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18/03/2019 | FRANCE | N°16BX00530

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre - formation à 3, 18 mars 2019, 16BX00530


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...A...C...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 165 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis eu égard au comportement fautif de l'administration dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1302809 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à Mme A...C...une somme globale de 30 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 février 2

016, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal admi...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme I...A...C...a demandé au tribunal administratif de Poitiers de condamner l'Etat à lui verser une somme de 165 000 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis eu égard au comportement fautif de l'administration dans la gestion de sa carrière.

Par un jugement n° 1302809 du 2 décembre 2015, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à Mme A...C...une somme globale de 30 000 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 4 février 2016, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 décembre 2015 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A...C...devant le tribunal administratif de Poitiers.

Il soutient que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur le moyen tiré du harcèlement moral, invoqué par Mme A...C..., entachant ainsi leur jugement d'une omission à statuer, ce qui a d'ailleurs pu avoir eu une influence sur la nature et l'étendue de la faute pouvant être reprochée à l'administration ;

- en condamnant l'administration à réparer le préjudice né de l'omission fautive de noter Mme A...C...au titre des années 2007 et 2008, les premiers juges ont méconnu l'autorité de la chose jugée, en l'occurrence un jugement du tribunal administratif de Paris en date du 22 octobre 2015, qui avait déjà rejeté ses conclusions tendant à l'indemnisation de son préjudice de carrière issu de l'absence de notation en 2007 et 2008 ;

- en condamnant l'administration à réparer le préjudice né du " délai anormalement long " mis pour lui accorder la protection fonctionnelle, les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur de droit dans la mesure où, dès lors que la décision de refus de la protection fonctionnelle avait été annulée par un jugement du tribunal administratif de Lille du 9 mai 2012, seul le préjudice résultant de l'illégalité fautive de cette décision de refus était indemnisable, et non le retard de 43 mois retenu par le jugement attaqué ;

- en condamnant l'administration à réparer le préjudice né du " délai anormalement long " mis par l'administration pour traiter l a demande de reprise d'activité formulée par Mme A...C..., les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur d'appréciation, dès lors que la reprise d'activité consécutive à un congé de longue maladie ne peut être valablement accordée par l'administration qu'après l'avis obligatoire du comité médical et ne saurait tenir compte exclusivement des expertises médicales préalables ; le tribunal administratif n'a pas pris en compte le délai nécessairement impliqué par la mise en oeuvre de la procédure régissant la reprise d'activité après un congé de longue maladie, prévue par l'article 7-4 du décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ; en l'espèce, l'avis obligatoire du comité médical n'est intervenu que le 18 janvier 2013 ;

- en condamnant l'administration à réparer les préjudices allégués par Mme A...C...sans établir un lien de causalité suffisamment direct et certain entre son état de santé et les agissements fautifs de l'administration, les premiers juges ont également commis une erreur d'appréciation ; en l'espèce, l'intéressée s'est bornée à produire un certificat médical du DrB..., qui n'établit aucun lien direct et certain entre ses conditions de travail et son état de santé ; un tel lien n'est établi par aucune autre pièce du dossier ; en outre, placée en arrêt de travail du 19 janvier 2009 au 28 janvier 2013, Mme A...C...ne pouvait être regardée comme victime d'une dégradation de ses conditions de travail à l'origine de la dégradation de son état de santé ; par ailleurs, Mme A...C...n'a jamais rejoint son service à la DDSP de la Vienne où elle avait été affectée par lettre de mission du 3 juillet 2013, ni pris contact avec le DDSP de Poitiers, en dépit des convocations qui lui ont été adressées.

Par des mémoires, enregistrés les 11 avril 2016, 22 septembre 2016 et 11 septembre 2017, Mme A...C..., représentée par MeE..., conclut :

1°) au rejet de la requête du ministre de l'intérieur ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que ses préjudices soient indemnisés à hauteur de 180 000 euros, somme à assortir d'une astreinte journalière, et à ce qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de procéder à la reconstitution de sa carrière, en vue de réévaluer le montant de sa pension civile ;

3°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur doivent être rejetés ;

- à partir de 2005, elle occupait le poste de directrice départementale des renseignements généraux de la Charente-Maritime ; elle travaillait donc dans un contexte politique particulièrement sensible ; elle a en réalité fait les frais de la réforme des services de renseignement à compter de 2008 ;

- elle a vécu les années qui ont précédé sa radiation des cadres dans une situation d'insécurité physique et psychologique totale, soumise en outre à des pressions du ministère censé assurer sa protection ;

