Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 17 mars 2021 de la préfète de la Charente portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2100875 du 18 mai 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Mme B... D... épouse E... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler l'arrêté du 17 mars 2021 de la préfète de la Charente portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2100876 du 18 mai 2021, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le n° 21BX02504 le 16 juin 2021, M. E..., représenté par Me Coustenoble, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 mars 2021 de la préfète de la Charente portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination ;
3°) à titre subsidiaire, de suspendre les effets de l'arrêté précité jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur le recours qu'il a présenté contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- devant le tribunal le principe du contradictoire a été méconnu dès lors qu'il a bénéficié de moins de 24 h pour prendre connaissance du mémoire en défense du préfet en méconnaissance de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté a été signé par une autorité incompétente ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il méconnaît les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
II. Par une requête, enregistrée sous le n° 21BX02510 le 16 juin 2021, Mme D... épouse E..., représentée par Me Coustenoble, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 mars 2021 de la préfète de la Charente portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination ;
3°) à titre subsidiaire, de suspendre les effets de l'arrêté précité jusqu'à ce que la Cour nationale du droit d'asile ait statué sur le recours qu'il a présenté contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rejetant sa demande d'asile ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 400 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle reprend les mêmes moyens que ceux soulevés dans la requête n° 21BX02504.
M. E... et Mme D... épouse E... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 7 octobre 2021.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Fabienne Zuccarello a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... et Mme D... épouse E..., ressortissants arméniens nés en 1970 et en 1977, ont déclaré être entrés en France le 12 janvier 2018. L'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a rejeté leurs demandes d'asile par des décisions du 30 octobre 2020, notifiées le 10 novembre 2020. M. E... et Mme D... épouse E... ont introduit, le 10 décembre 2020, des recours contre ces décisions devant la Cour nationale du droit d'asile. Ils ont saisi le tribunal administratif de Poitiers de demandes d'annulation des arrêtés du 17 mars 2021 de la préfète de la Charente portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination. Par les requêtes enregistrées sous les numéros 21BX02504 et 21BX02510, M. E... et Mme D... épouse E... relèvent appel des jugements du 18 mai 2021 rejetant leurs demandes. Ces deux requêtes, qui concernent les membres d'une même famille, présentent à juger des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire (...) ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-2 à R. 611-6 (...) ". Il ressort des pièces du dossier que le premier mémoire en défense produit par la préfète de la Charente le 3 mai 2021, à 15h02 en ce qui concerne l'instance relative à M. E... et à 14h34 pour l'instance relative à Mme D... épouse E..., a été communiqué au conseil des intéressés le même jour respectivement à 15h28 et 15h29, soit moins de 24 heures avant la tenue de l'audience le 4 mai 2021 à 11 heures. En se fondant sur ce mémoire, accompagné de pièces jointes, pour rejeter les demandes de M. E... et de Mme D... épouse E..., qui n'ont pu disposer d'un délai suffisant pour y répondre, le premier juge a méconnu le caractère contradictoire de l'instruction et a entaché ses jugements d'irrégularité. Dès lors M. E... et Mme D... épouse E... sont fondés à soutenir que les jugements attaqués sont intervenus à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander, pour ce motif, l'annulation.
3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les demandes présentées par M. E... et Mme D... épouse E... devant le tribunal administratif de Poitiers.
Sur la légalité des décisions attaquées :
4. En premier lieu, par un arrêté du 12 mars 2021, publié au recueil des actes administratifs spécial du département du même jour, la préfète de la Charente a donné délégation à Mme Nathalie Valleix, secrétaire générale, à l'effet de signer tous les arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat et ainsi notamment les décisions portant obligation de quitter le territoire et fixation du pays de destination. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions contestées doit être écarté.
5. En deuxième lieu, les arrêtés contestés visent les textes dont ils font application, mentionnent les faits relatifs à la situation personnelle de M. E... et de Mme D... épouse E... et indiquent qu'ils ne bénéficient plus du droit de se maintenir sur le territoire français suite au rejet de leurs demandes d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides. Par suite, M. E... et Mme D... épouse E... ne sont pas fondés à soutenir que les arrêtés attaqués sont insuffisamment motivés.
6. En troisième lieu, M. E... et Mme D... épouse E..., qui sont entrés en France à l'âge de 48 ans et de 41 ans, font valoir que leur fils C... âgé de 13 ans est scolarisé depuis 2019 au collège Pierre Bodet après avoir été inscrit dès son arrivée en France à l'école primaire. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à caractériser l'existence de liens stables et anciens en France ni à faire obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue en Arménie. Dans ces conditions, en l'absence d'élément permettant d'attester une intégration sociale ou professionnelle dans la société française et en l'absence de l'existence de liens d'une intensité particulière, la préfète de la Charente n'a pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels elle a pris les décisions attaquées et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
7. En quatrième lieu, selon l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".
8. M. E... et Mme D... épouse E... font valoir que leur retour en Arménie les exposerait personnellement au risque de subir des actes de violence physique et qu'ils ne peuvent s'en remettre aux autorités de ce pays pour les protéger en raison des opinions politiques de M. E.... Toutefois, ils n'apportent aucun élément probant de nature à établir la réalité de ce risque. Au demeurant, leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.
9. En cinquième lieu, et pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 6, le moyen de ce que les arrêtés contestés seraient entachés d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur la situation personnelle des intéressés doit être écarté.
10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de M. E... et de Mme D... épouse E... tendant à l'annulation des arrêtés du 17 mars 2021 de la préfète de la Charente doivent être rejetées.
Sur les conclusions à fins de suspension de l'exécution des obligations de quitter le territoire français :
11. Il est fait droit à la demande de suspension de la mesure d'éloignement si le juge a un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet ou d'irrecevabilité opposée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à la demande de protection, au regard des risques de persécutions allégués ou des autres motifs retenus par l'Office.
12. En l'espèce, M. E... et Mme D... épouse E... ne produisent pas d'élément de nature à faire naître un doute sérieux sur le bien-fondé de la décision de rejet de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides au regard des risques de persécution allégués. En l'absence d'éléments suffisamment sérieux pour justifier leur maintien en France le temps de l'examen de leur recours devant la Cour nationale du droit d'asile, les conclusions de M. E... et de Mme D... épouse E... tendant à la suspension de l'exécution des décisions portant obligation de quitter le territoire français doivent être rejetées.
13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par M. E... et Mme D... épouse E... à fin d'annulation et de suspension des arrêtés du 17 mars 2021 portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixation du pays de destination doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Les jugements n° 2100875 et 2100876 du 18 mai 2021 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.
Article 2 : Les demandes de première instance de M. E... et de Mme D... épouse E... et leurs conclusions d'appel sont rejetées.
Articles 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Mme B... D... épouse E... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée à la préfète de la Charente.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, présidente,
Mme Fabienne Zuccarello, présidente-assesseure,
Mme Christelle Brouard-Lucas, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 décembre 2021.
La rapporteure,
Fabienne Zuccarello La présidente,
Marianne Hardy
La greffière,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 21BX02504, 21BX02510 4