre 2016 du tribunal administratif de Mayotte en tant qu'il a limité au montant de 10 000 euros l'indemnisation allouée à chacun d'eux ;

2°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 50 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, et, en leur qualité d'héritiers de Mme A...D..., la somme globale de 90 000 euros en réparation des préjudices subis par cette dernière ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le tribunal a omis de statuer sur leurs conclusions tendant à la réparation du préjudice personnellement subi par Mme A...D... ;

- c'est à tort que le tribunal a opéré un partage de responsabilité ; la faute qu'aurait commise Mme A...D...n'est pas la cause de la survenance de son décès ; elle avait toutes les chances de survivre dans l'hypothèse d'une prise en charge médicale adaptée ; les dysfonctionnements des services de l'Etat sont ainsi la cause exclusive de son décès ;

- le tribunal a fait une inexacte évaluation de leur préjudice moral en l'évaluant au mont de 20 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 mai 2017, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le tribunal n'a pas omis de statuer sur les conclusions indemnitaires relatives au préjudice subi par Mme A...D... ;

- le tribunal a prononcé à juste titre un partage de responsabilité ; Mme A...D...a commis une faute d'imprudence en montant volontairement à bord d'un " kwassa kwassa " surchargé pour entreprendre une traversée dont elle ne pouvait ignorer la dangerosité, alors en outre qu'elle présentait un état de santé fragile ; elle n'a pas respecté les consignes des services de secours relatives à une réhydratation progressive, comportement qui a contribué au choc hydro-électrolytique dont elle a été victime ; elle n'a pas non plus indiqué aux services de secours son état ou ses antécédents médicaux ;

- le préjudice moral subi par les requérants et leur mère n'est pas établi, hormis par l'établissement d'un lien familial ; dans ces conditions, l'indemnité accordée par le tribunal est d'un montant suffisant.

Par une ordonnance du 9 mai 2017, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 7 juillet 2017.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers à Mayotte ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy,

- et les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A...D..., ressortissante comorienne née le 12 mai 1959, a entrepris le 26 mars 2011 la traversée en mer entre l'Île d'Anjouan, qui appartient à l'archipel des Comores, et Mayotte. Dans la soirée du 26 mars 2011, l'embarcation, dite " kwassa kwassa ", sur laquelle elle se trouvait avec une quarantaine de personnes a subi une panne de moteur, puis a fait naufrage. Environ dix passagers ont disparu en mer, tandis que les autres passagers, dont Mme A...D..., sont parvenus à reprendre place dans l'embarcation et ont entrepris de rejoindre Mayotte en ramant à l'aide de leurs mains. Après trois journées de dérive, l'embarcation a rejoint les eaux territoriales de Mayotte. La présence de l'embarcation a été signalée par des pêcheurs aux services de gendarmerie de Mayotte le 29 mars 2011 vers 4 heures. Vers 7h40, les passagers du " kwassa kwassa " ont été secourus par un bateau de la brigade nautique de gendarmerie, lequel a accosté au port de Dzaoudzi à 9 heures 30. Deux des rescapés ont été transportés à l'hôpital par des sapeurs-pompiers, et 21 autres, dont Mme A...D..., ont été conduits dans les locaux de la gendarmerie de Pamandzi. A leur arrivée, vers 9 heures 45, ils ont été placés dans une cellule et ont reçu boisson et nourriture. Vers 12h15, les 21 rescapés ont été transférés dans une cellule exiguë d'une superficie de 7, 97 m². Mme A...D...y est décédée vers 12h30. Un rapport d'autopsie établi le 20 avril 2011 a conclu à une " mort naturelle en rapport avec la survenue de troubles hydro-électrolytiques et métaboliques majeurs, en particulier une déshydratation marquée avec probable déséquilibre de la glycémie, sur terrain fragilisé, dans des conditions de pénibilité particulières ". M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E..., enfants de Mme A...D...nés, respectivement, les 28 décembre 1981, 9 décembre 1983 et 18 novembre 1995, ont demandé au tribunal administratif de Mayotte de condamner l'Etat à les indemniser des préjudices subis par Mme A...D...avant son décès survenu le 29 mars 2011 ainsi que de leur préjudice moral lié au décès de cette dernière. Par un jugement n° 1500009 du 22 décembre 2016, le tribunal administratif de Mayotte a condamné l'Etat à leur verser, chacun, une indemnité de 10 000 euros. Ils font appel de ce jugement en tant qu'il a limité leur indemnisation à la somme de 10 000 euros chacun et demandent à la cour de condamner l'Etat à leur verser une somme de 50 000 euros chacun en réparation de leur préjudice moral, et, en leur qualité d'héritiers de Mme A...D..., une somme globale de 90 000 euros en réparation des préjudices subis par cette dernière avant son décès.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, le tribunal administratif a statué, au point 7 du jugement, sur leurs conclusions, présentées en qualité d'héritiers de Mme A...D..., tendant à la réparation du préjudice personnellement subi par cette dernière avant son décès.