- à partir de 2008, elle a travaillé dans un contexte professionnel empreint de manoeuvres manifestes et de violences qui ont gravement perturbé sa carrière, avec des conséquences incontestables sur son état de santé, ses conditions d'existence et ses conditions d'admission à la retraite ; l'ensemble de ces faits caractérise une situation de harcèlement moral ; elle a subi des manoeuvres de l'administration visant à son éviction ;

- il y a un lien de causalité direct et exclusif entre la dégradation de son état de santé et le service ; il s'est écoulé un délai injustifiable de 10 mois entre la tenue des deux comités médicaux qui ont statué sur son cas ;

- les annulations contentieuses et les préjudices moraux déjà reconnus par le juge de Poitiers et de Paris confirment cet état de choses ; en particulier, la cour administrative d'appel de Paris, dans son arrêt du 30 décembre 2016 devenu définitif, a admis la " rare violence " des attaques dont elle avait fait l'objet dans l'exercice de ses fonctions, mais aussi l'existence d'une " perte sérieuse de chance d'être promue au grade de commissaire divisionnaire " ;

- son déroulement de carrière ne s'est pas achevé normalement ; elle aurait dû accéder au grade de commissaire divisionnaire ; il y a eu rupture du principe d'égalité de traitement ;

- la faute lourde de l'Etat justifie la réévaluation du préjudice moral ;

- sa demande de réévaluation de ses préjudices à hauteur de 180 000 euros est également fondée sur ses pertes salariales consécutives à un placement en congé de longue durée résultant de la dégradation de ses conditions de travail et, d'autre part, d'une absence de développement de carrière, en rupture avec le principe d'égalité de traitement.

Par une ordonnance du 11 septembre 2017, la clôture de l'instruction a été reportée au 26 septembre 2017.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- le jugement n° 0900222 du 6 janvier 2010 du tribunal administratif de Lille et l'arrêt n° 337456 du Conseil d'Etat du 8 juin 2011 ;

- le jugement n° 1002565 du 9 mai 2012 du tribunal administratif de Lille ;

- l'ordonnance de référé n° 1300655 du tribunal administratif de Poitiers du 22 avril 2013, l'ordonnance de référé n° 1301055 du tribunal administratif de Poitiers du 27 mai 2013, le jugement n° 1300656, 1300665 du tribunal administratif de Poitiers du 18 septembre 2013 et l'arrêt n° 13BX03097 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 2 décembre 2014 ;

- le jugement n° 1107967 du 18 septembre 2012 du tribunal administratif de Paris ;

- l'ordonnance de référé du tribunal administratif de Paris du 3 octobre 2012 ;

- le jugement n° 1209082 du tribunal administratif de Paris du 4 juillet 2013 ;

- le jugement n° 1101872 du tribunal administratif de Poitiers du 18 septembre 2013 ;

- le jugement n° 1302052 du tribunal administratif de Paris du 17 décembre 2013 ;

- le jugement n° 1304532, 1507812 du 22 octobre 2015 du tribunal administratif de Paris et l'arrêt n° 15PA04795 de la cour administrative d'appel de Paris du 30 décembre 2016 ;

- le jugement n° 1302809 du tribunal administratif de Poitiers du 2 décembre 2015

- le jugement n° 1404446, 1408772 du tribunal administratif de Paris du 25 novembre 2015 ;

- le jugement n° 1402432, 1500664 du tribunal administratif de Poitiers du 12 octobre 2016 et l'arrêt n° 16BX03925 de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 18 mars 2019.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,

- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,

- et les observations de Mme A...C....

Une note en délibéré a été enregistrée pour Mme A...C...le 18 février 2019.

Considérant ce qui suit :

