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21/02/2019 | FRANCE | N°16BX02888

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 21 février 2019, 16BX02888


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune des Salles de Castillon a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner, sur le fondement de la responsabilité décennale ou contractuelle des constructeurs, les sociétés Gasteuil, Atlantic Développement, ECA et Segonzac ainsi que M. E... à réparer divers désordres affectant un bâtiment rénové à usage d'appartement de fonction et de restaurant scolaire.

Par un jugement n° 1400440 du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la société Segonzac et

M. E...à verser à la commune des Salles de Castillon la somme de 78 209,62 euros TTC ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La commune des Salles de Castillon a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner, sur le fondement de la responsabilité décennale ou contractuelle des constructeurs, les sociétés Gasteuil, Atlantic Développement, ECA et Segonzac ainsi que M. E... à réparer divers désordres affectant un bâtiment rénové à usage d'appartement de fonction et de restaurant scolaire.

Par un jugement n° 1400440 du 27 juin 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné la société Segonzac et M. E...à verser à la commune des Salles de Castillon la somme de 78 209,62 euros TTC du fait des désordres affectant les cloisons et les faïences de la cuisine du restaurant scolaire, la société Gasteuil et M. E...à verser à la commune la somme de 4 667,75 euros TTC au titre du fléchissement des planchers bois de l'appartement de fonction, la société Atlantic développement et M. E...à verser à la commune la somme de 4 455,10 euros TTC au titre du cloquage des revêtements plastique de l'appartement de fonction et la société Gasteuil à verser à la commune la somme de 1 822,92 euros TTC au titre du remplacement d'une porte extérieure de la cuisine. Il a en outre mis à la charge solidaire des sociétés Gasteuil, Segonzac et Atlantic développement, et de M. E..., les frais et honoraires d'expertise liquidés et taxés, par ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux du 13 juillet 2012, à la somme de 9 157,65 euros et une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et condamné la société Segonzac à garantir M. E...à hauteur de 90% des condamnations prononcées au titre des désordres et de 80% des autres condamnations.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 août 2016, la société Segonzac, représentée par Me B..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 1400440 du 27 juin 2016 et de rejeter la demande de la commune à son encontre ;

2°) subsidiairement de condamner M. E...à la garantir intégralement de toute condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la commune une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- les désordres en cause ne sont pas susceptibles de compromettre la solidité de l'ouvrage ou de le rendre impropre à sa destination puisqu'il s'agit seulement de microfissures esthétiques sur les carrelages ; ils ne peuvent donc engager la responsabilité décennale du titulaire du lot plâtrerie ;

- l'expert a relevé que la réception des travaux a été prononcée sans réserves le 24 juillet 2009 pour son lot ; les demandes au titre de la responsabilité contractuelle doivent donc être rejetées ;

- c'est donc à tort que le tribunal l'a condamnée pour des dommages dits " intermédiaires " qui ne sont pas reconnus par la jurisprudence administrative ;

- à titre subsidiaire, le maître d'oeuvre ayant manqué à son obligation de surveillance en ne l'alertant pas sur l'absence des joints entre les cloisons de la cuisine, il devra être condamné à la garantir intégralement ;

- à titre subsidiaire, les sommes réclamées sont excessives, comme l'a justement relevé l'expert en arrêtant les travaux utiles à 18 598,34 euros TTC, et c'est à tort que le tribunal a retenu en outre un préjudice de jouissance pendant les travaux de réfection, alors que la commune pouvait les faire effectuer pendant les vacances d'été.

Un mémoire a été présenté par la société ECA le 26 septembre 2016, sans avocat.

Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2018, M.E..., représenté par Me A..., demande à la cour :

A titre principal :

1°) de réformer le jugement en ce qu'il l'a condamné, in solidum avec les autres constructeurs, au règlement des demandes indemnitaires formulées par la commune des Salles de Castillon ;

2°) de débouter la commune et la société Segonzac de toutes leurs demandes à son égard ;

3°) de mettre à la charge de la commune des Salles de Castillon et de la société Segonzac une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

A titre subsidiaire :

1°) de juger qu'il n'est susceptible d'être concerné que pour des demandes de condamnations au titre des désordres relatifs au plancher déformable de l'appartement de l'étage, au décollement du revêtement de sol souple et aux fissures sur les cloisons et faïences de la cuisine du restaurant scolaire ;

2°) de rejeter la demande de garantie intégrale de la société Segonzac et de limiter, en toute hypothèse, sa responsabilité dans la survenance des désordres constatés à une part qui ne saurait être supérieure à 10 % ;

3°) de condamner la société Gasteuil et fils, la société Atlantic Développement et la société Segonzac à le garantir et relever indemne de toutes condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre (y compris au titre des dépens et des frais irrépétibles), dans une proportion qui ne saurait être inférieure à 90 % ;

4°) de limiter en conséquence, toute éventuelle condamnation au titre des travaux de reprise des désordres affectant les cloisons et faïences de la cuisine du restaurant scolaire à la somme totale de 4 898,16 euros TTC.

Il soutient que :

- sur le désordre relatif au plancher déformable de l'appartement de l'étage, la commune n'a pas précisé le fondement de sa demande ; celle-ci ne peut se fonder sur la responsabilité décennale, car le vice résultant de la " souplesse ressentie sous les pas en tous points du plancher du salon " n'affecte pas la solidité de l'ouvrage ni ne le rend impropre à sa destination ; il n'est pas davantage démontré de faute de la maîtrise d'oeuvre, alors que l'expert a imputé ce désordre à un défaut d'exécution de la part de l'entreprise chargée du lot menuiserie ;

- il en va de même pour le désordre relatif au décollement du revêtement de sol souple, purement esthétique et imputé par l'expert à l'entreprise chargée des lots peinture et revêtements de sols, qui a commis une erreur dans le choix du matériau ;

- les désordres relatifs aux microfissures sur les faïences de la cuisine sont également purement esthétiques et insusceptibles d'engager la responsabilité décennale, ils ont au demeurant fait l'objet de réserves à la réception ; aucune faute n'est imputable à la maîtrise d'oeuvre, les défauts d'exécution des joints des cloisons étant difficilement décelables ;

- subsidiairement, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu'il a écarté toute condamnation au titre des menuiseries extérieures ou intérieures et de l'électricité, en ce qu'il lui a accordé des garanties à hauteur de 90%, et en ce qu'il a écarté le préjudice de jouissance pour les travaux à faire sur l'appartement, et de le réformer en tant qu'il a retenu une somme supérieure au montant de 4 898,16 euros TTC recommandé par l'expert pour tenir compte du désordre des cloisons et faïences de la cuisine du restaurant scolaire, le préjudice de jouissance n'étant par ailleurs aucunement justifié alors que les travaux pouvaient être réalisés en dehors de la période scolaire.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 avril 2018, la commune des Salles de Castillon, représentée par MeC..., conclut :

1°) à la condamnation solidaire de la SARL Gasteuil et M. E...à lui verser la somme de 4 667,75 euros en réparation du dommage relatif au désordre sur le plancher de l'appartement ;

2°) à la condamnation solidaire de la société Atlantic Développement, M. E...et la SARL Gasteuil à lui verser la somme de 4 455,10 € en réparation du dommage relatif au revêtement de l'appartement ;

3°) à la condamnation solidaire des sociétés Gasteuil et Atlantic Développement et de M. E...à lui verser la somme de 8 000 euros au titre du trouble de jouissance ;

4°) à la condamnation solidaire de la SARL Gasteuil et M. E...à lui verser la somme de 1 822,92 € au titre au titre des menuiseries extérieures ;

5°) à la condamnation solidaire de la SARL Gasteuil et M. E...à lui verser la somme de 2 296,32 euros TTC au titre des menuiseries intérieures ;

6°) à la condamnation de l'EURL Cabanat et M. E...à lui verser la somme de 406,64 euros au titre des désordres d'électricité ;

7°) à la condamnation solidaire des sociétés Segonzac et ECA et de M. E...à lui verser la somme de 80 621,62 € euros au titre des désordres relatifs aux fissures des cloisons et plafonds de la cantine ;

8°) à l'indexation de toutes les condamnations sur l'indice BT 01 à compter du 11 juillet 2012, date de dépôt du rapport ;

9°) à la condamnation solidaire des sociétés Gasteuil, Atlantic Développement, Cabanat, Segonzac, ECA ainsi que de M. E...à lui verser la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi qu'aux dépens de l'intégralité de la procédure.