Au fond :

En ce qui concerne la responsabilité de l'Etat :

S'agissant des négligences fautives de l'administration :

3. Comme le relève le jugement attaqué, qui n'est pas discuté par les parties sur ce point, une succession de négligences fautives de l'administration est à l'origine du décès de Mme A...D.... Ainsi, alors que l'état des passagers du " kwassa kwassa ", qui présentaient des brûlures et un état de déshydratation avancé, révélait que leur embarcation avait fait naufrage puis longuement dérivé, l'équipage du navire de gendarmerie n'a pas alerté le coordonnateur de mission de sauvetage de permanence, ce qui a fait obstacle à la mise en oeuvre, à l'initiative de ce dernier, d'un plan SECMAR impliquant l'intervention de services de secours spécialisés. Puis, lors du débarquement des rescapés à Dzaoudzi, malgré l'état d'épuisement extrême de certains d'entre eux, dont Mme A...D..., aucun dispositif de prise en charge médicale n'a davantage été mis en place. Mme A...D...a enfin été maintenue dans des locaux exigus de la gendarmerie de Pamandzi, sans aucune prise en charge médicale, en dépit de la dégradation manifeste de son état.

S'agissant des fautes de la victime :

4. Il résulte de l'instruction, notamment des conclusions de l'expert missionné par un magistrat instructeur du tribunal de grande instance de Mamoudzou, qu'un traitement médical de la déshydratation de Mme A...D..., atteinte d'un diabète type II, associé à une surveillance médicale, auraient permis d'éviter l'aggravation de son état de santé et, par suite, son décès. Dans ces conditions, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, le fait que cette dernière ait pris le risque d'entreprendre une traversée, qu'elle savait dangereuse, sur une embarcation de fortune, n'est pas à l'origine de son décès, dont la cause déterminante est la succession de négligences fautives décrites au point 3 du présent arrêt. Il n'est pas davantage établi que le décès de Mme A...D...aurait pour cause un non-respect par cette dernière des consignes des services de secours relatives à une réhydratation progressive. Il ne saurait enfin sérieusement lui être reproché, eu égard à l'état d'extrême faiblesse et de confusion mentale dans lequel elle se trouvait, de ne pas avoir alerté les agents sur son état de santé et ses antécédents médicaux. Par suite, et ainsi que le font valoir les appelants, l'Etat doit être déclaré entièrement responsable du décès de Mme A...D....

En ce qui concerne les préjudices :

5. D'une part, il sera fait une juste appréciation des souffrances physiques et morales endurées par Mme A...D...durant les heures ayant précédé son décès, causées par les négligences fautives décrites au point 3 du présent arrêt, en les évaluant à une somme globale de 5 000 euros.

6. D'autre part, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral subi par M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E...du fait de la disparition de leur mère, eu égard à leur âge à la date du décès, soit 29 ans, 27 ans et 15 ans, en leur allouant, chacun, une somme de 20 000 euros.

7. Il résulte de ce qui précède que l'Etat doit être condamné à verser à M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E...une somme globale de 5 000 euros au titre du préjudice personnel subi par Mme A...D..., et une somme de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral. M. C...G..., Mme B...G...et M. H... E...sont fondés à demander, dans cette seule mesure, la réformation du jugement attaqué.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, une somme globale de 1 500 euros au bénéfice de M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E....

DECIDE :

Article 1er : L'Etat est condamné à verser à M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E..., d'une part, en leur qualité d'ayants droit de Mme A...D..., une somme globale de 5 000 euros, et, d'autre part, au titre de leur préjudice personnel, une somme de 20 000 euros chacun.

Article 2 : Le jugement n° 1500009 du tribunal administratif de Mayotte du 22 décembre 2016 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera une somme globale de 1 500 euros à M. C...G..., Mme B... G...et M. H...E...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C...G..., Mme B...G...et M. H...E...est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...G..., à Mme B...G..., à M. H...E..., au ministre de la justice, au ministre de l'intérieur et au préfet de Mayotte.

Délibéré après l'audience du 10 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

M. Aymard de Malafosse, président,

M. Laurent Pouget, président-assesseur,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,

Lu en audience publique, le 7 février 2019.

Le rapporteur,

Marie-Pierre BEUVE DUPUYLe président,

Aymard de MALAFOSSELe greffier,

Christophe PELLETIER

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

5

N° 17BX00250


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17BX00250
Date de la décision : 07/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Causes exonératoires de responsabilité - Faute de la victime.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Créancier du droit à indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. DE MALAFOSSE
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre BEUVE-DUPUY
Rapporteur public ?: Mme DE PAZ
Avocat(s) : CABINET MANSOUR KAMARDINE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-07;17bx00250 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award