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13/12/2018 | FRANCE | N°16BX03624

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 13 décembre 2018, 16BX03624


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B...A...et la SARL de la Côte d'Opale ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision par laquelle la commune de Saint-Georges d'Oléron a implicitement rejeté la demande d'indemnisation qu'ils ont formulée le 23 décembre 2013, et de condamner la commune à leur verser la somme de 1,3 million d'euros en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements durant l'instruction de leur demande de permis de construire une résidence de tourisme.

Par un jugement n°

1400715 du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cet...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme B...A...et la SARL de la Côte d'Opale ont demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler la décision par laquelle la commune de Saint-Georges d'Oléron a implicitement rejeté la demande d'indemnisation qu'ils ont formulée le 23 décembre 2013, et de condamner la commune à leur verser la somme de 1,3 million d'euros en réparation du préjudice subi du fait de ses agissements durant l'instruction de leur demande de permis de construire une résidence de tourisme.

Par un jugement n° 1400715 du 15 septembre 2016, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 14 novembre 2016, M. et Mme A... et la SARL de la Côte d'Opale, représentés par le cabinet Optima, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 15 septembre 2016 ;

2°) d'annuler la décision implicite de rejet de leur demande indemnitaire préalable née le 23 février 2014 ;

3°) de condamner la commune de Saint-Georges d'Oléron à leur verser une somme de 1,3 million d'euros en réparation de leur préjudice ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Georges d'Oléron une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la modification du classement des parcelles cadastrées section EH n° 59 et n° 63, initialement respectivement en NAe2 et UB où la construction d'une résidence de tourisme était possible, en Nt3 et en UC, les deux parcelles étant intégralement couvertes par un espace boisé classé, leur fait subir une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi ; contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, la réhabilitation des bâtiments existants n'est même pas possible faute de pouvoir créer un accès dans l'EBC ;

- l'illégalité de l'arrêté du 30 janvier 2009 annulé par le tribunal administratif de Poitiers par jugement du 24 mars 2011 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune ;

- le retard pris dans l'instruction de la demande de permis de construire déposée le 23 mai 2005 constitue également une illégalité fautive ;

- la commune a également incité et encouragé la société Côte d'Opale avant de changer brutalement d'avis sans aucune information préalable, ce qui constitue encore une faute de nature à engager sa responsabilité ;

- le préjudice subi en raison du manque à gagner de la non réalisation du village de vacances, des frais engagés et des dégradations commises sur les terrains qui sont restés " figés " durant six ans s'élève à 300 000 euros ;

- la perte de valeur vénale des terrains justifie que leur soit attribuée une indemnité d'un million d'euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 avril 2018, la commune de Saint-Georges d'Oléron conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le changement de zonage n'a pas fait peser sur les requérants une charge spéciale et exorbitante hors de proportion avec les motifs d'intérêt général justifiant le classement des parcelles ; à cet égard, l'avis de valeur produit par les requérants n'établit pas la réalité de cette charge ;

- en tout état de cause, le nouveau classement des parcelles a seulement eu pour effet de diminuer l'usage que les requérants pouvaient faire de leur bien en limitant les possibilités de construction ;

- si elle a effectivement commis une faute du fait de l'illégalité du refus du 30 janvier 2009, celle-ci ne présente aucun lien de causalité avec les préjudices allégués ;

- le délai excessif allégué ne présente manifestement aucun lien avec l'ensemble de ces préjudices ;

- il ne ressort d'aucune pièce qu'elle aurait encouragé la réalisation du projet ou transmis des renseignements inexacts ; au demeurant, les requérants n'avaient pas demandé de certificat d'urbanisme pour s'assurer de la faisabilité de leur projet ;

- les préjudices ne sont pas établis.

Par ordonnance du 20 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 25 juin 2018 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. David Terme,

- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., représentant la commune de Saint-Georges d'Oléron.