Elle soutient que :

- les désordres sur la déformation du plancher de l'étage sont de nature décennale, et résultent au demeurant de fautes de l'entreprise et du maître d'oeuvre engageant leur responsabilité contractuelle ; il en va de même de ceux affectant les revêtements, qui relèvent de l'article 1147 ancien du code civil ; le préjudice de jouissance lié à l'impossibilité d'utiliser le logement pendant 15 jours doit être en outre indemnisé à hauteur de 6 000 euros ;

- l'impossibilité de fermer correctement les portes est de nature décennale car elle affecte le clos du bâtiment et la sécurité ; quant aux menuiseries intérieures, elles engagent la responsabilité contractuelle de l'entreprise Gasteuil et de M.E..., qui n'a pas préconisé des portes conformes à l'usage indiqué par le maître de l'ouvrage, à hauteur de la somme de 2 296,32 euros TTC au titre du remplacement des portes isoplanes par des portes PVC ;

- l'expert judiciaire retient très clairement la responsabilité de l'EURL Cabanat, la Cour confirmera sa condamnation à payer à la commune la somme 406,64 euros pour permettre la pose et le réglage de la porte métallique du tableau des protections et le voyant de la micro-station sur boîtier métallique ;

- sur les désordres relatifs aux fissures de la cuisine, la société Segonzac ne peut soulever nouvellement en appel l'absence de reconnaissance par la jurisprudence administrative des dommages intermédiaires , alors que l'article 1147 ancien du code civil s'applique aussi bien aux dommages antérieurs à la réception qu'à ceux postérieurs ; l'expert a reconnu une faute de conception sur les cloisons de la cuisine, de nature à retenir la responsabilité de M.E... ; le principe de réparation intégrale du préjudice s'oppose à la solution de réparation proposée par l'expert consistant à une simple réfaction de 20% du prix du marché ; la nécessité d'aménager une cuisine temporaire pendant les travaux doit être indemnisée, alors que la durée de 3 à 4 mois ne permet pas de les réaliser intégralement pendant les vacances scolaires.

Par ordonnance du 27 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 28 mai 2018 à 12h.

Par un courrier du 4 janvier 2019, les parties ont été informées que la solution du litige était susceptible de relever partiellement d'un moyen soulevé d'office et tiré de l'irrecevabilité des conclusions de la commune et de M. E...en tant qu'elles soulèvent des litiges distincts de celui soumis à la cour par la société Segonzac.

Des observations en réponse ont été présentées pour M. E...le 16 janvier 2019 et pour la commune des Salles de Castillon le 19 janvier 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Catherine Girault ;

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public ;

- et les observations de MeB..., représentant la société Segonzac.

Considérant ce qui suit :

