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17/12/2019 | FRANCE | N°17BX03677

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 5ème chambre, 17 décembre 2019, 17BX03677


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... H...-J..., Mme T... I..., M. et Mme E... D..., M. et Mme R... Q..., M. et Mme C... K..., M. O... D..., M. et Mme M... D..., Mme G... S... et Mme L... P... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 11 avril 2014 par laquelle le préfet de la Charente a délivré à la société Méthane Invest Bleu le récépissé de sa déclaration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement pour une unité de méthanisation sur

le territoire de la commune de Brillac.

Par un jugement n° 1500942 du 27 septe...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme A... H...-J..., Mme T... I..., M. et Mme E... D..., M. et Mme R... Q..., M. et Mme C... K..., M. O... D..., M. et Mme M... D..., Mme G... S... et Mme L... P... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision du 11 avril 2014 par laquelle le préfet de la Charente a délivré à la société Méthane Invest Bleu le récépissé de sa déclaration au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement pour une unité de méthanisation sur le territoire de la commune de Brillac.

Par un jugement n° 1500942 du 27 septembre 2017, le tribunal a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 27 novembre 2017, le 25 juin 2018 et le 16 avril 2019, M. et Mme A... H...-J..., M. et Mme R... Q..., Mme L... P..., Mme G... S... et Mme T... I..., représentés par Me F..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement n° 1500942 du tribunal administratif de Poitiers du 27 septembre 2017 ;

2°) de renvoyer l'affaire devant le tribunal administratif de Poitiers ;

3°) à défaut, d'annuler le récépissé de déclaration du 11 avril 2014 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Méthane Invest Bleu la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent, en ce qui concerne leur intérêt à agir en première instance, que :

- c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leur demande pour défaut d'intérêt à agir ;

- l'arrêté en litige délivre récépissé pour l'exploitation d'une unité de méthanisation sur une exploitation agricole ; cette installation consiste à transformer le site de l'exploitation en une unité de production de biogaz et nécessite la construction d'un digesteur en béton, de silos de stockage et de deux conteneurs ;

- Mme H..., M. J..., M. et Mme Q... et Mme I... résident à 750 mètres du lieu d'implantation de ce projet, Mme S... à 2 000 mètres et Mme P... à 2 400 mètres de celui-ci ; compte tenu de l'ampleur du projet et de la faible distance qui le sépare de leurs habitations, ces derniers ont la qualité de voisins immédiats ; ils ont établi que l'unité de méthanisation allait modifier les lieux, composés d'un paysage rural préservé et entraîner des nuisances acoustiques et olfactives ; il ne ressort pas des éléments produits en première instance que des haies nombreuses et hautes permettraient de masquer l'installation déclarée ; l'industrialisation du site va affecter leur cadre de vie alors qu'ils bénéficiaient jusqu'alors d'une vue dégagée sur un paysage naturel préservé ; l'installation va engendrer une circulation routière source de nuisances, notamment sonores.

Ils soutiennent, en ce qui concerne la légalité de la décision attaquée, que :

- il n'est pas établi que le signataire du récépissé délivré disposait d'une délégation de signature lui permettant de prendre cette décision qui relève de la compétence du préfet ;

- le projet de la société Méthane Bleu Invest aurait dû être soumis au régime de l'enregistrement et non à celui de la déclaration et il appartenait au préfet d'en aviser cette dernière en application de l'article R. 512-48 du code de l'environnement ; si la société a déclaré un tonnage moyen de 29,9 tonnes de matières traitées par jour, il est établi que ce calcul est erroné compte tenu que le tonnage maximum annuel a été fixé à 11 910 tonnes, soit 32,63 tonnes de matières traitées quotidiennement ; il incombait en conséquence à la société de déposer un dossier d'enregistrement au titre des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'installation d'une usine de méthanisation va conduire à une industrialisation du site avec l'installation de différentes structures en béton ; le projet est donc de nature à porter atteinte aux paysages environnants ; en délivrant le récépissé, le préfet a méconnu l'article 2 de l'annexe I de l'arrêté du 10 novembre 2009 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation soumises à déclaration ; il a aussi méconnu les articles L. 512-8 et L. 512-10 du code de l'environnement.

