Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La banque de Saint-Pierre-et-Miquelon a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 458 750 euros correspondant au montant de la compensation financière qui aurait dû être versée à la société Alliance à la fin du mois de juin 2008.
Par un jugement n° 31/09 du 26 septembre 2012, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 15BX00962 du 24 novembre 2015, après renvoi du Conseil d'Etat, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux a annulé le jugement du tribunal administratif et rejeté la demande de première instance présentée par la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Procédure devant la cour :
Par une requête en tierce opposition et des mémoires, enregistrés le 13 mars 2017, le 10 juillet 2017 et le 9 août 2017, la société Alliance, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) de déclarer nul et non avenu l'arrêt de la cour d'administrative d'appel de Bordeaux n° 15BX00962 du 24 novembre 2015 ;
2°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon du 26 septembre 2012 et, en conséquence, de condamner l'Etat à verser à la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon la somme de 458 750 euros, assortie des intérêts au taux légal et capitalisés ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Alliance soutient que :
- elle est recevable à former une tierce opposition à l'encontre de l'arrêt n° 15BX00962 car elle a la qualité de tiers au litige jugé par cette décision ; elle ne peut être regardée comme ayant été représentée par la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon lors de l'instance car celle-ci n'a pas défendu les intérêts de la société ; il résulte de l'arrêt qu'elle a commis une faute contractuelle qui a justifié le non versement à son profit par l'Etat de la compensation forfaitaire prévue dans la convention de délégation de service public ; il résulte également de cette décision que la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon est fondée à lui demander le paiement de la somme en litige qu'elle ne peut plus réclamer à l'Etat ; ainsi, la société Alliance justifie d'un droit lésé résultant de l'arrêt ; enfin, celui-ci ne lui a pas été notifié de sorte qu'aucun délai de recours ne lui est opposable ;
- l'Etat a surestimé le tonnage du fret lors des prévisions qu'il a effectuées dans le cadre de la convention de délégation de service public couvrant la période 2005-2009 ; la société Alliance a ainsi constamment exécuté son service dans des conditions déficitaires sans que l'Etat ait accepté de revoir l'économie de la convention alors que ses services ont remis des rapports confirmant que la délégation de service public n'était pas viable ;
- les conditions économiques du contrat ont ainsi été bouleversées de manière définitive ; en dépit de cela, elle a assuré le service jusqu'en juin 2008 ; elle a été tenue de continuer d'assurer le service après que le préfet lui a notifié en juillet 2008 des arrêtés de réquisition ; ainsi, elle a exécuté ses obligations jusqu'à l'extrême limite de ses possibilités financières ;
- la baisse importante du volume d'activité constatée au plan international constitue un évènement qui n'était pas prévisible en 2004 lors de la conclusion de la délégation de service public ; cette circonstance imprévisible a bouleversé de manière définitive l'économie du contrat ainsi que l'a notamment reconnu l'expert désigné par le tribunal ;
- elle a vainement sollicité l'Etat pour obtenir un rééquilibrage des conditions d'exécution de la convention, notamment par l'augmentation des tarifs de transports et le versement de subventions exceptionnelles adaptées aux enjeux ; le refus de l'Etat de verser la compensation forfaitaire prévue au contrat au 30 juin 2008 a provoqué la fin de la délégation de service public ;
- lorsque le bouleversement de l'équilibre économique du contrat est définitif, il se crée une situation de force majeure qui justifie là encore la résiliation du contrat de délégation de service public ; elle a également procédé à une augmentation de son capital ; ces considérations ont été retenues à juste titre par le tribunal administratif ;
- elle a cédé à la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon la créance qu'elle détenait sur l'Etat à raison du paiement de la compensation forfaitaire due au 30 juin 2008 ; l'Etat n'ayant pas réglé cette somme, la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon a obtenu du tribunal administratif sa condamnation à lui verser la somme de 458 750 euros correspondant à la compensation forfaitaire ; ce jugement a été confirmé par la cour d'administrative d'appel de Bordeaux dont l'arrêt a cependant été annulé par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 377944 du 6 mars 2015 ; saisie de nouveau de l'affaire à la suite de cet arrêt, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux a tranché le litige en jugeant que le délégant était fondé à ne pas verser la compensation si le délégataire n'exécute pas ses obligations contractuelles ;