1. La commune des Salles de Castillon a décidé en 2007 de réhabiliter un bâtiment ancien de l'école communale pour y réaliser un restaurant scolaire à rez-de-chaussée et un logement de fonction à l'étage. La maîtrise d'oeuvre de l'opération a été confiée à M.E..., membre de l'atelier d'architecture et d'urbanisme Totem, le lot plâtrerie à la société Segonzac pour 25 519,61 euros TTC et le lot carrelage à la société Entreprise Carrelage Aquitaine (ECA) pour 19 354,20 euros, le lot menuiseries à l'entreprise Gasteuil, le lot " peinture, revêtement de sol " à la société Atlantic développement, et le lot " électricité " à l'entreprise Cabanat. Les travaux ont été réceptionnés avec réserves le 24 juillet 2009. En l'absence de reprises sur divers désordres, la commune a sollicité une expertise. L'expert désigné par ordonnance du 14 décembre 2010 du tribunal administratif de Bordeaux a rendu son rapport le 11 juillet 2012. La commune a sollicité le 30 janvier 2014 du tribunal administratif de Bordeaux la condamnation des constructeurs, sur le fondement des responsabilités contractuelle et décennale, à réparer divers préjudices, et principalement les fissures sur les cloisons et faïences de la cuisine du restaurant scolaire pour un montant de 80 621,62 euros. Le tribunal a notamment, par un jugement n° 1400440 du 27 juin 2016, estimé que ces derniers désordres relevaient des réserves formulées lors de la réception, écarté leur imputabilité à la société ECA, et condamné solidairement la société Segonzac et M. E...à verser à la commune, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, une somme de 78 209,62 euros TTC et mis à leur charge, solidairement avec les sociétés Gasteuil et Atlantic Développement responsables d'autres désordres, les frais d'expertise et une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il a également condamné la société Segonzac à garantir M. E...à hauteur de 90% des condamnations principales et 80 % des condamnations accessoires. La société Segonzac relève appel de ce jugement, dont M. E...et la commune de Salles-de-Castillon demandent également la réformation par la voie d'appels incidents.

Sur l'appel principal de la société Segonzac :

En ce qui concerne la responsabilité :

2. La réception, par laquelle le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage, met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. En l'absence de stipulations particulières prévues par les documents contractuels, lorsque la réception est prononcée avec réserves, les rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs ne se poursuivent qu'au titre des travaux ou des parties de l'ouvrage ayant fait l'objet des réserves.

3. Pour contester la condamnation dont elle a fait l'objet sur le fondement de la responsabilité contractuelle, la société Segonzac soutient d'une part que son lot a été réceptionné sans réserves, ce qui mettait fin aux rapports contractuels, et d'autre part que les fissures relevées sur les cloisons et par suite les carrelages de la cuisine du restaurant scolaire sont purement inesthétiques et ne sauraient dès lors engager sa responsabilité décennale. Elle se prévaut à cet effet de l'analyse de l'expert, selon laquelle une lettre du maître d'oeuvre en date du 24 juillet 2009, jour du procès-verbal de réception, indiquait une liste de réserves à lever pour le 31 juillet 2009 en mentionnant pour la société Segonzac " RAS ", soit rien à signaler. Toutefois, une telle mention, à la supposer établie en l'absence de versement de cette lettre au dossier, n'est pas de nature à faire obstacle à la prise en compte de la liste des réserves par nature des désordres annexée au procès-verbal de réception, laquelle mentionne quatre types de désordres dont des " Fissures des panneaux de doublage des murs dans la cuisine, provoquant des fissures et chute des faïences murales ". Si la société Segonzac relève, à la suite de l'expert, que ce document n'est pas daté et n'est signé que de la seule représentante de la commune, cette société a signé un procès-verbal de réception des travaux renvoyant à une annexe et ne produit pas le document qui y aurait été annexé. Par suite, le document produit par la commune doit être regardé, comme l'a jugé à bon droit le tribunal, comme l'annexe au procès-verbal de réception des travaux. Les désordres en litige ayant ainsi été l'objet de réserves, la responsabilité contractuelle de l'entreprise pouvait être recherchée.

4. Il résulte du rapport d'expertise que la cause des fissures, fines et relativement nombreuses, relevées tant sur le haut des cloisons de la cuisine que sur leur partie basse couverte de carrelages jusqu'à 2 mètres de hauteur, tient à un défaut d'exécution par l'entreprise, faute d'avoir respecté les préconisations du fabricant des plaques PLACOCEM prescrivant des joints souples à la base et au sommet des cloisons et des joints de fractionnement régulièrement répartis. L'expert a relevé une imputabilité principale à l'entreprise à hauteur de 90 %, et proposé de retenir un défaut de surveillance du maître d'oeuvre pour le surplus. La société Segonzac, en se bornant à faire valoir qu'un avertissement sur l'absence des joints aurait pu lui permettre de corriger l'exécution dans les règles de l'art, ne critique pas utilement cette répartition des responsabilités, adoptée par le tribunal. En revanche, elle est fondée à demander pour ce motif, suffisamment explicite contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, que M. E...la garantisse à hauteur de 10% des condamnations solidaires prononcées contre eux au titre des désordres, et de 20 % des condamnations au titre des frais d'expertise et frais exposés par la commune en première instance.