Par des mémoires en défense, présentés le 20 décembre 2018 et le 20 mai 2019, la société Méthane Invest Bleu, représentée par la SCP Pielberg-Kolenc, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des requérants la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient, en ce qui concerne l'intérêt à agir, que :

- c'est à juste titre que les premiers juges ont écarté l'intérêt à agir des requérants dont les habitations sont au plus proche du projet séparées par 750 mètres de distance et plusieurs champs entourés de haies arbustives ; la hauteur du bâtiment autorisé est inférieure à celle des bâtiments agricoles existants ; les nuisances olfactives alléguées ne sont pas établies au dossier, d'autant que le processus de méthanisation ne s'effectue pas à l'air libre et que le projet ne générera donc pas d'odeurs à l'extérieur ; la desserte du site par les véhicules ne se fera pas à proximité des maisons d'habitation des requérants.

Elle soutient, au fond, que :

- les moyens soulevés doivent être écartés comme infondés.

Par un mémoire, enregistré le 17 avril 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il soutient, en ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance, que :

- c'est à juste titre que les premiers juges ont refusé d'admettre l'intérêt à agir des requérants compte tenu de la distance qui sépare leur habitation du lieu d'exploitation et de la configuration des lieux ; les nuisances olfactives alléguées ne sont pas établies ; il n'est pas démontré que le passage quotidien de camions en nombre limité serait de nature à causer un désagrément aux requérants ; le fonctionnement de l'installation n'entraînera pas non plus de nuisances sonores particulières ;

Il soutient, au fond, que :

- les moyens soulevés doivent être écartés comme infondés.

Par ordonnance du 18 avril 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 20 mai 2019 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 10 novembre 2009 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation soumises à déclaration sous la rubrique n° 2781-1 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. O... B...,

- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,

- et les observations de Me F..., représentant Mme H... et autres.

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 avril 2014, le préfet de la Charente a délivré à la société Méthane Invest Bleu, au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l'environnement, récépissé de sa déclaration pour la mise en service d'une unité de méthanisation située au lieu-dit " La Vergne Bauton ", sur le territoire de la commune de Brillac. M. et Mme H...-J..., Mme I..., M. et Mme E... D..., M. et Mme Q..., M. et Mme K..., M. O... D..., M. et Mme M... D..., Mme S..., Mme L... P... ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler le récépissé du 11 avril 2014. M. et Mme H...-J..., M. et Mme Q..., Mme P..., Mme S... et Mme I... relèvent appel du jugement rendu le 27 septembre 2017 par lequel le tribunal a rejeté leur demande comme irrecevable pour défaut d'intérêt à agir.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'environnement : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Aux termes de l'article L. 512-8 du même code : " Sont soumises à déclaration les installations qui, ne présentant pas de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d'assurer dans le département la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1. (...) ". En vertu de l'article R. 514-3-1 du code de l'environnement, les autorisations délivrées aux exploitants d'installations classées pour la protection de l'environnement peuvent être déférées à la juridiction administrative par les tiers intéressés en raison des inconvénients ou des dangers que le fonctionnement de l'installation présente pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1.

3. Pour contester une décision prise au titre de la police des installations classées pour la protection de l'environnement, les tierces personnes physiques doivent justifier d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

4. Il résulte de l'instruction que le projet en litige est implanté dans une zone de bocages dédiée à l'activité agricole. Les pièces du dossier, et notamment des vues aériennes produites par les requérants eux-mêmes, établissent que M. et Mme H...-J..., Mme I..., M. et Mme Q... demeurent .... S'il n'est certes pas établi au dossier que la construction projetée serait visible depuis les demeures des requérants, il n'en reste pas moins que la distance de 750 mètres est relativement faible s'agissant d'une usine destinée à traiter en moyenne 29,9 tonnes de matières par jour.

5. A cet égard, les requérants font valoir que l'unité de méthanisation projetée entraînera pour eux des nuisances olfactives. Il résulte de l'instruction que le stockage des déchets avant incorporation dans le digesteur est de nature à émettre des odeurs même si les fumiers acheminés sur le site doivent être entreposés dans des structures bétonnées et bâchées, les digestats liquides stockés dans une structure couverte et les digestats solides placés sous abri. Eu égard aux nuisances olfactives susceptibles d'être engendrées par le processus de méthanisation, alors même que celui-ci ne se réalise pas à l'aire libre, à l'épandage des matières, même si ce processus est moins odorant que lorsqu'il concerne des matières brutes, et à la distance relativement faible qui séparent les bâtiments autorisés des habitations de M. et Mme H...-J..., Mme I..., M. et Mme Q..., ces derniers justifient d'un intérêt suffisant à contester le récépissé de déclaration en litige, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions présentées par les autres demandeurs de première instance.

6. Dès lors, le tribunal administratif de Poitiers a entaché sa décision d'irrégularité jugeant irrecevable la demande présentée par M. et Mme H...-J..., Mme I... et M. et Mme Q....