- ainsi qu'elle l'a démontré dans ses écritures concernant le litige n° 16BX03271, la société Alliance n'a commis aucune faute dans l'exécution de son contrat, dont la résiliation a été prononcée par le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon ; notamment, elle s'est acquittée des rotations prévues dans la convention sur la période du 1er mars 2008 au 30 juin 2008, ce qui justifiait le versement de la compensation au 30 juin 2008 ; le contrat a pris fin en raison du déséquilibre économique qui l'affectait intrinsèquement et qui a acquis un caractère définitif ; dès lors, il incombait à l'Etat de verser cette compensation en application des articles 13, 17 et 19 de la convention de délégation de service public ;
- dans ces conditions, il appartient à la cour de déclarer nul et non avenu l'arrêt n° 15BX00962 du 24 novembre 2015 et de confirmer la solution du tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 juin 2017, 21 juillet 2017 et 18 août 2017, la ministre des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- la requête en tierce opposition est irrecevable car la société Alliance a été représentée pendant l'instance par la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon, cessionnaire de la créance détenue par ladite société sur l'Etat ; lorsqu'une personne a des intérêts concordants avec une autre personne partie à l'instance, la première personne non appelée à l'instance est réputée être représentée par la seconde personne ;
- le Conseil d'Etat a reconnu dans son arrêt du 6 mars 2015 (n° 377944) que la société n'avait pas assumé ses obligations contractuelles en cessant d'assurer les rotations ; et il se déduit de cette décision que l'Etat était fondé à ne pas lui verser la compensation forfaitaire au 30 juin 2008 en application de l'article 28 de la convention de délégation de service public ;
- en interrompant de sa propre initiative l'exécution du contrat alors qu'il lui appartenait de solliciter du juge administratif la résiliation de la délégation de service public, la société Alliance a commis une faute qui engage sa responsabilité ;
- la société Alliance a également consenti irrégulièrement des avances à sa filiale Alliance Europe en méconnaissance du principe d'égalité des usagers devant le service public ; elle n'a pas non plus procédé à une augmentation du capital en méconnaissance de l'article 23 de la convention ;
- il résulte de l'article 19 de la convention que, même si la société avait accompli l'ensemble des rotations prévues sur le trimestre, elle ne pouvait exiger de l'Etat le paiement de la totalité de la compensation car l'exécution du service doit s'apprécier sur l'année ;
- la suspension du versement de la compensation ne présentait pas pour la société un caractère insurmontable pour la poursuite de l'exécution du service ; la baisse du tonnage du fret ne présente pas non plus le caractère d'un évènement irrésistible ;
- l'Etat a assumé l'ensemble des moyens qui lui étaient dévolus afin d'assurer la continuité du service ; de son côté, la société a accepté les termes du contrat en connaissance de cause ; il lui appartenait de négocier les conditions contractuelles pour l'exercice de son activité laquelle était soumise à un risque commercial ; cette responsabilité est incluse dans la définition même du contrat de délégation de service public conformément à l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales ;
- en réponse aux difficultés financières rencontrées par la société, l'Etat a versé des aides et subventions à cette dernière (modification de la grille tarifaire, versement de subventions exceptionnelles) ;
- la situation dans laquelle s'est trouvée la société ne constituait pas un cas de force majeure l'autorisant à interrompre le service, comme elle l'a fait en méconnaissance de l'article 9 de la convention de délégation de service public.
Par un mémoire en intervention, enregistré le 21 juillet 2017, la caisse d'Epargne CEPAC, venant aux droits de la banque de Saint-Pierre et Miquelon, représentée par Me B..., demande à la cour de faire droit aux conclusions de la société Alliance.
Elle déclare s'associer aux écritures de la société Alliance.
Par ordonnance du 24 juillet 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 21 août 2017 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Faïck,
- les conclusions de Mme Déborah De Paz, rapporteur public,
- et les observations de MeA..., représentant la société Alliance.
Considérant ce qui suit :
1. Par une convention de délégation de service public du 29 décembre 2004, conclue pour une durée de cinq ans, l'Etat a confié à la société Alliance l'exploitation et la gestion du service de desserte maritime en fret de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon.
2. Les modalités de rémunérations de la société délégataire ont été fixées par l'article 13 de la convention qui stipule, notamment, que : " (...) en contrepartie des obligations lui incombant : le délégant verse au délégataire une compensation forfaitaire annuelle (...) ". Selon l'article 17 de cette convention : " (...) le montant de la compensation forfaitaire au titre des obligations de service public, telles que définies à l'article 13 (...) est fixé à 1 835 000 euros (...). ". Les modalités de versement de la compensation ont été fixées par l'article 19 de la convention qui stipule que : " Le montant annuel de la compensation forfaitaire sera versé en trois fois, soit 50 % fin février, 25 % fin juin et 25 % fin novembre, après contrôle par l'autorité délégante du respect des obligations de service public et principalement du nombre des rotations assurées pendant le trimestre, soit 12 ou 13 sur la base de 50 par an ".