En ce qui concerne les préjudices :

5. L'expert a admis que " la réparation des désordres esthétiques, que sont les microfissures apparues sur les carrelages muraux appliqués sur parois PLACOCEM, ne peut s'envisager sans démolition totale des cloisons, compris isolation, carrelages de sol, faïences murales et peintures, électricité et plomberie, et naturellement démontage puis remise en place des coûteux équipements d'une cuisine de collectivité, sans oublier l'important préjudice de l'immobilisation du local, pendant trois ou quatre mois ". Toutefois, investi d'une mission tendant aussi à apporter tous éléments utiles à une solution amiable du litige, il a proposé, compte tenu de la disproportion entre les montants des devis de réparation présentés par la commune et le montant des marchés des entreprises, une simple réfaction de 20 % sur le montant de ces marchés.

6. La société Segonzac ne saurait revendiquer l'application de cette recommandation amiable alors qu'ainsi que l'a rappelé le tribunal, le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander la réparation aux constructeurs en raison des désordres affectant l'immeuble qu'ils ont réalisé correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection, dès lors que ces travaux n'apportent aucune plus-value autre que celle résultant de la disparition des malfaçons constatées afin de rendre l'ouvrage conforme avec la commande passée aux constructeurs. La société Segonzac ne critiquant pas pour d'autres raisons que leur importance intrinsèque le montant des devis produits, il y a lieu de retenir des sommes de 11 051,04 euros pour la dépose et repose des éléments de cuisine, de 16 519,39 euros pour la démolition des cloisons et leur réfection, de 1 734,20 euros pour la métallerie , de 1 226,31 euros pour la dépose et repose électriques, de 9 198,67 euros pour les faïences et de 2 990 euros pour les peintures sur cloisons neuves et plafonds, soit un total TTC de 42 719,61 euros de réfection, en l'absence de justification du lien entre les travaux concernant neuf menuiseries et le désordre relatif aux carrelages de la cuisine.

7. En revanche, la seule vague mention par l'expert d'un délai de réalisation des travaux de " trois à quatre mois " ne suffit pas à justifier les importants frais d'installation et location d'une cuisine démontable provisoire pour 32 411,60 euros, alors que la commune n'établit nullement avoir réalisé effectivement ces travaux qui ne présentaient pas de caractère d'urgence, ni n'avoir pu les envisager pendant les vacances scolaires. Dans ces conditions, le préjudice afférent ne peut être regardé comme établi, et la société Segonzac est seulement fondée à demander que le montant de sa condamnation soit ramené à la somme de 42 719,61 euros TTC.

Sur l'appel incident de la commune de Salles-de-Castillon :

8. Soulèvent un litige distinct de l'appel principal les conclusions de la commune dirigées contre le jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de ses demandes, en écartant la responsabilité décennale sur les désordres affectant les menuiseries intérieures (portes entre cuisine et réfectoire et entre cuisine et sanitaires), le tableau des protections électriques du logement, ainsi que les peintures des portes et plafonds de la cuisine, qu'il n'a pas regardés comme de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination, en rejetant comme non établi le préjudice de jouissance lié à l'indisponibilité du logement pendant les travaux rendus nécessaires, et en constatant que la responsabilité contractuelle de la société Cabanat sur le tableau électrique ne pouvait être retenue en l'absence de faute démontrée. Ces conclusions, présentées après l'expiration du délai d'appel, sont par suite irrecevables, quand bien même la société Segonzac a demandé l'annulation du jugement " en toutes ses dispositions ", ce qu'elle n'était recevable à faire qu'en tant qu'il la concerne. Par ailleurs, la commune n'est pas davantage recevable à demander à la cour des condamnations qu'elle a obtenues du tribunal administratif en ce qui concerne la somme de 4 667,75 euros en réparation du dommage relatif au désordre sur le plancher de l'appartement, la somme de 4 455,10 € en réparation du dommage relatif au revêtement de l'appartement et la somme de 1 822,92 € au titre au titre des menuiseries extérieures.