Considérant ce qui suit :

1. Le 23 mai 2005, la SARL de la Côte d'Opale a déposé une demande de permis de construire une résidence de tourisme comprenant 50 logements sur les parcelles cadastrées section EH n° 59 et 63 appartenant à M. et Mme A...et situées 310 rue de l'Océan à Domino, sur le territoire de la commune de Saint-Georges d'Oléron (Charente-Maritime). Par un arrêté du 14 décembre 2006, le maire de la commune a sursis à statuer sur cette demande pour une durée de deux ans au motif qu'elle était de nature à compromettre l'exécution du plan local d'urbanisme en cours de révision. Par une délibération du 4 décembre 2008, le conseil municipal a approuvé le nouveau plan local d'urbanisme. En se fondant sur ses dispositions, qui classaient le terrain d'assiette du projet dans des zones ne permettant pas la réalisation du projet, le maire a rejeté la demande de permis par un arrêté du 30 janvier 2009. Toutefois, par une délibération adoptée le 30 avril 2009, le conseil municipal a retiré la délibération du 4 décembre 2008 approuvant le plan local d'urbanisme et de nouveau approuvé ce plan après rectification. Entre temps, M. et Mme A...et la SARL de la Côte d'Opale avaient saisi le tribunal administratif de Poitiers d'une demande d'annulation du refus de permis de construire du 30 janvier 2009. Par jugement du 24 mars 2011, le tribunal a, d'une part, annulé ce refus au motif qu'il était privé de base légale à la suite du retrait de la délibération du 4 décembre 2008 et, d'autre part, enjoint au maire de Saint-Georges d'Oléron de réexaminer la demande de permis de construire. Celle-ci a été une nouvelle fois rejetée par un arrêté du 20 mai 2011 appliquant cette fois les dispositions du plan local d'urbanisme approuvé par la délibération du 30 avril 2009, lesquelles faisaient obstacle à la réalisation du projet de construction. Par arrêt du 17 octobre 2017, rendu sur renvoi après cassation par arrêt du Conseil d'Etat du 23 février 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 10 décembre 2013 et le refus de permis de construire du 20 mai 2011 et enjoint à la commune de Saint-Georges d'Oléron de statuer à nouveau sur la demande de permis de construire présentée par la SARL de la Côte d'Opale. Enfin, par un arrêté du 12 décembre 2017, le maire de la commune de Saint-Georges d'Oléron décidait de délivrer le permis de construire sollicité, qu'il a cependant retiré à la demande du préfet le 9 mars 2018. M. et Mme A...et la SARL de la Côte d'Opale relèvent appel du jugement du 15 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à ce que la commune de Saint-Georges d'Oléron soit condamnée à leur verser la somme de 1,3 million d'euros en réparation du préjudice qu'ils estiment avoir subi du fait des agissements de la commune à l'occasion de l'instruction de leur demande de permis de construire.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

2. Aux termes de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme alors applicable : " N'ouvrent droit à aucune indemnité les servitudes instituées par application du présent code en matière de voirie, d'hygiène et d'esthétique ou pour d'autres objets et concernant, notamment, l'utilisation du sol, la hauteur des constructions, la proportion des surfaces bâties et non bâties dans chaque propriété, l'interdiction de construire dans certaines zones et en bordure de certaines voies, la répartition des immeubles entre diverses zones. / Toutefois, une indemnité est due s'il résulte de ces servitudes une atteinte à des droits acquis ou une modification à l'état antérieur des lieux déterminant un dommage direct, matériel et certain ; cette indemnité, à défaut d'accord amiable, est fixée par le tribunal administratif, qui doit tenir compte de la plus-value donnée aux immeubles par la réalisation du plan d'occupation des sols rendu public ou du plan local d'urbanisme approuvé ou du document qui en tient lieu ". Ces dispositions instituent un régime spécial d'indemnisation, exclusif de l'application du régime de droit commun de la responsabilité sans faute de l'administration pour rupture de l'égalité devant les charges publiques. Elles ne font, toutefois, pas obstacle à ce que le propriétaire dont le bien est frappé d'une servitude prétende à une indemnisation dans le cas exceptionnel où il résulte de l'ensemble des conditions et circonstances dans lesquelles la servitude a été instituée et mise en oeuvre, ainsi que de son contenu, que ce propriétaire supporte une charge spéciale et exorbitante, hors de proportion avec l'objectif d'intérêt général poursuivi.