3. Par un bordereau du 12 décembre 2007, la société Alliance a cédé à la Banque de Saint-Pierre-et-Miquelon la créance qu'elle détenait sur l'Etat au titre de l'année 2008 en application des stipulations contractuelles précitées. Au motif que la société Alliance avait interrompu ses prestations de transports maritimes au 27 juin 2008, l'Etat a refusé de lui verser la somme de 458 750 euros correspondant à la part de la compensation forfaitaire venant à échéance au 30 juin 2008. En sa qualité de cessionnaire de cette créance, la Banque de Saint-Pierre-et-Miquelon a demandé au tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 458 750 euros. Par jugement du 26 septembre 2012, le tribunal administratif de Saint-Pierre-et-Miquelon a fait droit à la demande de la banque. Cette décision a été confirmée par la cour d'administrative d'appel de Bordeaux par un arrêt n° 12BX03199 du 17 février 2014 qui a cependant été annulé par le Conseil d'Etat dans sa décision n° 377944 du 6 mars 2015. Par un nouvel arrêt n° 15BX00962 rendu le 24 novembre 2015, la cour d'administrative d'appel de Bordeaux, statuant sur renvoi du Conseil d'Etat, a annulé le jugement du tribunal administratif du 26 septembre 2012 et rejeté les conclusions dirigées par la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon contre l'Etat. La société Alliance demande à la cour, par la voie de la tierce opposition, de déclarer nul et non avenu l'arrêt n° 15BX00962 et de confirmer le jugement du 26 septembre 2012 par lequel le tribunal avait condamné l'Etat à verser à la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon la somme de 458 750 euros.
Sur l'intervention de la Caisse d'Epargne CEPAC :
4. La banque de Saint-Pierre-et-Miquelon, aux droits de laquelle vient la Caisse d'Epargne CEPAC, avait qualité de partie à l'instance à l'issue de laquelle a été rendu l'arrêt n°15BX00962. Ainsi, la Caisse d'Epargne CEPAC, qui s'est pas pourvue en cassation contre cet arrêt qui a rejeté la demande de la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon, n'est pas recevable à intervenir au soutien de la requête en tierce opposition de la société Alliance tendant à ce que ledit arrêt soit déclaré nul et non avenu.
Sur la fin de non-recevoir opposé par le ministre des outre-mer :
5. Aux termes de l'article R. 832-1 du code de justice administrative : " Toute personne peut former tierce opposition à une décision juridictionnelle qui préjudicie à ses droits, dès lors que ni elle ni ceux qu'elle représente n'ont été présents ou régulièrement appelés dans l'instance ayant abouti à cette décision. ".
6. Il résulte de ces dispositions que toute personne qui n'a été ni appelée ni représentée dans l'instance peut former tierce opposition à une décision du juge administratif. Cette voie de rétractation est ouverte à ceux qui se prévalent d'un droit auquel la décision entreprise aurait préjudicié.
7. En revanche, lorsqu'une personne a été représentée à l'instance par une partie ayant des intérêts concordants avec les siens, elle n'est pas recevable à former tierce-opposition contre la décision juridictionnelle rendue à l'issue de cette instance.
8. Dans son arrêt n° 15BX00962 du 24 novembre 2015, la cour, après avoir rappelé que le délégant est en droit de ne pas verser l'acompte prévu par la convention si le délégataire n'assure plus ses obligations, a relevé que la société Alliance avait manqué à ses obligations contractuelles en cessant de desservir l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon à compter du 27 juin 2008. Elle en a déduit que ce manquement justifiait à lui seul le refus de l'Etat de verser l'acompte de 458 750 euros correspondant à la part de la compensation forfaitaire dont le versement devait intervenir au 30 juin 2008. La société Alliance en conclut que cet arrêt préjudicie à ses droits dans la mesure il est susceptible de fonder une action de la banque à son encontre en vue d'obtenir le paiement de la somme de 458 750 euros en cause.
9. A l'issue de l'instance ayant abouti à l'arrêt n° 15BX00962 du 24 novembre 2015, au cours de laquelle la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon a présenté plusieurs mémoires en défense, il appartenait à la cour de se prononcer sur l'obligation pour l'Etat de verser à cette dernière la somme de 458 750 euros correspondant à la créance qui lui avait été cédée par la société Alliance. Ainsi, en leur qualité respective de cédant et de cessionnaire de la créance litigieuse, la société Alliance et la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon, substituée à la société Alliance dans les droits résultant de la créance cédée, avaient des intérêts concordants ainsi que le révèlent au demeurant les conclusions de société Alliance présentées dans la présente instance et qui tendent à la confirmation du jugement du tribunal ayant condamné l'Etat à verser à la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon la somme de 458 750 euros en cause. Il s'ensuit que la société Alliance doit être regardée comme ayant été représentée par la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon au cours de l'instance au terme de laquelle a été rendu l'arrêt faisant l'objet de la présente tierce opposition.
10. Dès lors, la société Alliance n'est pas recevable à former tierce opposition à l'arrêt n° 15BX00962 du 24 novembre 2015. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions de sa requête présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de la Caisse d'Epargne CEPAC n'est pas admise.
Article 2 : La requête de la société Alliance est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Alliance, à la Caisse d'Epargne CEPAC venant aux droits de la banque de Saint-Pierre-et-Miquelon et à la ministre des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 28 novembre 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
Mme Christine Mège, président-assesseur,
M. Fréderic Faïck, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 décembre 2017.
Le rapporteur,
Frédéric FaïckLe président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Evelyne Gay-Boissières
La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX00874