1. Mme I...A...veuveC..., née le 17 avril 1955, est entrée dans les cadres de la police nationale en 1976 et a été titularisée en 1977. Elle a accédé au grade de commissaire de police en 1996. A compter du 1er septembre 2003, elle a été placée en détachement en qualité de sous-préfet d'arrondissement à Lesparre-Médoc en Gironde. Elle a été promue au grade de commissaire principal de police en 2004. Le 1er septembre 2005, elle a été nommée directrice départementale des renseignements généraux de la Charente-Maritime. A la suite de la réforme des services de renseignements du ministère de l'intérieur, Mme C...a été mutée du poste de chef du service départemental de l'information générale de la Charente-Maritime, qu'elle occupait depuis le 1er juillet 2008, à celui de coordinateur du traitement du contentieux contraventionnel à Lille le 19 janvier 2009. A partir de cette date, elle a bénéficié d'un congé de longue maladie jusqu'au 28 janvier 2013. Par arrêté du 30 janvier 2013, elle a été autorisée à reprendre son activité professionnelle et affectée en qualité de chargé de mission auprès de la direction départementale de la sécurité publique de la Vienne. Par arrêté du 13 février 2013, elle avait été admise à faire valoir ses droits à la retraite pour limite d'âge à compter du 18 avril 2013. Cependant, à la suite de différentes décisions juridictionnelles, le ministre de l'intérieur l'a, par un arrêté du 20 novembre 2013, réintégrée dans ses fonctions de chargée de mission, puis a, par un arrêté du 30 janvier 2015, retiré l'arrêté du 20 novembre 2013, ce qui l'a replacée en situation de retraite, qu'elle a effectivement prise le 14 février 2015, date de notification de l'arrêté du 30 janvier 2015. Par un arrêté du 20 avril 2016, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest, a reconnu l'imputabilité au service du congé de longue maladie de MmeC.... Le ministre de l'intérieur fait appel du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 décembre 2015, qui a condamné l'Etat à verser à Mme C...une somme de 30 000 euros en réparation des préjudices subis dans le déroulement de sa carrière à compter de l'année 2007. Par la voie de l'appel incident, Mme C...demande que lui soit allouée la somme de 180 000 euros à ce titre et qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de procéder à la reconstitution de sa carrière.

Sur la responsabilité :

2. En premier lieu, par un arrêt du 30 décembre 2016, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Paris a relevé que Mme A...n'avait fait l'objet d'aucune évaluation non seulement pendant qu'elle était placée en congé de maladie, mais aussi au titre des années 2007 et 2008, alors en outre, qu'elle avait, jusqu'en 2006 inclus, obtenu d'excellentes appréciations sur sa façon de servir et remplissait les conditions statutaires pour être promue au grade de commissaire divisionnaire de police eu égard à son ancienneté et au fait qu'elle avait, dès 2006, satisfait à son obligation de formation professionnelle prévue par le décret du 2 août 2005. La cour a considéré que, dans ces conditions, Mme A...était fondée à demander à être indemnisée de la perte de chance sérieuse qu'elle avait subie d'être promue au grade de commissaire divisionnaire de police du fait de dysfonctionnements dans la gestion de sa carrière et lui a accordé 15 000 euros au titre de ce préjudice, ainsi que 10 000 euros au titre du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence. Dans ces conditions, en vertu de l'autorité de la chose jugée du fait de l'identité de parties, d'objet et de cause, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont, par le jugement attaqué, indemnisé à nouveau Mme C...en raison de l'illégalité fautive commise par l'administration du fait de l'absence de notations régulières durant plusieurs années consécutives et notamment en 2007 et 2008, en ce qu'elle aurait été susceptible de compromettre son avenir professionnel.