3. En premier lieu, le classement des terrains des requérants résultant de l'approbation du plan local d'urbanisme par les délibérations du 4 décembre 2008 puis du 30 avril 2009 en zones Nt3 et UC et en espace boisé classé n'a pas modifié l'état antérieur des lieux. En deuxième lieu, à la date de l'approbation du plan local d'urbanisme, il ne résulte pas de l'instruction que les requérants eussent été titulaires d'un droit acquis à construire sur ces parcelles, un tel droit ne pouvant résulter ni de la réglementation antérieurement applicable à la zone ni du seul dépôt d'une demande de permis de construire. En troisième lieu, d'une part, le classement des parcelles des requérants retenu par le plan local d'urbanisme est cohérent avec les orientations du projet d'aménagement et de développement durable, qui consistent notamment à favoriser le développement urbain en continuité des espaces bâtis, à préserver les espaces naturels sensibles et à protéger les espaces boisés en limitant l'urbanisation sous boisement au comblement des dents creuses, conformément aux dispositions applicables au littoral, et, d'autre part, l'incidence de ces changements ne peut être regardée comme spéciale aux requérants. Enfin, en tout état de cause, ceux-ci n'établissent pas, par la seule production d'un avis de valeur général concernant des terrains classés différemment des leurs, que la charge qu'ils prétendent subir de ce fait serait exorbitante. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à solliciter une indemnité sur le fondement des dispositions précitées.

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

4. En premier lieu, si les requérants soutiennent que le dépôt de la demande de permis de construire a fait suite à de multiples démarches, concertations et réunions avec les services municipaux à l'issue desquelles la commune aurait fait part de son soutien et d'un accord de principe sur le projet, et aurait ainsi engagé sa responsabilité en raison d'un comportement versatile, cette allégation n'est pas établie.

5. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que la responsabilité de la commune serait engagée en raison du délai excessif d'instruction de leur demande de permis de construire déposée le 23 mai 2005, délai qui n'aurait pris fin selon eux que le 20 mai 2011, date du deuxième refus de permis qui leur a été opposé, le caractère excessif de ce délai ne peut résulter ni de l'écoulement de la durée pendant laquelle il a été sursis à statuer sur leur demande, sans que la légalité de ce sursis ait été contestée, ni de celle de la procédure contentieuse qu'ils ont engagée contre le premier refus qui leur a été opposé le 30 janvier 2009, à l'issue de laquelle, par ailleurs, la commune a statué rapidement. Dès lors, ainsi que l'a jugé le tribunal, les requérants sont seulement fondés à soutenir que le délai d'un an et demi mis par la commune pour leur opposer un sursis à statuer le 14 décembre 2006 caractérise un retard susceptible d'engager sa responsabilité. Toutefois, aucun des préjudices qu'ils invoquent ne présente de lien de causalité direct avec ce retard.

6. En troisième lieu, l'arrêté du maire de Saint-Georges d'Oléron du 30 janvier 2009 refusant le permis de construire litigieux a été annulé pour un motif de fond par le tribunal administratif de Poitiers par jugement du 24 mars 2011 devenu définitif et il ne résulte pas de l'instruction, en l'état du dossier, que le maire aurait pu légalement rejeter la demande de permis de construire sans méconnaître l'autorité absolue de la chose jugée s'attachant à ce jugement. Les requérants sont donc fondés à soutenir qu'une telle illégalité est de nature à engager la responsabilité pour faute de la commune.

7. Toutefois, les frais d'architecte et d'études en vue de la constitution du dossier de demande de permis de construire dont les requérants demandent le remboursement ne sont établis par aucune pièce du dossier. Quant au manque à gagner qu'ils invoquent, celui-ci n'est pas plus documenté, et présente donc un caractère éventuel. Enfin, la perte de valeur vénale du terrain, outre qu'elle ne peut être regardée comme établie par la seule production de l'avis de valeur mentionné au point 3, ne résulte pas de l'illégalité du refus de permis de construire opposé le 30 janvier 2009.

8. Il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté leur demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Saint-Georges d'Oléron la somme que les requérants demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à leur charge une somme de 1 500 euros au bénéfice de la commune de Saint-Georges d'Oléron à ce titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme A...et de la SARL de la Côte d'Opale est rejetée.

Article 2 : M. et Mme A...et la SARL de la Côte d'Opale verseront à la commune de Saint-Georges d'Oléron une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme B...A..., à la SARL de La Côte d'Opale et à la commune de Saint-Georges d'Oléron.

Délibéré après l'audience du 15 novembre 2018 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, président,

M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,

M. David Terme, premier-conseiller.

Lu en audience publique, le 13 décembre 2018.

Le rapporteur,

David TERMELe président,

Catherine GIRAULT

Le greffier,

Virginie MARTY

La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

6

N° 16BX03624


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 1ère chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16BX03624
Date de la décision : 13/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Responsabilité et illégalité.


Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. David TERME
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : CABINET OPTIMA ROCHEFORT

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2018-12-13;16bx03624 ?
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