9. S'agissant des désordres affectant les cloisons de la cuisine, il résulte de ce qui a été dit aux points 6 et 7 que la commune n'est pas fondée à réclamer une somme de 80 621,62 euros au titre des frais de reprise et du préjudice de jouissance pendant les travaux de réfection. En outre, en se bornant à réitérer dans les mêmes termes sa demande d'actualisation des prix depuis le dépôt du rapport d'expertise, la commune ne critique pas les motifs par lesquels le tribunal a rejeté cette demande, qu'il y a lieu d'adopter.

Sur les conclusions incidentes et provoquées de M.E... :

10. En premier lieu, les conclusions de M.E..., maître d'oeuvre, tendant à la réformation du jugement en tant qu'il l'a condamné, solidairement d'une part avec la société Gasteuil, titulaire du lot menuiseries, et d'autre part avec la société Atlantic Développement, titulaire des lots revêtements et peintures, à verser des sommes respectives de 4 667,75 euros et 4455,10 euros à la commune au titre des désordres affectant le plancher bois et le revêtement plastique du sol de l'appartement de fonction, soulèvent un litige distinct de celui exposé par l'appel principal de la société Segonzac concernant les désordres affectant la cuisine du restaurant scolaire, quand bien même la société Segonzac a demandé l'annulation du jugement " en toutes ses dispositions ", ce qu'elle n'était recevable à faire qu'en tant qu'il la concerne. Présentées après l'expiration du délai d'appel, ces conclusions de M. E...ne sont pas recevables.

11. Sont en revanche recevables les conclusions contestant sa part de responsabilité dans les désordres affectant les cloisons de la cuisine. Toutefois, en se bornant à affirmer que les défauts de joints étaient " difficilement détectables ", M. E...ne démontre pas qu'il n'aurait pas commis la faute de surveillance reprochée par l'expert. Par suite, ses conclusions tendant à être exonéré de responsabilité ou totalement garanti par la société Segonzac doivent être rejetées.

12. Enfin, dès lors que la réduction de l'indemnité mise à la charge de la société Segonzac aggraverait sa situation en qualité de redevable solidaire, l'appel provoqué de M. E... sur le montant des préjudices doit être accueilli dans la même mesure et pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 6 et 7.

Sur les frais d'expertise :

13. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de modifier la répartition des frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 9 157,65 euros par ordonnance du 13 juillet 2012, opérée par les premiers juges.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune des Salles-de-Castillon des sommes de 1 500 euros à verser à la société Segonzac et à M. E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions de la commune, partie principalement perdante dans la présente instance, présentées sur le même fondement doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : L'indemnité mise à la charge solidaire de la société Segonzac et de M. E...par l'article 4 du jugement du 27 juin 2016 au titre des désordres affectant les cloisons et faïences de la cuisine du restaurant scolaire est ramenée de 78 209,62 euros à 42 719,61 euros TTC.

Article 2 : M. E...garantira la société Segonzac à hauteur de 10% de la condamnation solidaire prononcée à l'article premier, et à hauteur de 20% des condamnations annexes prononcées aux articles 5 et 6 du jugement.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune des Salles-de-Castillon versera des sommes de 1 500 euros à la société Segonzac et à M. E...au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions d'appel de l'ensemble des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société Segonzac, à la commune des Salles-de-Castillon, à M. D...E..., à la société Gasteuil et fils, à la société ECA, à la SCP Silvestri-Baujet, mandataire liquidateur de la société Atlantique Développement, et à l'EURL Cabanat.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2019 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. David Terme, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 21 février 2019.

Le président-assesseur,

Jean-Claude PAUZIÈSLe président-rapporteur,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

4

No 16BX02888


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX02888
Date de la décision : 21/02/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-02 Marchés et contrats administratifs. Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. Responsabilité contractuelle.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Catherine GIRAULT
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : SCP EYQUEM-BARRIERE DONITIAN CAILLOL CACHELOU

Origine de la décision
Date de l'import : 26/02/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2019-02-21;16bx02888 ?
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