3. En deuxième lieu, le silence gardé par l'administration sur une demande n'est pas susceptible de causer un préjudice susceptible d'ouvrir droit à réparation, lorsque le demandeur peut regarder ce silence comme une décision implicite de rejet. Or, les premiers juges ont condamné l'Etat à réparer le préjudice né du délai " anormalement long " de 43 mois pris par l'administration pour accorder à Mme C...le bénéfice de la protection fonctionnelle, alors que les deux premières demandes en ce sens formées par l'intéressée, en date des 17 décembre et 10 août 2009 s'étaient vues chacune opposer des décisions implicites de refus, et que la décision d'octroi de cette protection est intervenue en juillet 2012, en exécution du jugement du tribunal administratif de Lille du 9 mai 2012, devenu définitif, lequel a par ailleurs rejeté les conclusions de Mme C...tendant à l'indemnisation de l'illégalité fautive constituée par le refus d'accorder la protection fonctionnelle. Par suite, c'est à bon droit que le ministre de l'intérieur fait valoir que seul aurait pu ouvrir droit à indemnisation le préjudice résultant de l'illégalité fautive de ces refus, et non celui résultant du délai mis dans l'octroi de la protection sollicitée, résultant uniquement du délai contentieux qui a conduit à l'annulation de la troisième décision, explicite, de refus.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article 7 du décret du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l'organisation des comités médicaux et des commissions de réforme, aux conditions d'aptitude physique pour l'admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires : " Les comités médicaux sont chargés de donner à l'autorité compétente, dans les conditions fixées par le présent décret, un avis sur les contestations d'ordre médical qui peuvent s'élever à propos de l'admission des candidats aux emplois publics, de l'octroi et du renouvellement des congés de maladie et de la réintégration à l'issue de ces congés. / Ils sont consultés obligatoirement en ce qui concerne : (...) 4. La réintégration après douze mois consécutifs de congé de maladie ou à l'issue d'un congé de longue maladie ou de longue durée ; (...) ". Il résulte de l'instruction que MmeC..., qui était placée en congé de longue maladie depuis le 19 janvier 2009, a sollicité sa reprise d'activité le 15 mai 2012. Par un courrier du 23 mai 2012, l'administration l'a invitée à prendre rendez-vous avec le DrH..., médecin-expert, qui a rendu son rapport le 18 juillet 2012. Le 28 septembre 2012, le comité médical interdépartemental a examinée le dossier de Mme C...et a décidé de surseoir à statuer dans l'attente d'une nouvelle expertise sur son aptitude à reprendre le travail. Le 6 octobre 2012, un arrêté a prolongé le congé de longue durée de MmeC.... Le DrG..., médecin-expert, l'a examinée le 11 décembre 2012. Le comité médical s'est alors à nouveau réuni le 18 janvier 2013 et a émis un avis favorable à la reprise d'activité de l'intéressée à compter du 28 janvier 2013. Par un arrêté du 24 janvier 2013, le préfet de la zone de défense et de sécurité nord a déclaré Mme C... apte à reprendre ses fonctions à compter du 28 janvier. Le comité médical, dont l'avis était obligatoire avant toute reprise d'activité, mais qui avait requis l'avis d'un second expert avant de se prononcer, ce qui a nécessité la prolongation du CLD de MmeC..., s'est cependant réuni à nouveau peu de temps après la remise du rapport de contre-expertise et l'arrêté préfectoral du 24 janvier est intervenu six jours après l'avis du comité. Dans ces circonstances, si la demande de reprise d'activité de Mme C...a pris huit mois pour aboutir, contre trois à six mois en moyenne, et même si l'arrêté précité ne lui a été notifié que le 4 février 2013 alors que, par arrêté du 9 février 2013, son admission à la retraite d'office a été prononcée, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que les premiers juges ont considéré à tort que ce délai avait été anormalement long et avait constitué une atteinte à ses droits dans la gestion de sa carrière.

5. En quatrième lieu, le ministre de l'intérieur ne critique pas le motif retenu par les premiers juges, aux points 6 et 7 de leur jugement, au terme duquel la mise en demeure qu'il faite à Mme C...le 31 juillet 2009, de rejoindre le poste sur lequel elle avait été affectée à Lille, alors qu'elle était en congé de longue durée et qu'elle soutient avoir adressé à temps le certificat de prolongation au service de gestion des ressources humaines, avait porté atteinte aux droits de l'intéressé. Par suite, il y a lieu de retenir à ce titre une illégalité fautive de la part de l'administration.

6. En dernier lieu, aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, issu de la loi du 17 janvier 2002 de modernisation sociale : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. (...) ".

7. D'une part, il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. D'autre part, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. En revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé.

8. Mme C...fait valoir qu'elle a souffert d'une hypertension artérielle sévère et de troubles dépressifs et que cette dégradation de son état de santé est en lien avec le service et est la conséquence du harcèlement moral qu'elle a subi. A ce titre, elle invoque la " rare violence " des attaques dont elle a fait l'objet dans l'exercice de ses fonctions, mais aussi le fait que son déroulement de carrière ne s'est pas achevé normalement, du fait de l'existence d'une perte sérieuse de chance d'être promue au grade de commissaire divisionnaire, ainsi que de sa mise à la retraite d'office, toutes choses qui caractériseraient des " manoeuvres de l'administration visant à son éviction ".