7. Il y a lieu d'annuler le jugement attaqué, d'évoquer et de statuer sur la demande de première instance.

Sur la légalité du récépissé de déclaration :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le récépissé de déclaration en litige a été signé par la sous-préfète de Confolens en application d'une délégation de signature que le préfet lui a consentie par un arrêté du 3 février 2014, lequel a été publié au recueil des actes administratifs de la préfecture. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence doit être écarté.

9. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la demande de récépissé comportait un plan cadastral et un plan de localisation des bâtiments projetés. Il comportait aussi des développements sur la question du traitement des bruits et des odeurs en lien avec le fonctionnement de l'installation. Par suite, le contenu de la demande respectait sur ces points les exigences de l'article R. 512-47 du code de l'environnement.

10. En troisième lieu, le dossier de déclaration comportait un volet explicitant le choix du lieu d'implantation de l'installation et son intégration dans le paysage. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, le dossier de déclaration est conforme sur ce point aux exigences de l'article 2.2 de l'annexe I à l'arrêté du 10 novembre 2009 relatif aux prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation soumises à déclaration.

11. En quatrième lieu, selon la rubrique n° 2781 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement annexée à l'article R. 511-9 du code de l'environnement, les unités de méthanisation qui traitent moins de 30 tonnes par jour relèvent du régime de la déclaration et, au-delà de ce seuil, du régime de l'enregistrement. Le dossier de déclaration déposé par la société Méthane Invest Bleu indique que la quantité totale annuelle d'effluents traités est en moyenne annuelle de 10 910 tonnes, soit 29,9 tonnes par jour et non de 11 910 tonnes, valeur correspondant aux tonnages maximum que l'usine de méthanisation est en mesure de traiter. Par suite, le projet de la société Méthane Bleu Invest relevait du régime de la déclaration et non de celui de l'enregistrement.

12. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article L. 512-8 du code de l'environnement : " Sont soumises à déclaration les installations qui, ne présentant pas de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1, doivent néanmoins respecter les prescriptions générales édictées par le préfet en vue d'assurer dans le département la protection des intérêts visés à l'article L. 511-1 ".

13. Il résulte de l'instruction que le terrain d'assiette du projet se situe dans une zone de nature ne présentant pas, par elle-même, de caractère ou d'intérêt particulier et dépourvue aussi de monuments historiques ou encore de sites protégés. Par ailleurs, l'installation doit fonctionner parmi un ensemble de bâtiments agricoles déjà existants. Dans ces conditions, le préfet ne saurait être regardé comme ayant méconnu les intérêts protégés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement en délivrant le récépissé en litige.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la demande de première instance présentée devant le tribunal administratif de Poitiers doit être rejetée.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

15. Les conclusions de M. et Mme H...-J..., Mme I..., M. et Mme Q..., Mme S... et Mme L... P... présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de faire application de ces mêmes dispositions en mettant à la charge de ces derniers la somme globale de 1 500 euros au titre des frais, non compris dans les dépens, exposés par la société Méthane Bleu Invest.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1500942 du 27 septembre 2017 du tribunal administratif de Poitiers est annulé.

Article 2 : La demande de première instance présentée par M. et Mme A... H...-J..., M. et Mme R... Q..., Mme L... P..., Mme G... S... et Mme T... I... et le surplus de leur conclusion d'appel sont rejetés.

Article 3 : M. et Mme A... H...-J..., M. et Mme R... Q..., Mme L... P..., Mme G... S... et Mme T... I... pris ensemble, verseront à la société Méthane Bleu Invest la somme globale de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... H...-J..., M. et Mme R... Q..., Mme L... P..., Mme G... S... et Mme T... I..., à la société Méthane Bleu Invest et au ministre de la transition écologique et solidaire. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Charente.

Délibéré après l'audience du 27 novembre 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Elisabeth Jayat, président,

M. O... B..., président-assesseur,

Caroline P..., premier conseiller.

Lu en audience publique, le 17 décembre 2019.

Le rapporteur,

Frédéric B...Le président,

Elisabeth JayatLe greffier,

Virginie Marty

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 17BX03677 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 17BX03677
Date de la décision : 17/12/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Nature et environnement - Installations classées pour la protection de l'environnement - Régime juridique - Actes affectant le régime juridique des installations - Première mise en service.

Procédure - Introduction de l'instance - Intérêt pour agir.


Composition du Tribunal
Président : Mme JAYAT
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: Mme PERDU
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-12-17;17bx03677 ?
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