9. Cependant, la seule illégalité fautive qui peut être retenue dans le cadre du présent contentieux est celle qui est issue de la mise en demeure du 31 juillet 2009, qui ne peut, à elle seule, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, être qualifiée " d'agissements répétés ". D'autre part, si par un arrêté du 20 avril 2016, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest, a reconnu l'imputabilité au service du congé de longue maladie de Mme C..., il résulte de l'instruction, et notamment du jugement du tribunal administratif de Lille du 9 mai 2012 ainsi que de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 30 décembre 2016, devenus définitifs, qu'elle avait demandé à bénéficier de la protection fonctionnelle à la suite de la parution dans la presse d'un article qu'elle avait estimé diffamatoire, de dénonciations qu'elles avait jugées calomnieuses dans le cadre d'un audit et d'une menace de mort reçue par courrier à son domicile et qu'elle avait été placée en congé de longue durée en raison de son incapacité à reprendre son activité à la suite de ces faits, lesquels ne peuvent être qualifiés de faits de harcèlement moral commis à l'intérieur du service. Par ailleurs, si la cour administrative d'appel de Paris, par son arrêt du 30 décembre 2016, lui a accordé une indemnisation pour perte de chance sérieuse d'être promue au grade de commissaire divisionnaire du fait de dysfonctionnements dans la gestion de sa carrière ce qui lui aurait permis de poursuivre son activité professionnelle au-delà de la date à laquelle elle a été admise à la retraite pour limite d'âge, il résulte de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 2 décembre 2014, également devenu définitif, que l'absence d'inscription au tableau d'avancement au grade de commissaire divisionnaire ne révélait pas l'existence d'un détournement de pouvoir à son encontre, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que l'administration aurait tenté de la dissuader de présenter une demande de prolongation d'activité et que la réalité des " manoeuvres " alléguées n'était pas établie, si bien que le ministre de l'intérieur n'avait commis aucune illégalité fautive en plaçant Mme C..., atteinte par la limite d'âge, à la retraite. Dans ces conditions, et malgré la multiplicité des contentieux formés par MmeC..., les faits de harcèlement moral allégués ne sont pas établis. En tout état de cause, les seuls justificatifs médicaux produits, un certificat du Dr B...de février 2009 attestant des pathologies dont souffre l'intéressé et un autre certificat du Dr D...de novembre 2015 se bornant à relever que son hypertension artérielle sévère s'est installée en 2009 et " fait suite à un stress professionnel majeur ", ne suffisent pas à révéler l'existence de faits de harcèlement moral à l'encontre de MmeC....

Sur les préjudices :

10. Si l'administration a commis une illégalité fautive en adressant à Mme C...une mise en demeure de reprendre ses fonctions, alors qu'elle lui aurait adressé dans les temps un certificat de prolongation de son congé de longue maladie, l'intéressée n'établit cependant pas en quoi ce fait, qui doit être regardé, le cas échéant, comme un dysfonctionnement administratif, lui aurait causé un préjudice direct et certain, alors qu'elle a pu continuer à être placée en congé maladie jusqu'au début de l'année 2013 et que par ailleurs, par son arrêt du 30 décembre 2016, la cour administrative d'appel de Paris a considéré qu'elle avait droit aux primes et indemnités dont elle avait, pour la période en cause, une chance sérieuse de bénéficier et que, par un arrêté du 7 juillet 2016, le préfet de la zone de défense et de sécurité Sud-Ouest a prévu que l'intéressée percevrait l'intégralité de son traitement durant toute la durée de son congé de longue durée du 19 janvier 2009 au 27 janvier 2013.

11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par Mme F...devant le tribunal administratif ne peuvent qu'être rejetées, ainsi qu'en tout état de cause, alors qu'elle ne présente pas de conclusions en excès de pouvoir, ses conclusions en injonction à fin de reconstitution de sa carrière " en vue de réévaluer le montant de sa pension civile ".

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire d'examiner la régularité du jugement attaqué, que, par la voie de l'appel principal, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Poitiers a condamné l'Etat à verser à Mme C...une somme de 30 000 euros en réparation de ses préjudices et que la demande présentée par Mme F...devant ce même tribunal doit être rejetée. Par suite, les conclusions d'appel incident de Mme A...C...tendant à ce que la condamnation de l'Etat soit portée à la somme de 180 000 euros, assortie d'une astreinte journalière, ne peuvent être que rejetées.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande Mme C...sur ce fondement.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1302809 du tribunal administratif de Poitiers du 2 décembre 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par Mme F...devant le tribunal administratif de Poitiers et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme I...A...C...et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 13 février 2019 à laquelle siégeaient :

M. Pierre Larroumec, président,

M. Pierre Bentolila, président-assesseur,

Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 mars 2019.

Le rapporteur,

Florence Rey-GabriacLe président,

Pierre Larroumec

Le greffier,

Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition certifiée conforme.

Le greffier,

Cindy Virin

4

N° 16BX00530


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX00530
Date de la décision : 18/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-13-03 Fonctionnaires et agents publics. Contentieux de la fonction publique. Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. LARROUMEC
Rapporteur ?: Mme Florence REY-GABRIAC
Rapporteur public ?: Mme MOLINA-ANDREO
Avocat(s) : CABINET OPTIMA ROCHEFORT

Origine de la décision
Date de l'import : 02/04/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-03-18;16bx00530 ?
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